Alors que nous n¡¯avons pas encore de vue d¡¯ensemble des incidences de la pand¨¦mie de COVID-19 sur la f¨¦condit¨¦, il est trop t?t pour s¡¯alarmer d¡¯une hausse ou d¡¯un effondrement ¨¦ventuel des naissances.
Ce qui devrait nous pr¨¦occuper, toutefois, ce sont les situations o¨´ les femmes ne peuvent pas exercer leurs droits et leurs choix en mati¨¨re de sexualit¨¦ et de procr¨¦ation, que ce soit par le manque d¡¯acc¨¨s aux services de sant¨¦ ou la discrimination fond¨¦e sur le sexe. Une femme qui dispose de son corps et a acc¨¨s aux services lorsqu¡¯elle en a besoin gagne non seulement une plus grande autonomie, mais b¨¦n¨¦ficie ¨¦galement des progr¨¨s en mati¨¨re de sant¨¦, d¡¯¨¦ducation, de revenu et de s¨¦curit¨¦. Elle a plus de chances de s¡¯¨¦panouir, de m¨ºme que sa famille et la soci¨¦t¨¦ dans laquelle elle vit.
La population mondiale augmente depuis des centaines d¡¯ann¨¦es avec des p¨¦riodes d¡¯effondrement de la natalit¨¦ alternant avec des p¨¦riodes de hausse. Ne voir que les vagues pouss¨¦es ou tir¨¦es de mani¨¨re inconsistante par des forces que, souvent, nous ne pouvons pas contr?ler, c¡¯est perdre de vue le rivage, les droits de l¡¯homme qui sont notre base solide.
Lorsque La Bombe P1 a ¨¦t¨¦ publi¨¦e en 1968, l¡¯ouvrage a aliment¨¦ une panique croissante selon laquelle la surpopulation condamnerait la plan¨¨te dont les ressources limit¨¦es ne pourraient pas soutenir une croissance d¨¦mographique infinie. Les auteurs, Paul R. Ehrlich et Anne H. Ehrlich, de l¡¯Universit¨¦ de Stanford, pr¨¦disaient une famine massive face ¨¤ une mar¨¦e d¨¦mographique irr¨¦versible.
Avec d¡¯autres, ils pr¨¦sentaient des sc¨¦narios apocalyptiques qui annon?aient la mort de centaines de millions personnes pour cause de famine. Ces pr¨¦dictions ont suscit¨¦ la peur, mais aussi un int¨¦r¨ºt sinc¨¨re pour la sant¨¦ de la plan¨¨te et ont donn¨¦ naissance au militantisme ¨¦cologique, qui a perdur¨¦ ¨¤ juste titre.
Ce ne fut pas la fin du monde, bien s?r, mais l¡¯alarmisme entourant la question de la population est toujours d¡¯actualit¨¦. Aujourd¡¯hui, plus de 50 ans apr¨¨s la publication de La Bombe P, dans une p¨¦riode de pand¨¦mie, on craint une autre avalanche d¨¦mographique, cette fois dans le sens inverse?: une crise imminente caus¨¦e par des ¨¦coles vides, le vieillissement de la population, le manque de main-d¡¯?uvre et des villes fant?mes. C¡¯est la nouvelle population, la ??bombe ¨¤ retardement??, une crise de la d¨¦population qui, si l¡¯on en croit les gros titres qui reviennent de plus en plus souvent, menace tout, des soins aux personnes ?g¨¦es aux ¨¦conomies en passant par l¡¯existence m¨ºme des pays et des cultures.
