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À l’écoute de Hugh Masekela

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À l’écoute de Hugh Masekela

Afrique Renouveau / Michael Fleshman
Hugh Masekela interviewed by African RenewalUne icône du jazz sud-africain évoque les Objectifs du Millénaire pour le développement, Nelson Mandela et son grand-père.
Photo: Afrique Renouveau de l’ONU / Michael Fleshman

Hugh Masekela est connu pour sa virtuosité musicale et son franc-parler devant les micros. Lors d’un récent passage à New York, le trompettiste, chef d’orchestre et militant anti-apartheid nous a livré ces deux facettes de sa personnalité. C’était aussi l’occasion pour nous d’évoquer avec lui sa participation à l’enregistrement de la chanson et du clip vidéo de (8 buts pour l’Afrique) sponsorisés par l’ONU. La chanson vise à faire connaitre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Mais au cours de l’entretien de 20 minutes qu’il nous a accordé en coulisses, l’artiste chevronné - dont la carrière s’étend sur plus de 50 ans et comprend des dizaines de tubes et d’enregistrements classés en tête des hit-parades - a abordé de nombreux sujets: les OMD, l’anniversaire de Nelson Mandela, ou encore la question des frontières de l’Afrique.

Les OMD, adoptés en 2000 par l’ONU, ont fixé à 2015 l’échéance de la réalisation des huit principaux objectifs de développement, notamment la réduction de moitié de l’extrême pauvreté et de la faim, la lutte contre le sida et autres maladies, la diminution des taux de mortalité infantile et maternelle. L’Afrique a enregistré des progrès notables dans de nombreux domaines des OMD, mais, à cause de l’ampleur plus importante des défis que le continent doit relever, il n’atteindre probablement pas tous les objectifs. La chanson devrait bénéficier d’une large diffusion pendant la Coupe du monde en Afrique du Sud, contribuant ainsi à la mobilisation des téléspectateurs du monde entier en faveur de la campagne africaine pour la réalisation des objectifs.

Inspirer l’Afrique

Est-ce la raison pour laquelle M. Masekela a accepté d’y participer? “Il y a tellement d’enregistrements de ce type auxquels on demande ma contribution, répond-il. Mais… c’est toujours un honneur de participer à des projets comme celui-ci qui ont pour but d’inspirer l’Afrique”. C’était aussi une chance de jouer avec certains des musiciens les plus populaires du continent, notamment Baaba Maal, Angélique Kidjo, Oliver Mtukudzi et Yvonne Chaka Chaka, entre autres. “Je connais Eric Wainaina, qui a composé la musique”, précise Hugh Masekela avant d’ajouter: “C’est une très belle chanson qu’il a écrite avec Jimmy Dludlu. Nous sommes d’excellents amis.”

Lorsqu’on aborde des questions telles que de l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à l’eau potable, le trompettiste est plus prudent. “On n’a pas le pouvoir en tant qu’artistes”. Pour lui, le vrai changement exige une volonté et un leadership politiques, qualités qui manquent souvent aux hommes politiques du continent. “On nous a fait tant de promesses ”, soupire-t-il. “J’ose espérer pourtant que ce que nous faisons comme artistes et musiciens aboutira en fin de compte à quelque chose. Tant de promesses faites en Afrique restent des promesses. Et c’est bien dommage car les gens y croient vraiment”.

“Cela me fait mal, car j’ai 71 ans maintenant, et cette situation perdure depuis mon adolescence et n’a pas l’air de vouloir changer”, déplore-t-il encore. “En Afrique, mais dans la plupart des pays du monde aussi, la majorité des responsables politiques se remplissent les poches grâce au secteur industriel. Ces milieux-là ne cesseront jamais leur quête du profit. L’Afrique a besoin de la voix d’un seul chef qui dise au nom de tous que trop c’est trop… La meilleure chose qui pourrait arriver à l’Afrique, c’est qu’on puisse se débarrasser de nos frontières et que nos chefs n’agissent plus comme si les pays leur appartenaient… Quand on y pense, ce n’est pas nous qui avons créé les frontières ”.

Honorer Nelson Mandela

M. Masekela a quitté l’Afrique du Sud en 1960, au lendemain du massacre de Sharpeville. En 1987, sa chanson, Bring him back home, est devenue le refrain emblématique de la campagne internationale pour la libération de Nelson Mandela. Il ne pouvait donc qu’être heureux de la décision de l’ONU de décréter le 18 juillet Journée internationale Nelson Mandela. “C’est merveilleux. C’est merveilleux pour Mandela. C’est merveilleux pour un Africain d’être reconnu de cette façon… Mandela a été choisi comme symbole de la lutte de l’Afrique du Sud et s’est très bien acquitté de cette mission. Mais je ne suis pas seulement heureux pour lui; je suis heureux pour le peuple. C’étaient eux les véritables héros… Nombre d’entre eux ont sacrifié leur vie pour notre liberté”.

“On dit qu’il n’est pas resté longtemps à la tête du pays parce qu’il n’était pas assoiffé de pouvoir”, dit-il, faisant allusion à la décision de l’ancien président de se retirer après un seul mandat à la tête du pays. “Mais nous on voulait l’avoir comme notre chef. Personnellement, j’ai été déçu de le voir partir si vite. C’était un grand homme, mais il n’a jamais eu la chance d’accomplir ce qu’il voulait…”

“Je serai heureux le jour où les Nations Unies décideront de dédier une journée aux quelque deux milliards d’Africains du monde entier ”, explique encore Hugh Masekela qui inclut dans son décompte les Africains et à leurs descendants de la diaspora. “C’est une journée qu’il faudrait célébrer tous les premiers du mois, car la puissance du monde industriel repose, en grande partie, sur l’exploitation de l’Afrique”.

“Joyeux anniversaire, tata”

Mais la soirée n’a pas seulement tourné autour de la politique. M. Masekela s’est produit sur scène avec Somi, étoile montante du jazz, né aux États-Unis de parents africains. Le concert a combiné interludes musicaux et dialogue entre la star établie et la star en puissance sur la vie et l’art dans la diaspora africaine. Somi a parfois eu du mal à recentrer la conversation sur la culture, alors que Hugh Masekela régalait le public avec des plaisanteries et des histoires débitées à toute vitesse.

Après avoir tenté en vain d’écraser une mouche qui volait autour de sa tête, M. Makesela a confié au public qu’il croyait en la réincarnation et que la mouche qui tournait autour de lui devait être son grand-père décédé. Sans doute parce que, a-t-il ajouté d’un ton espiègle, la mouche faisait preuve de la même persévérance que son grand-père.

Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il dirait à M. Mandela à l’occasion de la journée internationale, qui tombe le jour de l’anniversaire des 92 ans du grand chef, M. Makesela a décoché son sourire légendaire et répondu “Bon anniversaire, tata”.

– Afrique Renouveau en ligne