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Lutter conjointement contre le sexisme et racisme
Françoise Gaspard

Sexisme, racisme : le sujet dont nous traitons est difficile. Nous sommes en effet menacés par deux écueils au moins lorsque nous abordons ces questions. Le premier serait de traiter de façon globale le racisme, au risque alors d'être aveugle à la dimension du genre, de ne pas voir que les femmes et les hommes se trouvent, pour des raisons historiques, dans des situations sociales différentes. Le second serait de privilégier tel type de discrimination, en l'occurrence celui qui frappe de façon particulière les femmes, en négligeant par ailleurs la diversité des femmes et le fait qu'elles sont aussi fragilisées par d'autres facteurs qui ne tiennent pas à leur sexe. C'est un enjeu de la future conférence mondiale qui se tiendra dans quelques mois à Durban que d'introduire la dimension du genre dans la lutte contre le racisme. Votre Commission apportera sa propre contribution à cette conférence. Le Comité CEDAW que j'ai l'honneur de représenter ici, a pour sa part adopté lors de sa 24e session, en janvier de cette année, une Contribution qui est versée à vos débats.

Le racisme et la xénophobie frappent des femmes et des hommes, indistinctement. On le sait. Mais de quoi parle-t-on ? Qu'est-ce que le racisme et la xénophobie ? Les définitions sont nombreuses. Proposons d'en retenir une, très simple : le racisme consiste à distinguer, à classer les personnes en raison de leur soi-disant race, de la couleur de leur peau, de leur religion, de leur origine nationale (il s'agit alors plus spécifiquement de la xénophobie). Le racisme conduit à cesser de regarder l’être humain, l'individu, comme une personne singulière. Il la construit comme "Autre", membre d'un groupe, d'une espèce à laquelle on l'assimile - et que l’on dévalue. Catégoriser ainsi les humains, c'est oublier leur commune humanité.

Ces catégories, productrices de discriminations de droit ou de fait, sont des constructions idéologiques qui ont une histoire. Les distinctions entre les personnes humaines n'ont en effet pas toujours été identiques, même si dans toutes les sociétés, la distinction entre les mêmes et les autres semblent avoir toujours existé. Ces classifications se donnent comme des évidences, d'autant qu'elles se fondent sur des données considérées comme objectives : la couleur de la peau, un type physique mais aussi un nom ou un prénom par exemple, ou encore la qualité d'étranger dans le pays de résidence. Elles peuvent être encore plus subtiles quand elles ne sont pas identifiables et immédiatement vérifiables. Ainsi quand on qualifie de " musulmans " des individus originaires de pays de culture musulmane, sans s'interroger les croyances et pratiques des personnes prises isolément. On sait aussi que l'antisémitisme a conduit à traquer des femmes, des hommes et des enfants dont les ancêtres résidaient depuis des générations dans le pays, en allant jusqu'à organiser pendant la deuxième guerre mondiale dans différentes nations européennes des expositions destinées à aider à identifier physiquement celui ou celle que l'on voulait considérer comme juif.

À partir du moment où la catégorie est construite et posée comme "naturelle", les mécanismes de la distinction sont en place, et ceux de la discrimination peuvent se mettre à l’œuvre. Ils vont pouvoir justifier l'isolement, la persécution voire l'élimination des catégories minoritaires au sein d'une société nationale (eussent-ils été les premiers occupants dans le pays).

Les femmes et les hommes appartenant aux minorités ainsi constituées sont également concernés. Pourtant le racisme et la xénophobie et toutes les formes de discriminations qui en dérivent peuvent frapper chaque sexe de façon différente. Or les femmes, toutes les femmes, sont en raison de leur sexe biologique particulièrement et spécifiquement vulnérables au racisme, à la discrimination raciale, à la xénophobie et à l'intolérance qui y est associée.

Le sexisme, une cause primaire et universelle de discrimination :

La domination des femmes par les hommes plonge ses racines dans la nuit des temps et revêt un caractère quasi-universel. Elle a été longtemps occultée, notamment parce que les femmes ne vivent pas séparées des hommes, et parce qu'elles sont présentes dans toutes les autres catégories sociales, religieuses, de nationalité etc.... Les discriminations dont elles ont été victimes, ou peuvent l’être, n'ont été prises en considération que récemment par les Etats et par la communauté internationale. Elles ne l'ont été que sous la pression de la protestation des femmes, et progressivement. Une protestation ancienne elle aussi, mais dont les traductions en termes de droit et de mobilisation internationale n'ont guère plus d'un siècle.

