21 septembre 2015

La Chronique de l¡¯ONU m¡¯a demand¨¦ de soumettre un article pour ce num¨¦ro consacr¨¦ au 70e anniversaire de la cr¨¦ation des Nations Unies. J¡¯ai accept¨¦, puisqu¡¯il s¡¯agit d¡¯une institution qui ne ressemble ¨¤ aucune autre de par sa mission, son caract¨¨re universel et les espoirs qui sont plac¨¦s en elle depuis sa cr¨¦ation. Tout au long de ma carri¨¨re politique, les Nations Unies ont jou¨¦ un r?le important et significatif.

Je me souviens de mon discours prononc¨¦ en d¨¦cembre 1988 devant l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale, lorsque les efforts d¨¦ploy¨¦s pour surmonter les affrontements mondiaux et mettre fin ¨¤ la guerre froide ont donn¨¦ leurs premiers r¨¦sultats concrets. Les conditions ¨¦taient alors en place pour que l¡¯Organisation remplisse sa mission ¡ª devenir une plate-forme de coop¨¦ration entre tous les ?tats Membres pour parvenir ¨¤ une paix durable, pr¨¦venir et r¨¦gler les confits et trouver des solutions aux probl¨¨mes mondiaux.

Pour la premi¨¨re fois depuis des ann¨¦es, les membres du Conseil de s¨¦curit¨¦, ayant atteint un consensus, sont parvenus ¨¤ d¨¦finir des actions efficaces concert¨¦es qui leur ont permis de faire reculer l¡¯agression du r¨¦gime irakienne contre le Kowe?t. Les Nations Unies ont particip¨¦ activement au r¨¨glement d¡¯autres conflits r¨¦gionaux et m¨ºme la confrontation persistante au Moyen-Orient ne semblait plus impossible ¨¤ r¨¦gler. La communaut¨¦ internationale et son Organisation universelle ont pu alors s¡¯int¨¦resser ¨¤ des probl¨¨mes mondiaux comme la crise environnementale, la pauvret¨¦ et le sous-d¨¦veloppement. La survie de centaines de millions de personnes et de l¡¯humanit¨¦ elle-m¨ºme d¨¦pend de notre capacit¨¦ de trouver des solutions ¨¤ ces probl¨¨mes.

Nous devons reconna?tre aujourd¡¯hui que nous sommes loin d¡¯avoir satisfait toutes les attentes suscit¨¦es alors. Il est clair, toutefois, qu¡¯au cours des ann¨¦es, l¡¯Organisation a accompli un immense travail et prouv¨¦ maintes fois combien elle est n¨¦cessaire pour les ?tats Membres et les peuples du monde entier. C¡¯est dans ce lieu que les objectifs du Mill¨¦naire pour le d¨¦veloppement (OMD) ont ¨¦t¨¦ adopt¨¦s en 2000. Le Projet du Mill¨¦naire a attir¨¦ l¡¯attention des ?tats membres sur les probl¨¨mes qu¡¯il faut r¨¦soudre si nous voulons que des millions de personnes dans le monde jouissent d¡¯une meilleure qualit¨¦ de vie, aient des revenus d¨¦cents et vivent dans la dignit¨¦. Il est important que des objectifs sp¨¦cifiques aient ¨¦t¨¦ fix¨¦s ¨¤ cet ¨¦gard. M¨ºme si les r¨¦sultats n¡¯ont pas encore ¨¦t¨¦ analys¨¦s et que nous savons d¨¦j¨¤ que tous les objectifs n¡¯ont pas ¨¦t¨¦ atteints, le Projet, dans son ensemble, est une initiative constructive. La pauvret¨¦ diminue progressivement et des millions de personnes ont acc¨¨s ¨¤ l¡¯¨¦ducation, aux soins de sant¨¦, ¨¤ l¡¯eau salubre et ¨¤ l¡¯assainissement. Je suis heureux que la Croix verte internationale, une organisation que j¡¯ai aid¨¦ ¨¤ cr¨¦er et ¨¤ laquelle je participe activement, ait contribu¨¦ ¨¤ ces immenses efforts, qu¡¯il faut poursuivre et rendre plus efficaces.

Cela ne signifie pas, cependant, que nous pouvons ¨ºtre satisfaits de l¡¯¨¦volution des ¨¦v¨¦nements dans le monde de l¡¯apr¨¨s-guerre froide. Au contraire, nous avons de bonnes raisons de critiquer ce qui s¡¯est fait avant et qui continue de se faire actuellement. Au lieu d¡¯un nouvel ordre mondial qui, pour reprendre les mots du Pape Jean-Paul II, serait plus s?r, plus juste et plus humain, nous avons assist¨¦ ¨¤ une intensification des processus al¨¦atoires, souvent chaotiques, qui sortent du cadre de la gouvernance mondiale.