Entre ces deux pr¨¦dictions sinistres, les dirigeants mondiaux, lors de la , qui s¡¯est tenue au Caire (?gypte) en 1994, ont atteint un rare consensus sur la n¨¦cessit¨¦ de faire confiance ¨¤ la sagesse des femmes et des familles qui, lorsqu¡¯elles sont soutenues et qu¡¯on leur offre des choix, peuvent faire des choix judicieux et durables. Ce consensus sans pr¨¦c¨¦dent du Caire annon?ait un changement d¡¯orientation mettant l¡¯accent sur les droits de l¡¯homme plut?t que sur les chiffres, l¡¯id¨¦e ¨¦tant que ce qui compte vraiment, ce n¡¯est pas la population en soi, mais les personnes. Le a affirm¨¦ que ? les progr¨¨s en mati¨¨re d¡¯¨¦galit¨¦ et d¡¯¨¦quit¨¦ entre les sexes, d¡¯autonomisation des femmes, d¡¯¨¦limination de toutes les formes de violence ¨¤ l¡¯¨¦gard des femmes ainsi que les possibilit¨¦s qui leur sont offertes de pouvoir contr?ler leur propre f¨¦condit¨¦ sont les bases des programmes qui ont trait ¨¤ la population et au d¨¦veloppement??.
Le bien-fond¨¦ et l¡¯efficacit¨¦ de cette approche se sont confirm¨¦s ¨¤ travers le monde, notamment l¡¯accent mis sur l¡¯¨¦ducation des filles ainsi que sur la sant¨¦, les droits et les choix en ce qui concerne la sexualit¨¦ et la procr¨¦ation. Par exemple, depuis 1994, l¡¯acc¨¨s aux m¨¦thodes de contraception modernes et volontaires a augment¨¦ et la mortalit¨¦ maternelle, l¨¤ o¨´ elle peut ¨ºtre ¨¦vit¨¦e, a . Et s¡¯il reste encore beaucoup ¨¤ faire, les plus grandes possibilit¨¦s d¡¯¨¦ducation compl¨¨te ¨¤ la sexualit¨¦, ¨¤ la fois dans le cadre de l¡¯¨¦cole et en dehors, indiquent que les pays sont plus nombreux ¨¤ reconna?tre le r?le essentiel de cette d¨¦marche pour autonomiser les jeunes et acc¨¦l¨¦rer l¡¯acc¨¨s universel aux droits en mati¨¨re de sant¨¦ sexuelle et procr¨¦ative.
Aujourd¡¯hui, au milieu de la pand¨¦mie de COVID-19, nous nous trouvons dans une situation pr¨¦caire. La violence domestique conna?t une recrudescence dans le monde entier, le confinement ayant contraint les femmes et les filles ¨¤ rester chez elles et ¨¤ subir des violences, coup¨¦es de tout soutien vital. Dans de nombreux lieux, la pand¨¦mie a perturb¨¦ les services essentiels de sant¨¦ sexuelle et procr¨¦ative, donnant lieu ¨¤ une augmentation du nombre de grossesses non d¨¦sir¨¦es ainsi que des complications et des d¨¦c¨¨s li¨¦s ¨¤ la grossesse. Les mariages d¡¯enfant, les grossesses chez les adolescentes et la mutilation g¨¦nitale f¨¦minine ont augment¨¦. Selon les projections du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), r¨¦alis¨¦s vers l¡¯¨¦limination des violences fond¨¦es sur le genre et la mutilation g¨¦nitale f¨¦minine au cours de la prochaine d¨¦cennie et entra?ner le mariage de 13 millions d¡¯enfants suppl¨¦mentaires.?
Les ressources ¨¦tant r¨¦orient¨¦es vers la lutte contre le coronavirus, la pand¨¦mie freine les progr¨¨s vers la r¨¦alisation des objectifs de d¨¦veloppement durable (ODD) d¡¯ici ¨¤ 2030, notamment l¡¯ODD 3 sur la sant¨¦ et le bien-¨ºtre de tous et l¡¯ODD 5 sur l¡¯¨¦galit¨¦ des sexes.