"On ne naît pas femme, on le devient", cette phrase de Simone de Beauvoir a été publiée en 1949. Elle a fait le tour du monde. Et a conduit des femmes de toute condition, culture, nationalité... à prendre conscience, plus encore peut-être que par le passé, de leur oppression, à la dénoncer et à s'organiser collectivement. On devient femme, en effet. On le devient parce que la société dite, à juste titre, patriarcale apprend aux filles qu'elles appartiennent au "deuxième sexe". Et que, toujours ou presque, les filles, avant d’être des femmes, intègrent l'idée de cette "différence de genre" sous la pression de leur éducation, de préjugés et de stéréotypes que l'éducation depuis toujours, et les médias aujourd'hui encore, continuent de véhiculer, y compris dans les pays considérés comme les plus égalitaires en matière de relations sociales entre les femmes et les hommes. On devient femme parce que, au patriarcat, s'ajoute ce que j'appelle le "fratriarcat", la relation entre "frères", entre hommes. Réduites à la fonction de génitrices, les femmes ont été domestiquées, c'est-à-dire enfermée dans la maison, la domus, alors que leurs frères et compagnons se déployaient dans la sphère dite publique, construisant des relations, des réseaux, des liens dont les femmes ont été et demeurent encore trop souvent exclues. On devient femme, et on l'apprend à ses dépens, en découvrant les contraintes auxquelles on s'est soumise, et les discriminations dont on est victime.

Pourtant on naît femme ou homme. Car tout commence à la naissance et parfois, même avant. Les méthodes médicales permettant désormais de connaître le sexe de l'enfant avant la naissance peuvent conduire, sous la pression sociale, à décider l’interruption d’une gestation lorsque c'est une fille qui est annoncée. On tue des petites filles parce qu'elles sont considérées comme une charge, moins potentiellement productives, moins valorisantes surtout si la famille en compte déjà. À partir du constat d'une petite différence anatomique, le destin est fixé, la différence installée. Que la fille naisse et survive, elle n'aura pas le même sort, ni les mêmes chances que le garçon. Dans trop de pays, elle ne bénéficiera pas de la même nourriture, des mêmes soins, de la même éducation, de la même autonomie, des mêmes possibilités de réaliser ses ambitions. Elle n'aura pas toujours, on le sait, les mêmes droits civils, politiques, sociaux, culturels. Les femmes ont en effet été constituées, y compris dans les sociétés dites de droit, en catégorie juridique, une catégorie qui les infériorise. La domination qui pèse sur les femmes a d'ailleurs souvent survécu à la suppression des discriminations qui frappaient d'autres catégories, dites raciales ou ethniques, ou encore religieuses. Par exemple, sous la Révolution française de la fin du XVIIIe siècle lorsque la citoyenneté politique est accordée aux hommes indépendamment de leur religion, puis, en 1794, aux hommes de couleur des Caraïbes sous domination française, toutes les femmes en demeurent exclues en raison de leur sexe. Également, lorsque les hommes noirs des Etats-Unis reçoivent la citoyenneté, au lendemain de la guerre de Sécession, les Américaines (alors que des femmes ont activement lutté contre l'esclavage et pour les droits des anciens esclaves) ne se voient pas accorder la citoyenneté, ce qui contribuera à donner naissance au mouvement féministe américain et de son prolongement, le mouvement féministe international.

On le voit, la catégorie "femme", fondée sur une distinction biologique, "naturelle" dit-on, a fonctionné et fonctionne encore comme un "marquage" comparable à celui des critères qui ont conduit à inventer la notion de race dans la mesure où c'est à partir d'une différence regardée comme "naturelle" que la race a été imaginée. Au point que des féministes ont pu parler, pour rendre visible le sort commun des femmes comme êtres dominés, de "classe" des femmes et même de "race" des femmes. On sait, en pratique, comment cela fonctionne et jusqu'à quelles extrémités la distinction peut agir : l'apartheid fondé sur le sexe comme on le voit en Afghanistan par exemple.

