Ebola : aux prises avec un virus mortel
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Ebola : aux prises avec un virus mortel
C’est terrifiant de voir une personne atteinte du virus Ebola. Sharon Washington, une employée du Ministère libérien des affaires étrangères, s’était mariée en janvier dernier lors d’une cérémonie haute en couleurs à Monrovia, la capitale. L’auteurÌý de ces lignes a assisté au mariage. Plus tard, Mme Washington s’occupera de la santé de sa sÅ“ur. Elle avait eu une légère fièvre puis s’était affaiblie avant de commencer à ressentir d’intenses douleurs musculaires, des maux de tête chroniques puis des maux de gorge. S’ensuivirent des vomissements, des diarrhées, des éruptions cutanées, une détérioration de la fonction rénale et hépatique, des hémorragies internes et externes par tous les orifices du corps (bouche, yeux et oreilles). Elle finira par mourir. C’était Ebola. Par la suite, Mme Washington testera positive pour le virus. Tragiquement, elle aussi succombera peu de jours après.
Bien avant l’épidémie d’Ebola en cours, les citoyens aisés des trois pays les plus touchés : la Sierra Léone, le Libéria et la Guinée, se faisaient souvent soigner à l’étranger. Certains se rendaient dans les meilleurs hôpitaux du continent comme le Centre hospitalier universitaire Korle Bu au Ghana et dans d’autres centres au Sénégal et en Afrique du Sud tandis que les plus riches allaient en Europe ou aux États-Unis, où les hôpitaux sont encore mieux équipés.
Nombreux sont les Africains qui se méfient du système de santé de leur pays en raison de la grave pénurie de médecins, d’infirmiers, d’autres professionnels de la santé, de centres et d’équipements médicaux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte, par exemple, qu’avec 4,2 millions d’habitants, le Libéria compte un médecin pour 100 000 personnes, tandis qu’avec 6 millions d’habitants la Sierra Leone, en compte deux pour 100 000 personnes. À titre de comparaison, à Cuba, dont la population s’élève à environ 11 millions d’habitants, on dénombre 600 médecins pour 100 000 personnes. L’extrême insuffisance des systèmes de santé africains conjuguée à la surpopulation des centres urbains explique que la maladie à virus Ebola, initialement apparue en mars 2014 dans la région de Guéckédou, en Guinée, se soit rapidement étendue au Libéria etÌýà la Sierra Leone.
Selon l’OMS, le taux de mortalité de l’épidémie actuelle d’Ebola est de 55 % et au début du mois de novembre 2014, le virus avait fait près de 5 000 morts. Le virus se transmet de personne à personne par contact direct (lésions cutanées ou muqueuses) avec le sang, les sécrétions, les organes ou d’autres fluides corporels des personnes atteintes, ainsi qu’avec des supports (draps, vêtements, etc.) contaminés par ces fluides. La période d’incubation du virus à compter de l’infection jusqu’au début des symptômes varie de 2 à 21 jours. Avant l’apparition des symptômes, la personne n’est pas contagieuse. Une fois les symptômes apparus, les malades peuvent décéder en quelques jours ou au bout de plusieurs semaines.
Dans les trois pays gravement touchés par Ebola, des professionnels de la santé portant des masques et des combinaisons intégrales sont présents presque partout. Les sirènes d’ambulance retentissent dans les rues principales, annonçant l’évacuation de patients gravement atteints; Ebola fait la une des journaux et monopolise les programmes radio, la télévision et les réseaux sociaux. On peut lire sur des panneaux d’affichage : « Ebola existe bel et bien », « Ne mangez pas de gibier », « Ne touchez pas les malades », « Ne touchez pas les morts ». La méfiance règne. Finies les poignées de main, les accolades et les embrassades, même sur les joues. Dorénavant, se laver les mains à l’eau chlorée est le rituel de chacun. Dans la plupart des bureaux, il est de mise de prendre la température des employés et des clients pour détecter un état fébrile. Et en cette période, toute fièvre rime avec Ebola.
Les raisons de la propagation
« Les systèmes de santé de nos pays sont très précaires», a confié à Afrique Renouveau Tolbert G. Nyenswah, Ministre adjoint chargé des services de prévention du Libéria. M. Nyenswah dirige le «Système de gestion des incidents» pour la réponse à Ebola au Libéria, mis en place par le gouvernement pour lutter contre la maladie. Au-delà de la frontière en Sierra Léone, le tableau est le même. Ebola a mis en lumière les faiblesses des systèmes de santé dans la région. En Sierra Leone et au Libéria, les services médicaux ne disposent pas de laboratoires adéquats, et le dépistage précoce de certaines pathologies s’avère impossible. Souvent, le diagnostic est posé trop tard pour administrer un traitement, révèlent les autorités médicales. « Cet effroyable virus met nos établissements publics de santé et nos capacités à trop rude épreuve », a déclaré la Présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf. Good Governance Initiative, une ONG que dirige l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, a fait savoirÌý en novembre dernier que dans les pays touchés, la maladie faisait 12 morts par jour .
