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Après Gbagbo, nouveau départ pour la Côte d’Ivoire

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Après Gbagbo, nouveau départ pour la Côte d’Ivoire

Entretien avec Youssoufou Bamba, Ambassadeur de la Côte d’Ivoire à l’ONU
Africa Renewal
UN Photo / Mark Garten

L’arrestation le 11 avril de l’ancien Président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo à l’issue d’une semaine d’affrontements sanglants au cœur d’Abidjan a été accueillie avec jubilation par les partisans d’Alassane Ouattara, le Président reconnu par la communauté internationale. Afrique Renouveau s’est entretenu avec Youssoufou Bamba, l’ambassadeur ivoirien à l’ONU, quelques jours avant la fin des combats. Lors de cet entretien l’Ambassadeur Bamba a affirmé que son gouvernement avait l’intention de traduire M. Gbagbo en justice, il a dénoncé la passivité de la communauté internationale et a lancé un appel pour une intervention internationale d’urgence face à la crise humanitaire que traverse son pays.

Youssoufou Bamba, Côte d'Ivoire's Ambassador to the UNYoussoufou Bamba, Côte d'Ivoire's Ambassador to the UN
Photo: UN Photo / Mark Garten

Pour Youssoufou Bamba, peu avant son arrestation, M. Gbagbo s’est réfugié dans son bunker parce qu’il était acculé par les troupes du Président Ouattara. “Sonarmée était vaincue, ses généraux s’étaient rendus et ils étaient à court de munitions”. Et la raison pour laquelle le gouvernement a accepté une courte pause dans les combats afin de permettre le déroulement des pourparlers de reddition a également été résumée de manière très concise: “on ne voulait pas assister à un massacre. Après tout, ce sont des Ivoiriens aussi”.

M. Bamba a toutefois indiqué qu’après avoir provoqué la mort de centaines de civils et refusé de quitter ses fonctions de manière pacifique au lendemain de la victoire électorale de M. Ouattara, M. Gbagbo aura des comptes à rendre. “Il sera traité comme un prisonnier, car on lui a donné l’occasion de partir en gardant, si vous voulez, une certaine dignité (…) Il doit assumer toutes les conséquences de son obstination (…) Il est responsable de trop de crimes. Il comparaîtra certainement devant le Tribunal pénal international”.

Défense du rôle de la France

Youssoufou Bamba qui a par le passé occupé les fonctions d’ambassadeur de la Côte d’Ivoire en Autriche, au Royaume-Uni et aux États-Unis, a rejeté les accusations d’agression lancée contre la France, l’ancienne puissance coloniale. Paris maintient une garnison à Abidjan et possède des intérêts financiers considérables dans le pays. Des soldats français et de l’ONU ont pris pour cible l’artillerie lourde de M. Gbagbo au cours de la bataille d’Abidjan en vue de protéger les populations civiles – action autorisée par la Résolution 1975 du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Côte d’Ivoire. Des unités blindées françaises ont également participé aux combats qui ont abouti à l’arrestation de M. Gbagbo. “Je n’ai pas envie de me prêter au jeu de l’hypocrisie avec les médias internationaux’’, s’est insurgé M. Bamba en faisant allusion aux articles de presse qui ont fait état de la participation des soldats français aux combats aux côtés des troupes fidèles à M. Ouattara. “Il faut être clair….les ç sont intervenus en vertu du Chapitre Sept de la Charte des Nations Unies et conformément aux dispositions de la Résolution 1975. C’est ce qui doit être retenu et alimenter le débat”.

Massacres signalés

L’Ambassadeur Bamba a contesté les récits de massacres dans le nord et l’ouest du pays signalés par l’ONU, le Comité international de la Croix-Rouge et l’association caritative Caritas après la prise de ces régions par les troupes fidèles à M. Ouattara lors de leur offensive militaire vers Abidjan. “Les récits de massacres nous semblent très suspects car ils ont pour source Caritas. On sait que Caritas est complètement manipulé par M. Gbagbo. Tout le monde sait qu’il y a un prêtre connu de tous derrière ça (…) Il est profondément anti-Ouattara”. S’il y a eu des atrocités, a-t-il ajouté, “les individus impliqués n’ont rien à voir avec les FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, qui ont combattu pour M. Ouattara). Il faut être clair sur ce point. Nous nions toute participation des forces armées [FRCI] à de telles actions”.

L’Ambassadeur Bamba a reconnu que des récits de massacres de civils dans la ville stratégique de Duékoué, à proximité de la frontière libérienne, ont été rapportés également par la Croix-Rouge et des spécialistes des droits de l’homme de l’ONU et peuvent avoir été commis par des membres de milices ou d’autres forces irrégulières alliées à M. Ouattara, mais pas intégrés sous son commandement. “S’ils ont commis de tels actes, ce n’est pas à nous d’en prendre la responsabilité”.

Il a affirmé que le gouvernement avait dépêché sur place une équipe de juristes chargée d’enquêter sur ces accusations et d’en faire rapport dans les 15 jours. “Le Président Ouattara entend exercer ses fonctions dans le respect de l’état de droit. Il n’est pas question de tolérer des exactions ou des infractions. Les auteurs de tels actes, s’ils sont coupables, seront déférés à la justice”. L’ambassadeur a également promis la pleine coopération des autorités avec les enquêteurs internationaux, en déclarant : “ nous sommes ouverts à l’enquête internationale. Nous y sommes favorables”.

La réconciliation, “une tâche immense”

L’ambassadeur a reconnu que la persistance des tensions entre le Nord à majorité musulmane et favorable à M. Ouattara et le Sud chrétien et pro-Gbagbo constitue une préoccupation de taille. “Nous savons que la tâche est immense. Même en pleins combats, on avait ordonné à nos troupes de protéger les civils, de respecter les droits de l’homme et, par-dessus tout, de traiter avec ménagement nos frères d’armes (les hommes de Gbagbo). Nous sommes un même peuple”.

