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Jeunesse africaine : bombe à retardement ou opportunité à saisir?

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Jeunesse africaine : bombe à retardement ou opportunité à saisir?

Les dirigeants prennent conscience de la nécessité de créer des emplois
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Jonathan Kalan
Cérémonie de remise des diplômes dans un lycée de Tanzanie. Photo: Jonathan Kalan

Lors de l’élection présidentielle de 2012, l’opposition sénégalaise a invoqué le taux élevé de chômage pour mobiliser les jeunes contre l’ancien Président Abdoulaye Wade. C’est principalement le manque d’emplois qui a incité de nombreux jeunes à investir les rues et à voter pour un nouveau gouvernement. Les manifestations ont fait au moins six morts et M. Wade a été vaincu par le président actuel, Macky Sall.

Principale leçon de ces violences pré-électorales : le chômage des jeunes, 15 % au Sénégal, risque d’attiser violence politique et troubles civils. Une enquête réalisée en 2011 par la Banque mondiale a montré qu’environ 40 % de ceux qui rejoignent des mouvements rebelles se disent motivés par le manque d’emplois.

Les gouvernements africains luttent donc contre le chômage à plusieurs niveaux. Au Sénégal, le président Sall a lancé en février 2013 un programme visant à créer 30 000 emplois d’ici la fin de l’année et éventuellement 300 000 d’ici 2017.

Une croissance sans emplois

Beaucoup d’analystes estiment qu’il existe une autre raison de s’intéresser davantage à la jeunesse africaine. Avec 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans, l’Afrique a la population la plus jeune au monde. Selon le rapport , établi en 2012 notamment par la Banque africaine de développement (BAD), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et l’Organisation de coopération et de développement économiques des pays industrialisés (OCDE), ce chiffre devrait doubler d’ici à 2045.

Le taux de chômage inquiétant de la jeunesse africaine est souvent mis en parallèle avec la croissance économique rapide du continent. Selon la BAD, le taux de chômage en Afrique subsaharienne est de 6 %, alors que 6 des 10 économies à la croissance la plus rapide du monde se trouvent dans cette région. Ce taux peut ne pas sembler très élevé par rapport à la moyenne mondiale d’environ 5 %. Mais dans la plupart des pays africains, le chômage des jeunes « est au moins deux fois supérieur à celui des adultes », souligne la BAD.

Selon la Banque mondiale, les jeunes représentent 60 % de l’ensemble des chômeurs africains. En Afrique du Nord, le taux de chômage des jeunes atteint 30 %. Au Botswana, en République du Congo, au Sénégal, en Afrique du Sud et dans plusieurs autres pays, la situation est encore plus préoccupante.

Les jeunes femmes sont plus durement touchées. La BAD a constaté que dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne et dans tous ceux de l’Afrique du Nord, il est plus facile pour les hommes que pour les femmes d’obtenir un emploi, à niveau d’expérience et de compétences égal.

Réalité masquée

[[{"type":"media","view_mode":"media_original","fid":"1651","attributes":{"alt":"","class":"media-image","height":"400","typeof":"foaf:Image","width":"300"}}]]Une employée d’une banque de Dar es-Salaam (Tanzanie). Photo: Panos/Mikkel Ostergaard

Les statistiques du chômage en Afrique ne tiennent pas compte des emplois précaires et du sous-emploi dans le secteur informel. Selon un rapport de la Brookings Institution, organisme de réflexion indépendant basé à Washington, « Les jeunes [africains] trouvent du travail, mais pas à des rémunérations correctes et sans la possibilité de perfectionner leurs compétences ou d’avoir une certaine sécurité de l’emploi ». Plus de 70 % des jeunes de la

« République du Congo, de la République démocratique du Congo, de l’Éthiopie, du Ghana, du Malawi, du Mali, du Rwanda, du Sénégal et de l’Ouganda sont à leur compte ou contribuent à des activités familiales ».

Gabriel Benjamin, chômeur diplômé de l’université de Lagos (Nigéria), explique qu’on rencontre souvent de jeunes Nigérians diplômés qui font de petits boulots. « Ils nettoient les sols dans des hôtels, vendent des cartes de recharge téléphoniques ou sont même ouvriers dans des usines ». La Brookings Institution considère le sous-emploi comme un grave problème, qui masque la réalité dans les pays au faible taux de chômage.

Le sous-emploi ne constitue pas une solution à la pauvreté, reconnaît l’Organisation internationale du Travail (OIT), qui signale que jusqu’à 82 % des travailleurs africains sont des « travailleursÌýpauvres ». Selon les , plus de 70 % des jeunes Africains en moyenne vivent avec moins de 2 dollars par jour, le seuil de pauvreté défini à l’échelle internationale.

Bombe à retardement

« C’est là une réalité inacceptable pour un continent possédant une réserve aussi impressionnante de jeunes, talentueux et créatifs », souligne Mthuli Ncube, économiste en chef de la BAD. Alexander Chikwanda, Ministre zambien des finances, résume ainsi la situation : « Le chômage des jeunes est une bombe à retardement », qui semble maintenant dangereusement proche de l’explosion.

ÌýM. Chikwanda entend ainsi attirer l’attention sur les conséquences d’un taux de chômage des jeunes aussi important sur un continent où chaque année près de 10 à 12 millions de jeunes arrivent sur le marché du travail. Ahmad Salkida, journaliste nigérian qui a été l’un des rares à avoir pu approcher les militants du groupe Boko Haram, a déclaré à Afrique Renouveau que, bien que la motivation de la secte soit principalement idéologique, l’omniprésence du chômage dans le nord du Nigéria facilite le recrutement de jeunes.