La Sierra Leone et le Libéria ont connu de terribles guerres civiles, qui se sont achevées respectivement en 2002 et 2003, tandis que la Guinée a fait face à des problèmes de sécurité et notamment a connu des coups d’État militaires. Les guerres et l’insécurité ont ravagé les infrastructures sociales de ces pays. Le Ministre de la santé sierra-léonais, Abubakarr Fofana, reconnaît que les systèmes de santé de la région ont besoin d’être entièrement remis en état.Ìý
La sévère pénurie d’équipements de protection individuelle et l’insignifiance des primes attribuées aux professionnels de la santé en première ligne n’ont pas arrangé les choses, dans un premier temps. Des dizaines d’intervenants sont décédés après avoir contracté le virus auprès des malades. Certains des médecins étrangers et autres travailleurs humanitaires contaminés ont été rapatriés dans leur pays d’origine pour y être mieux soignés. Le gouvernement a commis quelques maladresses notamment avec la mise en quarantaine du quartier très peuplé de West Point à Monrovia, initiative vivement contestéeÌýpar les résidents en colère.
Le manque d’informations de base sur le virus et les méthodes de prévention a contribué à sa propagation. Dès le début, les Guinéens ont mis en doute l’existence même du virus et s’en sont pris aux intervenants de Médecins sans frontières (MSF), accusant l’organisation d’aide humanitaire d’avoir introduit une étrange maladie dans leur pays. En septembre, des Guinéens ont assassiné huit journalistes et humanitaires dans une école rurale près de Nzérékoré, au sud-est de la Guinée, avant de jeter leurs dépouilles dans une fosse septique.Ìý
En août, de jeunes Libériens en colère ont pillé un centre pour malades d’Ebola dans le quartier de West Point à Monrovia, et emporté divers objets, notamment des matelas tachés de sang. A l’arrivée du virus à Kailahun, à l’est de la Sierra Leone, qui est également un bastion de l’opposition au régime, les habitants avaient d’abord accusé le parti au pouvoir de tenter de décimer ses opposants. Par ailleurs, la crainte d’être stigmatisé dissuade un grand nombre de personnes de se rendre dans les hôpitaux, de peur d’y contracter le virus.
Alors qu’en République démocratique du Congo et en Ouganda, le virus s’était déclaré dans des zones rurales, la flambée épidémique actuelle en Afrique de l’Ouest a fait son apparition dans des collectivités urbaines peuplées. Les pratiques traditionnelles, telles que les rituels funéraires et les soins à domicile, ont favorisé la propagation.Ìý
Juguler la flambée épidémiqueÌý
Eperdument, les trois pays les plus touchés, s’efforcent quant à eux, de contenir le virus. Ils ont décrété l’état d’urgence, mis en quarantaine des villes et villages, et imposé des couvre-feux. « Tous les moyens sont bons pour enrayer la propagation du virus »,Ìýexplique le Ministre libérien de l’information, Lewis Brown. Le Président sierra-léonais, Ernest Koroma, ajoute : « Nous vivons des temps extraordinaires; et des temps extraordinaires requièrent des mesures extraordinaires. »Ìý
La réponse internationale se renforce également. En septembre dernier, l’ONU a créé à Accra, au Ghana, une Mission pour l’action d’urgence contre l’Ebola, la première mission de ce type pour l’organisation internationale. La directrice de l’OMS, Margaret Chan, a demandé un renforcement de l’aide internationale, ainsi qu’un milliard de dollars pour limiter la progression du virus. Alors que l’OMS estime que l’épidémie pourrait éventuellement toucher plus de 20 000 personnes, le Centre pour le contrôle et laÌý prévention des maladies des États-Unis (US Center for Disease Control and Prevention) évoque un scénario cauchemardesque qui pourrait avoir pour conséquence la contamination de 1,4 million de personnes d’ici à janvier 2015. «Cette épidémie n’est pas seulement une menace pour la sécurité régionale, c’est une menace potentielle pour la sécurité mondiale», a déclaré le Président américain Barack Obama.Ìý
L’exemple du Nigeria
Quelques victoires ont néanmoins marqué la bataille contre l’Ebola. Le Nigéria et le Sénégal ont contenu le virus. Le Washington Post, un journal américain, a qualifié l’effort nigérian « d’exemple d’espoir ».Ìý
Comment le Nigéria s’y est-il pris ? La confirmation de la contamination de Patrick Sawyer, diplomate américano-libérien, par le virus Ebola à Lagos, ville nigériane de 17 millions d’habitants, a incité le médecin ayant établi le diagnostic, Ameyo Adadevoh, à le garder à l’hôpital malgré ses protestations et celles de son gouvernement. Des fonctionnaires ont recherché les 281 personnes avec lesquelles il aurait pu avoir été en contact.Ìý
Le docteur Ameyo Adadevoh elle-même décédera plus tard des suites de la maladie. Le personnel de l’aéroport n’était pas préparé et le gouvernement n’avait prévu aucun lieu d’isolement dans l’hôpital, si bien que le patient avait pu contaminer d’autres personnes, notamment des professionnels de la santé de l’hôpital où il était pris en charge, dont certains avaient dû le maîtriser pour le garder hospitalisé. Même lorsque le virus s’est étendu au centre pétrolier de Port Harcourt dans le sud-est du pays, les autorités ont pu rapidement le contenir, un exemple que d’autres devraient pouvoir suivre, selon l’OMS.