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Le bazin : une mode rentable pour les Maliennes

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Le bazin : une mode rentable pour les Maliennes

Les tissus teints à la main sont appréciés et conquièrent les marchés
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Redux / Contrasto / Riccardo Venturi
Une fois teints, les tissus bazins sont séchés au soleil.  Photo: Redux / Contrasto / Riccardo Venturi

Le coton damassé teint à la main (encore appelé bazin) est la matière première de la mode malienne. Les chanteurs aveugles Amadou Bagayoko et Mariam Doumbia ont rendu hommage à ce tissu dans un album sorti en 2005, «ÌýBeaux dimanchesÌý», avec les paroles suivantes : «Ìý Le dimanche à Bamako, c’est le jour du mariage / Les hommes et les femmes ont mis leurs plus beaux boubous / Les bazins sont au rendez-vous / C'est le jour du mariageÌý». Ce titre est devenu la chanson à succès d’un album qui a remporté deux prestigieux prix de la BBC l’année suivante, dont le prix du meilleur album dans la catégorie «ÌýWorld musicÌý».Ìý

Deux aveugles qui chantent la beauté du bazin, des motifs floraux et des couleurs chatoyantes qui rendent les jeunes femmes si élégantes que les célibataires se précipitent pour les demander en mariageÌý? Le paradoxe a de quoi séduire.

Processus de fabrication

Teindre à la main le bazin est souvent un travail laborieux pour les femmes qui le fabriquent. Premièrement, elles importent le tissu - principalement en coton, mais parfois en soie ou en laine - d’Allemagne, des Pays-Bas ou de Chine. Puis, elles le découpent selon les dimensions standards. Elles font ensuite des nœuds à différents endroits, qui ne seront pas teints lorsque le tissu sera trempé dans des seaux de pigments et de fixateur. Quand le tissu ressort, il présente des spirales colorées, de grands ronds ou différents motifs. Pour le faire briller, il est ensuite trempé dans une solution d’amidon et mis à sécher sur des clôtures.

«ÌýTeindre un bazin à la main nécessite beaucoup d’effortÌý», explique Djénéba Diarra, qui vit à Badalabougou Ouest, un quartier de la capitale malienne reconnu pour sa teinture de haute qualité.

Maureen Gosling, réalisatrice américaine, produit en ce moment, en collaboration avec Maxine Downs, anthropologue, un film sur le bazin intitulé Bamako Chic: Threads of Power, Colour and Culture. Elles veulent montrer, explique Mme Downs, comment «Ìýdes femmes africaines se donnent les moyens de faire de leur créativité artistique et leur débrouillardise une force de réduction de leur pauvretéÌý».

Mme Downs s’est rendue au MaliÌýplusieurs fois pour rencontrer des femmes de ce secteur en expansion. «ÌýQuand je suis allée au Mali, j'ai été frappée par la résistance des femmes, leur capacité à créer quelque chose à partir de rien. Et par le nombre deÌýteinturières que j'ai vuÌý», raconte-t-elle à Afrique Renouveau.

Les Maliens ont toujours été connus pour leur fabrication de tissu et rivalisaient auparavant avec les Yorubas du Nigéria. Dans les années 1960, lorsque les colorants synthétiques sont arrivés en Afrique de l'Ouest, les Maliens ont appris à les utiliser en fonction de leurs préférences esthétiques. Depuis, les Nigérians se sont taillé un créneau dans la broderie, laissant aux Maliens la première place dans le secteur des tissus de haute qualité teints à la main.

Un secteur enÌýpleine croissance

Mme Downs précise que le bazin n'est pas seulement une mode. C’est aussi un secteur où les femmes réalisent des profits. Elles forment ainsi un groupe social très uni ayant un objectif socio-économique commun. «ÌýC'est comme une entreprise collective, très communautaire. Les femmes teignent les tissus avec leurs enfants, amis et d’autres membres de la famille. Elles les étalent sur les clôtures de leurs voisins pour les faire sécher, faisant ainsi du voisinage un grand espace publicitaireÌý», explique-t-elle.

Ce secteur fait également intervenir des importateurs de textiles, des vendeurs de teinture, des tailleurs, des banquiers et, finalement, des consommateurs. C’est une bonne nouvelle pour un pays classé par la Banque mondiale comme l'un des plus pauvres du monde. L'espérance de vie y est de seulement 51 ans, et le produit intérieur brut moyen par habitant de 691 dollars. Le pays se classe à la 175e place sur 187 pays dans l’Indice de développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement.

