1 d¨¦cembre 2007

On pose parfois cette question : les femmes vivant dans le monde musulman peuvent-elles jouir de droits ¨¦gaux ¨¤ ceux des hommes ? Leur culture et leur religion s'y opposent-elles ? Il faut d'abord rappeler que presque tous les pays ¨¤ majorit¨¦ musulmane sont signataires des accords internationaux en faveur de la promotion des droits de la femme. Ces accords comprennent la Convention sur l'¨¦limination de toutes les formes de discrimination ¨¤ l'¨¦gard des femmes (CEDAW), la D¨¦claration sur l'¨¦limination de la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes, la D¨¦claration et le Programme d'action de Beijing et d'autres accords connexes1.


Plus r¨¦cemment, ¨¤ l'occasion de la Journ¨¦e internationale pour l'¨¦limination de la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes (25 novembre 2007), le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de l'Organisation de la Conf¨¦rence islamique a ¨¦mis une d¨¦claration en ces termes : ? La c¨¦l¨¦bration de cette journ¨¦e est un rappel adress¨¦ ¨¤ la communaut¨¦ internationale de la r¨¦solution 54/134 de 1999 de l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale de l'ONU, reconnaissant la n¨¦cessit¨¦ d'am¨¦liorer la condition f¨¦minine. Le respect et le maintien des droits des femmes dans l'islam sont ¨¦nonc¨¦s dans ses principes les plus importants parce que l'islam reconna¨ªt la religion, les droits sociaux, ¨¦conomiques, l¨¦gaux et politiques des femmes. [.] Malheureusement, dans la plupart des soci¨¦t¨¦s, une grande majorit¨¦ de femmes, en particulier dans les pays en d¨¦veloppement et les pays les moins avanc¨¦s, continuent de faire face ¨¤ la discrimination et de subir l'injustice sociale et la violence2 ?.


Les engagements publics des ?tats ¨¤ majorit¨¦ musulmane contredisent explicitement le st¨¦r¨¦otype selon lequel les femmes musulmanes sont des victimes sans d¨¦fense et sans voix qui sont opprim¨¦es par leur culture et leur religion. Ce st¨¦r¨¦otype, qui n'est pas fond¨¦, est pernicieux quand il est institutionnalis¨¦ au travers des politiques et des lois, par exemple, quand les femmes se voient nier la jouissance de droits ¨¦gaux en tant que citoyennes, ¨¤ cause de leur culture et de leur religion suppos¨¦es.


Le rapport 2006 du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral, ?tude approfondie sur toutes les formes de violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes, note que ? la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes ne se limite pas ¨¤ une culture, une r¨¦gion ou un pays en particulier, ni ¨¤ des groupes sp¨¦cifiques de femmes dans une soci¨¦t¨¦3 ?. Ce point a ¨¦t¨¦ soulign¨¦ lors de la pr¨¦sentation du rapport ¨¤ la Troisi¨¨me Commission de l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale, qui notait qu'au moins une femme sur trois avait subi des violences ¨¤ un moment donn¨¦ de sa vie4. Il est clair que la violence et la discrimination sexistes sont des probl¨¨mes mondiaux qui ne touchent pas seulement les populations musulmanes.


Il est urgent de mettre en place des initiatives concr¨¨tes en faveur de l'¨¦galit¨¦ des sexes dans les communaut¨¦s musulmanes, afin d'emp¨ºcher que la revendication de leurs droits ne soit pas a priori prise en compte en raison de leur culture ou de leur religion. En tant que Pr¨¦sidente du Consortium Advisory Group, je suis fi¨¨re d'introduire les travaux du Consortium pour la recherche sur ? l'autonomisation des femmes dans le monde musulman (WEMC) ?. Il s'agit d'une initiative de plusieurs pays centr¨¦e sur l'autonomisation des femmes - revendications autochtones des droits et luttes pour instaurer les droits des femmes dans divers environnements musulmans - et affirmer ces droits en tant que principe irr¨¦vocable5. En outre, la revendication des femmes pour leurs droits n'est pas un ph¨¦nom¨¨ne moderne, mais a ¨¦t¨¦ document¨¦e tout au long de l'histoire musulmane6.


Malheureusement, ¨¤ ce point de jonction de l'histoire, le droit des femmes ¨¤ l'¨¦galit¨¦ des sexes est contest¨¦ ¨¤ la fois dans les soci¨¦t¨¦s musulmanes et non musulmanes par la radicalisation de l'agenda politique moderne des extr¨¦mistes, appel¨¦s couramment les ? int¨¦gristes ? religieux. Ayant recours ¨¤ la religion pour masquer leur agenda politique, ces extr¨¦mistes cherchent ¨¤ entraver la libert¨¦ des femmes en les excluant des groupes d'int¨¦r¨ºt. En m¨ºme temps, l'agenda des int¨¦gristes renforce la culture patriarcale existante qui soumet la femme ¨¤ l'homme. Les femmes qui r¨¦sistent ¨¤ ces lois impos¨¦es, sont condamn¨¦es, mises ¨¤ l'¨¦cart, menac¨¦es, violent¨¦es et d¨¦shumanis¨¦es, la culture et la religion servant de pr¨¦texte pour justifier la violence syst¨¦mique qui leur est inflig¨¦e.


