Afrique de l’Ouest : des rails pour le commerce inter-régional
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Afrique de l’Ouest : des rails pour le commerce inter-régional
Sur la route à deux voies qui relie l’aéroport principal au centre-ville de Niamey, la capitale du Niger, des ouvriers sont occupés à creuser des tranchées au milieu duÌý terre-plein,Ìý où naguère des lampadairesÌý éclairaient la voie. En une course contre la montre, ils posent les rails d’un tronçon d’un millier de kilomètres d’un réseau ferroviaire régional qui reliera Niamey au port de Cotonou au Bénin sur le littoral atlantique ouest-africain. Les travaux devraient être achevés d’iciÌýà la fin de 2015.
«Nous avons attendu si longtemps que le train arrive», a déclaréÌý le Président nigérienÌý Mahamadou Issoufou. C’était par une journée humide d’avril 2014Ìý au lancement des travaux. Accompagné de ses homologues du Bénin et du Togo il est monté dans une locomotive toute neuve pour y faire le tout premier voyage du train –symbolique au demeurant. Ce voyage n’a duréÌý que quelques minutes. «L’histoire est en marche »Ìýa ajoutéÌý le Président Issoufou.
L’idée d’un de chemin de fer allant d’Abidjan en Côte d’Ivoire à Lomé au Togo n’est pas nouvelle. Le réseau devrait renforcer les échanges commerciaux entre le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Niger et le Togo. Mais après de nombreux retards, le projet est de nouveau sur les rails suite à la décision du Conseil de l’ententeÌý – la doyenne des organisations ouest-africaines de coopération— de faire démarrer les travaux de construction. Dès avril 2014, le Bénin et le Niger ont entamé des travaux sur leurs tronçons. Le Burkina Faso et le Togo devraient s’y mettre également.
Transport routier lent et coûteux
Pays enclavé, le Niger dépend des infrastructures portuaires et routières des pays voisins pour ses importations et exportations. Une grande partie de ses échanges transitent par les ports de Cotonou et Lomé.
Le transit routier sous-régional était naguère peu fiable. Cependant, la situation s’est progressivement améliorée avec la réhabilitation des corridors d’échanges commerciaux et le démantèlement de nombreux barrages policiers qui ralentissaient la circulation et servaient à rançonner les camionneurs. Pourtant, même dans ces nouvelles conditions, un voyage en voiture privée entre les villes de Niamey et de Cotonou peut prendre jusqu’à 18 heures alors que la distance est d’environ 1050 km. Pour le transport de marchandises, le temps passé sur la route peut être encore plus long : trois à quatre jours.
En 2011, une étude des infrastructures au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)Ìý avait révélé que la vélocité moyenne du fret routier régional était de 9,6 km/ par heure – presque la moitié de ce qu’elle est en Afrique australe. L’étude, un projet de la Banque mondiale à travers le diagnostic des infrastructures nationalesÌý en Afrique (Africa Infrastructure Country Diagnostic), a aussi révélé que le transport routier y était plus cher que dans le reste de l’Afrique et dans les autres pays en développement. Ainsi, le transport d’une tonne de fret routier coûtait 0,08 dollar par kilomètre alors queÌý dans le reste des pays en développement ces coûts ne sont en moyenne que de moitié.
Accélérer les échanges
Pour les pays enclavés du Sahel comme le Burkina Faso et le Niger, le projet ferroviaire régional devrait réduire le temps de transit des marchandises et les prix des biens de consommation parce que la plupart des importations serontÌý acheminées par le train. Ces pays espèrent aussi accélérer l’exportation de leurs ressources naturelles.
Les ressources minières du Niger représentent plus des trois-quarts des exportations mais elles ne contribuent que peu au produit intérieur brut (PIB) du pays. Selon Oxfam International, une organisation caritative britannique, les exportations d’uranium du Niger, qui constituaient 71% des exportations totales du pays en 2010, n’avaient contribué que de 5,8% au PIB.