Les perspectives ¨¦conomiques sont ¨¦galement assombries par la pand¨¦mie de COVID-19. Les femmes ont massivement quitt¨¦ le march¨¦ du travail pour assumer une grande partie des soins et des travaux domestiques non r¨¦mun¨¦r¨¦s, que ce soit pour superviser l¡¯enseignement ¨¤ distance des enfants ou pour s¡¯occuper de parents ou de proches ?g¨¦s. Leurs emplois, souvent peu r¨¦mun¨¦r¨¦s et concentr¨¦s dans le secteur non structur¨¦ et celui des services sont parmi les plus affect¨¦s par la pand¨¦mie.
Or, alors m¨ºme que les femmes et les filles s¡¯efforcent de faire face ¨¤ cette crise aux multiples facettes, dans une cruelle ironie, les femmes continuent d¡¯assumer les responsabilit¨¦s familiales,?que la population augmente ou diminue. Dans les pires cas, lorsque les craintes alarmistes conduisent ¨¤ des politiques restrictives et coercitives, leur libert¨¦ de disposer de leur corps et leurs droits en mati¨¨re de procr¨¦ation sont gravement bafou¨¦s. L¨¤ o¨´ la f¨¦condit¨¦ diminue, l¡¯acc¨¨s aux moyens de contraception peut ¨ºtre limit¨¦. L¨¤ o¨´ elle augmente, les femmes peuvent ¨ºtre soumises ¨¤ une st¨¦rilisation forc¨¦e ou ¨¤ des pratiques de planification familiale coercitives.
La crise actuelle a mis en danger l¡¯avenir d¡¯un nombre incalculable de femmes et de filles. Ne leur infligeons pas d¡¯autres souffrances. Au lieu de demander aux femmes de remplir leur devoir envers l¡¯esp¨¨ce humaine, on devrait se demander quel est notre devoir envers elles.
Derri¨¨re les chiffres, il y a des personnes qui, lorsqu¡¯elles d¨¦cident ou non de devenir parents, devraient ¨ºtre soutenues ¨¤ tous les niveaux. Les communaut¨¦s devraient c¨¦l¨¦brer les choix des femmes. Les institutions et les gouvernements devraient permettre aux familles?de prendre librement des d¨¦cisions appuy¨¦es par des informations pr¨¦cises, plut?t que de les en?emp¨ºcher. Cela signifie qu¡¯il faut soutenir les soins de sant¨¦, y compris les soins en mati¨¨re de sant¨¦ sexuelle et procr¨¦ative qui comprennent la planification familiale volontaire et les accouchements sans risque. Cela signifie qu¡¯il faut soutenir une ¨¦ducation compl¨¨te ¨¤ la sexualit¨¦. Cela signifie qu¡¯il faut ?uvrer sans rel?che ¨¤ la promotion de l¡¯¨¦galit¨¦ des sexes en am¨¦liorant l¡¯acc¨¨s des filles ¨¤ l¡¯¨¦ducation en d¨¦fendant la parit¨¦ salariale avec des salaires fond¨¦s sur les comp¨¦tences, l¡¯exp¨¦rience et l¡¯¨¦ducation, et non pas sur le sexe, et en cr¨¦ant des services de garde d¡¯enfants fiables et abordables ainsi que des politiques en mati¨¨re d¡¯emploi et de cong¨¦ flexibles. Rien de tout cela n¡¯est nouveau,?mais cela pourrait ¨ºtre une r¨¦volution.
Depuis la Conf¨¦rence internationale sur la population et le d¨¦veloppement, on s¡¯accorde depuis 25 ans pour dire que les droits de femmes en mati¨¨re de sant¨¦ sexuelle et procr¨¦ative ainsi que l¡¯¨¦galit¨¦ des sexes sont fondamentaux au bien-¨ºtre et ¨¤ la prosp¨¦rit¨¦ de tous. Que l¡¯on fasse face ¨¤ court terme ¨¤ une hausse ou ¨¤ un effondrement de la natalit¨¦, notre priorit¨¦ pour le long terme est de promouvoir ces droits et ces choix au profit des populations et de la plan¨¨te.
Note
1Paul R. Ehrlich,?The Population Bomb?(New York, Ballantine Books, 1968).
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