1 septembre 2007

Les Cara?bes repr¨¦sentent sans doute un laboratoire vivant de la dynamique des rencontres entre l'Afrique et l'Europe en terre ¨¦trang¨¨re, et aussi avec les Am¨¦ricains indig¨¨nes qui peuplaient le territoire des Am¨¦riques pendant les p¨¦riodes de la conqu¨ºte et de la d¨¦shumanisation et celles du combat et de la r¨¦sistance qui s'ensuivirent. Pour ces raisons, le nord-est du Br¨¦sil, avec son centre symbolique ¨¤ Bahia, la Nouvelle-Orl¨¦ans et toute la c?te Est de l'Am¨¦rique du Nord, connue sous le nom de l'Am¨¦rique des plantations, constituent avec les ¨ªles des Cara?bes la r¨¦gion g¨¦oculturelle qui abrite une civilisation pourvue de sa propre logique et de sa propre richesse int¨¦rieure.
La vague des derniers arrivants aux Cara?bes, apr¨¨s l'abolition d'abord de la traite n¨¦gri¨¨re puis de l'esclavage lui-m¨ºme, n'a pas emp¨ºch¨¦ qu'ils aient ¨¦t¨¦ exploit¨¦s pour leur force de travail. Mais ces nouveaux arrivants ¨¦taient des hommes et des femmes libres qui sont entr¨¦s dans une soci¨¦t¨¦ qui promettait alors la d¨¦cence et la civilit¨¦ contribuant ¨¤ une existence humaine, m¨ºme si elle n'¨¦tait pas d¨¦nu¨¦e de cruaut¨¦s. Ce fait a ¨¦t¨¦ caract¨¦ris¨¦ par le r?le catalyseur de la pr¨¦sence africaine dans la formation sociale au sein d'un univers psychique, dont une grande partie a ¨¦t¨¦ plong¨¦e, sciemment ou non, dans le silence souterrain et sous-marin. Ces diverses m¨¦taphores sont des masques qui cachent les vrais visages ou des sourdines qui imposent ce silence mena?ant que Jimmy Cliff, la star du reggae et le parolier de talent, a d¨¦crit comme suit : ? Vous avez vol¨¦ mon histoire,
D¨¦truit ma culture,
Coup¨¦ ma langue,
Pour que je ne puisse pas communiquer.
Puis vous avez n¨¦goci¨¦
Et s¨¦par¨¦,
Occult¨¦ mon mode de vie
Pour que je me ha?sse moi-m¨ºme. ? Extrait de ? Le prix de la paix ? 1973 Il est juste que la communaut¨¦ des Cara?bes (Caricom) cherche ¨¤ briser ce silence, le deuxi¨¨me acte d'oppression le plus puissant dont la pr¨¦sence africaine a souffert depuis ces 500 derni¨¨res ann¨¦es, le long de la Route des esclaves. Ce sont ces actes qui d¨¦finissent le voyage de ceux qui ont ¨¦t¨¦ arrach¨¦s ¨¤ leurs terres ancestrales et ont souffert en exil sur les plantations, mais ont surv¨¦cu et continuent de lutter pour mener une vie d¨¦cente, au-del¨¤ d'une simple survie.
La recherche de la v¨¦rit¨¦ sur ce qui s'est pass¨¦ au cours des 500 derni¨¨res ann¨¦es est un moyen efficace de s'attaquer ¨¤ ce qui a ¨¦t¨¦ sans doute le plus grand fl¨¦au de l'histoire moderne. Cela a peut-¨ºtre bien ¨¦t¨¦ le point culminant de quatre si¨¨cles d'actes inhumains mus par l'app?t du gain, l'avidit¨¦ et la soif du pouvoir et souvent sous couvert d'une mission de civilisation dict¨¦e par l'ordre divin et m¨ºme sanctifi¨¦e par un ¨¦dit papal.
Le combat pour la conqu¨ºte et l'occupation des nouvelles Am¨¦riques ? d¨¦couvertes ? s'est poursuivi avec l'asservissement de millions d'individus, marqu¨¦s par la d¨¦shumanisation syst¨¦matique des travailleurs, ainsi que le conditionnement psychologique de millions de personnes g¨¦n¨¦rant le m¨¦pris de soi renforc¨¦ par un racisme persistant, une diff¨¦renciation des classes tr¨¨s marqu¨¦e et la violation des droits de l'homme. Cela fait partie des quelques p¨¦riodes sombres de l'histoire humaine dont le lourd h¨¦ritage a des r¨¦percussions dans le XXIe si¨¨cle jusqu'¨¤ nos jours.