Aussi, comme l'ont montr¨¦ le WEMC et le Fonds de d¨¦veloppement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), il est particuli¨¨rement crucial aujourd'hui de condamner le recours ¨¤ la culture et ¨¤ la religion comme pr¨¦texte pour justifier la soumission de la femme. Dans le cadre des cette initiative, UNIFEM a lanc¨¦ une campagne ? Dire non ¨¤ la violence ? et le WEMC a c¨¦l¨¦br¨¦ la Journ¨¦e internationale pour l'¨¦limination de la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes sur le th¨¨me ? Aucune excuse ¨¤ la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes ?. Ces campagnes cherchent ¨¤ sensibiliser l'opinion publique sur des strat¨¦gies visant ¨¤ mobiliser les ?tats, la soci¨¦t¨¦ et la communaut¨¦ internationale pour qu'ils refusent les justifications ¨¤ la violence faite aux femmes7.


Comme il est not¨¦ dans l'¨¦tude approfondie du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral sur toutes les formes de violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes : ? La tension accrue actuellement accord¨¦e aux questions de s¨¦curit¨¦ des ?tats a exacerb¨¦ la tension entre le relativisme culturel et la reconnaissance des droits fondamentaux des femmes, notamment leur droit de se pr¨¦munir contre la violence. Les politiques adopt¨¦es depuis le 11 septembre 2001 par de nombreux groupes et soci¨¦t¨¦s qui se sentent menac¨¦s et assi¨¦g¨¦s ont aggrav¨¦ les difficult¨¦s li¨¦es au recours au relativisme culturel. Cette tension rend particuli¨¨rement difficile de faire en sorte que les programmes internationaux et nationaux continuent d'accorder toute sa place ainsi que le rang de priorit¨¦ n¨¦cessaire ¨¤ la question de la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes. ?


Dans ce contexte, il est donc de la plus grande importance d'assurer que les d¨¦fenseurs des droits des femmes et le mouvement des femmes ne sont pas r¨¦duits au silence. Un tel silence rendrait acceptables les fausses revendications selon lesquelles les droits des femmes et l'¨¦galit¨¦ des sexes sont ¨¦trangers et ill¨¦gitimes au monde musulman et excuserait l'usage de la violence comme instrument de contr?le des femmes. Il est plus important que jamais de faire entendre la voix des femmes et de soutenir leurs strat¨¦gies nationales visant ¨¤ l'autonomisation individuelle et collective afin de soutenir la d¨¦mocratisation ¨¤ l'int¨¦rieur des soci¨¦t¨¦s. Cela favorisera le droit ¨¤ l'¨¦galit¨¦ des sexes en tant que droit ali¨¦nable de 600 millions de femmes qui constituent la moiti¨¦ des musulmans dans le monde.
Notes 1. La liste des signataires de ces accords se trouve sur plusieurs sites, par exemple sur Women Watch ().
2. Saudi Press Agency, Jeddah, 25 novembre 2007
().
3. Rapport du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral : ¨¦tude approfondie sur toutes les formes de violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes. Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale des Nations Unies, soixante et uni¨¨me session (6 juillet 2006).
4. ? La violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes ne se limite pas ¨¤ une culture, une r¨¦gion ou un pays en particulier, a indiqu¨¦ la Troisi¨¨me Commission dans le d¨¦bat sur la promotion de la femme ?, Soixante et uni¨¨me Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale des Nations Unies, Troisi¨¨me Commission, 8e et 9e r¨¦unions (matin et apr¨¨s-midi), (New York : D¨¦partement de l'information des Nations Unies, 9 octobre 2006).
5. Pour plus d'informations sur le WEMC, voir ().
6. F. Shaheed, Great Ancestors: women asserting rights in Muslim contexts (Lahore: Shirkat Gah/WLUML, 2007).
7. Voir WEMC ().
**Bamyan, Afghanistan, 2007. Trois jeunes filles dans le village de Bam Sarai pr¨¦parent un examen dans le cadre des efforts men¨¦s par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance et le gouvernement afghan pour accro¨ªtre de 20 %, d'ici ¨¤ la fin 2008, la fr¨¦quentation scolaire des filles dans le primaire.
Photo ONU/Shehzad Noorani


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