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Les droits pour les femmes d’Afrique du Nord

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Les droits pour les femmes d’Afrique du Nord

D’importants acquis juridiques, politiques et sociaux, malgré l’adversité
Afrique Renouveau: 
Reuters / Zohra Bensemra
Women demonstrate in Algeria for changes in the Family Code to allow them greater rights En Algérie, des femmes manifestent pour obtenir une réforme du code de la famille qui leur donne plus de droits.
Photo: Reuters / Zohra Bensemra

Hayet Laouni est sénatrice en Tunisie et possède également sa propre entreprise maritime. Elle attribue son succès à la conception libérale des droits de la femme qu’a adoptée le gouvernement tunisien depuis l’indépendance, ainsi qu’aux investissements réalisés en faveur de l’éducation. “Je suis très reconnaissante envers mon pays, déclare-t-elle. Je suis née et j’ai grandi dans une région du monde où la vie est censée être difficile pour la plupart des gens, et encore plus pour les femmes. Je suis en fait originaire de deux régions du monde, l’Afrique et le monde arabe musulman."

Sa situation n’a rien d’unique. En 2007, la Tunisie est arrivée en tête des pays d’Afrique du Nord pour ce qui est de l’indice “d’égalité entre les sexes”, calculé par le Forum économique mondial, dont le siège est en Suisse. Selon cet indice qui évalue la situation des femmes de par le monde en comparant leur taux de scolarisation, leur accès à l’emploi, leurs revenus et d’autres indicateurs, la Tunisie s’est également classée au deuxième rang des pays arabes. Cependant, à l’échelle mondiale, la Tunisie reste dans le peloton de queue, à la 102e place sur les 128 pays étudiés. L’Algérie se classe au 108e rang, l’Égypte au 120e rang et le Maroc au 122e.

Plusieurs pays d’Afrique subsaharienne ont obtenu de bien meilleurs résultats, le Ghana arrivant à la 63e place et le Kenya à la 83e. Bien que les pays d’Afrique du Nord semblent être à la traîne par rapport au reste de l’Afrique, ils ont effectué au cours des dix dernières années d’importantes réformes qui ont permis d’améliorer dans une certaine mesure la condition des femmes.

Réformes des codes de la famille

Dans ces pays, les réformes ont en grande partie porté sur les codes de la famille, ces recueils de lois régissant le rôle et le statut des femmes dans le cadre du mariage, ainsi que leurs droits en ce qui concerne le divorce et la garde des enfants. Les militants des droits des femmes ont accordé beaucoup d’importance à ces codes, car les lois qu’ils contiennent sont “absolument essentielles et fondamentales dans la société musulmane”, explique Mounira Charrad, professeur à l’Université du Texas, qui est née en Tunisie et étudie la situation des femmes en Tunisie, en Algérie et au Maroc.

Ces lois, a expliqué Mme Charrad à Afrique Renouveau, “traitent de questions qui sont au cœur de la vie sociale”.

La Tunisie a réformé son code de la famille en 1957. Mais il a fallu attendre 1993 (et une dizaine d’années plus tard en Algérie et en Égypte) pour qu’une femme mariée à un étranger puisse transmettre sa nationalité à ses enfants.

“Lorsque le gouvernement tunisien actuellement au pouvoir a accordé aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants, cela a créé un séisme culturel dans la société”, a relaté Mme Charrad lors d’un colloque organisé en 2007 à l’occasion de l’anniversaire des réformes de 1957. “Auparavant, la citoyenneté, ainsi que tous les autres droits juridiques, se transmettait par le père. En permettant de transmettre la citoyenneté par la mère également, cette loi a remis en question le concept même de patrilinéarité de la famille."

Ces progrès sont en grande partie dus au dynamisme des mouvements locaux de femmes qui ont fait leur apparition en Afrique du Nord au cours des années 1980 et 1990, explique Valentine M. Moghadam, responsable de la section Égalité des sexes et développement à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Leila Rhiwi était à la tête de l’un de ces groupes au Maroc, Printemps de l’égalité. Les femmes ont aujourd’hui en Afrique du Nord davantage de droits et sont mieux protégées qu’il y a vingt ans, déclare-t-elle à Afrique Renouveau. “À l’époque, c’était très différent. Les femmes n’avaient aucun pouvoir sur leur propre vie."

Mais les progrès sont irréguliers et inégaux. En 2005, l’Égypte a accordé davantage de droits aux femmes en matière de divorce. Mais le Gouvernement a renoncé à permettre aux femmes de voyager sans la permission de leur mari ou de leur père.

