51吃瓜

Exploitants rizicoles au Malawi : certains experts craignent que les programmes d鈥檃griculture sous contr么le 茅tranger portent atteinte aux droits fonciers des exploitants locaux et compromettent la s茅curit茅 alimentaire en Afrique.

Photo: Panos / Sven Torfinn

L鈥檃pparente multiplication des achats de terres africaines par des soci茅t茅s et m锚me des gouvernements 茅trangers qui les destinent 脿 des cultures vivri猫res ou commerciales tourn茅es vers l鈥檈xportation provoque des inqui茅tudes 脿 travers le continent comme en dehors de l鈥橝frique. Le ph茅nom猫ne a fait les gros titres de la presse qui le d茅nonce sans m茅nagement : 鈥淟e deuxi猫me partage de l鈥橝frique鈥�, 鈥滾a recherche de la s茅curit茅 alimentaire engendre le n茅o-colonialisme鈥�, 鈥淪茅curit茅 alimentaire ou esclavage 茅conomique ?鈥�

Cette lev茅e de boucliers s鈥檈xplique par les s茅quelles toujours pr茅sentes de l鈥檋istoire du continent o霉 jusqu鈥檃u si猫cle dernier les puissances coloniales et les colons 茅trangers s鈥檈mparaient arbitrairement des terres africaines et d茅pla莽aient les populations qui y vivaient. Jacques Diouf, Directeur g茅n茅ral s茅n茅galais de l鈥橭rganisation des Nations Unies pour l鈥檃limentation et l鈥檃griculture (FAO), se demande si ce genre de transactions fonci猫res ne risque pas d鈥檃boutir 脿 une forme de 鈥渘茅o-colonialisme鈥�.

Mais dans l鈥檌mm茅diat, des consid茅rations pratiques ont aussi une grande importance. 鈥淐鈥檈st une tendance inqui茅tante鈥�, a d茅clar茅 en juin Akinwumi Adesina de l鈥橝lliance pour une r茅volution verte en Afrique (AGRA) 脿 un forum scientifique organis茅 aux Pays-Bas. Selon lui, ces acquisitions 茅trang猫res pourraient entraver les efforts faits localement pour augmenter la production agricole vivri猫re et m锚me limiter la croissance 茅conomique globale.

L鈥檌mportance des surfaces concern茅es par certaines de ces transactions fonci猫res a aggrav茅 les inqui茅tudes. Le projet d鈥檃ffermer 1,3 million d鈥檋ectares 脿 la soci茅t茅 sud-cor茅enne Daewoo a 茅t茅 un facteur cl茅 dans la mobilisation qui a abouti 脿 l鈥櫭﹙iction du pr茅sident malgache Marc Ravalomanana au mois de mars. Au K茅nya, le gouvernement peine 脿 surmonter l鈥檕pposition locale 脿 la proposition de donner au Qatar le droit d鈥檈xploiter 40 000 hectares de terres dans la vall茅e de la rivi猫re Tana en 茅change de la construction d鈥檜n port en eau profonde.

Agriculture m茅canis茅e en Tanzanie: l鈥檃griculture 脿 grande 茅chelle risque de nuire 脿 l鈥檈nvironnement fragile de l鈥橝frique.

Photo: ONU / B. Wolff

Plusieurs organisations internationales ont pris position sur la question. La FAO et la Banque mondiale ont command茅 une 茅tude sur cette 鈥渞u茅e vers la terre鈥�. Au cours du sommet du G8 tenu cette ann茅e en Italie au mois de juillet, le Japon a cherch茅 脿 faire adopter un code de conduite r茅gissant ce genre de transactions. Finalement, le G8 s鈥檈st content茅 d鈥檜ne promesse de collaboration avec les pays partenaires et les organisations internationales pour mettre au point des propositions de principes et de pratiques recommand茅es concernant les investissements 茅trangers dans les terres agricoles.

Un code de conduite sera difficile 脿 n茅gocier et sera encore plus difficile pour les pays industrialis茅s 脿 faire appliquer 脿 des contrats qui sont principalement n茅goci茅s entre des pays du Sud, a d茅clar茅 脿 Afrique Renouveau Olivier De Schutter, Rapporteur sp茅cial de l鈥橭NU sur le droit 脿 l鈥檃limentation.

