Communiqué de presse
Commerce et aide : l'économie des petites îles à la croisée des chemins
Depuis longtemps exposées aux forces de la mer, les petites îles doivent
maintenant affronter la montée des forces de la mondialisation qui menacent
de bouleverser l'économie de nombreuses îles et d'entraver les efforts
qu'elles déploient pour promouvoir leur développement durable.
Le cours que prend la libéralisation des échanges laisse entrevoir aux
petites îles la disparition prochaine des préférences commerciales qui leur
permettent de vendre à des prix protégés leurs exportations agricoles
traditionnelles dans les pays développés. Sans ces préférences
commerciales, leurs produits, tels que la noix de coco, la banane, le sucre
et les épices, ne pourraient guère rivaliser sur les marchés agricoles
mondiaux avec la production réalisée à grande échelle dans d'autres pays.
Cinq années après que, à la Conférence mondiale sur le développement
durable des petits Etats insulaires (la Barbade, 1994), pays en
développement et pays développés sont convenus d'adopter un plan spécial
visant à aider les petites îles à réaliser le développement durable, les
questions relatives au commerce et aux conséquences de la mondialisation
deviennent plus pressantes que jamais; les pays se préparent en effet à
évaluer la mise en application du Plan de la Barbade à l'occasion d'une
session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies qui doit
se tenir en septembre.
La pression commerciale
De récentes décisions de l'Organisation mondiale du commerce selon
lesquelles certaines des préférences commerciales accordées aux îles
enfreignaient les accords de libre-échange ont avivé la crainte de voir
l'économie des petites îles s'enfoncer dans la récession avant d'avoir eu
le temps ou les moyens de se ressourcer. On craint également que le
resserrement des budgets nationaux n'entraîne inéluctablement une
diminution des ressources affectées aux programmes de protection de
l'environnement.
Lopins de terre au milieu de l'océan, les petites îles sont très
vulnérables face aux soubresauts de l'économie mondiale. Et pourtant,
davantage que la plupart des pays, elles sont tributaires du commerce
international puisque leur faible étendue et la modicité de leurs
ressources les obligent à importer pratiquement tout, depuis l'énergie
jusqu'aux fournitures médicales ou aux machines. En 1993, le coût total du
fret exprimé en pourcentage de la valeur des importations était de 55 %
plus élevé pour les petites îles que pour les pays développés à économie de
marché, l'écart passant à 66 % en 1996.
Cette dépendance vis-à-vis du monde extérieur se traduit pour les
insulaires par une augmentation du coût de la vie et des échanges
commerciaux et rend très difficile toute concurrence avec les productions
agricoles obtenues à plus faible coût dans d'autres pays. Par ailleurs, le
climat, la nature du sol et des perturbations météorologiques parfois
extrêmes, telles que les ouragans dans les Caraïbes, les cyclones dans
l'océan Indien et les typhons dans le Pacifique, limitent souvent le type
de cultures praticables dans les îles.
Grâce à plusieurs accords internationaux souvent liés aux relations de
l'époque coloniale, les petites îles ont pu jusqu'ici vendre leurs produits
agricoles dans de nombreux pays développés à des prix supérieurs à ceux du
marché. On citera notamment le Système généralisé de préférences, qui a été
négocié dans le cadre de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce (GATT), et plusieurs accords régionaux. C'est ainsi qu'aux termes
de la Convention de Lomé, un accord sur le commerce et l'aide souvent
présenté comme un modèle de coopération Nord-Sud, l'Union européenne est
convenue d'importer des produits tels que le sucre des petites îles et
d'autres pays africains, des Caraïbes et du Pacifique, à des prix négociés,
généralement plus élevés que ceux du marché.
Les subventions obtenues grâce à ces arrangements ont permis de soutenir
l'économie de nombreuses petites îles. Outre des devises précieuses, ces
accords ont apporté aux îles la garantie d'un accès aux marchés du Nord, ce
qui a permis d'attirer des investissements étrangers pour d'autres projets.
On estime que, à Maurice, cette garantie de l'accès aux marchés a joué un
rôle déterminant dans la création d'une zone franche industrielle pour
l'exportation, qui emploie aujourd'hui plus de 80 000 personnes.
Certains pensent toutefois que le système des préférences a donné aux îles
un sentiment de sécurité illusoire qui les a empêchées de diversifier leurs
activités ou d'adopter des mesures destinées à maintenir leur compétitivité
sur le marché mondial.