Le gouvernement nigérien prévoit de quadrupler les revenus tirés de l’uranium au cours de la prochaine décennie. Les autorités reconnaissent que la réduction des coûts de production est essentielle à la maximisation des profits et des revenus fiscaux. Cela exigerait de faire acheminer l’uranium par les rails vers le port de Cotonou, plutôt que de continuer à le faire transporter par la routeÌý sur 2 000 kilomètres depuisÌý la région d’Agadez dans le nord du pays.
Dès 2013, une étude réalisée par le Conseil de l’entente, projetait que les exportations minièresÌý pour l’ensemble de ses pays membresÌý passeraient de 109 200 tonnes par an sur la période 2012-2020 à 3,4 millions de tonnes par an sur la période 2020-2030.Ìý Le réacheminement des marchandises vers le Niger et le Nigéria représentant 90% des activités du port de Cotonou, le Bénin devrait, lui aussi, tirer profit de l’amélioration des infrastructures de transport.
A Niamey, tout le monde n’est pas convaincu que la construction du réseau ferroviaire soit une priorité. En mai 2014, des représentants de la société civile se sont publiquement opposés au projet en estimant que le Niger ferait mieux d’utiliser ses ressources à garantir la sécurité alimentaire de ses populations et à réduire les niveaux de pauvreté. Le pays est classé dernier à l’indice de développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Le gouvernement, cependant, a le soutien de la coalition des partis de l’opposition.
« Notre conviction est qu’un chemin de fer est très important pour le désenclavement de notre pays. Mais l’envisager frénétiquement sur les (premiers) 140 km…, nous parait surprenant», a déclaré Seini Oumarou, le chefÌý de l’opposition.
Les prochainesÌý élections générales au Niger sont prévuesÌý pour le début de l’année 2016 et M. Oumarou soupçonne les autorités d’«opportunisme politique» parce que le président Issoufou a promis de se rendre enÌý train aux cérémonies commémorant l’indépendance du Niger, le 18 décembre.
Financements innovants
Au départ de Niamey, le nouveau rail devrait rejoindre un sous-réseau déjà existant au Bénin voisin. Le tronçon ainsi créé, fera partie d’un projet plus grand de boucle ferroviaire qui remontera à Abidjan (Côte d’Ivoire) , avec l’ajout d’une ligne côtière partant de Lagos et passant par Cotonou (Bénin), Badagry (Nigéria), Lomé (Togo) etÌý Accra (Ghana).
Le coût de la partie en construction entre le Bénin et le Niger est estimé à 1,6 milliard de dollars – une somme qui a longtemps dissuadé les investisseurs. Cependant, les gouvernements ont commencé à chercher une alternative à travers des financements innovants. En raison du potentiel économique de ces projets et des projections de croissance économique durable de l’Afrique, les autorités régionales sont plus désireuses de laisser les investisseurs privés prendre le contrôle des «infrastructures stratégiques» pour aussi longtemps qu’il leur est nécessaireÌý afin de récupérer leurs investissements initiaux et de faire des profits. Désormais, les autorités invitent le secteur privé à investir par le biais de concessions du type : construire, exploiter et transférer (BOT, Build, Operate and Transfer en anglais). Ces arrangements permettent aux investisseurs privés de réaliser l’ouvrage, et de l’exploiter pour leur propreÌý compte dans un premier temps avantÌý d’en céder l’exploitation et la propriété au gouvernement.
Bolloré Africa Logistics (BAL), la société française qui a remporté le contrat de la partie Bénin --Niger, exploite actuellement des concessions de service public en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso à Ìý travers une filiale, la Société internationale de transport africain par rail (SITARAIL).
Une fois la ligne ferroviaire côtièreÌý terminée, l’ensemble du réseau ouest africain feraÌý 3 000 km de long avec 1 200 km de voies nouvelles, en plus des 1 800 existants qui doivent être remis en état. D’autres pays de la région cherchent à bénéficierÌý d’arrangements BOT similaires. Les dirigeants du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Nigéria et du Togo ont récemment appelé à la fois BAL et Pan-Africain Minerals, une société minière basée au Royaume-Uni, à financer le tronçon côtierÌý reliant la Côte d’Ivoire au Nigéria. Le coût prévu de ce projet ferroviaire est d’environ 58,9 milliards de dollars.