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La jeunesse africaine veut avoir son mot à dire
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Corbis/APImages/Samuel Aranda
De jeunes Tunisiens manifestent le long de l’avenue Bourguiba dans le centre ville de Tunis. Photo: Corbis/APImages/Samuel Aranda

« La jeunesse représente l’avenir ; les jeunes sont les dirigeants de demain », affirment souvent l’élite politique africaine ou les militants de la société civile. Les dirigeants africains ont d’ailleurs déclaré 2009-2018 Décennie de la jeunesse africaine et adopté en 2006 la Charte africaine de la jeunesse, qui vise notamment à inciter les jeunes à participer aux débats politiques et à la prise de décisions.

Mais les jeunes d’Afrique ne se contentent plus de ces belles paroles. Ils veulent désormais un véritable dialogue avec l’élite politique, comme ils l’ont déclaré en novembre 2012 à Addis-Abeba (Éthiopie) lors d’une conférence de trois jours.Ìý

À cette conférence sur la participation des jeunes à la démocratie, organisée par la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, le Programme des Nations Unies pour le développement et l’Institut suédois pour la démocratie et l’assistance électorale, les représentants des jeunes de l’ensemble du continent ont résolu de se préparer à des rôles de leadership. Tout en misant sur la promesse de démocratie, ils ont exigé un dialogue constructif avec les dirigeants plus âgés et demandé « la participation accrue des jeunes à la gouvernance ».

Vecteurs de changement

Il y a deux ans, pendant le Printemps arabe, les jeunes se sont mobilisés pour les droits de l’homme et la justice et ont ainsi chassé du pouvoir les dirigeants autocratiques de l’Égypte, de la Tunisie et de la Libye. Ailleurs, d’autres ont en revanche participé aux guerres destructrices de la Sierra Leone et du Libéria, aux violences postélectorales au Kenya ou à d’autres types de conflit. Comme le montrent ces exemples, les jeunes peuvent soit renforcer soit déstabiliser un régime. Si on leur en laisse le choix, ils préféreraient être vecteurs de changement social plutôt que fauteurs de troubles, souligne Shari Bryan, vice-présidente du National Democratic Institute (NDI), organisation américaine à but non lucratif.

Mais la jeunesse africaine n’a pas toujours la possibilité de choisir, d’où son profond mécontentement. Si les jeunes ne peuvent pas entrer dans le système, ils risquent d’être tentés de le détruire. « On a constaté que c’est le plus souvent au sein des régimes autocratiques que la violence politique éclate car les jeunes risquent d’y recourir du fait de leur exclusion des possibilités de mobilité sociale et de participation à la vie politique », observent Danielle Resnick et Daniela Casale dans un rapport pour Afrobarometer, un programme indépendant et apolitique d’enquêtes d’opinion en Afrique.

Chinua Akukwe, expert de l’Afrique qui enseigne à George Washington University à Washington, ajoute que, sans participation politique, les jeunes peuvent facilement être manipulés. « Le chômage et l’exclusion des processus décisionnels leur ôtent tout espoir. »

D’étranges alliances

L’adoption par les gouvernements africains de nombreux plans et cadres visant à favoriser l’intégration politique des jeunes ne satisfait pas pour autant ces derniers. Mme Bryan explique que les membres, jeunes ou moins jeunes, de l’élite politique comprennent qu’ils doivent dialoguer mais que cela ne se fait pas naturellement. « Il faudra une approche structurée, orientée vers l’action, qui donne aux jeunes les moyens d’introduire directement des idées et des solutions dans le système politique », écrit-elle.

[[{"type":"media","view_mode":"media_original","fid":"1660","attributes":{"alt":"","class":"media-image","height":"400","typeof":"foaf:Image","width":"300"}}]]Le premier vote d’une jeune électrice à un bureau de vote de Rondebosch (Afrique du Sud). Photo: Panos/Eric Miller

De telles approches ont déjà été suivies. Dans un article publié par les Presses universitaires des Nations Unies, Gregory Lavender rappelle que d’anciens dirigeants africains, tels le Ghanéen Kwame Nkrumah et le Kényan Jomo Kenyatta, ont mis à profit l’énergie créatrice des jeunes lors de l’élaboration de plans de transformation économique, politique et sociale dans les années 1950 et 1960. Dans les années 1970 et 1980, poursuit-il, de nombreux pays africains ont commencé à appliquer d’austères mesures d’ajustement structurel, avec des coupes budgétaires drastiques dans les secteurs qui profitent normalement aux jeunes, comme l’éducation, la santé et la création d’emplois.