Guerres de la banane
Bien que les petites îles n'occupent qu'une part très modeste du marché de
la banane, les Etats-Unis et plusieurs pays latino-américains ont porté
plainte contre le système de quotas de l'Union européenne appliqué à la
banane, qu'ils accusent de porter atteinte à leurs intérêts en empêchant la
vente de leurs bananes sur les marchés européens. L'Organisation mondiale
du commerce a statué que les Etats-Unis étaient fondés à exercer des
représailles, à hauteur de 190 millions de dollars, en vue de compenser les
pertes qu'avaient subies les sociétés américaines du fait du système des
quotas. En tout état de cause, l'affrontement entre les deux géants
économiques aura fait perdre aux petites îles tout sentiment de sécurité
qu'elles auraient pu entretenir jusque-là et leurs habitants craignent que
la ruée vers la libéralisation du commerce ne mette également en péril les
préférences concernant d'autres produits, agricoles et textiles.
Les petites îles se sont vigoureusement opposées à la décision de l'OMC
qui, selon elles, montre que les organisations multilatérales mondiales ne
sont pas prêtes à respecter, représenter ou étudier les besoins des pays en
développement. Elles affirment que le maintien des préférences commerciales
est indispensable pour accroître le revenu national, créer des emplois,
maintenir la compétitivité internationale et réaliser un développement
durable.
Pour les îles productrices de bananes, en particulier celles des Caraïbes,
d'importants changements se préparent. Puisque de nombreux pays sont
producteurs de bananes, la suppression des mesures de protection signifie
que le marché sera inondé, ce qui entraînera une baisse des prix. Les
petites îles productrices de bananes s'en ressentiront puisque leurs coûts
de production et de main-d'œuvre sont plus élevés qu'ailleurs.
S'il s'avérait impossible de conserver les préférences commerciales, les
petites îles demandent le maintien, pendant quelque temps, d'un traitement
différencié ou préférentiel ou la mise en place d'un mécanisme permettant
de compenser la baisse de leurs exportations, jusqu'à ce que la
restructuration de leurs économies soit suffisamment avancée.
Des négociations ont été engagées pour trouver un accord qui remplace la
Convention de Lomé et on examine la possibilité d'établir de nouveaux
termes de l'échange entre les petits Etats insulaires en développement et
les nations développées. L'Union européenne a déclaré qu'elle veillerait à
ce que les entretiens de Lomé et le cycle de négociations commerciales
multilatérales du nouveau millénaire, qui seront engagées sous l'égide de
l'OMC, permettent de réduire les obstacles au commerce et d'assurer aux
produits des petites îles un accès plus sûr aux marchés d'exportation.
Les effets de la crise
Venant s'ajouter à la diminution constante de l'aide publique au
développement, les assauts répétés de la libéralisation devraient affecter
considérablement le développement durable des petits Etats insulaires en
développement. En raison de la baisse des revenus nationaux, les
gouvernements pourront de moins en moins mettre en œuvre des programmes en
faveur de la protection de l'environnement et pourraient bien se voir
contraints de privilégier la croissance à court terme au détriment de la
conservation des ressources à long terme. La baisse des revenus obligera
peut-être les populations des îles, déjà en proie aux difficultés, à
surexploiter la terre, les forêts et les pêcheries, au préjudice de
l'environnement. En Haïti, pays le plus pauvre de l'hémisphère occidental,
plus de 99 % des forêts ont disparu.
Antigua-et-Barbuda a déjà commencé à ressentir les effets de la crise.
Grâce notamment au tourisme, qui contribue pour près de 70 % à la formation
de son produit intérieur brut (PIB), le pays a connu une forte croissance
économique dans les années 80 et au début des années 90. Mais une série de
quatre ouragans, à laquelle s'est ajouté l'afflux de 3 000 réfugiés fuyant
une importante éruption volcanique dans l'île voisine de Montserrat, a
contribué à précariser la situation de l'île. Le Gouvernement a dû
contracter d'importants emprunts pour remettre en état l'infrastructure
endommagée par les tempêtes et les programmes sociaux et écologiques ont
été mis en veilleuse.
Une récession économique pourrait réduire l'attrait que l'île exerce en
tant que destination de vacances. Une aggravation des tensions sociales et
une dégradation de l'environnement risquent aussi d'éloigner les touristes.
Selon certaines indications, la crise de la banane aurait incité certains
agriculteurs de quelques îles des Caraïbes à délaisser la production de
bananes au profit de cultures illicites, comme celle du chanvre indien, qui
s'avèrent beaucoup plus rentables. Si la quasi-totalité des gouvernements
des petites îles se sont engagés à réprimer le trafic des drogues, beaucoup
ne disposent pas des ressources nécessaires pour mener à bien cette action.
