1 ao?t 2009

?Le Programme sur les changements climatiques de l'ONU, des milliards de dollars g?ch¨¦s?
?La v¨¦rit¨¦ sur Kyoto: des profits ¨¦normes, une faible quantit¨¦ de carbone pi¨¦g¨¦e?
?Des obstacles aux efforts de l'ONU pour r¨¦duire les ¨¦missions?

Les grands titres sur les m¨¦canismes d'¨¦change du carbone au c?ur du Protocole de Kyoto, notamment le M¨¦canisme pour un d¨¦veloppement propre (MDP), donnent une id¨¦e des difficult¨¦s du projet. Mais quelles sont les raisons de cette controverse?

L'¨¦change de droits d'¨¦mission de carbone est un syst¨¨me complexe qui se fixe un objectif simple : permettre aux entreprises et aux Gouvernements d'atteindre les objectifs de r¨¦duction des ¨¦missions ¨¤ moindres frais. Le Protocole de Kyoto vise ¨¤ ce que les pays industrialis¨¦s (d¨¦crits comme ?Annexe I?) s'engagent ¨¤ r¨¦duire les ¨¦missions de gaz ¨¤ effet de serre d'ici ¨¤ 2012 pour atteindre des niveaux qui soient inf¨¦rieurs de 5,2% ¨¤ ceux de 1990. En m¨ºme temps, une s¨¦rie de ?m¨¦canismes de flexibilit¨¦? ont ¨¦t¨¦ adopt¨¦s, ce qui signifie que les entreprises peuvent choisir de r¨¦duire leurs ¨¦missions ailleurs que dans leur propre pays.

Le MDP est le m¨¦canisme le plus important. En septembre 2009, pr¨¨s de 1 800 projets avaient ¨¦t¨¦ enregistr¨¦s et plus de 2 600 projets suppl¨¦mentaires ¨¦taient en attente de validation. En fonction des prix actuels, les cr¨¦dits obtenus par les projets approuv¨¦s pourraient g¨¦n¨¦rer plus de 55 milliards de dollars d'ici ¨¤ 2012. Le MDP est un m¨¦canisme de compensation du carbone qui permet aux entreprises, aux institutions financi¨¨res internationales et aux Gouvernements de financer des ?projets de r¨¦duction d'¨¦missions? dans les pays qui ne font pas partie de l'Annexe 1.

Bien que les compensations de carbone soient souvent pr¨¦sent¨¦es comme un moyen de r¨¦duire les ¨¦missions, il n'en est rien. Au mieux, elles permettent de produire des ¨¦missions l¨¤ o¨´ elles sont moins tax¨¦es, ce qui signifie une externalisation des ¨¦missions du Nord vers les pays du Sud. Les ¨¦missions de gaz ¨¤ effet de serre continuent d'¨ºtre ¨¦mises dans un endroit en pr¨¦sumant qu'une quantit¨¦ ¨¦quivalente sera r¨¦duite en un autre lieu. Les projets qui permettent de r¨¦duire les ¨¦missions vont des barrages hydro¨¦lectriques ¨¤ la capture du m¨¦thane issu des installations industrielles pour le b¨¦tail.

Ces r¨¦ductions sont calcul¨¦es en fonction de la diff¨¦rence entre les ¨¦missions de gaz ¨¤ effet de serre qui ont ¨¦t¨¦ r¨¦ellement ¨¦mises dans l'atmosph¨¨re sans ces projets et celles obtenues. Mais il n'y a aucun moyen de d¨¦montrer que le financement du carbone facilite le projet. Le chercheur Dan Welch r¨¦sume la difficult¨¦:?Les compensations sont un produit imaginaire cr¨¦¨¦ pour d¨¦duire ce qui se produit de ce qui se serait produit.? Les estimations varient, mais les analyses th¨¦oriques des projets existants laissent penser qu'entre un tiers et trois-quarts des projets ne permettent pas de r¨¦duire les ¨¦missions. Les entreprises qui appuient ces projets sont pay¨¦es pour faire ce qu'elles auraient fait de toute mani¨¨re, alors que les cr¨¦dits permettent aux entreprises des pays industriels de d¨¦passer leur seuil d'¨¦missions.

