22 juin 2021

M. Peter Thomson, ambassadeur des Fidji, est l¡¯Envoy¨¦ sp¨¦cial des Nations unies pour les oc¨¦ans. Il incite ¨¤ l¡¯action au niveau mondial pour la conservation et l¡¯utilisation durable des oc¨¦ans.

 

 
 

 

Quel est le lien entre les oc¨¦ans et le climat ? 

Les oc¨¦ans sont le grand r¨¦gulateur du climat. Ils absorbent environ 30 % du dioxyde de carbone ¨¦mis. Ils absorbent plus de 90 % de la chaleur r¨¦sultant du r¨¦chauffement climatique. Toutefois, ces ph¨¦nom¨¨nes ont leurs limites, et on s¡¯approche des points de basculement. 

Tous les jours, je me r¨¦p¨¨te que la plan¨¨te ne peut pas ¨ºtre en bonne sant¨¦ si les oc¨¦ans ne le sont pas. Or, la sant¨¦ des oc¨¦ans se d¨¦grade, principalement en raison des ¨¦missions de gaz ¨¤ effet de serre. Les oc¨¦ans sont de plus en plus acides, perdent de l¡¯oxyg¨¨ne et se r¨¦chauffent. Cela entra?ne, entre autres, la mort des coraux, une ¨¦l¨¦vation du niveau des mers et une modification des courants oc¨¦aniques. La pollution exerce ¨¦galement une pression sur les oc¨¦ans : d¡¯ici ¨¤ 2050, ils contiendront plus de plastique que de poissons. On continue ¨¤ d¨¦t¨¦riorer les mangroves, les prairies marines et les for¨ºts de laminaires, en d¨¦pit du fait qu¡¯elles stockent dix fois plus de carbone que les for¨ºts terrestres. 

 

Pourquoi les populations sont-elles li¨¦es aux oc¨¦ans, quel que soit l¡¯endroit o¨´ elles vivent ? 

Pensez ¨¤ l¡¯oxyg¨¨ne que vous respirez. Une petite cr¨¦ature appel¨¦e Prochlorococcus, le plus petit organisme photosynth¨¦tique de la plan¨¨te, vit dans les oc¨¦ans et produit 20 % de l¡¯oxyg¨¨ne de la biosph¨¨re. Nous sommes donc tous li¨¦s ¨¤ Prochlorococcus et aux oc¨¦ans de fa?on vitale. 

 

Pour quelqu¡¯un qui vit en milieu rural dans un petit ?tat insulaire en d¨¦veloppement, entour¨¦ par l¡¯oc¨¦an, comment les changements climatiques se manifestent-ils ? 

Le probl¨¨me le plus flagrant est la fr¨¦quence et la violence des cyclones tropicaux. Nous en avons connu auparavant. Il fallait toujours se tenir pr¨ºt pour un ¨¦norme coup de vent une fois tous les dix ans, mais, ¨¤ pr¨¦sent, il y en a plusieurs par an et ils sont plus violents. Si vous voulez vous lancer dans la plantation, qu¡¯il s¡¯agisse de kava, de noix de coco ou de cacao, et avoir un peu d¡¯argent pour payer les frais de scolarit¨¦ de vos enfants, vous obtenez un pr¨ºt pour le mat¨¦riel de plantation, et puis arrive un de ces ouragans qui an¨¦antit tout ce que vous poss¨¦dez. C¡¯est un d¨¦sastre ¨¦conomique. Il ne vous reste qu¡¯¨¤ prier pour que celui qui vous menace change de cap. Maintenant, les saisons changent elles aussi. Alors qu¡¯on pouvait selon toute vraisemblance s¡¯attendre ¨¤ ce qu¡¯il pleuve tel ou tel mois, la pluie ne vient pas, mais elle arrive de fa?on torrentielle un autre mois, en dehors du cycle habituel des cultures.