D'autre part, l'absence de perspectives incitera de plus en plus les
populations des îles à émigrer vers les pays développés. Depuis longtemps,
la fuite des cerveaux est présentée comme un obstacle de taille à la
promotion de développement économique des îles.
Des options limitées
Si la plupart des petites îles ont pris conscience de la nécessité de
restructurer leur économie, il faut signaler que cette transformation est
un processus de longue haleine qui exigera la mise en place de nouvelles
industries et le recyclage d'une bonne partie de la main-d'œuvre. Les choix
sont difficiles, coûteux et limités.
Les petits Etats insulaires les plus étendus et les plus peuplés disposent
d'options plus diversifiées, mais pour les plus petits, tels que Tuvalu et
Antigua-et-Barbuda, les possibilités sont limitées. Les pays donateurs
s'accordent à penser que les îles les plus petites devront continuer de
bénéficier de la coopération pour le développement.
Certaines îles pourraient demeurer compétitives sur le marché agricole
mondial en proposant des produits originaux, par exemple des bananes plus
savoureuses, cultivées selon la méthode organique, et chercher à se tailler
des créneaux. On envisage également de promouvoir l'exportation de produits
« naturels » tels que les cosmétiques à base de noix de coco que la
Dominique exporte. Certaines îles, comme les îles Caïmanes et les Bermudes,
sont devenues des centres financiers offshore réputés et la Jamaïque s'est,
pour sa part, efforcée de se faire connaître comme centre de traitement
informatique; mais la plupart des petites îles doivent se tourner vers
d'autres activités.
Elles sont desservies, dans ce domaine, par un certain nombre de facteurs.
Beaucoup ne possèdent pas de ressources naturelles de valeur. La nécessité
d'importer tant les matériaux que l'énergie renchérit donc les coûts et,
d'une manière générale, le coût de la vie, ce qui se traduit par des
salaires et un coût de la main-d'œuvre élevés. En outre, bien que leurs
habitants aient en général un niveau d'éducation plus élevé que ceux
d'autres pays en développement, ils ne sont pas assez nombreux pour
atteindre la masse critique nécessaire à l'exploitation d'une industrie.
Si les capitaux privés jouent un rôle décisif dans le mouvement actuel en
faveur de la mondialisation, l'essentiel de l'investissement étranger
direct va au secteur touristique, qui ne constitue par une panacée.
Les perspectives touristiques sont bonnes : l'Organisation mondiale du
tourisme prévoit qu'à l'échelon mondial et au cours des 21 années à venir
le nombre de touristes augmentera de 300 %, tandis que les dépenses
effectuées par les touristes en dehors de leur propre pays progresseront de
500 %. Selon les projections régionales, les petites îles devraient
bénéficier, dans une large mesure, de cette croissance mondiale. Le
tourisme, qui est déjà l'une des principales industries des petites îles, a
dépassé, dans nombre d'entre elles, le secteur agricole comme source
principale de devises. Bien qu'on assiste à la « fuite » d'une bonne partie
des bénéfices vers les investisseurs étrangers, les petites îles en
conservent quand même une part non négligeable.
Toutefois, le tourisme est une industrie liée au beau temps et sa réussite
est tributaire de nombreux facteurs fluctuants : économie mondiale
prospère, bonnes conditions météorologiques et situation sociale stable,
entre autres. Les petites îles, et aussi les investisseurs, sont soucieux
de ne pas trop dépendre du tourisme qui est très sensible à la dégradation
de l'environnement et aux crises économiques. Par exemple, la crise
financière asiatique a entraîné une diminution substantielle des arrivées
de touristes dans les îles du Pacifique. Dans certaines îles des Caraïbes,
les ouragans ont très gravement compromis les perspectives touristiques et
rendu exorbitants les taux d'assurance.
L'une des options qui s'offrent aux petites îles est l'exploitation de leur
zone économique exclusive de 200 milles. Jusqu'à présent, la plupart des
petites îles n'ont pas été en mesure d'en tirer un avantage économique en
raison des coûts prohibitifs de l'exploitation minière sous-marine, et
elles n'ont pas non plus été capables de contrôler les activités de pêche
dans leurs eaux. A défaut de cela, elles pourraient se tourner vers de
petites et moyennes entreprises, spécialisées dans des secteurs nouveaux
(technologie de pointe, édition, commerce de certains textiles, notamment).
