L'ambassadrice rwandaise Valentine Rugwabiza est l'une des rares repr茅sentantes permanentes africaines de leur pays aupr猫s des Nations Unies 脿 New York. Dans le cadre de la s茅rie Afrique Renouveau qui pr茅sente les femmes africaines repr茅sentant leur pays au si猫ge de l'ONU, elle s'est entretenue avec Zipporah Musau de ses priorit茅s, des d茅fis qu'elle a d没 relever jusqu'脿 pr茅sent et des raisons pour lesquelles elle plaide en faveur d'un plus grand nombre de repr茅sentantes permanentes. En voici des extraits :
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Afrique Renouveau : Commen莽ons par votre parcours jusqu'脿 ce poste. Comment s'est-il d茅roul茅 et quelles sont, selon vous, vos trois principales r茅alisations jusqu'脿 pr茅sent ?
Amb. Rugwabiza : Merci de nous donner l'occasion d'avoir cette conversation. Nous nous sentons chez nous 脿 Afrique Renouveau.
Je travaille depuis un peu plus de 30 ans maintenant. C'est une longue p茅riode, mais en Afrique, les gens sont fiers de l'芒ge avanc茅 et de ce qu'il signifie en termes d'exp茅rience et de sagesse. 听La majeure partie de ma carri猫re a 茅t茅 partag茅e entre le secteur priv茅 et la fonction publique - 脿 la fois dans mon propre pays et en tant que fonctionnaire international.
J'ai commenc茅 ma carri猫re professionnelle dans le secteur priv茅, o霉 j'ai pass茅 une dizaine d'ann茅es, puis j'ai cr茅茅 une entreprise au Rwanda, que j'ai codirig茅e avec une s艙ur. J'ai organis茅 et lanc茅 une association de femmes entrepreneures au Rwanda. Je suis 茅galement membre fondateur de la F茅d茅ration du secteur priv茅 au Rwanda. Cependant, l'influence et le r么le des femmes n'y 茅taient pas pr茅sents. Les femmes 茅taient actives dans le monde des affaires, m锚me dans les circonstances sp茅cifiques et difficiles de l'apr猫s-1994, mais leur r么le ne se refl茅tait pas dans la gestion de la f茅d茅ration 脿 tous les niveaux. Nous nous sommes donc organis茅s pour que les femmes soient repr茅sent茅es.
On m'a ensuite offert la possibilit茅 de repr茅senter le Rwanda aux Nations Unies 脿 Gen猫ve en tant que repr茅sentante permanente et ambassadrice. J'ai exerc茅 cette fonction pendant trois ans, puis j'ai 茅t茅 nomm茅e directrice g茅n茅rale adjointe de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), devenant ainsi la premi猫re femme 脿 occuper ce poste. Vous pouvez donc imaginer 脿 quel point je suis ravie en ce moment, car nous avons la premi猫re femme directrice g茅n茅rale de l'OMC, Mme Ngozi Okonjo-Iweala.听
De l脿, je suis retourn茅e au Rwanda o霉 j'ai 茅t茅 nomm茅e ministre charg茅e des investissements, puis ministre des affaires d'int茅gration r茅gionale de l'Afrique de l'Est. C'est 脿 partir de l脿 que j'ai 茅t茅 nomm茅 脿 mon poste actuel, o霉 je suis depuis quatre ans.
Quel est, selon vous, le fil conducteur de ce parcours ?
Dans toutes les sph猫res de ma carri猫re - que ce soit dans le secteur priv茅, en tant que fonctionnaire international ou au niveau national - ce qui m'a toujours motiv茅, c'est une plus grande inclusion. Je crois fermement 脿 l'inclusion et je sais qu'un syst猫me, ou un pays, qui est exclusif ne peut 锚tre maintenu. Et j'esp猫re que c'est l'une des le莽ons que nous tirons de la pand茅mie mondiale de la COVID-19. Il faut se demander pourquoi les pays riches, qui disposent de tant de ressources, ont perdu tant de vies. C'est d没 脿 une seule raison : l'exclusion et les in茅galit茅s. Cela n'a rien 脿 voir avec la richesse, les ressources limit茅es ou les capacit茅s limit茅es 脿 prendre soin de la population. Les capacit茅s sont l脿, mais certaines personnes ont 茅t茅 structurellement et institutionnellement exclues. Lorsque vous avez un syst猫me fond茅 sur l'exclusion, d猫s que vous 锚tes frapp茅 par un d茅fi mondial, ces in茅galit茅s sont mises 脿 nu et expos茅es.