Mme Rhiwi, aujourd’hui coordinatrice des droits des femmes au Maroc, en Algérie et en Tunisie (c’est-à-dire au Maghreb) pour le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), a constaté différents degrés de progression au Maroc par rapport à l’Algérie, et dans les pays du Maghreb par rapport à l’Égypte. “Nous avons observé une évolution des lois, mais pas de la société. Cependant, l’évolution des lois permet ensuite à la société d’évoluer.”

Entre loi et pratique

Mme Charrad est du même avis. “L’évolution des lois a conduit à des changements dans des pays comme la Tunisie, où les réformes ont eu lieu dans les années 1950. On dispose alors de suffisamment de temps pour voir ces changements.”

“Ce que la loi ne change pas, c’est la situation sociale, explique-t-elle à Afrique Renouveau. Sur le plan social, le divorce reste très difficile. Les divorcées souffrent sur le plan économique et sont souvent mises au ban de la société.”

Eman el-Emam (centre) was one of about 30 women judges sworn onto the bench in April 2007 in Egypt Eman el-Emam (au centre) fait partie d’une trentaine de femmes qui ont été nommées juges en Égypte en avril 2007. Les groupes conservateurs se sont opposés à ces nominations mais la plus haute autorité religieuse du pays a statué qu’elles n’étaient pas contraires à la loi islamique.
Photo: Reuters / Tara Todras-Whitehill

Mme Moghadam indique qu’il subsiste dans les pays d’Afrique du Nord certaines pratiques sociales qui sont non seulement discriminatoires contre les femmes et incompatibles avec les traités internationaux, mais également contraires à leurs propres lois. “La constitution égyptienne garantit l’égalité de tous les citoyens, observe-t-elle. Mais le droit de la famille égyptien ne respecte pas cette égalité “en plaçant les femmes sous la tutelle”, c’est-à-dire sous le contrôle juridique, de leur père, de leur mari ou d’autres hommes de la famille.

D’après le Rapport de 2005 sur le développement humain dans les États arabes, publié par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), “l’élaboration, l’application et l’interprétation des lois dans le monde arabe sont avant tout régies par une culture dominée par les hommes”. Mais la Tunisie a montré qu’il était possible dans un pays arabe de remédier aux “injustices contre les femmes sans enfreindre les principes de la charia” (la loi islamique).

“Nous ne pouvons plus dire qu’il est difficile de faire évoluer les droits des femmes dans le monde arabe, commente Mme Charrad. Les femmes ont obtenu des droits très importants en Tunisie et au Maroc."

“Il faut dépasser les généralisations portant sur cette partie du monde et adopter une vision plus nuancée, ajoute-t-elle. Lorsque nous considérons la situation très diverse des femmes dans le monde musulman et les droits importants qu’ont obtenus certaines d’entre elles, ces cas peuvent être très instructifs.”

Des droits “sous tutelle”

D’après Caroline Sakina Brac de la Perrire, une chercheuse qui a effectué des recherches sur l’Algérie à l’occasion d’une étude réalisée en 2004 sur les droits des femmes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient par Freedom House, une organisation des Etats-Unis, la doctrine islamique donne aux femmes des moyens dont elles peuvent se servir pour combattre les pratiques sociales conventionnelles. Par exemple, selon la loi islamique, un contrat de mariage peut permettre à la femme comme à l’homme d’indiquer par écrit les droits dont il ou elle dispose dans le cadre du mariage. Utilisée à bon escient, cette disposition pourrait à son avis garantir certains droits aux femmes mariées.

Malheureusement, ajoute Mme Perrire, cette possibilité est rarement exploitée et ne porte généralement que sur des dispositions qui ne sont pas contraires à la charia. En outre, beaucoup de femmes ne décident pas elles-mêmes de leur mariage et n’ont donc aucun pouvoir sur ce qui est garanti par écrit.

Jusqu’en 2004, les femmes algériennes avaient besoin d’un tuteur de sexe masculin (leur père, frère ou oncle) qui officialise leur mariage en leur nom. En Égypte, d’après un autre chercheur, les filles instruites décident en grande partie du choix de leur mari, mais dans les régions rurales, le mariage est souvent imposé par le père. En Libye, les filles peuvent encore être mariées par leur père ou leur tuteur sans avoir leur mot à dire.

Cette “tutelle masculine”, peut-on lire dans l’étude de Freedom House, a également des répercussions sur la situation économique des femmes. Par exemple, la dot, versée par le futur marié, est conforme au principe islamique selon lequel le mari doit subvenir aux besoins de la femme et constitue souvent la seule somme d’argent qu’une femme puisse garder en cas de divorce. Mais au Maroc et en Égypte, les femmes des milieux pauvres reçoivent souvent peu ou pas de dot. D’après une étude réalisée au Maroc, 60,7 % des femmes des régions rurales ont indiqué que “leur mari ou leur tuteur s’était approprié” cette somme d’argent.