Diminution de l'assistance
Suivant la tendance observée à l'échelon mondial, l'aide publique au
développement accordée aux petits Etats insulaires en développement n'a
cessé de baisser depuis 1994, année où la Conférence de la Barbade avait
suscité un regain d'intérêt. Les décaissements nets effectués au titre de
l'aide bilatérale et de l'aide multilatérale combinées sont passés de 2
milliards 360 millions de dollars en 1994 à 1 milliard 960 millions en
1997, dernière année pour laquelle on dispose de données.
L'assistance octroyée aux petites îles s'est située à un niveau nettement
inférieur à celui qu'on attendait ou qui était nécessaire pour mettre en
application le Programme d'action de la Barbade, lequel précisait les
actions à entreprendre pour réaliser le développement durable des petites
îles. Bien que les actions en partenariat aient pris du retard dans
certains domaines, les représentants des pays donateurs et des petites îles
se sont réunis en février 1999 pour étudier les perspectives d'une
assistance future. En réponse aux donateurs qui exigeaient que les îles
classent leurs besoins par ordre de priorité, les représentants des petites
îles et des organisations régionales ont présenté plus de 300 propositions
de projets destinées à être financées dans le cadre de la mise en œuvre du
Programme de la Barbade. Si, pour les petites îles et les donateurs, la
réunion s'est avérée constructive, peu d'engagements en ont résulté jusqu'à
présent.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée est, de toutes les petites îles, celle qui a
bénéficié de l'assistance bilatérale la plus importante en 1996 : 350
millions de dollars; venaient ensuite Haïti, les Antilles néerlandaises et
les Etats fédérés de Micronésie. Du côté des donateurs, l'Australie a
fourni l'aide la plus importante : 311 millions de dollars destinés
essentiellement aux îles du Pacifique; suivaient les Etats-Unis, le Japon,
les Pays-Bas, la France, l'Italie et la Nouvelle-Zélande.
Compte tenu de la baisse de l'aide observée dans le monde entier, les
petites îles craignent que leurs besoins ne soient pas pris en
considération dans la mesure où leur PIB par habitant est généralement plus
élevé que celui des autres pays en développement. Par exemple, lorsque,
l'année dernière, les Maldives ont été rayées de la liste des pays les plus
pauvres dressée par l'Organisation des Nations Unies, le pays a protesté en
déclarant que cette mesure réduirait ses perspectives en matière
d'obtention d'aide et qu'il se verrait privé de certains avantages accordés
aux pays les plus pauvres, tels que les prêts sans intérêt, l'annulation de
la dette et l'accès préférentiel aux marchés. Samoa, Vanuatu et le Cap-Vert
sont également considérés comme des pays qui devraient être rayés de la
liste des pays les plus pauvres.
Les institutions financières internationales classent souvent les besoins
des pays en développement en fonction de leur PIB par habitant. Alléguant
que ce n'est pas là une méthode fiable, les petites îles soutiennent
qu'elles devraient être classées séparément, selon un « indice de
vulnérabilité » qui tiendrait compte de leur exposition à des facteurs
externes capables de paralyser leur économie, tels que les catastrophes
naturelles et les crises économiques. Cet indice tiendrait également compte
du fait que les petites îles doivent faire face à des coûts plus élevés que
ceux des autres pays en développement, ce qui compromet leur compétitivité
sur les marchés internationaux.
La recherche de solutions
Le nombre limité d'options de développement, le manque de ressources et les
risques constants que font courir les tempêtes et la mer constituent
d'importants défis pour les petits Etats insulaires en développement. Mais,
découvrant toujours davantage que l'union fait la force, ces pays se sont
associés dans le cadre de groupements régionaux ou mondiaux tels que
l'Alliance des petits Etats insulaires, qui regroupe 40 nations. Les
petites îles du Pacifique et des Caraïbes s'efforcent de créer de grands
marchés régionaux, tandis que les pays de l'océan Indien conjuguent leurs
efforts pour tenter de résoudre un certain nombre de problèmes écologiques.
Grâce à la coopération qui les unit, les îles ont acquis un certain poids
politique qui s'est clairement manifesté lors des négociations sur le
changement climatique, et elles s'emploient désormais à mettre à profit
cette coopération pour promouvoir leurs stratégies économiques. Les petits
Etats insulaires en développement espèrent que l'examen quinquennal du Plan
d'action de la Barbade, auquel procédera l'Assemblée générale des Nations
Unies, permettra de mettre de nouveau en lumière leurs besoins et donnera
un nouvel élan aux efforts que déploie la communauté internationale pour
promouvoir le développement durable des petites îles.
Publié par le Département de l'information de l'ONU
DPI/2061 -- Juillet 1999 -- 5M
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