Donc, pour moi, c'est l'inclusion, principalement des femmes et des Africains. C'est l'inclusion des priorit茅s, des diff茅rentes pr茅occupations et des diff茅rentes perspectives. Si vos propres perspectives ne sont pas prises en compte, le r茅sultat mondial ou r茅gional ne peut pas fonctionner pour vous.
L'inclusion doit se faire d猫s le d茅part. Nous ne pouvons pas tout faire - la planification, les strat茅gies, et m锚me convenir des diff茅rentes ressources et des moyens de mettre en 艙uvre ces strat茅gies - et une fois que tout est pr锚t, nous invitons quelques Africains autour de la table. Ce n'est pas de l'inclusion, c'est de la superficialit茅.
C'est aussi l'inclusion des jeunes. Je ne veux pas dire que cela ne co没te rien. Il y a partout dans le monde une fa莽on pas tr猫s intelligente d'exclure les jeunes, comme les exigences en termes d'exp茅rience. Bien s没r, il faut investir du temps et des efforts pour les former et les pr茅parer. Si nous n'incluons pas les jeunes, si nous ne les formons pas et si nous ne veillons pas 脿 ce qu'ils disposent non seulement de plates-formes d'apprentissage, mais qu'ils comprennent 茅galement comment ils peuvent apporter leur contribution, alors vous ne pensez qu'脿 vous. Au moment o霉 vous quitterez vos fonctions, vous aurez peut-锚tre eu une grande carri猫re, oui, mais en termes de changement syst茅mique, vous n'aurez pas accompli grand-chose.
Quelles sont, selon vous, vos trois principales r茅alisations en tant que repr茅sentante permanente du Rwanda aupr猫s des Nations Unies, ici 脿 New York ?
Le Rwanda est l'un des principaux pays contributeurs de troupes des forces de maintien de la paix de l'ONU. Nous sommes en fait parmi les trois premiers pays contributeurs de troupes, avec environ 6 000 de nos femmes et hommes en uniforme d茅ploy茅s dans diff茅rentes missions de maintien de la paix.
Cela montre clairement que le maintien de la paix, la paix et la s茅curit茅 sont tr猫s importants pour nous, car cela a un rapport avec notre propre histoire. Au moment o霉 nous en avions le plus besoin [pendant le g茅nocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda], nous avons 茅t茅 abandonn茅s par la communaut茅 internationale, la mission de maintien de la paix qui se trouvait au Rwanda 脿 cette 茅poque a re莽u l'ordre du Conseil de s茅curit茅 des Nations Unies de partir.听
Je dois mentionner ici que, malgr茅 ces instructions, un contingent a d茅cid茅 de rester - les Ghan茅ens. Nous ne l'oublierons jamais, quel que soit le nombre de g茅n茅rations. 听Pour eux, nos vies comptaient. Ils n'ont pas emp锚ch茅 le g茅nocide, mais ils ont sauv茅 quelques milliers de vies.听
De m锚me, le regrett茅 capitaine Mbaye Diagne, un Casque bleu s茅n茅galais, a d茅cid茅 de ne pas partir et a perdu sa vie en sauvant des vies. Nous n'avons pas vu d'humanit茅 de la part de ceux qui 茅taient responsables du maintien de la paix et de la s茅curit茅. Non, nous avons vu l'humanit茅 de nos compatriotes africains, au p茅ril de leur vie. Alors, maintenant nous savons - dans nos c艙urs, dans nos esprits, nous tous - que c'est l'Afrique que nous devons vraiment prot茅ger. Nous devons 锚tre l脿 les uns pour les autres. Ainsi, pour nous, faire en sorte que la paix et la s茅curit茅 r猫gnent en Afrique est ce dans quoi nous avons investi et ce 脿 quoi nous apportons notre propre contribution, aussi petite soit-elle.