Le vent en poupe

Toutefois, ces dernières années, les jeunes d’Afrique, comme ceux d’autres régions du monde, semblent avoir le vent en poupe. Grâce à l’amélioration des moyens de communication, leur influence s’est accrue. Par le passé, les gouvernements africains contrôlaient la plupart des médias numériques et exerçaient ainsi une influence considérable sur l’opinion publique, soulignent Mmes Resnick et Casale. Avec la popularité croissante d’Internet, cette influence a diminué – et a même été neutralisée, pensent certains.

La campagne électorale de 2008 du président américain Barack Obama, principalement coordonnée par les jeunes, a marqué un tournant. Tout comme le Printemps arabe, pendant lequel les jeunes se sont organisés sur Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux. Lors des élections de 2008 au Kenya, ces technologies leur ont permis de localiser et signaler en temps réel les violences électorales.

De plus en plus de gouvernements africains voudraient désormais voir les jeunes s’investir dans la politique. En 2008, le gouvernement rwandais a demandé au NDI d’élaborer un programme pour aider les jeunes rwandais à jouer un rôle important au sein des partis politiques. L’Union du fleuve Mano (Libéria, Sierra Leone et Guinée) est dotée d’un Parlement de la jeunesse qui permet aux jeunes de délibérer et de définir leurs priorités afin que leurs gouvernements les prennent en considération.

Les partis qui sont au pouvoir au Kenya, le Parti de l’unité nationale et le Mouvement démocratique orange, ont mis en place un programme national visant à « intégrer les jeunes au leadership d’aujourd’hui et non de demain » en favorisant « le développement communautaire novateur et les projets d’entreprenariat des jeunes ».

Après sa réélection en 2012, le Président de la Sierra Leone, Ernest Koroma, a nommé au gouvernement deux jeunes trentenaires – une grande première. Lors de la prestation de serment, les jeunes Sierra-léonais se sont mobilisés pour chanter et danser devant le Parlement en signe de soutien.

Des élections étant prévues dans 13 pays d’Afrique en 2013, les politiciens plus âgés sont à la recherche de jeunes créatifs et férus de technologies qui participent à la mobilisation électorale, rapporte le NDI.

Polémique sur l’âge de vote

Certains font campagne pour réduire l’âge requis pour voter afin d’accroître la participation des jeunes. Calestous Juma, professeur kényan à l’Université d’Harvard, estime que, si la plupart des pays africains ont fixé cet âge à 18 ans, certains jeunes de 12 à 18 ans travaillent et participent aux débats politiques sur les réseaux sociaux. « L’abaissement à 16 ans de l’âge de la majorité électorale dans tous les pays africains reflèterait la structure démographique du continent », déclare M. Juma.

La proposition de M. Juma est controversée et il admet que cela ne permettrait d’accroître considérablement la participation politique « qu’à condition de dispenser une éducation formelle et politique ». Il souhaite que les dirigeants plus âgés,
« dont les conceptions du monde ont été façonnées par des sociétés plus traditionnelles », se familiarisent avec le rôle des jeunes dans le monde moderne.

Lors d’une enquête menée en 2012 auprès des jeunes par l’ONU, l’ignorance et l’indifférence des dirigeants politiques à l’égard des questions liées à la jeunesse ont été les principales préoccupations citées et la raison avancée pour expliquer que les dirigeants étaient peu susceptibles de « soutenir les sections de jeunes des organisations politiques ». Toujours en 2012, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a défini les mesures que les dirigeants mondiaux doivent prendre au cours des cinq prochaines années. Il s’agit notamment de lutter contre le changement climatique, d’élaborer et de mettre en œuvre un cadre consensuel pour le développement durable et de travailler avec et pour les femmes et les jeunes.

Manifestement, la balle est dans le camp des jeunes. Lors de la conférence d’Addis-Abeba, ils ont décidé de « s’organiser grâce au pouvoir des idées » et de faire valoir leur volonté de s’asseoir à la table de négociation. Le professeur Akukwe encourage les dirigeants politiques actuels à intégrer les jeunes hommes et femmes à la vie politique de l’Afrique. C’est là le meilleur investissement possible pour assurer le développement de l’Afrique, conclut-il.

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