1 janvier 2009

Par Zlata Filipovi?, au nom des membres du R¨¦seau des jeunes touch¨¦s par la guerre (NYPAW) : Ishmael Beah (), n¨¦ en Sierra Leone, est l'auteur de A Long Way Gone, Memoirs of a Child Soldier. Il vit aux ?tats-Unis.

Kon Kelei (, n¨¦ au Sud-Soudan, est le porte-parole de War Child Holland. Il vit aux Pays-Bas.
Grace Akallo, n¨¦e au Nord-Soudan, est l'auteur de Girl Soldier: A Story of Hope for Northern Uganda's Children. Elle vit aux??tats-Unis.
Shena A. Gacu () qui s'appelait China Keitetsi, est n¨¦e en Ouganda et est l'auteur de Child Soldier: Fighting for my Life. Elle vit actuellement au Danemark.
Zlata Filipovi?, n¨¦ ¨¤ Sarajevo, en Bosnie, est l'auteur de Zlata's Diary: A Child's Life in Wartime Sarajevo. Elle vit en Irlande et participe ¨¤ des documentaires.
Emmanuel Jal (), n¨¦ au Soudan, est chanteur hip hop et fondateur de Gua Africa, une initiative pour l'¨¦ducation des enfants touch¨¦s par la guerre et la pauvret¨¦ en Afrique subsaharienne. Il vit au Royaume-Uni.


Je me souviens que je faisais une explication de texte lorsque, pour la premi¨¨re fois de ma vie, j'ai entendu des coups de feu, des sons qu'aucun enfant, o¨´ qu'il soit, ne devrait entendre. J'ai essay¨¦ de me concentrer sur mon devoir, inqui¨¨te de ce que le professeur pourrait dire le jour suivant. Ce fut mon dernier devoir pendant presque deux ans de conflit en Bosnie.
Mon ¨¦cole, ¨¤ Sarajevo, a ¨¦t¨¦ bombard¨¦e et ferm¨¦e et le mur de la classe de litt¨¦rature a ¨¦t¨¦ d¨¦moli par une bombe. J'avais laiss¨¦ des r¨¦dactions r¨¦dig¨¦es avec soin dans un casier qui a ¨¦t¨¦ bombard¨¦. Je ne sais pas ce qui est advenu de ma professeur - je ne l'ai jamais revue.
Nous connaissons les situations d'urgence : nous les avons ressenties dans notre chair, elles ont fait irruption dans notre vie, l'ont d¨¦truite, l'ont fait voler en ¨¦clats, l'ont fragment¨¦e. Elles ont vol¨¦ notre innocence, notre humanit¨¦, notre enfance, notre famille. Dans tous les cas, les conflits nous ont vol¨¦ l'un de nos droits de base en tant qu'enfant et jeune--le droit ¨¤ l'¨¦ducation. Ce fut la premi¨¨re chose qui nous a ¨¦t¨¦ ?t¨¦e quand les atrocit¨¦s ont commenc¨¦. La fermeture de l'¨¦cole ¨¦tait un signe que quelque chose n'allait pas.
Un jour, nous avons d¨¦laiss¨¦ nos stylos, abandonn¨¦ nos cahiers et d¨¦sert¨¦ les bancs. Les classes qui ¨¦taient d¨¦cor¨¦es de nos dessins, anim¨¦es par nos fous rires et nos mots pass¨¦s en douce sont devenues vides. La peur d'¨ºtre appel¨¦ au tableau pour r¨¦soudre un probl¨¨me de math et l'excitation de d¨¦couvrir la magie de l'¨¦criture ont disparu. L'apprentissage du jeu, de l'¨¦criture, le d¨¦sir de laisser une trace permanente dans ce monde nous ont ¨¦t¨¦ d¨¦rob¨¦s. Nos ¨¦coles sont devenues des abris, des centres de distribution de l'aide alimentaire. Elles sont devenues des ¨¦tablissements fant?mes bombard¨¦s, des lieux vandalis¨¦s, des entrep?ts d'armes, des d¨¦marcations des zones ennemies et des lignes de front.
