Wawira Njiru, fondatrice et directrice générale de Food for Education, a pour mission de nourrir des millions d'écoliers en Afrique. Actuellement, son organisation fournit 450 000 repas par jour à plus de 1 200 écoles au Kenya. À l'approche de la Journée mondiale de l'alimentation, le 16 octobre, Mme Njiru, lauréate de plusieurs prix, s'est entretenue avec Kingsley Ighobor au sujet de ses ambitions, de l'importance de repas nutritifs pour les enfants, de l'impact du changement climatique sur la productivité agricole, et bien plus encore. Vous trouverez ci-dessous des extraits de l'entretien.
Parlez-nous un peu plus de ce que vous faites et de ce qui vous motive.
Je suis la fondatrice et la directrice générale de Food for Education (F4E). J'ai créé cette organisation parce que je suis convaincue que les enfants qui ont faim ne peuvent pas apprendre. La réalité est qu'une personne sur quatre dans le monde sera africaine d'ici 2050, et beaucoup d'entre elles sont actuellement des enfants. Nous avons environ 400 millions d'enfants sur le continent, et la plupart d'entre eux n'ont pas une alimentation minimale acceptable. On ne peut rien faire quand on a faim.
Ce que nous faisons, c'est rationaliser l'ensemble du processus de fourniture de repas scolaires à environ 450 000 enfants chaque jour dans quelque 1 263 écoles [au Kenya].
Nous avons constaté que les enfants sont capables d'apprendre et de rester à l'école. Les inscriptions et l'assiduité ont augmenté, et nous avons constaté que les enfants sont nourris et qu'ils sont en mesure d'exploiter pleinement leur potentiel.
Quelle est la gravité de la malnutrition chez les enfants au Kenya ?
Elle est très grave. Sur le continent, des millions d'enfants souffrent de malnutrition. Au Kenya en particulier, un enfant sur quatre souffre d'un retard de croissance dû à la malnutrition. Le retard de croissance signifie que l'enfant est trop petit, que son poids est insuffisant et que son QI n'a pas atteint son plein potentiel parce qu'il n'a pas bénéficié d'une alimentation adéquate lorsqu'il avait moins de cinq ans. Il en résulte une limitation du capital humain.
La situation au Kenya reflète-t-elle celle d'autres régions du continent ?
Dans certains pays, oui, la situation au Kenya reflète celle du continent, mais dans beaucoup d'autres, elle est meilleure ou pire.
Nous avons commencé au Kenya parce que je suis kenyane. Notre équipe est majoritairement kenyane. Nous avons commencé dans la maison et la communauté où j'ai grandi. Mais il ne s'agit pas seulement d'un problème kenyan ; c'est un problème continental, et nous, les Africains, devons être à l'avant-garde de la résolution de nos propres problèmes.
Nous avons lancé ce que nous appelons une stratégie africaine pour l'alimentation scolaire, en l'élargissant et en veillant à ce qu'elle atteigne d'autres enfants sur le continent. Nous étendrons notre action à d'autres pays d'Afrique à l'avenir.
Les habitants d'autres pays souhaitent-ils s'inspirer de votre expérience pour la reproduire dans leurs communautés ?
Oui, de nombreuses personnes souhaitent apprendre comment nourrir leurs communautés dans des pays comme le Nigeria, la Zambie et la RDC. Nous avons beaucoup appris sur les échecs et les réussites, sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Nous cherchons maintenant à partager ces connaissances pour aider d'autres personnes à construire des cuisines, à s'approvisionner, à distribuer de la nourriture et bien plus encore. Les Africains sont connus pour leur volonté de rendre service à leurs communautés.
Lorsque j'ai créé Food for Education, je me suis rendu en Inde pour apprendre d'une organisation appelée Akshaya Patra Foundation, qui a considérablement développé ses activités. Tout le monde ne peut pas aller en Inde, c'est pourquoi nous sommes heureux de partager nos connaissances et notre expérience.
Comment l'initiative « Food for Education » s'inscrit-elle dans les efforts de lutte contre la pauvreté au Kenya et sur l'ensemble du continent ?
La pauvreté est l'incapacité de vivre pleinement son potentiel ou de subvenir à ses besoins fondamentaux, tels que la nourriture, le logement, l'eau et les vêtements. La nourriture et l'eau sont les besoins les plus essentiels de l'être humain. Si vous vivez dans la pauvreté, vous n'avez pas les moyens de vous nourrir.
En fournissant des repas nutritifs à l'école, nous aidons les personnes vivant sous le seuil de pauvreté, c'est-à -dire celles qui luttent pour se nourrir et nourrir leur famille. S'ils envoient leur enfant à l'école, celui-ci recevra un repas nutritif, sera éduqué et pourra éventuellement aider sa famille à sortir de la pauvreté.
Où trouver les ressources nécessaires pour nourrir 450 000 enfants par jour ?
Nous avons une alliance stratégique avec les parents, le gouvernement et la philanthropie, et nous considérons que ces trois contributeurs sont essentiels. Les parents sont les premiers concernés par le bien-être de leurs enfants, car ils veulent bien sûr qu'ils mangent bien.
Nous les rejoignons là où ils en sont en subventionnant le montant qu'ils versent pour que leurs enfants mangent, la subvention étant fournie par le gouvernement. Nous travaillons avec les gouvernements des comtés du Kenya qui nous donnent des ressources pour subventionner les repas.