Si l¡¯on se trouve dans une zone de faible altitude, l¡¯¨¦l¨¦vation du niveau de la mer est source d¡¯inqui¨¦tude. D¡¯ailleurs, cela ne concerne pas uniquement les petits ?tats insulaires en d¨¦veloppement. Dans certains endroits comme Manhattan et la Floride, il y a lieu de r¨¦fl¨¦chir s¨¦rieusement ¨¤ ce qui se passe, car ce ph¨¦nom¨¨ne sera constant au cours des prochains si¨¨cles, compte tenu de l¡¯¨¦volution des calottes glaciaires au Groenland et en Antarctique. Aux Fidji, nous avons d¨¦j¨¤ d¨¦plac¨¦ un grand nombre de communaut¨¦s ¨¦tablies dans des zones de faible altitude vers des lieux plus ¨¦lev¨¦s. Il s¡¯agit d¡¯un programme que le gouvernement entreprend de mani¨¨re responsable sur la base des demandes ¨¦manant de villages qui subissent l¡¯¨¦l¨¦vation du niveau de la mer et souhaitent s¡¯installer ailleurs.

Par ailleurs, il y a le blanchissement des coraux. Vous vous souvenez peut-¨ºtre d¡¯un r¨¦cif qui, dans votre enfance, offrait le spectacle d¡¯une vie et d¡¯une nature des plus foisonnantes qui soient. Et puis vous revenez sur place et vous voyez un r¨¦cif blanchi o¨´ il n¡¯y a rien d¡¯autre que du corail mort, quelques algues et, occasionnellement, un poisson qui se faufile. C¡¯est d¨¦solant. Je compare cela ¨¤ ce que les gens ont d? ressentir en entrant dans des villes compl¨¨tement ras¨¦es par les bombes pendant la Seconde Guerre mondiale. On peut s¡¯attendre ¨¤ ce que 90 % des r¨¦cifs coralliens tropicaux aient disparu lorsque l¡¯on aura atteint un r¨¦chauffement de 1,5 degr¨¦ Celsius.

 

quote card of Peter Thomson

 

Pourquoi les petits ?tats insulaires en d¨¦veloppement, qui ne sont pourtant pas les plus riches en ressources, loin de l¨¤, sont-ils les premiers ¨¤ appeler de leurs v?ux une action climatique ¨¤ l¡¯¨¦chelle mondiale ? 

Parce que nous constatons les effets des changements climatiques et que nous nous en remettons ¨¤ la science, qui explique tr¨¨s clairement ce qui se passe. Les pays de faible altitude, comme les Maldives, Kiribati, les ?les Marshall et les Tuvalu, ont ¨¦t¨¦ les premiers ¨¤ susciter une prise de conscience au niveau mondial. En bonnes amies et voisines, les ?les Fidji et Salomon, qui sont plus ¨¦lev¨¦es et ne vont pas se retrouver submerg¨¦es, sont n¨¦anmoins pr¨ºtes ¨¤ mener le combat. Il s¡¯agit d¡¯une bataille morale, en fait. 

Les ¨ºtres humains sont ce qu¡¯ils sont. Si on vous donne une ressource qui se trouve ¨ºtre du p¨¦trole et qu¡¯il y a de la demande, vous l¡¯exploitez de fa?on ¨¤ pouvoir prosp¨¦rer et offrir ¨¤ vos enfants une ¨¦ducation, des soins de sant¨¦ de qualit¨¦ et tout ce qui s¡¯ensuit. C¡¯est tout simplement une r¨¦action humaine normale. Cependant, vous ne pourrez pas vous ¨¦panouir si ce processus suppose de me porter pr¨¦judice. Si vous produisez quelque chose chez vous dont les effets n¨¦fastes se r¨¦percutent chez moi, je dois me faire entendre. Cela dit, nous avons d¨¦pass¨¦ le stade des accusations. Nous sommes dans le m¨ºme bateau. Et nous devons trouver les solutions ensemble. 

 

?tes-vous optimiste quant ¨¤ l¡¯avenir des habitants des petits ?tats insulaires en d¨¦veloppement ?

Ils se trouvent dans une situation difficile en raison des cons¨¦quences de la pand¨¦mie sur l¡¯industrie du tourisme dans son ensemble. Ils en ¨¦taient venus ¨¤ d¨¦pendre fortement de ce secteur. Se pose aussi le probl¨¨me des effets de l¡¯¨¦volution des conditions climatiques sur leurs ¨¦conomies. Au cours de ce si¨¨cle, sur les cinq esp¨¨ces de thon faisant l¡¯objet d¡¯une exploitation commerciale, trois vont s¡¯¨¦loigner du Pacifique Sud-Ouest pour gagner le sud autour de la Nouvelle-Z¨¦lande et la c?te ouest de l¡¯Am¨¦rique latine. Aux Tuvalu, o¨´ 90 % des recettes du commerce ext¨¦rieur proviennent du thon, c¡¯est comme si on leur retirait leur tr¨¦sor ¨¦conomique. 