DES CHOIX FACILES
Par ailleurs, l'une des justifications donn¨¦es le plus souvent aux compensations de carbone est qu'elles devraient permettre de r¨¦duire les ¨¦missions de la mani¨¨re la moins on¨¦reuse. Toutefois, ce qui est moins on¨¦reux ¨¤ court terme n'est pas n¨¦cessairement le plus efficace sur le plan ¨¦cologique ou ¨¦quitable sur le plan social. Les r¨¦ductions les moins on¨¦reuses tendent ¨¤ ¨ºtre cr¨¦¨¦es par les lacunes du syst¨¨me et les subventions g¨¦n¨¦reuses accord¨¦es pour le d¨¦ploiement des technologies existantes plut?t qu'¨¤ ouvrir de nouvelles voies vers le d¨¦veloppement durable.

En septembre 2009, trois-quarts des cr¨¦dits compensatoires ¨¦mis ¨¦taient acquis par de grandes soci¨¦t¨¦s qui ont apport¨¦ des modifications techniques dans quelques-unes de leurs usines industrielles pour ¨¦liminer les hydroflurocarbures (HFC) (gaz r¨¦frig¨¦rants) et l'oxyde nitreux (N2O) (un sous-produit utilis¨¦ dans la production de la fibre synth¨¦tique). Il y a peu de chances que cette situation change de mani¨¨re significative avant que la premi¨¨re p¨¦riode d'engagements du Protocole de Kyoto expire. ? la fin de 2012, les projets HFC et N2O devraient repr¨¦senter la plus grande partie du MDP (28,5% et 14,4% respectivement), suivis par les projets d'hydro¨¦lectricit¨¦ (10,8 %). En comparaison, l'¨¦nergie solaire devrait repr¨¦senter seulement 0,003% des cr¨¦dits MDP.

Comme l'explique Michael Wara de l'Universit¨¦ de Stanford, ?le march¨¦ du MDP n'est pas con?u comme une subvention mise en ?uvre par un m¨¦canisme de march¨¦ au moyen duquel les r¨¦ductions de CO2 qui auraient ¨¦t¨¦ ¨¦mises dans les pays d¨¦velopp¨¦s ont lieu dans les pays en d¨¦veloppement. De fait, la plupart des fonds MDP financent les r¨¦ductions de CO2 dans les pays d¨¦velopp¨¦s en ¨¦change des ¨¦missions de gaz industriels et de m¨¦thane dans les pays en d¨¦veloppement?. En fait, la plupart de ces ¨¦missions ne proviennent m¨ºme pas des pays d¨¦velopp¨¦s-o¨´ les usines de production ont volontairement choisi de d¨¦truire les HFC sans recourir au syst¨¨me d'¨¦change des ¨¦missions. Selon Wara, des subventions directes pour r¨¦glementer les ¨¦missions de HFC-23 s'¨¦l¨¨veraient ¨¤ moins de 100 millions d'euros. Pourtant d'ici ¨¤ 2012, jusqu'¨¤ 4,7 milliards d'euros auront ¨¦t¨¦ allou¨¦s ¨¤ ces projets.

LES SUBVENTIONS AUX COMBUSTIBLES FOSSILES
Les partisans du MDP disent que les futurs projets mieux ¨¦quilibr¨¦s inciteront davantage ¨¤ produire de l'¨¦nergie propre et ¨¤ assurer le d¨¦veloppement durable. Mais aucun ¨¦l¨¦ment n'a ¨¦t¨¦ fourni pour ¨¦tayer cette conclusion. Les cas les plus ¨¦vidents sont la pl¨¦thore de projets de combustibles fossiles qui sont appuy¨¦s par le MDP. Pour participer ¨¤ ce programme, il faut simplement proposer un projet qui utilise une technologie plus propre que celle utilis¨¦e dans la production ¨¦nerg¨¦tique existante dans la r¨¦gion ou le pays o¨´ il est mis en ?uvre.

