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Une radio communautaire aide les quartiers défavorisés

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Une radio communautaire aide les quartiers défavorisés

Cette nouvelle voix a permis aux habitants de Korogocho d’initier des réformes
Afrique Renouveau: 
Nairobi
Africa Renewal / Ernest Harsch
Des animatrices préparent leurs émissions dans les studios de Koch FM, la première radio communautaire à obtenir une licence au Kenya. Photo: Afrique Renouveau / Ernest Harsch

Korogocho, un bidonville situé dans le nord-est de Nairobi, possède nombre des ingrédients propices à une explosion politique semblable à celles qui ont secoué d’autres régions du Kenya au début de l’année 2008. Surpeuplé, ce bidonville est très pauvre et sa réputation en matière de criminalité n’est plus à faire. Pour la plupart de ses 100 000 habitants, l’avenir ne s'annonce guère réjouissant. Mais, lorsque, à la suite d'élections contestées, de violentes manifestations ont éclaté à Mathare et dans les bidonvilles proches causant la mort de centaines de personnes et la fuite de nombreuses autres, le calme a continué de régner à Korogocho.

Une bonne partie du mérite en revient aux activistes qui exploitent Koch FM, première station de radio communautaire à avoir vu le jour au Kenya. Alors que les tensions politiques s’accentuaient dans le pays du fait que l’opposition contestait les résultats de l’élection, «on s’attendait à ce que Korogocho explose,» se souvient Tom Mboya, le responsable de Koch FM. Pour éviter que ce ne soit le cas, les activistes de la station se sont hâtés de demander aux responsables religieux et à d’autres figures influentes d’enregistrer des appels au calme. Les enregistrements, qui insistaient sur le fait que des voisins de longue date n’avaient aucune raison de se battre entre eux, ont été diffusés à la radio plusieurs fois par jour. «Ces messagesont obtenu l’effet escompté», expliqueM. Mboya. Ils ont convaincu les gens etont permis de calmer la situation».

Par ailleurs, explique Léonard Njeru, un autre employé de la station, les habitants de Korogocho ont répondu aux appels lancés à la radio en faisant don notamment de nourriture et de vêtements pour venir en aide aux victimes des violences dans d’autres lieux. La majorité de ce qui a été collecté à Korogocho a été distribué aux personnes déplacées qui s’étaient réfugiées dans une église de Mathare, au Nord.

Cette expérience est un bon exemple de “prévention des conflits” au niveau communautaire, a estimé un groupe de spécialistes des conflits et de la sécurité qui s’est rendu à Korogocho à la suite d’une réunion organisée par le Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique de l’ONU.

Se faire entendre

En créant Koch FM (Koch est le diminutif de Korogocho), M. Mboya et ses collègues étaient animés du désir d’améliorer l’image de la communauté — auprès des habitants aussi bien que des observateurs extérieurs. La population de Korogocho– l’un des bidonvilles les plus pauvres de Nairobi, qui connaît des taux de chômage, de consommation de drogues, et de viol très élevés — est souvent stigmatisée, explique M. Mboya. L’école primaire de Korogocho a même dû changer de nom pour que l’on ne sache pas que ses élèves viennent de cette région.

A l’origine, les activistes de la communauté voulaient réaliser un documentaire qui montrerait les côtés positifs de la vie à Korogocho. Mais ils ne disposaient pas des fonds nécessaires et une autre idée a été proposée : créer une station de radio. «C’était simple», fait remarquer M. Mboya. Il suffit d’un ordinateur, d’un micro, d’une table de mixage et d’un émetteur».

Cependant, il a fallu franchir un certain nombre d’obstacles afin de concrétiser cette simple idée. Au Kenya, le règlement en matière de radiodiffusion ne concernait à l’époque que les stations publiques et commerciales, et les permis de diffusion étaient excessivement chers. Les défenseurs du projet ont donc lancé une campagne d’information et ont bénéficié d'une couverture médiatique positive dans d’autres médias kényans ainsi qu’à la BBC et à Radio Netherlands. En décembre 2006, la Commission des communications du Kenya a fini par accorder une licence à la radio, qui est devenue la première radio communautaire du pays. Inspirées par Koch FM, d’autres stations ont depuis vu le jour.

Une organisation non gouvernementale qui a pour nom l’Aide de l’Église norvégienne a donné de quoi financer la transformation d’un vieux conteneur maritime en locaux pour la radio. Une aide de l’Initiative pour une société ouverte a permis de rénover la structure et de remplacer un vieil émetteur improvisé par un appareil plus professionnel.