Et puis il y a la philanthropie. Certaines lacunes ne peuvent être comblées que par des capitaux philanthropiques, par exemple lorsque nous installons des cuisines ou investissons dans la technologie. La philanthropie peut catalyser les programmes d'alimentation scolaire avant que le gouvernement et les parents ne prennent en charge les opérations quotidiennes.
Vous prévoyez de nourrir un million d'enfants au Kenya d'ici 2027. Comment cela se passe-t-il ?
Cela se passe bien. Nourrir un million d'enfants au Kenya est l'un de nos principaux objectifs, parallèlement à l'extension à d'autres pays africains, où nous souhaitons nourrir deux millions d'enfants supplémentaires.
Nous avons commencé avec 25 enfants. Ce n'est donc pas un succès du jour au lendemain. Il nous a fallu 12 ans pour en arriver là , mais aujourd'hui, avec une équipe plus forte, nous voyons des possibilités d'accélérer nos efforts et de passer à l'échelle supérieure plus rapidement.
Dans votre travail, gardez-vous à l'esprit l'objectif de développement durable n° 2, qui vise à éliminer la faim d'ici à 2030 ?
Oui, l'ODD 2 est étroitement lié au travail que nous effectuons. Mais lorsque j'ai lancé Food for Education il y a 12 ans, il n'y avait pas d'ODD. J'avais 21 ans, mais je savais qu'il était essentiel de parvenir à la faim zéro. La faim est très contraignante : quand on a faim, on est irritable et on ne peut se concentrer sur rien.
Quels sont les défis que vous avez dû relever jusqu'à présent ?
Il nous a fallu 12 ans pour arriver là où nous sommes aujourd'hui. Au départ, nous avons dû comprendre la composition nutritionnelle des repas que nous fournissons. Je suis nutritionniste et scientifique alimentaire de formation, il est donc important pour moi que les enfants bénéficient d'une bonne alimentation.
Il était donc essentiel de trouver le bon menu, de le contextualiser et de s'assurer qu'il servait les enfants et qu'ils le trouvaient délicieux. Un autre défi est que, quel que soit le nombre d'enfants que nous nourrissons, il y en a toujours plus qui ont besoin d'aide. L'augmentation d'échelle suffisamment rapide pour répondre aux besoins est un défi permanent. Notre objectif est de nourrir un million d'enfants chaque jour. Nous en nourrissons 450 000 aujourd'hui, mais le continent compte 400 millions d'enfants.
La mobilisation des ressources, l'établissement de partenariats et la constitution de l'équipe adéquate sont les tâches que nous devrons accomplir à mesure que nous nous développerons et que nous atteindrons davantage d'enfants.
Soixante-quinze pour cent de vos employés sont des femmes. Comment cela se fait-il ?
Oui, 75 % de notre personnel est composé de femmes, et cela a eu un impact considérable. Partout où nous opérons, les parents sont impliqués et beaucoup d'entre eux sont employés pour cuisiner pour leurs enfants.
Au début, nous avons constaté que les femmes étaient plus nombreuses que les hommes à vouloir travailler dans les cuisines, mais cela commence à changer.
Quel est l'impact du changement climatique sur votre travail ?
Lorsque je pense au changement climatique, je pense à son impact sur les communautés à travers le continent. La hausse des températures, les sécheresses et les inondations sont de plus en plus fréquentes, ce qui perturbe la production alimentaire et fait grimper les prix des denrées.
En conséquence, l'assiette est de plus en plus petite et de moins en moins nutritive, et les enfants manquent de protéines et de légumes essentiels. Ce n'est pas parce que le climat change que le corps cesse d'avoir besoin d'être nourri.
Le changement climatique est un sujet qui devrait tous nous préoccuper. Il a tendance à toucher davantage les populations les plus pauvres, et nous devons donc les aider à s'adapter.
Vous vous êtes récemment exprimée dans le monde entier sur la nécessité d'offrir des aliments nutritifs aux écoliers. Les gens sont-ils réceptifs à votre plaidoyer ?
J'ai eu l'occasion de parler de notre travail à l'Assemblée générale des Nations Unies cette année. Je serai à la Banque mondiale dans quelques semaines pour la réunion d'automne. Nous avons également remporté le prix à Oxford, au Royaume-Uni, au début de l'année [Skoll Award for Social Innovation]. L'accueil a été très positif car les gens comprennent que les enfants ne peuvent pas survivre, et encore moins s'épanouir, sans nourriture.
Tous les discours et toutes les plateformes nous ont permis de souligner l'importance de l'alimentation scolaire dans un débat plus large. Si nous pensons au changement climatique, à l'avenir de l'Afrique, à la future main-d'œuvre ou au capital humain, l'alimentation scolaire est une solution clé.
Quel message donneriez-vous aux jeunes Africains, en particulier aux femmes, qui vous considèrent comme un modèle ?
Mon message aux jeunes Africains est qu'il y a tant de potentiel en nous. Notre continent a besoin de nous. Il a eu besoin de nous hier, il a besoin de nous aujourd'hui et il aura besoin de nous demain.
C'est nous qui pouvons apporter le changement dans nos communautés. Ne vous considérez pas comme petits ou incapables. Il n'y a pas d'âge pour commencer quelque chose. Que vous soyez jeune ou plus âgé, vous pouvez entreprendre quelque chose et réussir.
J'avais 21 ans lorsque j'ai commencé. J'étais une étudiante internationale qui se battait pour payer ses frais de scolarité en Australie. Mais j'ai commencé modestement, en espérant que mon projet grandirait un jour, et c'est ce qui s'est passé.