Une ¨¦tude r¨¦cente sur les nouvelles centrales ¨¦lectriques fonctionnant au gaz en Chine, par exemple, a r¨¦v¨¦l¨¦ que les 24 nouvelles centrales ¨¤ gaz ¨¤ cycle combin¨¦ en construction entre 2005 et 2010 avaient demand¨¦ des subventions au titre du MDP. Autre exemple, les nouvelles centrales ¨¤ charbon supercritique qui peuvent b¨¦n¨¦ficier des cr¨¦dits MDP depuis 2007-alors que le charbon est la source d'¨¦nergie la plus ¨¦mettrice en CO2. Depuis septembre 2009, quinze projets ont entam¨¦ un processus de validation selon cette m¨¦thode, ce qui met en place une structure circulaire perverse o¨´, au lieu d'envisager une transition rapide vers une ¨¦nergie propre, le MDP subventionne la d¨¦pendance ¨¤ l'¨¦gard des combustibles fossiles en fournissant des incitations pour la construction de nouvelles centrales ¨¤ charbon dans le Sud, plut?t que de cr¨¦er une infrastructure d'¨¦nergies renouvelables qui r¨¦ponde aux besoins locaux. Avec les cr¨¦dits que ces nouvelles centrales g¨¦n¨¦reront, le MDP perp¨¦tue aussi la d¨¦pendance vis-¨¤-vis des centrales ¨¤ charbon dans le Nord.

UN AVENIR PLUS VERT ?
L'augmentation des investissements MDP dans la production de l'¨¦lectricit¨¦ ¨¤ partir de combustibles fossiles ne suffit pas, toutefois, car les partisans du projet pourraient toujours dire que des investissements similaires seront consacr¨¦s aux ¨¦nergies ?renouvelables?.

Habituellement, les projets de centrales hydro¨¦lectriques visent ¨¤ remplacer l'¨¦nergie qui aurait ¨¦t¨¦ produite ¨¤ partir des combustibles fossiles. Or la plupart des projets d'hydro¨¦lectricit¨¦ soumis ¨¤ la validation MDP sont cens¨¦s g¨¦n¨¦rer des cr¨¦dits dans les 12 mois qui suivent leur validation. ?tant donn¨¦ qu'il faut compter plusieurs ann¨¦es pour construire les centrales ¨¦lectriques, la plupart des centrales ¨¦taient en construction avant le d¨¦but du processus de validation MDP. Les impacts environnementaux et sociaux de ces projets sont souvent importants. On pourrait dire la m¨ºme chose des projets de production d'¨¦lectricit¨¦ ¨¤ partir de la biomasse, qui tendent simplement ¨¤ calculer les ¨¦missions de m¨¦thane (CH4) ¨¦vit¨¦es parce que le m¨¦thane est br?l¨¦ au lieu de le laisser se biod¨¦grader-sans consid¨¦rer les ¨¦missions caus¨¦es par la coupe des for¨ºts ou le drainage des tourbi¨¨res riches en carbone pour cr¨¦er des plantations qui produisent de la biomasse comme mati¨¨re de base. La tentative par les promoteurs de distinguer les ?bons? projets et les ?mauvais? passe ¨¤ c?t¨¦ du but, ¨¦tant donn¨¦ que les projets les plus renouvelables sont int¨¦gr¨¦s dans un syst¨¨me qui g¨¦n¨¨re des cr¨¦dits pour polluer dans un autre lieu. De tels projets non seulement perp¨¦tuent les probl¨¨mes du charbon, du p¨¦trole et du gaz mais sont aussi source de conflits locaux. N'¨¦tant pas con?us pour s'adapter aux complexit¨¦s des communaut¨¦s et aux moyens d'existence, ils n¨¦cessitent de vastes terres, une grande quantit¨¦ d'eau et de nombreux ¨¦quipements et ne sont b¨¦n¨¦fiques ni aux communaut¨¦s ni ¨¤ l'environnement. Les conflits qui en r¨¦sultent surprennent les id¨¦alistes convaincus que les projets de compensation du carbone financeront l'¨¦nergie renouvelable en fonction des besoins des collectivit¨¦s. Avec des co?ts administratifs sup¨¦rieurs ¨¤ 100 000 dollars, le MDP n'a pas les ressources n¨¦cessaires pour financer ce type d'initiatives.