ÌýL'industrie du bazin est encore informelle. Selon Hannah Larsson qui a étudié la teinture des textiles au Mali, ceux qui y travaillent n’ont aucune immatriculation à effectuer. Cependant, la réussite entrepreneuriale des femmes dépend des micro-crédits d’organisations non gouvernementales comme Freedom from Hunger, basé aux États-Unis. Lancé en 1989, le programme Epargner pour le Changement au Mali de cette organisation a jusqu'à présent bénéficié à plus de 350 000 femmes maliennes, avec un financement total d’environ 7,5 millions de dollars. Selon Christopher Dunford, chargé d’études dans cette ONG, certaines de ces femmes travaillent dans la fabrication du bazin. Le programme offre des services de crédit et d’épargne abordables, avec des conditions de remboursement souples. Pour obtenir des crédits, ajoute M. Dunford, les femmes se regroupent pour ne pas être limitées par le faible montant de leur garantie. «ÌýElles forment en quelque sorte des groupes de solidarité. Elles se portent garantes les unes des autres et remboursent conjointement les prêtsÌý». Les ONG accordent des microcrédits par l’intermédiaire d’institutions locales de crédit, qui permettent aussi d’organiser les femmes en groupes.

Marchés incertains

Aussi prometteur que puisse paraître aujourd’hui ce secteur pour les femmes maliennes, elles craignent néanmoins que l'industrie textile nationale moribonde freine leur progrès. Les deux plus grandes entreprises maliennes de textile, Comatex et Batexci, toutes deux privées, sont dépassées par l’arrivéeÌýsur leur propre marché de produits moins chers et de meilleure qualité en provenance d’Europe et d’Asie.

En outre, du fait de la baisse mondiale du prix du coton, l’Afrique de l'Ouest peine à rester concurrentielle au niveau international. La production du coton au Mali est ainsi passée de 600 000 à 240 000 tonnes entre 2004 et 2011, et les producteurs de coton ne perçoivent que 30 cents par kilogramme. Moins de 2 % du coton malien est transformé sur place, le reste est exporté vers les pays développés et l’Asie, où il est traité et revendu à des négociants, y compris ceux de l’Afrique de l'Ouest.

La fabrication de bazin pose aussi certains problèmes sur le plan de la santé et de l'environnement. «ÌýLes femmes continuent à être atteintes de maladies respiratoires. Elles sont exposées au soufre qu'elles utilisent pour fixer la couleur au tissuÌý», souligne Mme Downs. Selon une étude réalisée par Mme Larsson, les restes de bains de couleur sont jetés dans le fleuve Niger, les caniveaux ou les puits d’infiltration des zones d’habitation, ce qui provoque «Ìýl’acheminement d’une quantité importante de composés vers les eaux de surface et les eaux souterrainesÌý». L’Agence gouvernementale pour l'environnement n’a que peu réussi à maîtriser l'impact environnemental de la teinture à la main.

Débouchés dans la régionÌý

A mesure que la popularité du bazin s’étend au-delà des frontières du Mali, les femmes redoublent d’effort. Beaucoup exportent déjà vers des pays comme le Sénégal et le Nigéria, et de plus en plus de commerçants étrangers font des achats au Mali. «ÌýAu Mali, lorsque vous arrivez au marché, vous entendez différentes langues ouest-africainesÌý», explique Mme Downs.

Il est logique de s’intéresser à l'énorme marché ouest-africain, qui compte 252 millions de personnes. Les Africains de l’Ouest aiment s’habiller avec soin et selon les traditions. Les dirigeants du Nigéria, du Mali, du Libéria et d’autres pays arborent souvent des tenues traditionnelles, par exemple lors des cérémonies officielles. Divers tissus et styles font régulièrement leur apparition pendant les mariages et autres grands événements, ainsi que dans les films africains. Lors de l'Assemblée générale des Nations Unies en octobre 2011, l’ample bazin du Premier Ministre malien Cissé Mariam Kaïdama Sidibé a attiré tous les regards.

La demande croissante de bazin a favorisé l'innovation. Les Maliennes proposent des couleurs plus exotiques et des produits de meilleure qualité. Mais le problème est qu’un commerce aussi croissant et rentable risque d’attirer des gens plus intéressés par le profit que par la qualité. «ÌýPourquoi ces femmes n’achètent-elles pas simplement des machines qui assureront la productionÌý?Ìý», s’interroge Oumar Damba, un créateur de mode de Bamako.

ÌýPas si vite, répond Mme Downs. La production industrielle nuirait au caractère unique des motifs du bazin, voire à la créativité des fabricants. «ÌýDepuis les années 1960, il a été question de savoir si l'industrie de la teinture à la main pouvait être modernisée. Il m’est difficile de répondre à cette questionÌý», ajoute-t-elle.

Pendant que les politiciens maliens font campagne pour l'élection présidentielle d’avril 2012, c’est à celui qui portera le plus beau bazin sur les panneaux publicitaires, les affiches et même les pages Facebook. Pendant ce temps, les femmes maliennes remplissent leur compte en banque, le sourire aux lèvres.