En outre, les maris peuvent souvent répudier leurs femmes, c’est-à-dire exiger un divorce immédiat et sans explication. Ce n’est qu’en 2004 que l’Algérie a aboli la répudiation comme forme de divorce. Le Maroc, qui avait auparavant facilité l’obtention du divorce par les hommes, a accordé en 2004 aux hommes et aux femmes les mêmes droits en matière de demande de divorce.

L’Égypte a adopté en 2005 une loi qui permet aux femmes de divorcer par consentement mutuel. Mais une femme qui exerce ce droit risque de devoir renoncer à sa dot, à sa pension alimentaire et aux autres dons effectués par la famille du mari, ce qui est très dissuasif pour les femmes ayant peu de moyens financiers.

Assistance juridique

Á la suite des pressions des associations de femmes, certains gouvernements ont modifié leurs institutions de façon à garantir un meilleur accès des femmes à la justice. L’Égypte a mis en place un nouveau système d’administration des pensions alimentaires et a regroupé les affaires de divorce et d’héritage sous l’autorité d’un seul organe judiciaire. Les personnes qui s’estiment victimes de discrimination peuvent également s’adresser en toute confidentialité à un nouveau bureau de médiation, qui a reçu 7000 plaintes de ce type depuis 2005.

Rebecca Chiao, du Centre égyptien pour les droits des femmes, a indiqué à Afrique Renouveau que, depuis l’adoption de ces changements en Égypte, son organisation effectue en moyenne 6000 consultations par an avec des femmes qui font appel à une assistance juridique pour comprendre les nouvelles réglementations et en faire usage.

La réforme de l’héritage a été très restreinte. D’après la charia, les femmes ont droit à une part d’héritage correspondant à la moitié de celle de leurs frères. Mais d’après Freedom House, en Égypte et en Libye, l’accès des femmes à l’héritage, au logement et à la propriété est souvent fonction de leur niveau d’instruction, des systèmes de soutien familiaux, de leur situation économique et de leur accès à des informations et recours juridiques. Certaines femmes, notamment dans les régions rurales, n’obtiennent même pas la moitié à laquelle elles ont droit. En outre, les non-musulmanes mariées à des musulmans ne peuvent héritier des biens matrimoniaux.

“Les lois relatives à l’héritage sont explicitement énoncées dans le Coran, observe Mme Charrad. Pour la plupart des gens, changer ces lois remettrait en question une part fondamentale de la religion. En revanche, le Coran est moins explicite quant aux lois sur le mariage et le divorce, qui sont donc beaucoup plus malléables et susceptibles d’être interprétées de différentes façons.”

Droits et procréation

Dans l’ensemble, les femmes d’Afrique du Nord ont réalisé d’importants progrès en ce qui concerne les droits en matière de procréation – bien plus qu’en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient. Le droit tunisien confère aux femmes la possibilité de pratiquer le contrôle des naissances et de recourir à l’avortement. D’après les estimations de l’Organisation mondiale de la santé, le taux d’utilisation de la contraception en Tunisie est passé de 24 % en 1980 (ce qui correspond au taux actuel de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne) à 63 % en 2007. Presque toutes les Tunisiennes ont accès à un centre de planification familiale à moins de cinq kilomètres. Elles attendent en moyenne l’âge de 27 ans pour se marier, contre environ 16 ans en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient.

En Égypte, 96 % des femmes vivent près d’un centre de planification familiale et environ 60 % ont recours à ces services. En Algérie, le gouvernement a mis en place une politique novatrice de planification familiale, qui rembourse l’achat de contraceptifs. En Algérie et en Tunisie, plus de 90 % des naissances s’effectuent dans des centres de santé publics, ce qui réduit considérablement les taux de mortalité maternelle et infantile.

En Égypte, les mutilations sexuelles infligées aux filles de sept à dix ans constituent encore un problème. Amira El-Azhary Sonbol, chercheuse ayant contribué au rapport de Freedom House, note que cette pratique demeure courante, bien qu’elle soit illégale depuis 1996. “Les Égyptiens estiment généralement qu’il s’agit d’un rituel islamique, observe-t-elle, bien qu’il soit également pratiqué par les chrétiens d’Egypte, mais non dans la plupart des pays musulmans en dehors de la vallée du Nil."