J¡¯entrevois un espoir dans l¡¯¨¦conomie bleue durable, tr¨¨s prometteuse pour les pays insulaires. Les ressources g¨¦n¨¦tiques marines pr¨¦sentent un immense potentiel pour les m¨¦dicaments et pour toutes sortes de produits de sant¨¦ et autres produits d¡¯avenir. La mariculture, qui se pratique en haute mer, pourrait constituer la solution d¡¯avenir pour les exportations, dans la mesure o¨´ l¡¯aquaculture ¨¤ proximit¨¦ des c?tes est d¨¦laiss¨¦e du fait des probl¨¨mes li¨¦s ¨¤ l¡¯utilisation d¡¯antibiotiques, au d¨¦frichage des mangroves et d¡¯autres probl¨¨mes qui se posent en milieu ferm¨¦. En outre, il y a l¡¯¨¦nergie ¨¦olienne durable en mer, dont les petits ?tats insulaires en d¨¦veloppement pourraient ¨ºtre le fer de lance et qui pourrait nous fournir toute l¡¯¨¦nergie dont nous avons besoin sur la plan¨¨te.  

 

quote card of Peter Thomson

 

Qu¡¯attendez-vous principalement de la conf¨¦rence sur les changements climatiques pr¨¦vue en 2021 ¨¤ Glasgow ? 

Qu¡¯elle fasse progresser le financement de l¡¯action climatique au profit de l¡¯¨¦conomie bleue durable. ? l¡¯heure actuelle, seule une infime partie du financement de l¡¯action climatique et de l¡¯aide publique au d¨¦veloppement est consacr¨¦e aux investissements dans l¡¯¨¦conomie bleue. 

Si les choses ¨¦voluent, c¡¯est tr¨¨s motivant pour se montrer bien plus entreprenant en mati¨¨re d¡¯¨¦conomie bleue durable. Et cela peut acc¨¦l¨¦rer consid¨¦rablement les avanc¨¦es en faveur d¡¯un monde neutre en carbone d¡¯ici ¨¤ 2050. Le rapport du panel de haut niveau pour une ¨¦conomie oc¨¦anique durable, par exemple, montre que les oc¨¦ans peuvent contribuer ¨¤ hauteur de 21 % ¨¤ l¡¯att¨¦nuation des ¨¦missions, notamment par le recours ¨¤ l¡¯¨¦nergie ¨¦olienne en mer et l¡¯¨¦cologisation des transports maritimes.

 

Existe-t-il une volont¨¦ politique de concr¨¦tiser l¡¯engagement pris par les pays riches, visant ¨¤ fournir 100 milliards de dollars aux pays en d¨¦veloppement ¨¤ titre de financement de l¡¯action climatique ?

La pand¨¦mie nous a permis de constater que nous pouvons mobiliser de vastes ressources pour nous prot¨¦ger. Ces 100 milliards de dollars ne sont qu¡¯une goutte d¡¯eau dans l¡¯oc¨¦an de ce qu¡¯il faudrait pour nous pr¨¦munir contre les changements climatiques. Cela va n¨¦cessiter non pas des milliards, mais des milliers de milliards de dollars en investissements. Du point de vue politique, allons-nous ¨ºtre ¨¤ m¨ºme de les d¨¦bourser ? Oui, absolument. C¡¯est la chose la plus sens¨¦e que nous puissions faire avec notre argent. La perspective de nos enfants et petits-enfants condamn¨¦s ¨¤ vivre dans un monde en feu est-elle acceptable ? Non ! Lorsque nous en aurons pris conscience, nous n¡¯aurons aucun mal ¨¤ r¨¦unir les milliers de milliards n¨¦cessaires. 

Je crois que l¡¯humanit¨¦ se plie ¨¤ l¡¯instinct de conservation. Et je crois que nous avons l¡¯ing¨¦niosit¨¦ pour trouver les solutions qui s¡¯imposent. Des d¨¦cisions tr¨¨s importantes vont devoir ¨ºtre prises d¡¯ici ¨¤ 2030, car il ne nous reste au mieux qu¡¯une d¨¦cennie pour commencer ¨¤ infl¨¦chir la courbe.