D'autres h¨¦ritages existent aussi--qui parlent eux de l'invincibilit¨¦ de l'esprit humain d¨¦fiant toute attente, mais aussi de la capacit¨¦ de l'esprit humain ¨¤ exercer son intelligence et son imagination de mani¨¨re cr¨¦ative pour l'avancement du savoir humain et de la sensibilit¨¦ esth¨¦tique. ? cet ¨¦gard, la contribution de la pr¨¦sence africaine m¨¦rite d'¨ºtre affirm¨¦e et soutenue par une enqu¨ºte minutieuse, une analyse critique et la diffusion de programmes--qui font partie de la mission du projet de l'UNESCO La route des esclaves.
Dans les Am¨¦riques, la rencontre historique entre le cultures transatlantiques a ¨¦rig¨¦ la tol¨¦rance ¨¤ partir de la haine et de la suspicion, cr¨¦¨¦ l'unit¨¦ dans la diversit¨¦ et la paix ¨¤ partir du conflit et de l'hostilit¨¦. La pr¨¦sence africaine sur la Route est l'expression d'une philosophie de la vie et de l'espoir au sein du d¨¦sespoir qui a soutenu la survie et au-del¨¤, d¨¦fiant la traite transatlantique des esclaves et l'esclavage.
Le croisement des cultures de l'Afrique et des Am¨¦riques qui d¨¦finit l'art du devenir de l'humanit¨¦ est n¨¦ du dynamisme de la synth¨¨se des contradictions, en d¨¦pit de modes de repr¨¦sentation persistants qui ¨¦dictent le d¨¦nigrement des savoirs africains, ainsi que du racisme ¨¤ l'encontre de tous les individus d'origine africaine.
N'oublions pas que la pr¨¦sence africaine a contribu¨¦ ¨¤ l'ascendance ancestrale de la Gr¨¨ce et de la Rome antiques que la civilisation occidentale a int¨¦gr¨¦es dans son histoire avec une ferveur monopolistique. Dans cette civilisation m¨¦diterran¨¦enne, les tr¨¦sors de la fertilisation crois¨¦e ont donn¨¦ ¨¤ l'humanit¨¦ l'¨¦nergie cr¨¦atrice pour vivre, mourir et rena¨ªtre. Cette pr¨¦sence s'est manifest¨¦e plus tard dans la P¨¦ninsule ib¨¦rique, donnant lieu ¨¤ un essor de la pens¨¦e qui s'est traduit par la soi-disant ? d¨¦couverte ? des Am¨¦riques et par notre propre essor ancr¨¦ dans l'¨¦nergie interculturelle vitale que cet h¨¦misph¨¨re a repr¨¦sent¨¦ pour l'humanit¨¦ moderne.
La pr¨¦sence africaine continue d'influencer des domaines importants comme la langue, la religion, les manifestations artistiques et m¨ºme les mod¨¨les de parent¨¦, ainsi que ceux de l'ontologie et de la cosmologie ancr¨¦s dans la diversit¨¦ cr¨¦atrice qui est aujourd'hui la r¨¦alit¨¦ de notre troisi¨¨me mill¨¦naire. Cette diversit¨¦ a ¨¦t¨¦ la r¨¦alit¨¦ v¨¦cue des Cara?bes et des Am¨¦riques, dont les Cara?bes font partie int¨¦grante.
Ces faits invitent ¨¤ la compr¨¦hension et ¨¤ la reconnaissance de la part de l'Europe moderne et l'Am¨¦rique du Nord. Malheureusement, l'h¨¦ritage de l'esclavage et l'exploitation de la main-d'?uvre africaine persistent. Je partage l'id¨¦e qu'un temps viendra o¨´ le pass¨¦ cessera d'¨ºtre un alibi. Mais je suis contre le fait de masquer les ¨¦l¨¦ments critiques, comme la brutalit¨¦ de la traite pour les Africains asservis, par un silence qui nierait ¨¤ leurs descendants la possibilit¨¦ de participer pleinement aux discours qui d¨¦finiraient, d¨¦termineraient et d¨¦finiraient leur destin. Le projet de l'UNESCO La route des esclaves est clairement con?u pour identifier toutes les forces sociales et culturelles qui ont conspir¨¦ avec succ¨¨s ¨¤ pr¨¦venir une r¨¦p¨¦tition, du moins de l'ampleur de celle pass¨¦e, ou ¨¤ nier notre histoire et ¨¤ nous priver de la m¨¦moire de ce pass¨¦.
