J'ai eu le privil猫ge d'assister 脿 de multiples 茅v茅nements de la ZLECAf, notamment l'茅v茅nement de lancement 脿 Dar Es Salam en 2022, et le forum d'affaires au Cap en mai 2023. Deux choses sont rest茅es grav茅es dans ma m茅moire.
Tout d'abord, sur le plan personnel : Jusqu'脿 pr茅sent, dans ma carri猫re, j'ai surtout assist茅 脿 des conf茅rences d'affaires en Occident. Le fait de me retrouver dans des salles remplies de fr猫res et s艙urs africains venus de tout le continent m'a sembl茅 n茅cessaire depuis longtemps, tr猫s rafra卯chissant et une victoire en soi. Le fait d'锚tre en contact avec des entrepreneurs africains, des jeunes et des anciens, de d茅couvrir les communaut茅s, les d茅fis et les solutions locales des uns et des autres m'a rempli d'une v茅ritable fiert茅 et d'un espoir bien r茅el pour mon continent. Une mention sp茅ciale pour les v锚tements traditionnels africains en tant que v锚tements d'affaires : comme ils sont color茅s, comme ils sont beaux !
La deuxi猫me chose qui m'a frapp茅e est la clart茅 de notre voix collective, en tant qu'Africains, aujourd'hui. Dans les discours d'ouverture et les panels, ainsi que dans les discussions individuelles, il y a eu un consensus sur notre principal d茅fi commun 脿 travers le continent : Depuis des si猫cles, l'Afrique g茅n猫re une importante valeur ajout茅e qui alimente les 茅conomies du monde entier. Cependant, le commerce africain ne repr茅sente encore qu'environ 3 % du commerce mondial, selon la Banque mondiale. Cela montre que les 茅conomies africaines n'en ont pas profit茅 et que les communaut茅s africaines n'ont pas r茅colt茅 les fruits de cette valeur ajout茅e. Par cons茅quent, ces communaut茅s luttent pour construire des 茅conomies plus justes et plus efficaces. Nos 茅conomies sont frein茅es par des d茅fis syst茅miques (tels que le ch么mage persistant, la corruption, la fuite des cerveaux et la crise climatique) et par des ressources limit茅es - l'Afrique re莽oit moins de 1 % du capital-risque total, contre environ 30 % pour l'Asie (AVCA, 2021) et environ 5 % du total des flux d'investissements directs 茅trangers,听contre environ 42 % pour le continent asiatique (CNUCED).
Il est clair qu'un changement s'impose d'urgence. Les communaut茅s africaines doivent moderniser leur infrastructure commerciale et faire les choses diff茅remment : nous devons nous d茅sengager progressivement des syst猫mes qui extraient de la valeur de l'Afrique et investir dans des syst猫mes qui cultivent l'Afrique et la propulsent vers un avenir o霉 elle sera v茅ritablement souveraine. Les tentatives pr茅c茅dentes de mise en 艙uvre de solutions dans les communaut茅s africaines ont souvent 茅chou茅 parce qu'elles r茅sultaient d'une intervention occidentale et non d'initiatives locales men茅es par des Africains. Ces approches import茅es perp茅tuaient des dynamiques de pouvoir extractives et 茅taient mal adapt茅es aux besoins de l'Afrique. Il est temps de mettre en place des solutions de base dirig茅es par les Africains eux-m锚mes.
Nous sommes aujourd'hui au tout d茅but de ce projet de r茅forme, et des initiatives significatives telles que la ZLECAf sont en passe d'apporter leur soutien. Cependant, la quantit茅 de travail n茅cessaire pour faire de cette vision une r茅alit茅 peut rapidement devenir 茅crasante et nous dissuader d'essayer. C'est pourquoi tant de jeunes Africains choisissent de construire leur avenir ailleurs. En tant que jeune Africain d'aujourd'hui, expatri茅 de retour au pays et ayant pass茅 les quatre derni猫res ann茅es 脿 r茅fl茅chir, 脿 discuter et 脿 travailler aux c么t茅s de ma communaut茅 pour r茅soudre les probl猫mes syst茅miques au Maroc, j'aimerais offrir quelques perspectives.
Si les chiffres que j'ai mentionn茅s ne sont pas encourageants, il en est un qui simplifie le probl猫me 脿 mes yeux : environ 7 emplois sur 10 dans les march茅s 茅mergents sont cr茅茅s par des petites et moyennes entreprises (OIT). Cela signifie que la plupart des emplois et le changement que nous recherchons peuvent 锚tre cr茅茅s par des entrepreneurs africains locaux, 脿 condition que nous concevions un syst猫me qui les aide 脿 acc茅der au march茅. Si les probl猫mes sont vastes, les solutions commencent au niveau local et peuvent 锚tre adapt茅es 脿 nos communaut茅s et 脿 nos cultures : si le r锚ve am茅ricain est une grande entreprise multinationale, le r锚ve africain est une coop茅rative locale bien g茅r茅e.