Afin d’élaborer la grille de diffusion, le personnel de la radio a consulté directement les habitants de Korogocho. Les programmes portent maintenant sur les femmes et les enfants, les jeunes, la santé, l’environnement, le VIH/sida, la gouvernance politique et d’autres questions ; ils incluent aussi des émissions musicales dans lesquelles se produisent des musiciens locaux. Le maître mot de la radio est «édutissement» — l’éducation par le divertissement. La station émet 24 heures sur 24 : les présentateurs sont dans les studios de 6 heures du matin à minuit et de la musique enregistrée est diffusée tout au long de la nuit.

Des campagnes enfaveur du changement

Les contacts entre la station de radio et les habitants ont contribué à modifier la dynamique politique au sein de la communauté. Auparavant, chacun des neuf villages composant Korogocho possédait un bureau des jeunes partisans de l’ancien parti au pouvoir, où les habitants étaient souvent brutalisés. En collaboration avec plusieurs associations locales, Koch FM a organisé une campagne publique qui a conduit à leur fermeture.

Chaque village était également administré par un «notable» nommé par le chef de la région. La station a mobilisé l’opinion en faveur d’élections. «A l’heure actuelle, les représentants des neuf villages sont directement élus par les membres de la communauté», indiqueM. Mboya.

Jusqu’alors, les habitants du bidonville subissaient différentes sortes d’impôts illégaux. Ceux qui voulaient améliorer l’état de leur cabane, en installant par exemple un nouveau toit en tôle, devaient verser au chef une «taxe de réparation». Cette somme dépassant souvent le coût de la réparation, les habitants avaient peu de raisons de rénover leur cabane, d’autant que celle-ci était louée. De plus, les vendeurs à la sauvette, dont beaucoup sont des femmes, devaient payer une taxe quotidienne pour «occupation de l’espace».

Koch FM a invité à l’antenne des avocats de Kituo cha Sheria, une organisation non gouvernementale spécialisée dans l’aide juridique, pour qu’ils expliquent que ces taxes n’avaient aucun fondement légal. Une fois que les habitants en ont été conscients, ils ont refusé de payer. Le prélèvement de ces deux taxes a rapidement cessé.

Les programmes éducatifs diffusés à la radio à destination des jeunes des deux sexes sont destinés à sensibiliser aux droits des femmes. Les cas de viols signalés ont alors diminué. Grâce à des dîners de charité et à d’autres activités de collecte de fonds organisés par la station, il a été possible
de recueillir l’argent nécessaire pour permettre à des jeunes femmes depoursuivre leurs études.

Demander des comptesaux dirigeants

La station contribue régulièrement à l’organisation de forums publics qui ont lieu dans la salle communautaire — ou, s’il y a beaucoup de participants, devant celle-ci — et qui abordent des problèmes urgents. L’une des préoccupations dominantes est l’emploi des fonds alloués par le gouvernement à Korogocho par le biais d’un Fonds de développement des circonscriptions (CDF). Les députés étant chargés de superviser ce fonds, le député de la circonscription de Korogocho a été invité à venir dans le bidonville pour expliquer la manière dont l’argent est utilisé, mais il a refusé l’invitation. Il a perdu l’élection suivante et a imputé sa défaite à Koch FM.

Son successeur est, lui, venu à Korogocho pour écouter les revendications des habitants. Mais les choses ont peu évolué depuis et les habitants doutent que leur demande d’autorisation d’élire leurs représentants au sein du conseil d’administration du CDF soit acceptée.

Au Kenya, l’adoption d’une nouvelle constitution en 2010 a accru les droits fondamentaux et démocratiques dans divers domaines. Malheureusement, de nombreux Kényans ne sont toujours pas pleinement informés de ces droits. Koch FM a invité le président de la Cour suprême et des avocats de Kituo cha Sheria, notamment pour qu’ils expliquent les garanties qu’offre la nouvelle constitution.

De nouvelles élections devant se tenir prochainement (probablement au début de l’année 2013), les activistes redoutent une nouvelle flambée de violences. «Comment allons-nous protéger la paix au cours de l’élection à venir ?», s’interroge M. Mboya. Koch FM a répondu en organisant davantage de forums publics afin que les habitants puissent exprimer les ressentiments et les incompréhensions qu’ils peuvent éprouver. «Une fois qu’ils ont parlé, indique M. Mboya, ils se sentent visiblement soulagés».