Enferm¨¦e ¨¤ la maison, terrifi¨¦e par le monde ext¨¦rieur o¨´ la mort pouvait frapper ¨¤ tout moment, je lisais des heures durant, essayant de parfaire mon ¨¦ducation. Puis, un jour, des jeunes femmes du quartier ont cr¨¦¨¦ une ? ¨¦cole de guerre ?. Nous n'avions pas de classes, mais nous nous r¨¦unissions de temps ¨¤ autre lorsque les journ¨¦es ¨¦taient relativement calmes, et nous pouvions de nouveau ¨ºtre des enfants pendant quelques heures. Ces jeunes femmes ne pouvaient supporter de voir les enfants g?cher leur vie : elles nous ont offert leur temps et ont g¨¦n¨¦reusement partag¨¦ avec nous leur imagination, leur cr¨¦ativit¨¦ et leurs connaissances. Je ne les oublierai jamais, ainsi que ce qu'elles ont fait pour nous - et j'esp¨¨re que, confront¨¦e ¨¤ des circonstances similaires, j'agirai de la m¨ºme fa?on et embrasserai la noble profession d'enseignant.
Chaque jour, des enfants, comme moi, se cachent dans des greniers ou dans d'autres abris, vont dans les camps de r¨¦fugi¨¦s ou rejoignent l'arm¨¦e. Avec eux s'envole l'avenir de leur pays et du monde. Ils meurent, sont mutil¨¦s, traumatis¨¦s, bris¨¦s - tous des futurs leaders, fonctionnaires, intellectuels, p¨¨res, m¨¨res et enseignants.
Certains enfants ont la chance de survivre ou de s'¨¦vader. Mais, apr¨¨s la fin du conflit, comme pour tout traumatisme, la p¨¦riode de convalescence est longue. Elle se d¨¦roule en plusieurs ¨¦tapes, mais c'est l'¨¦ducation qui construit un avenir pour ces vies et ces pays fragment¨¦s, pour ces jeunes ¨¤ la vie bris¨¦e et ces maisons d¨¦truites.
Kon se souvient de ses premi¨¨res ann¨¦es ¨¤ l'¨¦cole apr¨¨s avoir d¨¦sert¨¦ l'Arm¨¦e de lib¨¦ration du peuple soudanais. Il n'¨¦tait pas agressif envers ses enseignants et ses camarades de classe, mais il ne leur faisait pas confiance. Pour lui, le seul moyen de r¨¦soudre un probl¨¨me ¨¦tait de se battre, comme bon nombre d''enfants soldats. Apprendre ¨¤ faire confiance ¨¤ ses enseignants et ¨¤ ses camarades lui a permis de s'en sortir - et de d¨¦couvrir une nouvelle fa?on de vivre. En tant qu'enfant victime de la guerre, l'¨¦ducation l'a aid¨¦ ¨¤ retrouver un sentiment d'humanit¨¦. Sans celui-ci, les cons¨¦quences de la guerre continuent de se faire sentir jusqu'¨¤ ce que la violence explose et fasse encore plus de victimes.
Lorsque Grace s'est ¨¦chapp¨¦e la premi¨¨re fois de l'Arm¨¦e de r¨¦sistance ougandaise du Seigneur, on avait d¨¦j¨¤ fait une croix sur sa g¨¦n¨¦ration, consid¨¦rant celle-ci comme une cause perdue. En Ouganda, ceux qui sont les plus exclus ou ? invisibles ? sont les fillettes qui tombent enceintes parce qu'elles ont ¨¦t¨¦ forc¨¦es de se soumettre. Leur avenir est bris¨¦. Grace est convaincue que l'¨¦ducation et les conseils psychologiques continus aident les enfants et les jeunes ¨¤ aller de l'avant et ¨¤ se faire de nouveaux amis, les encourageant ¨¤ poursuivre leurs efforts.