Nous avons 茅galement contribu茅 脿 renforcer le concept de protection des civils. Nous l'avons m锚me rendu un peu plus normatif gr芒ce 脿 ce que nous appelons les principes de Kigali sur la protection des civils - en fournissant des lignes directrices claires en mati猫re de protection dans des situations qui ne sont pas n茅cessairement aussi extr锚mes que le g茅nocide contre les Tutsis en 1994, et aussi comment pr茅venir [de telles situations], et surtout, comment prot茅ger au lieu d'abandonner les gens.
En outre, j'ai personnellement copr茅sid茅 avec succ猫s une r茅solution sur la r茅forme du pilier "paix et s茅curit茅" aux Nations Unies, qui met l'accent, entre autres, sur la pr茅vention et la d茅l茅gation de pouvoirs au commandant, 脿 ceux qui sont sur le terrain, et sur la n茅cessit茅 de s'assurer que nous sommes souples et que nous pouvons agir de mani猫re efficace.
C'est 茅galement 脿 cette 茅poque que, pour la toute premi猫re fois, il a 茅t茅 codifi茅 脿 l'Assembl茅e g茅n茅rale des Nations Unies que ce qui s'est pass茅 au Rwanda en 1994 茅tait un "g茅nocide contre les Tutsis" - initialement en 2018 et 脿 nouveau l'ann茅e derni猫re en 2020. Cela rev锚t une grande importance pour nous, car nous savons 脿 quoi peut conduire la d茅formation de l'histoire, ou le d茅ni de l'histoire. C'est le minimum que nous devons, d'abord aux survivants apr猫s avoir tant perdu, pour prot茅ger la dignit茅 de ceux que nous avons perdus, et 脿 l'ensemble de la soci茅t茅 rwandaise.
Quelle est, selon vous, la partie la plus difficile de votre travail jusqu'脿 pr茅sent ?
La partie la plus difficile de ce travail n'est pas propre au Rwanda. C'est un d茅fi qui est commun 脿 la plupart des d茅l茅gations africaines. Nous avons des 茅quipes tr猫s, tr猫s, tr猫s petites dans nos missions, et pourtant nous ne pouvons pas nous permettre d'锚tre absents parce que c'est la nature de la diplomatie - on influence par l'engagement. Ce probl猫me est commun 脿 environ 80 % des missions africaines ici 脿 New York. Si vous comparez la mission du Rwanda avec n'importe quelle mission europ茅enne, elles ont cinq ou six fois plus de diplomates, et pourtant les responsabilit茅s des 脡tats membres sont les m锚mes. Cependant, m锚me si nous avons de tr猫s petites 茅quipes, nous avons de grandes ambitions et nous apportons des contributions majeures.
Y a-t-il un autre d茅fi que vous aimeriez souligner ?
Pour ma part, je m'int茅resse 茅galement aux d茅fis auxquels sont confront茅s les pays africains. Il est tr猫s important d'avoir une coordination efficace avec ce qui se passe sur le continent, nous avons besoin d'un m茅canisme institutionnalis茅 de coordination. Comme vous le savez, le sommet des chefs d'脡tat de l'UA a lieu deux fois par an. Nous ne pouvons pas d茅pendre de ce sommet pour obtenir nos d茅cisions et les int茅grer ensuite dans les priorit茅s du Groupe africain. Nous devons disposer d'un syst猫me qui fonctionne sur une base plus permanente.
Pour l'avenir, quelles sont, selon vous, vos trois principales priorit茅s pour cette ann茅e 2021 ?
L'茅quit茅 en mati猫re de sant茅 et l'inclusion restent la priorit茅 absolue. En ce qui concerne l'茅quit茅 en mati猫re de sant茅, nous sommes tous t茅moins de ce qui se passe avec le vaccin COVID-19, l'茅quit茅 en mati猫re de vaccins est donc une priorit茅 absolue. Ce qui s'est pass茅 avec le vaccin COVID-19 est un barom猫tre pour savoir si la coop茅ration internationale fonctionne ou non. Et jusqu'脿 pr茅sent, le verdict est qu'elle est dysfonctionnelle. Cela signifie que nous devons nous assurer que ce que l'on appelle le "bien commun" est r茅ellement mis en 艙uvre en tant que bien commun. Mais plus sp茅cifiquement sur la sant茅, il s'agira de s'assurer qu'il y a une mobilisation pour la r茅silience de la sant茅, pour construire des syst猫mes r茅silients.