Mme Moghadam ajoute qu’un grand nombre de lois d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont censées être l’émanation directe de principes islamiques alors qu’elles puisent en fait leur origine dans des pratiques tribales ou pré-islamiques. Dans une étude sur les femmes et l’islam réalisée pour le PNUD, elle cite à ce sujet le port du voile et l’enfermement des femmes, le contrôle de la sexualité des femmes, les privilèges masculins et la préférence des parents pour les fils, autant de pratiques qui renforcent les normes et lois en vigueur.

La politique : un domaine réservé aux hommes

La politique est un domaine dans lequel la domination masculine est particulièrement manifeste. Au Maroc, c’est en 1997 qu’une femme a accédé pour la première fois aux hautes sphères du pouvoir politique, en qualité de secrétaire d’État du gouvernement. Il y en a eu peu d’autres depuis. En 2002, les partis politiques marocains ont convenu de réserver aux femmes 30 des 325 sièges du Parlement. En 2004, les Algériennes représentaient près de 20 % des membres de la chambre haute du Parlement de ce pays, tandis qu’en Égypte la proportion de femmes n’était que de 8 % dans les deux organes législatifs et était très faible au sein du gouvernement.

Les femmes ont réussi à s’imposer davantage au sein du pouvoir judiciaire. L’Algérie compte parmi ses juges 800 femmes, soit environ un juge sur deux. On dénombre également 1 065 femmes sur 6 400 avocats. En Tunisie, 27 % des juges et 31 % des avocats sont des femmes.

Les mentalités semblent également évoluer dans ce sens. D’après un sondage Gallup publié en août 2007, 75 % des Marocains, 70 % des Tunisiens, mais seulement 51 % des Algériens estiment que les femmes devraient occuper des postes de niveau ministériel au sein du gouvernement.

Mme Rhiwi rappelle que si la représentation des femmes est limitée à l’échelle nationale, elle l’est encore plus à l’échelle locale, les Marocaines représentant moins d’un pour cent des élus locaux. “Nous avons fait beaucoup de progrès au niveau national, dit-elle. Nous devons maintenant faire de même au niveau local."

En outre, note-t-elle, la représentation des femmes dans la vie politique nationale n’est pas le fruit des lois mais est simplement due au fait que les partis politiques ont décidé d’adopter des quotas. “Nous espérons pérenniser cette situation par le biais des lois. ”

Combattre la violence et le harcèlement

Dans le monde entier, la violence à l’égard des femmes est souvent insuffisamment condamnée par la loi et donne rarement lieu à des poursuites judiciaires. L’Afrique du Nord ne fait pas exception à la règle. Si la Tunisie prévoit la peine de mort en cas de viol d’une fillette de moins de dix ans, au Maroc le viol est considéré comme un attentat à la pudeur. En Égypte, la violence familiale et le viol conjugal ne relèvent pas du droit pénal. Pour poursuivre en justice leur agresseur, les victimes doivent invoquer d’autres lois, portant par exemple sur les coûts et blessures ou violences physiques.

Mais la loi islamique a parfois été interprétée avec souplesse. En avril 1998, pendant la guerre civile algérienne, le Conseil islamique suprême, la plus haute autorité religieuse du pays, a publié une fatwa (un édit religieux) autorisant les victimes de viols commis pendant la guerre à avorter, bien que l’avortement soit illégal dans la plupart des pays musulmans. À l’opposé, une trentaine de femmes déplacées pendant la guerre et cherchant du travail dans deux villes pétrolières ont été violées, tuées et mutilées en 2001. Ces crimes ont été légitimés par les autorités religieuses conservatrices, qui ont estimé que ces femmes étaient des prostituées puisqu’elles se déplaçaient sans être accompagnées par des hommes. Aucune poursuite judiciaire n’a abouti contre les meurtriers.

En 1999, les associations de femmes égyptiennes ont réussi à faire amender une loi qui amnistiait les violeurs à condition qu’ils épousent leur victime. Le Ministère des affaires sociales a par la suite mis en place 150 centres de conseil familial pour venir en aide aux victimes.

En 2005, le Centre égyptien pour les droits des femmes a réalisé une enquête sur le harcèlement des femmes sur la voie publique. “À l’époque, il était impossible de parler de cette question, se souvient Mme Rebecca Chiao du Centre. Le simple terme de ‘harcèlement’ n’était pas accepté. Personne ne savait ce que cela voulait dire et tout le monde se sentait attaqué.” Le centre a recruté des bénévoles pour sensibiliser la population à la question. “Nous avons essayé d’être créatifs et d’innover. Les enseignants ont pris la parole dans les écoles, les journalistes ont enregistré des messages publicitaires diffusés à la radio et nous avons fait appel à des groupes de musiciens et projeté des films. Depuis, nous avons vu d’importants changements.”