Les femmes ont, comme les hommes, différentes couleurs de peau, sont membres de différentes cultures, religions, majorités ou minorités dans une situation sociale donnée. Pourtant, dans chaque "groupe", elles ont été constituées comme "Autre" par les hommes, et cela bien avant que l'idée de race n'apparaisse (ce ne serait qu’au 19e siècle que celle-ci émerge dans l’idéologie). On a, en fait, rarement nommé "racisme" les discriminations, exclusions, dénis du droit commun, violences dont les femmes ont été ou sont victimes en tant que femmes, préférant créer le mot "sexisme" pour désigner ces faits. On a dit ensuite, au fur et à mesure que les luttes contre les discriminations se développaient et que la communauté internationale élaborait des normes pour les éradiquer, que les femmes souffraient potentiellement d'une "double discrimination", en tant que membres d'une minorité et en tant que femmes. La formulation est intéressante. Elle permet de souligner la spécificité de la situation des femmes. Mais elle est cependant insuffisante pour traquer tous les ressorts de la domination afin de pouvoir les combattre. La même personne, homme ou femme peut en effet souffrir de multiples discriminations. Être membre d'une population désignée comme minoritaire, mais être de surcroît pauvre, handicapé, âgé, homosexuel... vous fragilise de façon cumulative. Il n'y a "double discrimination" que dans la mesure où le fait d'être femme est susceptible de renforcer toutes les autres formes de domination, d'exclusion, de distinction. Ou encore d'agir de façon spécifique sur une personne de sexe féminin, en usant de son sexe par exemple. Le sexisme a cette particularité d'être présent partout, dans tous les groupes ou catégories et jusque et y compris dans les relations domestiques.

La Communauté internationale et la lutte contre les discriminations sexistes et racistes :

Lutter contre les discriminations, toutes les discriminations dont les femmes, sont (ou peuvent) être victimes, tel a été l'objectif de femmes (et d'hommes - mais il faut le dire, de femmes d'abord et surtout) qui, dès le milieu du 19e siècle, ont mis leurs espoirs dans la naissance d'une organisation internationale. Éviter les conflits entre nations par la médiation et plaider en faveur de l'égalité des sexes, tels étaient leurs objectifs. Elles en eurent bientôt un autre, très précis et particulièrement ambitieux : obtenir de la communauté internationale un traité qui affirme l'égalité, en droit, des femmes et des hommes. La Société des Nations, apparaît aux organisations non gouvernementales féminines qui existent déjà comme un instrument stratégique pour diffuser le concept d'égalité des sexes. Ces militantes ont obtenu un premier succès en raison de leur activisme : L'article 7 du Pacte fondant la SDN stipule en effet que "Toutes fonctions de la Société et des services qui s'y rattachent, y compris le Secrétariat, sont également ouvertes aux femmes et aux hommes". Les femmes seront certes peu nombreuses à représenter leur pays à la SDN. Mais il y en aura. Et le fait que des femmes puissent siéger dans une instance internationale introduit une rupture, fonctionne comme un exemple, notamment auprès des pays membres qui persistent à ne pas accorder la citoyenneté et l'égalité civile à leurs ressortissantes.

Pourtant ces premières ONG échouent. Elles ne parviennent pas à faire inscrire dans les textes soumis à la ratification des Etats l'égalité des sexes à laquelle beaucoup aspirent, pas même en matière d'autonomie de nationalité qui a été un combat majeur et unitaire des mouvements féministes dans la décennie qui a précédé la seconde guerre mondiale. Il faudra attendre la fin du second conflit mondial pour que l'interdiction des discriminations fondées sur le sexe soit introduite dans la Charte de l'ONU, puis dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948. Le Conseil économique et social met alors en place votre Commission, la Commission de la condition de la femme. Celle-ci reçoit notamment pour mandat la charge de présenter au Conseil économique et social des recommandations et rapports sur les moyens de promouvoir les droits des femmes. La Commission a ainsi joué un rôle fondamental dans la construction de normes internationales. Elle a été à l'origine de la tenue, depuis 1975, des conférences thématiques de l'ONU sur les droits des femmes, dont on a pu constater les effets mobilisateurs. La Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, adoptée en 1979, est l'un des instruments fondamentaux de la mise en œuvre d'une politique d'égalité. Son intitulé fait référence à l'élimination des discriminations. Son contenu va bien au-delà. Il dessine en effet les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Mais la marche est longue, on le sait. Il a fallu attendre 1993 pour que soit affirmé, à la Conférence de Vienne sur les Droits de l'Homme, que "les droits fondamentaux de la femme et de la fillette sont une part inaliénable, intégrale et indivisible des droits universels de la personne humaine". Le texte est révélateur : il indique que tel n'était pas le cas auparavant. Il indique également que l'égalité des femmes et des hommes demeure toujours un objectif.