Sortant de la guerre en Sierra Leone, Ishmael a ¨¦t¨¦ aid¨¦ par de nombreux facteurs : le processus de r¨¦habilitation et une famille solide ont ¨¦t¨¦ les ¨¦l¨¦ments cl¨¦s. Sa gu¨¦rison holistique a ¨¦t¨¦ possible parce qu'il avait acc¨¨s ¨¤ l'¨¦ducation. ? l'¨¦cole, il a appris ¨¤ retrouver son humanit¨¦ perdue et ¨¤ r¨¦affirmer qu'il n'¨¦tait pas seulement capable de violence, comme il ¨¦tait arriv¨¦ ¨¤ le croire durant son enfance, mais aussi de bien d'autres choses.
L'¨¦cole est le lieu o¨´ nous r¨¦alisons notre potentiel, o¨´ nous devenons des ¨ºtres sociaux, o¨´ nous nous d¨¦veloppons en tant que membres de nos communaut¨¦s responsables, participants et empathiques. C'est apr¨¨s un conflit que l'on peut communiquer les dangers des mines terrestres, enseigner la pr¨¦vention contre le vhi/sida et semer les graines de la r¨¦conciliation. C'est apr¨¨s un conflit que l'on peut ¨¦changer des armes ¨¤ feu contre le savoir et la formation et o¨´ les messages de paix, les comp¨¦tences et le savoir s'entrem¨ºlent.
Si nous voulons assurer une paix durable, nous devons croire fermement que l'¨¦ducation doit ¨ºtre une partie int¨¦grale de chaque accord de paix, et une attention soutenue doit ¨ºtre accord¨¦e ¨¤ tous les projets ¨¦ducatifs ¨¤ la fois dans les pays en conflit et les pays sortant d'un conflit. L'¨¦ducation ouvre aux enfants victimes de la guerre le long chemin pour reconqu¨¦rir leur jeunesse, retrouver leur humanit¨¦ et d¨¦velopper leur contribution ¨¤ la soci¨¦t¨¦. Elle est aussi un antidote ¨¤ la violence. Elle donne aux enfants la capacit¨¦ de penser de fa?on positive et constructive en leur donnant les moyens de se transformer, et les aide ¨¤ construire et ¨¤ reconstruire leurs r¨ºves ou leurs espoirs.
Nous avons eu de la chance. Nous avons surv¨¦cu et avons tous pu r¨¦int¨¦grer l'¨¦ducation dans notre vie. Nous pouvons m¨ºme nous faire entendre aujourd'hui parce que nous avons tous eu la chance de retourner ¨¤ l'¨¦cole.
Chaque ann¨¦e, 750 000 enfants sont exclus de l'¨¦ducation ou sont priv¨¦s de leur droit ¨¤ l'¨¦ducation ¨¤ cause de catastrophes humanitaires diverses. Des millions d'autres n'ont pas mis les pieds dans une classe depuis des ann¨¦es. Avec un tiers de la population mondiale ?g¨¦e de moins de 15 ans, le droit ¨¤ l'¨¦ducation obligatoire et gratuite devrait ¨ºtre garanti aux enfants malgr¨¦ les guerres, les catastrophes naturelles, la pauvret¨¦, les maladies, les ¨¦pid¨¦mies et le rel¨¨vement apr¨¨s un conflit.
C'est pourquoi de nombreux enfants victimes de la guerre soutiennent des initiatives comme Save the Children dans le cadre de sa compagne R¨¦¨¦crire l'avenir dont le but est de convaincre les dirigeants mondiaux et les organisations internationales d'offrir aux enfants les possibilit¨¦s de poursuivre leur ¨¦ducation dans les ?tats fragiles, touch¨¦s par les conflits. Faites-nous confiance, nous savons de quoi nous parlons. On nous a arrach¨¦ nos stylos, mais nous les avons repris. Et maintenant nous avons une voix qui, nous esp¨¦rons, sera entendue alors que nous parlons au nom de ceux qui sont sans voix.

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