En juin, dans un rapport sur ces grands contrats d鈥檃cquisition et d鈥檃ffermage, M. De Schutter a 茅crit que bien que ces investissements offrent certaines perspectives de d茅veloppement, ils repr茅sentent aussi une menace 脿 la s茅curit茅 alimentaire. 鈥淟es enjeux sont 茅normes鈥�, a-t-il expliqu茅 脿 Afrique Renouveau. Malheureusement, 鈥渃es contrats dans la forme sous laquelle ils ont 茅t茅 conclus jusqu鈥櫭� pr茅sent ne pr茅sentent que des obligations tr猫s faibles pour les investisseurs.鈥�

Cependant, pour les pays africains qui concluent ce genre de transactions, les b茅n茅fices potentiels sont aussi s茅duisants.

Des transactions d鈥檜ne 茅chelle sans pr茅c茅dent

Une 茅tude r茅cente de l鈥橧nstitut international pour l鈥檈nvironnement et le d茅veloppement (IIED), un organisme de recherche britannique, estime que depuis 2004, les cinq pays qui ont fait l鈥檕bjet d鈥檜ne enqu锚te approfondie, (脡thiopie, Ghana, Madagascar, Mali et Soudan) ont 脿 eux seuls c茅d茅 l鈥檈xploitation de pr猫s de 2,5 millions d鈥檋ectares de terres agricoles africaines 脿 des entreprises 茅trang猫res. L鈥櫭ヽhelle de certaines de ces transactions est sans pr茅c茅dent, affirme le rapport de l鈥橧IED, Accaparement des terres ou opportunit茅s de d茅veloppement ?, pr茅par茅 pour la FAO et le Fonds international de d茅veloppement agricole des Nations Unies.

L鈥橧IED a averti que m锚me sur ces pays, les donn茅es sont incompl猫tes et qu鈥檈lles n鈥檌ncluent pas certains des plus gros contrats. Des entreprises chinoises seraient en train de n茅gocier des contrats portant sur 2,8 millions d鈥檋ectares en R茅publique d茅mocratique du Congo (RDC), surfaces qu鈥檈lles destinent 脿 des plantations de palmiers 脿 huile, et sur 2 millions d鈥檋ectares en Zambie destin茅s 脿 la culture du jatropha, une plante utilis茅e dans la production de biocarburant. Le Soudan a pour sa part accept茅 d鈥檃ffermer 690 000 hectares 脿 la Cor茅e du Sud pour cultiver des c茅r茅ales.

Cette importante exploitation d鈥檃nanas du Ghana exporte une grande partie de sa production vers les march茅s britanniques.

Photo: Panos / Jane Hahn

Le m锚me rapport note qu鈥檃ucun contrat conclu par la Chine et mis en 艙uvre ne concerne plus de 50 000 hectares. N茅anmoins, une 茅tude de l鈥橭rganisation non gouvernementale GRAIN sur les acquisitions r茅cemment rapport茅es dans les m茅dias et d鈥檃utres sources sugg猫rent que l鈥檈xploitation de pr猫s de 6 millions d鈥檋ectares de terres agricoles a 茅t茅 ou est potentiellement assign茅e 脿 des entreprises 茅trang猫res. Ce d茅comptage n鈥檌nclut pas la proposition faite par la RDC 脿 un syndicat d鈥檃griculteurs sud-africains de leur affermer 10 millions d鈥檋ectares pour des cultures vivri猫res vari茅es et pour des activit茅s d鈥櫭﹍evage.

Alimentation et biocarburants :听 une demande croissante

Cet int茅r锚t croissant pour les ressources fonci猫res africaines est d没 脿 plusieurs facteurs. Pour les investisseurs, un fort d茅sir d鈥檃ssurer leur s茅curit茅 alimentaire et 脿 un moindre degr茅 de satisfaire la hausse de la demande en biocarburants ; ces deux motivations 茅tant renforc茅es par la perspective d鈥檜ne hausse in茅vitable des prix du foncier 脿 mesure que la demande mondiale en productions vivri猫res et commerciales continuera 脿 augmenter.

Un grand nombre de ces transactions entre 脡tats sont destin茅es 脿 satisfaire des besoins alimentaires domestiques, sp茅cialement dans les 脡tats du Golfe et en Cor茅e du Sud. Des entreprises indiennes ont investi environ 1,5 milliard de dollars en 脡thiopie pour r茅pondre 脿 la croissance des besoins alimentaires de leur population et 脿 celle de la demande d鈥檃liments pour animaux. De nombreuses soci茅t茅s commerciales, europ茅ennes aussi bien que chinoises, se sont lanc茅es 脿 Madagascar, au Mozambique et en Zambie dans la culture du jatropha, du sorgho et d鈥檃utres cultures destin茅es 脿 la production de biocarburants.

L鈥橝frique est particuli猫rement cibl茅e par cette explosion de l鈥檌nvestissement agricole, car elle est per莽ue comme disposant de vastes ressources en terres et en main-d鈥櫯搖vre, comme d鈥檜n climat favorable, souligne M. De Schutter.