Dans l’immédiat, poursuit M. Bamba, la réconciliation consiste à “envoyer des messages de modération et de raison à nos adversaires en leur disant: Vous avez perdu, allez en paix maintenant. Vous serez traités de manière humaine, conformément au droit international (…) Il nous faut, pour ainsi dire, faire du lavage de cerveaux à l’envers, car ils ont été endoctrinés dans le mal. Ils ont été manipulés par des messages de haine”.

“Il nous faut répandre la parole de tolérance (…) Il faudrait tout faire sanctionner par le droit. Personne ne doit se faire justice soi-même (…) C’est très difficile à obtenir car les gens sont animés de l’esprit de revanche. Ils ont subi des massacres, des tueries et des exactions des mains des partisans de M. Gbagbo”, explique l’ambassadeur. “Mais nous leur avons fait savoir qu’il ne fallait pas se venger”. Il a également confirmé l’intention du Gouvernement Ouattara d’établir une commission Vérité et réconciliation pour encourager le pardon.

Gouvernance ouverte et efficace

“Mais avant tout”, souligne l’Ambassadeur Bamba, “le gouvernement mis en place sera un gouvernement ouvert, représentatif de toutes les forces politiques et mouvances de la société civile (…) Tout le monde devrait s’y joindre car la tâche de reconstruction est immense. C’est pourquoi nous sommes disposés à accueillir au sein du gouvernement des éléments issus de partis différents. Les partisans de M. Gbagbo qui n’ont pas commis des exactions, des violations des droits de l’homme et des délits économiques seront les bienvenus (…) Ces élections ont représenté un progrès décisif. Elles ont été très justes, libres et ouvertes. On ne peut plus aller en arrière”.

L’Ambassadeur Bamba a précisé à Afrique Renouveau que son gouvernement poursuivrait également une politique d’intégration sociale – sujet délicat dans un pays où les tensions entre les Ivoiriens “de souche” et les migrants, alimentées par la propagande xénophobe des médias contrôlés par les partisans de M. Gbagbo, en ont fait une question explosive. “Vous devez comprendre que la Côte d’Ivoire compte 21 millions d’habitants, dont un tiers, je crois, est originaire des pays voisins. Il nous faut donc considérer la nationalité plutôt que l’origine nationale, qui est ….une chose très raciste”.

Les contentieux fonciers, source de violence communautaire dans l’ouest du pays, “devraient être considérés à la lumière de la réalité d’aujourd’hui”, souligne l’Ambassadeur. “Imaginez les jeunes Burkinabè qui sont là depuis trois ou quatre générations. Ils sont nés en Côte d’Ivoire et n’ont rien à voir avec le Burkina Faso, mais sont de culture burkinabè. Si le père achète une terre et meurt, il est tout à fait normal que son fils en hérite, mais la loi actuelle ne le permet pas car le gamin n’est pas Ivoirien…Ce n’est pas juste”.

Appel à l’aide

L’Ambassadeur Bamba a également lancé un appel pour une augmentation de l’aide humanitaire aux victimes de la violence. Les gouvernements donateurs, a-t-il dit, “devront se mobiliser comme ils l’ont fait pour soutenir la démocratie et la volonté du peuple de la Côte d’Ivoire. La situation humanitaire est très difficile. Il manque de tout – alimentation en eau, systèmes d’assainissement, vivres, services de premiers secours. Les personnes déplacées devraient rentrer chez elles (…) Il faudrait s’en occuper rapidement. C’est pourquoi je saisis l’occasion de cet entretien pour lancer un appel [à la communauté internationale] pour qu’elle vienne en Côte d’Ivoire pour atténuer les souffrances de la population”.

L’ONU estime à un million le nombre d’Ivoiriens qui ont fui les combats à Abidjan uniquement, joignant des centaines de milliers de leurs compatriotes comme réfugiés au Libéria voisin et dans d’autres pays, ou dans des camps de fortune pour personnes déplacées à l’intérieur du pays. Le flot de populations civiles a submergé les opérations de secours en cours et les représentants de l’ONU signalent que les appels au financement d’urgence n’ont trouvé que peu d’échos dans les pays donateurs.

M. Bamba reste toutefois convaincu du soutien continu de la communauté internationale. “Ils y répondront sans aucun doute, c’est certain. En attendant”, précise-t-il, ”le Président Ouattara a lancé un plan d’urgence de 45 milliards de francs CFA [environ 100 millions de dollars] pour satisfaire aux besoins de première nécessité – eau, infrastructures sanitaires et de base et assainissement – afin d’empêcher la propagation d’épidémies. On a fait ça, mais la contribution de la communauté internationale reste tout de même indispensable pour faire face à ce problème très pressant”.

La communauté internationale, “sorte de complice”

L’ambassadeur a toutefois eu une critique à formuler à la communauté internationale. L’ampleur des souffrances et de la destruction, a-t-il affirmé, aurait été moindre si le reste du monde avait agi plus tôt. “Il est malheureux que la communauté internationale ne connaisse pas mieux M. Gbagbo. Ils l’ont traité comme s’il s’agissait d’un homme d’État normal (…) Mais parce qu’elle ne connaissait pas M. Gbagbo, la communauté internationale a été en quelque sorte complice de ces massacres”, en essayant pendant si longtemps de négocier son départ.

La destitution de M. Gbagbo “aurait dû se produire il y a longtemps”, a dit en conclusion M. Bamba. “Cela aurait épargné de nombreuses vies. Des tas de gens seraient encore en vie pour célébrer l’émergence de la démocratie en Côte d’Ivoire”.

—Afrique Renouveau en ligne