Intervention des dirigeants africains

En 2009, les dirigeants africains se sont réunis à Addis-Abeba (Éthiopie) pour tenter d’endiguer le chômage des jeunes. Ils ont proclamé la « Décennie de la jeunesse africaine » (2009-2018) et décidé de mobiliser des ressources, dont celles du secteur privé, en faveur de la promotion des jeunes. Leur plan d’action insistait sur la nécessité de lutter aussi bien contre le chômage que le sous-emploi. Deux ans plus tard, en Guinée équatoriale, ils ont promis une fois de plus la « création d’emplois sûrs, décents et compétitifs pour les jeunes ».

Les gouvernements africains se sont efforcés de joindre les actes à la parole. Ainsi, le Ghana a mis en place un service national de la jeunesse et des programmes d’autonomisation visant à doter les diplômés de l’enseignement supérieur des compétences requises et à les aider à trouver un emploi. Maurice a élaboré un plan visant à inciter les jeunes à se tourner vers l’enseignement technique et la formation professionnelle. La Zambie a adopté une politique nationale pour la jeunesse et créé un fonds pour les jeunes entrepreneurs afin de stimuler la création d’emplois. Le gouvernement nigérian a mis en place un programme d’acquisition de compétences et d’aide à la création d’entreprise dans le cadre du Service national de la jeunesse ; il a également instauré un concours de plan d’affaires, Youwin, qui accorde aux gagnants un financement de démarrage.

L’effet de ces initiatives nationales sur le taux de chômage des jeunes reste à évaluer. Mais il n’y a « pas de solution miracle », indique M. Ncube, qui recommandeÌý« de renforcer les mécanismes de création d’emplois ». La Banque mondiale propose également une stratégie pour l’emploi qui accorde plus d’attention au développement rural et à l’investissement dans l’agriculture, tient compte de l’exode rural et prépare les jeunes au marché du travail.

L’afflux de jeunes vers les zones urbaines d’Afrique y aggrave le chômage. Dans les grandes villes comme Lagos, Ibadan, le Caire, Nairobi et Johannesburg, les jeunes font le tour des bureaux à la recherche d’un emploi, quel qu’il soit. Selon les Perspectives économiques en Afrique, ils se heurtent à de nombreux obstacles, notamment à la discrimination, en raison de leur manque d’expérience. Même ceux qui ont la chance de trouver un emploi sont les premiers à être licenciés en période de ralentissement économique.

Les idées ne manquent pas

D’autres idées ont été proposées en vue de créer des emplois. La Brookings Institution préconise de mettre l’accent sur la production industrielle, « le secteur le plus étroitement associé à une forte croissance de l’emploi ». Elle encourage aussi l’accroissement des investissements dans l’agriculture, le tourisme, le bâtiment et dans les projets qui emploient des jeunes. « Les programmes de travaux publics donnent aux jeunes travailleurs, en particulier à ceux des zones rurales et aux personnes peu qualifiées, l’occasion d’acquérir une première expérience professionnelle. »

Le PNUD préconise également d’accroître les investissements dans l’agriculture. Dans son premier publié en mai 2012, il juge inacceptable que les gouvernements africains consacrent plus d’argent à l’armée qu’à l’agriculture.

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Une affiche financée par US Aid : réduire le nombre d’enfants pourrait atténuer le chômage. Photo: Panos/Jenny Matthews

Selon la CEA, ce sont principalement les secteurs des mines et métaux produisant peu d’emplois qui attirent actuellement les investissements étrangers directs en Afrique. L’OCDE prévient que les économies axées sur les ressources naturelles comme « le Nigéria et l’Algérie, qui exportent du pétrole, les pays producteurs d’or, dont l’Afrique du Sud, et la Zambie, exportatrice de cuivre » doivent se diversifier.

En février 2013, le président nigérian Goodluck Jonathan a déclaré sur sa page Facebook que le pays avait déjà commencé à diversifier son économie. Il faisait ainsi allusion à la décision de General Electric d’investir au Nigéria un milliard de dollars dans la production d’électricité et de pétrole. « Ceci va créer des emplois pour des milliers de personnes et avoir un effet multiplicateur pour des dizaines de milliers de personnes », a souligné le président. L’an dernier, Walmart, premier distributeur mondial basé aux États-Unis, a investi 2,4 milliards de dollars dans Massmart Holdings, une grande chaîne de distribution d’Afrique du Sud. Beaucoup y ont vu un exemple des investissements générateurs d’emplois dont l’Afrique a besoin.

La plupart des analystes s’accordent également sur la nécessité d’intégrer dans les programmes scolaires de l’Afrique l’acquisition de compétences et l’entreprenariat. Bien que les dirigeants africains semblent s’intéresser davantage à la réalisation de l’objectif du Millénaire pour le développement relatif à l’éducation primaire universelle d’ici à 2015, la Brookings Institution propose de mettre de toute urgence l’accent sur l’enseignement post-primaire. Beaucoup estiment ainsi qu’il existe unÌý« décalage entre les compétences des jeunes travailleurs [africains] et celles requises par les employeurs ».

La situation n’est pas complètement sombre : les jeunes d’Afrique, dont le nombre ne cesse de croître, sont en effet dotés de beaucoup d’énergie, de créativité et de talents, dont dépend « la prospérité future », lit-on dans . Il reste désormais à savoir si les gouvernements africains sont prêts à s’attaquer au chômage.