Jusqu鈥檌ci, l鈥橝frique n鈥檃 pu mobiliser que des ressources financi猫res limit茅es pour mettre en culture ses terres arables. En d茅pit d鈥檃ppels r茅p茅t茅s 脿 l鈥檃ugmentation de l鈥檌nvestissement agricole national, l鈥檃griculture des pays africains reste 脿 la tra卯ne des autres secteurs.

La terre 茅tant apparemment disponible en abondance mais l鈥檃rgent rare, les offres des investisseurs 茅trangers concernant le d茅veloppement des ressources agricoles africaines apparaissent donc comme tr猫s tentantes. Mais dans les faits, une grande partie de ces terres ne sont pas aussi inutilis茅es qu鈥檈lles le paraissent et les b茅n茅fices r茅els de l鈥檌nvestissement agricole se r茅v猫lent beaucoup plus faibles que ceux projet茅s dans les 茅tudes pr茅liminaires.

鈥淟es 脡tats africains sont assis sur une caisse de dynamite,鈥� a d茅clar茅 en juin 脿 la presse Namanga Ngoni, Pr茅sident de l鈥橝lliance pour une r茅volution verte en Afrique (AGRA), lanc茅e par l鈥檈x-Secr茅taire g茅n茅ral de l鈥橭NU Kofi Annan.

脡laborer une approche strat茅gique

Les r茅centes 茅tudes men茅es par l鈥橧IED, la FAO, la Banque mondiale et l鈥橧nstitut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) 茅tabli 脿 Washington, confirment toutes les failles et les dangers potentiels qui incluent des risques de compromettre les efforts faits au niveau national pour accro卯tre la production alimentaire, le danger que des projets agricoles exclusivement tourn茅s vers des march茅s ext茅rieurs stimulent peu les activit茅s 茅conomiques des pays concern茅s, ainsi que la menace potentielle qu鈥檌ls repr茅sentent pour les droits traditionnels des paysans africains sur ces terres. Le Rapport 茅conomique sur l鈥橝frique 2009, publication conjointe de l鈥橴A et de la Commission 茅conomique pour l鈥橝frique de l鈥橭NU (CEA), avertit de ne pas donner une trop grande priorit茅 脿 l鈥檈xpansion rapide des surfaces cultiv茅es en raison de la d茅gradation de l鈥檈nvironnement 脿 laquelle l鈥橝frique est d茅j脿 confront茅e.

Un grand nombre de ces 茅tudes mettent aussi en valeur les b茅n茅fices potentiels pour un secteur 脿 court d鈥檃rgent : cr茅ation de nouveaux emplois, introduction de nouvelles technologies, am茅lioration de la qualit茅 des productions agricoles et possibilit茅s de d茅velopper des activit茅s de transformation des produits agricoles 脿 haute valeur ajout茅e. Peut-锚tre m锚me la perspective d鈥檜ne 鈥渁ugmentation de la production alimentaire pour le march茅 national et pour l鈥檈xportation鈥�, selon la FAO.

Une 茅tude de l鈥橧FPRI intitul茅e 鈥淎ccaparement des terres鈥� par les investisseurs 茅trangers dans les pays en d茅velop颅pement : risques et opportunit茅s conclut que pour que ces b茅n茅fices deviennent r茅alit茅, il faut que les 脡tats acqui猫rent la capacit茅 de n茅gocier des contrats satisfaisants et de contr么ler leur application, ce qui contribuera 脿 cr茅er 鈥渦n sc茅nario gagnant-gagnant pour les communaut茅s locales comme pour les investisseurs 茅trangers鈥�.

Dans son rapport, M. De Schutter pr茅sente un certain nombre de recommandations concernant ces transactions fonci猫res :

• Libre et compl猫te participation 脿 l鈥櫭﹖ape pr茅liminaire de toutes les communaut茅s concern茅es et leur accord collectif 鈥� pas uniquement celui de leurs dirigeants
• Protection de l鈥檈nvironnement bas茅e sur une 茅valuation approfondie qui fait la preuve de la validit茅 environnementale du projet
• Transparence totale et obligations claires et applicables pour les investisseurs accompagn茅es d鈥檜ne l茅gislation d茅finissant des sanctions appropri茅es selon les n茅cessit茅s
• Mesure de protection des droits humains, des droits des travailleurs, des droits fonciers et du droit 脿 l鈥檃limentation et au d茅veloppement.