DES VOIES DIFF?RENTES
Les d¨¦faillances du MDP ne viennent pas seulement de la mani¨¨re dont les r¨¨gles sont con?ues ou de sa mise en ?uvre, mais sont inh¨¦rentes au projet lui-m¨ºme. Ce m¨¦canisme a ¨¦t¨¦ con?u pour effectuer des r¨¦ductions de la mani¨¨re la moins on¨¦reuse et, pour ce faire, a pr¨¦conis¨¦ le d¨¦ploiement bon march¨¦ des technologies existantes par les grandes industries et les producteurs d'¨¦nergie. Les propositions qui seront pr¨¦sent¨¦es ¨¤ Copenhague pour r¨¦former et ¨¦largir le MDP ne traitent pas ces questions de base. Les nouveaux projets de ?cr¨¦dits sectoriels?, qui changent la nature des Actions d'att¨¦nuation appropri¨¦es au niveau national adopt¨¦es par les pays en d¨¦veloppement dans le cadre de la Feuille de route de Bali de 2007, augmenteront les compensations avec un syst¨¨me de poids et de contrepoids encore moins efficace.

Si l'objectif vis¨¦ est de promouvoir un avenir plus propre, le processus devrait partir d'une autre base. Les investissements dans des infrastructures ¨¦nerg¨¦tiques propres n¨¦cessitent souvent un financement public de d¨¦part-qui devrait venir essentiellement des pays industrialis¨¦s, ¨¦tant donn¨¦ qu'ils sont en grande partie responsables du probl¨¨me. Un tel financement n'est pas une garantie de succ¨¨s, toutefois, ¨¤ moins d'adopter une structure de gouvernance d¨¦centralis¨¦e qui encourage la participation des citoyens et prenne en compte les r¨¦alit¨¦s locales, permettant la mise en place et l'am¨¦lioration des techniques industrielles et agricoles adapt¨¦es ¨¤ l'environnement local et ¨¦tablissant un processus d'¨¦valuation de bas en haut des besoins ¨¦nerg¨¦tiques r¨¦els.

Il faudrait ¨¦galement rejeter la logique du MDP qui demande aux pays en d¨¦veloppement de se mettre aux normes afin que les entreprises des pays de l'Annexe I puissent continuer de polluer comme avant. Au lieu de stimuler les nouveaux march¨¦s de produits, les objectifs et les obligations auxquels les pays industrialis¨¦s ont souscrit devraient y r¨¦pondre au niveau national. Un grand nombre de r¨¦glementations, de normes de performance et d'incitations existantes aideront ¨¤ s'engager vers cette voie, allant des tarifications pr¨¦f¨¦rentielles de l'¨¦lectricit¨¦ provenant de sources d'¨¦nergie renouvelables ¨¤ l'imposition de limites de production d'¨¦missions aux producteurs d'¨¦nergie et aux industries lourdes. Les pays de l'Annexe I ayant contribu¨¦ le plus aux changements climatiques, il est essentiel qu'ils adoptent rapidement des mesures contraignantes plus efficaces au niveau national afin de g¨¦rer les changements climatiques de mani¨¨re ¨¦quitable et efficace.

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