Le Comité CEDAW a déjà une longue histoire. Ses travaux sont là pour alimenter vos débats, vos décisions. Les liens entre la Commission de la condition de la femme et le Comité ont été mis à l'œuvre récemment, de façon éclatante, avec l'adoption du Protocole additionnel facultatif à la Convention. Je n'oublierais pas, personnellement, en tant que représentante de mon pays en 1999 au sein de votre Commission, l'émotion que nous avons éprouvée en l'adoptant tant ont été difficiles les négociations, et nombreuses les incertitudes qui pesaient sur son adoption. Ce Protocole est entré en vigueur depuis le 22 décembre 2000 après que 10 Etats parties l'aient ratifié. Il permet désormais que des femmes victimes de discriminations, puissent bénéficier d’un recours auprès d’un comité conventionnel de l'ONU.

L'ONU a, dès sa naissance, également pris en compte, pour les dénoncer et les combattre, les discriminations qui résultent du racisme. Or, jusqu'à une date récente, les violations des droits des femmes et celles des droits de l'Homme, comme le racisme et la xénophobie, n'avaient pas été traitées de façon conjointe. Les Comités conventionnels des droits de l'Homme, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale notamment ont, depuis une dizaine d'années, commencé d’intégrer la dimension du genre dans leurs analyses des rapports nationaux et leurs Recommandations. La Commission de la condition de la femme, le Comité CEDAW, les conclusions de la conférence de Pékin, celle de la session extraordinaire de l'Assemblée générale de juin 2000 dite " Pékin +5 ", ont pris en considération la diversité des femmes, et les discriminations spécifiques dont elles sont et peuvent être victimes en raison de la couleur de leur peau, de leur origine nationale, de l'appartenance à une minorité, de leur religion, de leur culture ou encore de leur âge. Il conviendrait d'ajouter à cette liste les discriminations liées à l’orientation sexuelle elles aussi productrices d'exclusion et de violence. Celles-ci étant d’ailleurs d’un type particulier lorsqu’elles visent des femmes.

Un colloque s'est tenu en novembre 2000 à Zagreb à l'initiative de la Division de la promotion de la femme et du Bureau du Haut Commissaire pour les droits de l'Homme sur ces questions croisant racisme et xénophobie au genre. Il a contribué, de façon très utile, à montrer comment les atteintes aux droits de la personne humaine que peuvent subir des femmes en raison de leur supposée race mais aussi de leur classe sociale, de leur nationalité, de leur culture, de leur religion se cumulent avec le fait d'être de sexe féminin. Nous emprunterons ici aux débats de Zagreb, en y apportant des compléments des réflexions qui se dégagent des travaux du comité CEDAW.

Les viols, dans les conflits dits interethniques, sont l'exemple tragique de la spécificité de la violence sexiste et raciste. Ils ne sont pas nouveaux. Mais ils ont revêtu, au cours des dernières années, un caractère systématique. Ils ont été froidement qualifiés "d'armes de guerre" par ceux qui les ont perpétrés, le corps des femmes devenant un enjeu stratégique du conflit. Violées ces femmes sont déshonorées, menacées d'être mises au ban de leur communauté. Mères d'un enfant de l'ennemi, elles sont considérées comme rompant la chaîne de la généalogie de leur camp, coupables d'attenter à son l'homogénéité fantasmatique. Ces actes abominables, qualifiés désormais de crimes contre l'humanité par la communauté internationale, constituent l'une des formes les plus barbares des violences racistes dont les femmes sont spécifiquement victimes. On ne doit pas cependant oublier que les violences, en temps de guerre, ne sont que le prolongement des violences en temps de paix. Et que ce ne sont pas seulement les violences exercées sur le corps des femmes quand il y a conflit national ou guerre entre nations que l'on doit prévenir et dénoncer mais aussi celles que, chaque jour et partout, des femmes subissent, y compris dans leur propre "communauté" et d'abord dans la sphère familiale et domestique.

Le croisement entre sexisme et racisme est aussi particulièrement évident lorsque des femmes de minorités, des femmes étrangères à leur pays, font l'objet de pratiques médicales insoutenables, comme la stérilisation sans leur consentement. S'agit-il d'une discrimination en raison de l'origine ou en raison du sexe ? On mesure à travers cet exemple à quel point les causes des violences se renforcent, comment sexisme et racisme se mêlent.