La Diaspora africaine demande la reconnaissance et le statut dans le nouveau contexte--la mondialisation--qui, du point de vue des Cara?bes de la p¨¦riode post-coloniale, menace d'¨ºtre un calcul des in¨¦galit¨¦s plut?t qu'une opportunit¨¦ pour une praxis de la dignit¨¦ humaine et la libert¨¦ humaine.
Cette praxis de la dignit¨¦ et de la libert¨¦ doit continuer dans le nouveau mill¨¦naire de faire partie de l'agenda des pr¨¦occupations et de l'action positive pour la Diaspora africaine. Il est imp¨¦ratif d'aller au-del¨¤ des limites de la pens¨¦e pour cr¨¦er des programmes d'action dont b¨¦n¨¦ficieront les millions de membres de la Diaspora africaine. D'o¨´ la n¨¦cessit¨¦ d'int¨¦grer des id¨¦es pour promouvoir la vie sociale et le sentiment positif de soi dans les strat¨¦gies globales de d¨¦veloppement du monde r¨¦cemment globalis¨¦. La Diaspora africaine doit avoir comme objectif d'aider ¨¤ d¨¦terminer le courant g¨¦n¨¦ral, et ne pas simplement se laisser emporter par le courant.
Un des d¨¦fis du XXIe si¨¨cle pour la Diaspora africaine est de s'assurer que la nouvelle mondialisation ne reproduise pas les habitudes h¨¦rit¨¦es d'une division racialis¨¦e du monde entre le Nord industrialis¨¦ riche et le Sud non caucasien pauvre, le monde civilis¨¦ d¨¦velopp¨¦ contre les deux tiers du monde sous-d¨¦velopp¨¦, appel¨¦ de mani¨¨re impropre le Tiers monde. Que cela soit concr¨¦tis¨¦ dans les succ¨¨s au travers des manifestations de l'intellect et de l'imagination cr¨¦atifs de la Diaspora m¨¦rite d'¨ºtre d¨¦battu. Mais cela doit aider ¨¤ remplacer le syst¨¨me de pens¨¦e cart¨¦sienne qui d¨¦clare que la manifestation des ¨¦motions est une ? diminution de la pens¨¦e ?, la Diaspora consid¨¦rant que la cr¨¦ativit¨¦ v¨¦ritable et la rigueur intellectuelle ne sont pas exclusives l'une de l'autre et que l'harmonisation des deux pourrait ¨ºtre l'espoir d'un troisi¨¨me mill¨¦naire. L'abolition de l'esclavage pour des raisons multiples, notamment celles indiqu¨¦es dans l'ouvrage majeur de l'intellectuel carib¨¦en Eric William intitul¨¦ Capitalisme et esclavage, ne peut que faciliter la r¨¦humanisation des descendants de millions d'individus attir¨¦s ou d¨¦port¨¦s contre leur gr¨¦ et de mani¨¨re inhumaine de l'Afrique de l'Ouest et du Congo par le ? passage du milieu ?. L'esprit, comme la Diaspora le montre depuis longtemps, peut ¨ºtre aussi anim¨¦ de passions.
C'est sans doute un point principal de la demande de r¨¦paration--dont le but n'est nullement de compenser financi¨¨rement les descendants des opprim¨¦s mais de poser comme postulat l'injection d'investissements importants par les pays qui se sont enrichis par la traite des esclaves et l'esclavage afin de promouvoir le d¨¦veloppement des ressources humaines des pays qui ont souffert, de pr¨¦f¨¦rence au travers de l'¨¦ducation des jeunes, pour les aider ¨¤ faire face ¨¤ un monde qui continue d'¨ºtre injuste. Et surtout, pour les aider ¨¤ comprendre leur propre histoire et ¨¤ combler l'¨¦cart en mati¨¨re d'¨¦ducation. Car, comme le dit un proverbe africain connu--? tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur ?.
Pour aller au-del¨¤ de la haine, de l'intol¨¦rance, de la discrimination, de l'arrogance raciale, des privil¨¨ges de classe, du snobisme intellectuel et du d¨¦nigrement culturel, qui constituent l'h¨¦ritage de ce pass¨¦ terrible, la Diaspora doit poursuivre ses anciennes strat¨¦gies de d¨¦marginalisation, renfor?ant l'intensit¨¦ du travail cr¨¦atif dans l'expansion des arts de la communication servant l'humanit¨¦.