L鈥橧FPRI note que des contrats de ce type couvrant toutes ces questions garantissent sur le long terme les int茅r锚ts des investisseurs comme ceux des communaut茅s locales, les d茅saccords portant sur la propri茅t茅 de la terre ayant le potentiel de mener 脿 des affrontements violents et de placer rapidement l鈥櫭塼at dans l鈥檕bligation de faire modifier ou m锚me de r茅silier les contrats sign茅s.

La question du droit foncier

La question de la propri茅t茅 fonci猫re est cruciale. En Afrique, seule une partie relativement r茅duite des terres fait l鈥檕bjet d鈥檜n titre de propri茅t茅 individuel. M锚me des terres qui sont officiellement class茅es comme non utilis茅es ou sous-utilis茅es peuvent en fait 锚tre assujetties 脿 des jeux complexes d鈥檜sages 鈥渃outumiers鈥�. 鈥淚l y a un besoin urgent de disposer de meilleures m茅thodes d鈥檌dentifier les droits fonciers鈥�, argumente la FAO dans un r茅cent document d鈥檕rientation intitul茅 De l鈥檃ccaparement des terres 脿 la strat茅gie du gagnant-gagnant. L鈥檌mportance de cette question se traduit 茅galement par la mise au point conjointe par l鈥橴A et la CEA d鈥檜n document intitul茅 鈥淐adre et directives pour les politiques fonci猫res en Afrique鈥�.

La Banque mondiale souligne qu鈥檌l est important pour les institutions internationales d鈥檃ider les 脡tats africains 脿 茅laborer des cadastres et l鈥櫭﹖ude de l鈥橧IED recommande que ces cadastres permettent l鈥檈nregistrement 脿 titre collectif des terres d鈥檜ne communaut茅 afin de prot茅ger le droit foncier 鈥渃outumier鈥�.

L鈥櫭﹖ude de l鈥橧IED affirme que la majorit茅 des acquisitions 脿 grande 茅chelle de terres effectu茅es r茅cemment en Afrique ont consist茅 en l鈥檃ffermage 脿 des entreprises 茅trang猫res ayant l鈥檌ntention de les exploiter 脿 l鈥檃ide de travailleurs agricoles; elle recommande donc que les 脡tats concern茅s incluent dans ces contrats des clauses qui garantissent l鈥檜tilisation de la main-d鈥櫯搖vre locale.

Succ猫s ou 茅chec

鈥淟es contrats d鈥檃ffermage ou de vente de larges surfaces de terres ne doivent en aucune circonstance prendre le pas sur les obligations en termes de droits de l鈥檋omme auxquelles les 脡tats concern茅s ont souscrit鈥�, soutient M. De Schutter.

Des propositions pour ces mod猫les de contrat id茅al soutenus par une l茅gislation nationale ad茅quate comportant des principes d鈥檃pplication ont 茅t茅 avanc茅es. Mais comme le remarque l鈥櫭﹖ude de l鈥橧IED, il existe d茅j脿 un large foss茅 entre la signature de clauses contractuelles et la possibilit茅 de les faire respecter. Cet 茅cart entre la l茅gislation th茅orique et la r茅alit茅 du terrain peut avoir des cons茅quences s茅rieuses pour les communaut茅s locales.

Un code de conduite pour les gouvernements qui accueillent les investissements et les investisseurs 茅trangers pourrait contribuer 脿 ce que les transactions fonci猫res b茅n茅ficient aux deux parties et aux communaut茅s locales sugg猫re l鈥橧FPRI, qui cite comme mod猫le l鈥橧nitiative pour la transparence dans les industries extractives qui oblige les 脡tats et les soci茅t茅s impliqu茅es dans des activit茅s d鈥檈xploitation mini猫re ou p茅troli猫re 脿 respecter certaines normes.

M. De Schutter est sceptique sur la possibilit茅 de n茅gocier ou de faire respecter un tel code. Il pr茅f猫re mettre l鈥檃ccent sur la l茅gislation internationale des droits de l鈥檋omme existante qui peut 锚tre appliqu茅e aux grandes transactions fonci猫res et pour forcer les 脡tats 脿 respecter leurs obligations envers leurs citoyens.

Quoi qu鈥檌l en soit, les sp茅cialistes sont d鈥檃vis que les pays africains doivent avoir la volont茅 et la capacit茅 de faire respecter la loi. 鈥淚l est vital de renforcer les capacit茅s de n茅gociation鈥�, affirme M. De Schutter; et pas uniquement les capacit茅s de l鈥櫭塼at, mais aussi celles des communaut茅s locales et des parlements nationaux. Nombreux sont les observateurs qui pensent que cet objectif sera le plus difficile 脿 r茅aliser.