 

L¡¯¨¦cologisation du secteur maritime progresse-t-elle ?

Plus de 90 % des marchandises du commerce mondial sont transport¨¦es par voie maritime. Il s¡¯agit d¡¯un service d¡¯une importance consid¨¦rable pour l¡¯humanit¨¦. Les navires doivent continuer ¨¤ naviguer. Cependant, ils consomment le combustible de soute le plus polluant, tr¨¨s dangereux pour la sant¨¦ humaine et pour l¡¯environnement. Il faut parvenir ¨¤ s¡¯en passer. 

Nous sommes sur le point de passer ¨¤ de nouvelles sources d¡¯¨¦nergie, l¡¯option la plus probable ¨¦tant vraisemblablement l¡¯ammoniac d¨¦riv¨¦ de l¡¯hydrog¨¨ne vert. Elle inspire suffisamment confiance pour que des pays comme le Chili incluent la production d¡¯ammoniac d¨¦riv¨¦ de l¡¯hydrog¨¨ne vert dans leurs plans de d¨¦veloppement nationaux. Nous disposons d¨¦j¨¤ de navires de tr¨¨s grande taille aliment¨¦s par des batteries, qui sont utilisables dans la mesure o¨´ l¡¯on peut assurer une rotation de 24 heures, compte tenu de l¡¯autonomie des batteries. Le transport maritime c?tier doit passer ¨¤ l¡¯¨¦lectrique d¨¨s que possible. 

 

quote card of Peter Thomson

 

Que pensez-vous des efforts actuels de l¡¯Organisation mondiale du commerce visant ¨¤ supprimer les subventions ¨¤ la p¨ºche n¨¦fastes ?  

Nous devons mettre un terme ¨¤ cette mascarade. Je suis plus optimiste que je ne l¡¯ai ¨¦t¨¦ depuis des ann¨¦es, car nous passons enfin de la roue de hamster ¨¤ une course olympique sur cette question. Entre 20 et 30 milliards de dollars de fonds publics sont d¨¦pens¨¦s chaque ann¨¦e en subventions, qui vont principalement aux flottes de p¨ºche industrielle pour qu¡¯elles partent ¨¤ la chasse aux stocks de poissons en d¨¦clin. Cette logique est totalement aberrante. Les subventions qui encouragent des pratiques n¨¦fastes peuvent ¨ºtre consacr¨¦es ¨¤ l¡¯aquaculture durable ou servir ¨¤ aider des femmes ¨¤ d¨¦velopper des exploitations d¡¯algues marines. Imaginez ce que nous pourrions faire avec 20 milliards de dollars. 

 

Comment faire la paix avec les oc¨¦ans ?

J¡¯aime le message du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Unies selon lequel l¡¯humanit¨¦ a fait la guerre ¨¤ la nature et qu¡¯il est temps pour nous de faire la paix. Voil¨¤ o¨´ en sont les relations de l¡¯humanit¨¦ avec la plan¨¨te et il faut regarder les choses en face. Nous ne pouvons pas continuer ¨¤ exploiter des ressources limit¨¦es en pensant que cela peut durer ¨¦ternellement et que nous pouvons tous nous enrichir. Il n¡¯en sera rien. 

Nous devons changer nos habitudes. Dans ma famille, nous avons cess¨¦ de manger du b?uf, par exemple. Nous avons cess¨¦ de poss¨¦der des v¨¦hicules priv¨¦s. Nous r¨¦compenserons les gouvernements qui s¡¯engagent en faveur de la neutralit¨¦ carbone, ainsi que les entreprises qui en font autant, dans nos d¨¦penses en tant que consommateurs. Je suis s?r que des millions de familles comme la n?tre sont pr¨ºtes ¨¤ faire ce que nous devons tous faire. 

Ce qui doit vraiment changer, c¡¯est la mentalit¨¦ humaine. Nous devons rendre ¨¤ la terre ce qu¡¯elle nous donne. Nous devons rendre aux oc¨¦ans ce qu¡¯ils nous donnent. Nous devons traiter la plan¨¨te avec le respect qu¡¯elle m¨¦rite.