Pour consid¨¦rer de mani¨¨re l¨¦gitime cette r¨¦alit¨¦ de la Diaspora africaine, il faut s'assurer que les descendants font entendre leurs voix et leurs croyances diverses, car cette diversit¨¦ s'oppose au silence impos¨¦ par l'oppression dans l'esprit de l'?cum¨¦nisme. L'h¨¦t¨¦rog¨¦n¨¦it¨¦ en tant que principe directeur de l'organisation humaine est un cadre n¨¦cessaire pour la paix--mondiale, r¨¦gionale et locale.
Pouvoir saisir la pluralit¨¦ et l'intertextualit¨¦ de l'existence, qui n'est cependant pas l'exclusivit¨¦ de la Diaspora africaine, est la caract¨¦ristique principale de cette exp¨¦rience. Le monde peut-il s'accepter sans angoisse comme ? partie de ceci ?, ? partie de cela ?, ? partie de l'autre ?, tout en ¨¦tant humain, sans qu'un groupe essaie d'en dominer un autre ? L'id¨¦e d'un Cr¨¦ole avec des origines africaines, europ¨¦ennes, asiatiques, nord-am¨¦ricaines, mais pourtant enti¨¨rement cr¨¦ole, continue d'¨ºtre un myst¨¨re pour beaucoup de pays de l'Atlantique Nord, id¨¦e qui a ¨¦t¨¦ pervertie par le contr?le h¨¦g¨¦monique qu'ils ont exerc¨¦ sur les empires et les territoires ¨¦loign¨¦s pendant 500 ans.
S'il veut cr¨¦er un nouveau monde qui met au centre du cosmos l'¨ºtre humain, le nouveau mill¨¦naire devra saisir pleinement la diversit¨¦ cr¨¦atrice de toute l'humanit¨¦ qui constitue la source de tol¨¦rance, de g¨¦n¨¦rosit¨¦ de l'esprit, du respect de l'autre. La patience est ¨¦galement n¨¦cessaire pour promouvoir le d¨¦veloppement humain qu'incarnent tous les nobles objectifs des d¨¦clarations de l'ONU. Cette patience fait partie de la vie des membres de la Diaspora africaine qui ont d? n¨¦gocier leur espace pour prendre place dans une ar¨¨ne o¨´ les chances sont loin d'¨ºtre ¨¦gales.
C'est pourquoi la Diaspora africaine est parfaitement ¨¦quip¨¦e ¨¤ prendre part au dialogue parmi les civilisations qui ont plant¨¦ le germe de la civilisation, avec le sens d'une justice r¨¦paratrice.
Ce dialogue, apr¨¨s tout, concerne la qu¨ºte de la paix, de la tol¨¦rance, de la justice, de la libert¨¦, du d¨¦veloppement durable, de la confiance, du respect et de la compr¨¦hension humaine, et ne devrait pas ¨ºtre per?u comme une menace mais plut?t comme une garantie de paix.
Pourtant, alors m¨ºme que je recommande cette attitude ¨¤ notre Diaspora africaine et au monde comme ¨¦tant la garantie d'un avenir s?r et dynamique, l'exp¨¦rience des ?ges me ram¨¨ne ¨¤ des propos empreints de sagesse*, immortalis¨¦s par Bob Marley dans une chanson intitul¨¦e ironiquement ? Guerre ? alors qu'elle parle de paix : ? Tant que la philosophie qui tient une race sup¨¦rieure et
une race inf¨¦rieure n'est pas finalement et de fa?on permanente
discr¨¦dit¨¦e et abandonn¨¦e, .
Tant que la couleur de la peau d'un homme aura
plus d'importance que celle de ses yeux,
Tant que les droits de l'homme ne seront pas garantis ¨¤ tous
sans distinction de race, .
Tant que ce jour ne sera arriv¨¦, .
Le r¨ºve d'une paix durable, d'une citoyennet¨¦ mondiale
et le r¨¨gne de la moralit¨¦ internationale ne resteront
que des illusions fugitives, poursuivies mais jamais atteintes. ?
Telles sont les nombreuses limites et actes inhumains laiss¨¦s par la traite atlantique des esclaves et l'esclavage. v * Par l'empereur Haile S¨¦lassi¨¦ I d'?thiopie, lors d'une allocution adress¨¦e ¨¤ l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale des Nations Unies le 4 octobre 1963. Adapt¨¦ de l'allocution adress¨¦e au Si¨¨ge de l'ONU le 25 mars 2007 ¨¤ l'occasion de la Comm¨¦moration
du bicentenaire de l'abolition de la traite transatlantique des esclaves.

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