Le r?le et le statut de l¡¯Organisation s¡¯en sont trouv¨¦s affect¨¦s. Sa cr¨¦dibilit¨¦ a consid¨¦rablement souffert lorsque qu¡¯elle a ¨¦t¨¦ exclue du processus mis en place pour trouver des solutions aux menaces pour la s¨¦curit¨¦, en particulier dans l¡¯ex-Yougoslavie et au Moyen-Orient. Les actions unilat¨¦rales des ?tats Membres sont en contradiction avec l¡¯essence m¨ºme de l ¡¯Organisation mondiale. Les ¨¦v¨¦nements de ces derni¨¨res ann¨¦es ont montr¨¦ qu¡¯une telle politique est non seulement dangereuse,? mais? contre-productive pour tous, y compris pour ses adh¨¦rents. Au lieu de r¨¦gler les probl¨¨mes, cela aggrave la situation et cr¨¦e de nouvelles complications, qui sont souvent plus dangereuses. Il semble, pourtant, que tous les pays n¡¯aient pas tir¨¦ les le?ons de cette exp¨¦rience am¨¨re.

Cette ann¨¦e et demie pass¨¦e a ¨¦t¨¦ particuli¨¨rement difficile pour la communaut¨¦ internationale. La confiance mutuelle entre les ?tats les plus avanc¨¦s a ¨¦t¨¦ perdue, y compris ceux auxquels la Charte des Nations Unies conf¨¨rent la responsabilit¨¦ de maintenir la paix et la s¨¦curit¨¦ internationales. Les principes fondamentaux sur lesquels les?relations internationales devraient ¨ºtre ¨¦tablies sont mis ¨¤ mal. Ce sont les principes de dialogue, le respect des int¨¦r¨ºts mutuels, le compromis et le r¨¨glement pacifique des diff¨¦rends et des conflits. Il va sans dire que les Nations Unies ne peuvent pas remplir efficacement leurs fonctions dans ces conditions.

Ce qui m¡¯inqui¨¨te le plus, ce sont les d¨¦saccords entre les grandes puissances concernant la crise ukrainienne qui ont provoqu¨¦ une quasi-paralysie de leurs relations et de leur coop¨¦ration sur de nombreux probl¨¨mes mondiaux importants. Les contacts de haut niveau sont aujourd¡¯hui r¨¦duits au minimum et, lorsqu¡¯ ils ont lieu, ressemblent souvent ¨¤ un dialogue de sourds. La situation rappelle de plus en plus celle de la fin des ann¨¦es 1970 et du d¨¦but des ann¨¦es 1980, lorsque les dirigeants des puissances mondiales ¨¦vitaient de se rencontrer alors que le monde allait vers l¡¯ab?me. Aujourd¡¯hui, il est imp¨¦ratif de montrer une volont¨¦ politique afin de sortir de l¡¯impasse, r¨¦instaurer la confiance ainsi que des relations normales.

J¡¯estime que nous devons maintenant revenir aux principales questions, la plus importante ¨¦tant l¡¯inadmissibilit¨¦ du recours aux armes nucl¨¦aires. Les textes des doctrines et des concepts militaires adopt¨¦s ces derni¨¨res ann¨¦es par les puissances nucl¨¦aires sont un recul par rapport ¨¤ la D¨¦claration commune am¨¦ricano-sovi¨¦tique de?1985 qui mettait l¡¯accent sur l¡¯inadmissibilit¨¦ d¡¯une guerre nucl¨¦aire. Je suis convaincu qu¡¯une autre d¨¦claration, peut-¨ºtre au niveau du Conseil de s¨¦curit¨¦, doit ¨ºtre ¨¦tablie afin de r¨¦affirmer qu¡¯? une guerre nucl¨¦aire est impossible ¨¤ remporter et ne doit jamais ¨ºtre entreprise ?.

Compte tenu de l¡¯importance de la F¨¦d¨¦ration de Russie et des ?tats-Unis d¡¯Am¨¦rique dans le monde, j¡¯ai demand¨¦ aux dirigeants de ces deux pays qu¡¯ils se rencontrent pour discuter des questions inscrites ¨¤ l¡¯ordre du jour mondial, les passer en revue et mettre en place un cadre de coop¨¦ration afin de trouver des solutions. Nous ne devons pas laisser les d¨¦saccords concernant un conflit r¨¦gional unique, m¨ºme s¡¯il est tr¨¨s grave, perturber compl¨¨tement les affaires du monde. Je suis s?r que les autres membres permanents du Conseil de s¨¦curit¨¦ pourraient aussi contribuer activement ¨¤ engager un dialogue constructif et identifier les int¨¦r¨ºts mutuels afin de conduire de nouveau la politique mondiale sur la voie de la coop¨¦ration plut?t que sur celle de la confrontation.

Il ne fait aucun doute qu¡¯aujourd¡¯hui, beaucoup d¨¦pend des dirigeants. S¡¯ils reconnaissent leur responsabilit¨¦ et surmontent leurs d¨¦saccords de longue date, notamment les griefs subjectifs, il sera alors possible de sortir de l¡¯impasse. Il y a trente ans, nous avons r¨¦ussi ¨¤ le faire dans des conditions bien plus difficiles alors que les forces politiques semblaient insurmontables et que les stocks d¡¯armes nucl¨¦aires ¨¦taient beaucoup plus importants. Aujourd¡¯hui, nous ne devons ni paniquer ni sombrer dans le pessimisme. Il est encore possible de d¨¦gager le ciel au-dessus du Si¨¨ge des Nations Unies et de cr¨¦er les conditions n¨¦cessaires pour que l¡¯Organisation mondiale remplisse sa mission.?

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La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?