En parlant de coop茅ratives, je voudrais faire un zoom et pr茅senter un exemple concret d'une initiative locale 脿 laquelle je participe et qui incarne cette vision : La Coop茅rative Anou.
Lorsque vous achetez un produit sur le march茅 de l'artisanat marocain, que ce soit en ligne ou dans les m茅dinas locales, les artisans (pour la plupart des femmes rurales qui ne sont pas all茅es 脿 l'茅cole) gagnent en moyenne 4 % de ce que vous payez (moins d'un dollar par jour, alors que le salaire minimum est de 10 dollars par jour). Les 96 % restants vont aux interm茅diaires, dont beaucoup sont des entreprises 茅trang猫res. Ces entreprises s'enrichissent consid茅rablement et connaissent une croissance exponentielle en vendant ces produits, alors que les artisans marocains sont marginalis茅s et peinent 脿 gagner ne serait-ce que le salaire minimum. Les donn茅es officielles montrent que cette exploitation a lentement 茅rod茅 le secteur de l'artisanat, qui repr茅sente la deuxi猫me source d'emploi dans les zones rurales et un avantage concurrentiel important pour le Maroc sur le march茅 international. Les artisans abandonnent leurs m茅tiers, les mat茅riaux organiques sont remplac茅s par des alternatives nuisibles 脿 l'environnement, les technologies ancestrales et le patrimoine culturel se perdent, alors que la demande pour ce type d'artisanat n'a jamais 茅t茅 aussi forte et que le march茅 se chiffre en milliards de dollars.
La solution non africaine 脿 ce probl猫me est le concept de "commerce 茅quitable", qui a 茅t茅 mis en 艙uvre au cours des 50 derni猫res ann茅es gr芒ce 脿 l'intervention occidentale d'organisations de commerce 茅quitable et d'entreprises 茅trang猫res. Dans ce mod猫le, environ 20 % du prix pay茅 est allou茅 aux artisans, tandis que 80 % sont absorb茅s par les frais g茅n茅raux (principalement 茅trangers). Ainsi, la majeure partie de la valeur ajout茅e de l'artisanat ne reste pas au sein de la communaut茅 des artisans.
La solution africaine, incarn茅e par la coop茅rative Anou, est diff茅rente. Il y a dix ans, des organisateurs de communaut茅s d'artisans ruraux de diff茅rentes r茅gions du Maroc, chacun dot茅 d'une exp茅rience acquise localement, se sont unis pour cr茅er une coop茅rative nationale et la premi猫re plateforme de commerce 茅lectronique du pays appartenant 脿 des artisans et g茅r茅e par eux. Au-del脿 du commerce 茅quitable, la coop茅rative Anou a mis au point une technologie simplifi茅e appartenant aux artisans eux-m锚mes et un syst猫me de formation d'茅gal 脿 茅gal dirig茅 par les artisans. Ensemble, ils permettent aux artisans de g茅rer leur acc猫s au march茅, de vendre directement 脿 leurs clients en ligne et de conserver 100 % du prix. Ce changement transformateur en mati猫re de capacit茅 et de g茅n茅ration de revenus a aid茅 les artisans 脿 reprendre le contr么le de leur march茅 et a ouvert la voie 脿 une 茅conomie artisanale centr茅e sur les artisans et la durabilit茅.
Les artisans d'Anou sont aujourd'hui en mesure de gagner le salaire minimum et m锚me plus. Ils reprennent le contr么le de leur m茅tier : ils se concentrent sur la qualit茅 des produits pour d茅velopper la comp茅titivit茅 de l'artisanat marocain, d茅veloppent des partenariats avec des grossistes pour 茅tendre leur travail et ramener des opportunit茅s 茅conomiques dans le pays, et diversifient leurs sources de revenus en se lan莽ant dans le commerce de d茅tail et les services (en proposant des visites de villages, des r茅sidences, des ateliers), entre autres choses. Ils int猫grent m锚me leur cha卯ne d'approvisionnement et d茅veloppent l'une des cha卯nes d'approvisionnement les plus ambitieuses pour l'artisanat en Afrique par l'interm茅diaire de l'Atlas Wool Supply Co, la premi猫re filature de laine 脿 bilan carbone n茅gatif d'Afrique. En plus d'offrir une alternative 脿 la laine import茅e de Nouvelle-Z茅lande, cette filature de laine d茅fend des solutions d'att茅nuation de la crise climatique en int茅grant une ferme solaire qui permet de r茅duire les co没ts 茅nerg茅tiques, ce qui incite les agriculteurs 脿 adopter des pratiques plus 茅cologiques. La filature vise en fin de compte 脿 promouvoir, dans le contexte de graves s茅cheresses, un avenir o霉 Ait Bougmez, la vall茅e o霉 se trouve la filature, aura plus d'eau dans 20 ans qu'elle n'en a aujourd'hui.