Le racisme peut, il est vrai, agir de façon apparemment paradoxale quand ce sont des femmes d'un groupe racisé qui en sont la cible mais en étant, parce que femmes, a priori regardées comme non-victimes du racisme. Les trafics aux fins de prostitution en sont un exemple. Ce n'est pas, dans bien des cas, parce qu'elles sont regardées comme "inférieures" que des femmes sont l'objet de tels trafics. Elles sont au contraire recrutées, parfois jusque dans des camps de réfugiés, parce qu'elles seront considérées, ailleurs, comme exotiques, objets sexuels particulièrement prisés par leurs exploiteurs, qu’ils s’agissent des trafiquants ou des futurs clients. Là encore racisme et sexisme se mêlent, se cumulent et se renforcent. Regarder la prostitution comme l’exploitation du sexe des femmes pour n'en faire une analyse que comme une manifestation de la seule domination masculine est dès lors insuffisant.

De la même façon, le regard porté sur les femmes étrangères, ou d'origine étrangère dans le pays d’immigration, peut ne pas être aussi négatif que lorsqu’il s’agit d’hommes de même origine. On pourrait penser alors que les femmes sont moins objet de racisme ou de xénophobie que ces derniers. Les pouvoirs publics comme les médias et la population ont en effet tendance à regarder ces migrantes avec plus de sympathie que leurs maris, frères ou fils Ne sont-elles pas moins délinquantes, moins visibles et supposées être moins en concurrence avec les nationaux que les hommes sur le marché du travail ? La réalité de la vie de ces femmes est autrement complexe. Les études des mouvements migratoires ont longtemps ignoré les migrations féminines. Les migrations internationales des trente ou quarante dernières années ont été considérées comme répondant à des appels de travailleurs vers les pays développés dans le secteur industriel. Elles ont donc longtemps été pensées au masculin. Les femmes arrivant avec leur époux, ou le rejoignant, n'étaient regardées que comme des conjointes, des épouses par les pays dit d'accueil, en réalité demandeurs de force de travail. On ne les considérait pas comme des personnes, des travailleuses, des actrices de la vie sociale. On sous-estimait, en outre, les migrations féminines individuelles - qui pourtant existaient- car les femmes qui venaient occupaient des emplois "invisibles", le plus souvent non recensés, non déclarés dans le secteur tertiaire et la sphère domestique. "L’invisibilité de ces migrantes favorise leur surexploitation sur le marché du travail.

Les exclusions et discriminations dont les femmes sont victimes dans la vie quotidienne paraîtront mineures par rapport à celles qui viennent d'être évoquées. Mais pourquoi le seraient-elles ? Elles s'inscrivent dans une chaîne, dans un continuum. Les statistiques rapports présentés au titre de l'article 18 de la Convention CEDAW par les Etats parties et les contre rapports soumis par les ONG ne cessent de mettre en évidence que les femmes subissent d’autant plus de discriminations qu'elles sont considérées comme appartenant à une minorité, nationale ou étrangère. En droit aussi, trop souvent encore. Dans de nombreux pays, lorsqu'elles sont mariées, elles ne jouissent pas de droits autonomes mais dépendent de ceux de leur époux. Que celui-ci perdre son droit au séjour, qu’une séparation intervienne et les voici, lorsqu'elles ne bénéficient pas d'un titre de travail, menacées de reconduite à la frontière du pays où elles ont vécu, tissé des liens, mis des enfants au monde. Sans parler du fait que, dans certains pays, les étrangers sont soumis, pour ce qui concerne leur statut personnel, à un code national souvent discriminant pour les femmes. Et que les violences dont les femmes sont victimes, en tant que femmes dans leur pays, est loin d'être reconnu comme ouvrant ailleurs droit au statut de réfugiée.

Lutter contre le sexisme, lutter contre le racisme et la xénophobie, c'est d'abord nommer ces maux, les dénoncer comme étant des constructions mentales productrices de violences symboliques et physiques, pourvoyeuses de souffrances morales et physiques, et trop souvent de mort. C'est dire et expliquer, inlassablement, que si la race n'existe pas, le racisme, lui, existe bien, qu’il humilie et qu'il tue. Le sexisme produit les mêmes effets, depuis plus longtemps encore. Mais faut-il, pour cela, assigner des priorités ? Faut-il choisir de combattre, par toutes les armes du droit et par la pédagogie le d’abord le sexisme ou d’abord le racisme ? Non bien sûr. Il convient de mener ces luttes de front. En n'oubliant cependant pas, une fois encore que le sexisme n'a pas besoin du racisme pour opérer. Et avec l’espoir que l’instauration de l'égalité des femmes et des hommes sera nécessairement productrice d'antiracisme.