L'茅galit茅 des sexes et l'autonomisation des femmes resteront 茅galement une question importante pour nous. Nous sommes toujours rest茅s parmi les dix premiers champions de la campagne "He for She" [une campagne des Nations Unies sur l'茅galit茅 des sexes].
En outre, j'ai repris 脿 la fin de l'ann茅e derni猫re [2020] la copr茅sidence, avec le repr茅sentant permanent du Qatar, du Groupe d'amis sur la parit茅 des sexes, qui rassemble plus de 150 pays. Nous voulons nous assurer que la parit茅 entre les sexes que nous observons au sein du Secr茅tariat de l'ONU ne se limite pas aux postes de haut niveau. Oui, le Secr茅taire g茅n茅ral Ant贸nio Guterres a fait un excellent travail pour atteindre la parit茅 des sexes aux niveaux sup茅rieurs. Cependant, la v茅ritable parit茅 entre les sexes et la v茅ritable int茅gration se produisent au niveau de l'encadrement interm茅diaire. Il faut donc poursuivre ce travail et l'int茅grer dans les performances des cadres.
Vous savez probablement aussi que le Rwanda est souvent consid茅r茅 comme un "pays num茅rique". L'inclusion num茅rique restera donc une priorit茅 absolue pour moi et pour notre pays.
Je mentionnerai 茅galement un autre domaine : le d茅veloppement durable. Je co-dirige, avec quelques autres amis, un travail visant 脿 se remettre mieux et durablement de la pand茅mie de COVID-19, car elle a apport茅 tant de souffrances. Nous devons nous assurer que nous changeons notre fa莽on de faire les choses et que nous travaillons r茅ellement sur l'inclusion, la durabilit茅 et la r茅silience d'une mani猫re plus solide.
Et puis bien s没r, m锚me si je le mentionne en dernier, ce n'est certainement pas le moindre. La paix et la s茅curit茅 sont le fondement de tout, et nous devons nous assurer que nous apportons notre propre contribution 脿 la r茅solution des conflits sur le continent.
Il y a peu de femmes repr茅sentantes permanentes africaines aupr猫s des Nations Unies. Actuellement, parmi les pays africains, seuls l'Angola, le Tchad, l'脡rythr茅e, le Rwanda et l'Afrique du Sud comptent des femmes parmi leurs repr茅sentants permanents. Madagascar a 茅galement une femme en tant que Charg茅e d'affaires a.i. Que pensez-vous qu'il faille faire pour augmenter ce nombre ?
Eh bien, nous devons continuer, 脿 diff茅rents niveaux, 脿 sensibiliser nos propres dirigeants 脿 l'importance d'atteindre, sinon la parit茅, du moins une bien meilleure repr茅sentation dans notre diplomatie, non seulement dans la plus grande plateforme multilat茅rale, qui est New York, mais aussi dans d'autres plateformes multilat茅rales, comme Gen猫ve et Addis-Abeba.
Il est parfois important aussi d'exposer les chiffres, de partager les donn茅es sur la repr茅sentation f茅minine. Et d'ailleurs, ce n'est pas un probl猫me propre 脿 l'Afrique. Il y a quelques mois, j'ai rencontr茅 mon coll猫gue des Pays-Bas. Et bien que les Pays-Bas aient 茅t茅 de fervents d茅fenseurs de l'茅galit茅 des sexes, l'ambassadeur actuel des Pays-Bas est la toute premi猫re femme ambassadrice aupr猫s des Nations Unies. Et ce n'est pas un cas isol茅. Bien s没r, nous nous int茅ressons davantage au continent africain, mais vous serez surpris de constater que nous nous en sortons mieux que d'autres r茅gions. Je dirais m锚me que la seule exception est les Cara茂bes, qui s'en sortent tr猫s bien en ce qui concerne la repr茅sentation r茅elle des femmes 脿 des postes de direction.