Le facteur cl茅 contribuant au succ猫s de la coop茅rative Anou est qu'elle est port茅e par les communaut茅s qu'elle sert : par les artisans marocains, pour les artisans marocains. Ainsi, elle peut conceptualiser des solutions qui d茅passent l'imagination occidentale : pourquoi engager un 茅tranger pour faire le travail d'acc猫s au march茅 au nom des artisans et conserver la majeure partie de la valeur ajout茅e, alors que nous pouvons repenser le syst猫me pour permettre aux artisans eux-m锚mes de faire le travail et de conserver 100 % du prix de vente de leur produit ?
La r茅alisation de la vision de la Coop茅rative Anou a 茅t茅, et continue d'锚tre, ardue. Les choses qui devraient prendre un an, dans notre contexte, prennent dix ans. Cela s'explique par le fait que nos syst猫mes existants ne sont pas con莽us pour soutenir le changement syst茅mique ou les MPME. Les fondations qui financent le travail sur les questions sociales sont tr猫s r茅ticentes 脿 prendre des risques et sont donc plus 脿 l'aise pour financer des mod猫les de charit茅 pr茅visibles et habituels (malgr茅 les ant茅c茅dents montrant que ces mod猫les ne fonctionnent pas) que pour financer des mod猫les de base novateurs qui ont l'impact souhait茅 et qui sont utiles pour les communaut茅s. Les entreprises 茅trang猫res extractives sont toujours la norme et re莽oivent plus de soutien que les entreprises artisanales. Bien que les artisans vendent directement en ligne depuis une dizaine d'ann茅es, les agences gouvernementales continuent de pr茅tendre que les artisans ne peuvent pas le faire et pr茅f猫rent soutenir les entreprises interm茅diaires qui exploitent ces communaut茅s.
Pourtant, les artisans d'Anou ne reculent pas (quel autre choix ont-ils ?), car ils savent que le changement prend du temps et que la chance sourit aux audacieux. Ils ont d没 faire preuve de cr茅ativit茅 et, gr芒ce 脿 des investissements priv茅s, ils acqui猫rent des actifs importants pour construire une infrastructure artisanale solide. Le dernier 茅l茅ment en date est un investissement d'un million de dollars dans un magasin phare d'Anou au c艙ur de Marrakech, la capitale du tourisme, afin de capter davantage de demande et d'opportunit茅s et d'茅tendre leur travail. Gr芒ce 脿 leur r茅silience et 脿 leur capacit茅 脿 r茅soudre les probl猫mes de mani猫re innovante, les artisans d'Anou continuent d'assurer l'acc猫s au march茅 脿 plus de 600 artisans 脿 travers le Maroc aujourd'hui et pr茅voient d'augmenter ce nombre de mani猫re significative au cours des prochaines ann茅es.
Lors de mon s茅jour au Cap pour le forum commercial de la ZLECAF, j'ai voulu acheter un article d'artisanat pour le ramener chez moi. J'ai parcouru le march茅 pendant un certain temps et j'ai commenc茅 脿 identifier un mod猫le similaire 脿 la situation au Maroc. Je suis tomb茅e sur des souvenirs bon march茅 de qualit茅 m茅diocre vendus par des interm茅diaires, et lorsque j'ai finalement trouv茅 des textiles artisanaux complexes, le propri茅taire du magasin m'a dit qu'il s'agissait de sa collection priv茅e et qu'elle n'茅tait pas 脿 vendre parce que ces textiles avaient disparu.
Je le mentionne pour souligner l'urgence de ce travail. Tant de ressources de l'Afrique ont 茅t茅 extraites, et beaucoup d'autres ressources et avantages comp茅titifs sont en train de dispara卯tre 脿 cause de la mondialisation, du manque d'acc猫s aux march茅s ou de la crise climatique. Plus il y aura de voix qui se joindront 脿 nous pour d茅fendre et construire des solutions locales dirig茅es par des Africains aujourd'hui, plus vite nous pourrons 茅tendre ces solutions 脿 temps pour pr茅server l'artisanat et les 茅conomies africaines et, en fin de compte, la souverainet茅 des communaut茅s africaines.
