14 ao?t 2016

Il y a huit ans, j¡¯ai commenc¨¦ ¨¤ travailler en Afghanistan, un pays qui arrive toujours en t¨ºte du classement des pays?les moins avanc¨¦s pour les femmes, ¨¤ fortiori dans la lutte pour les droits des femmes. Arriv¨¦e seule dans le pays, je me posais des questions sur la violence sexiste et l¡¯¨¦galit¨¦ des sexes. En tant qu¡¯Am¨¦ricaine, j¡¯¨¦tais consciente de mes propres pr¨¦jug¨¦s, mais victime de viol, et s?ur d¡¯une autre victime de viol, je voulais en savoir plus. Que faut-il faire pour que la violence sexiste et l¡¯oppression soient reconnues ? Quelles sont les similarit¨¦s entre l¡¯Afghanistan et les ?tats-Unis en mati¨¨re de droits des femmes et o¨´ sont les solutions ? Que faut-il faire pour que les femmes fassent entendre leur voix??

Le fait d¡¯avoir parcouru le pays en voiture, ¨¤ moto et, finalement, ¨¤ bicyclette m¡¯a permis de voir le pays d¡¯une fa?on unique. Alors que les d¨¦placements de la plupart de mes homologues qui travaillaient dans l¡¯aide humanitaire et le d¨¦veloppement ¨¦tait limit¨¦ par des protocoles en mati¨¨re de s¨¦curit¨¦ et par la bureaucratie, le personnel de l¡¯ambassade n¡¯¨¦tant le plus souvent pas autoris¨¦ ¨¤ sortir, je pouvais aller et venir librement et travailler avec la population locale. J¡¯ai dormi ¨¤ m¨ºme le sol dans des maisons de village de montagne et ai engag¨¦ de vraies conversations, souvent intimes, avec des hommes et des femmes en dehors des param¨¨tres d¡¯une r¨¦union ou d¡¯un calendrier ¨¦tabli. J¡¯ai distribu¨¦ des fournitures scolaires dans des villages de montagne recul¨¦s; dirig¨¦ la construction d¡¯une ¨¦cole pour sourds ¨¤ Kaboul; travaill¨¦ dans des prisons de femmes; cr¨¦¨¦ des installations d¡¯art urbain; et soutenu des projets d¡¯art mural avec des jeunes artistes ¨¤ Kaboul.

Ces dix derni¨¨res ann¨¦es ont connu une augmentation du nombre de femmes participant ¨¤ la vie politique et embrassant une carri¨¨re militaire ou dans la police, de jeunes militantes manifestant dans la rue pour protester contre le harc¨¨lement sexuel, et une myriade de projets a ¨¦t¨¦ men¨¦e par des femmes pour les femmes qui leur permettent de faire entendre leur voix et de consolider leur r?le dans une soci¨¦t¨¦ domin¨¦e par les hommes. Les jeunes femmes instruites sont aujourd¡¯hui d¨¦termin¨¦es ¨¤ surmonter les obstacles qui emp¨ºchent l¡¯¨¦galit¨¦ et encouragent l¡¯oppression.

Lors de ma premi¨¨re visite, dans la cacophonie g¨¦n¨¦rale et le nombre incalculable de bicyclettes fourmillant dans les rues et assurant le transport dans les villages, j¡¯ai r¨¦alis¨¦ que le v¨¦lo ¨¦tait une affaire d¡¯hommes. En Afghanistan, je n¡¯ai pas vu une seule femme sur une bicyclette.

Dans le reste du monde, en particulier en Asie du Sud et en Afrique, le v¨¦lo est un outil d¡¯autonomisation et de justice sociale. Il est accessible dans les march¨¦s locaux, est moins cher que la voiture ou la moto et est facile ¨¤ r¨¦parer. Sa pratique est ¨¦galement bonne pour la sant¨¦ et ¨¦cologique. Instrument d¡¯ind¨¦pendance, il facilite l¡¯acc¨¨s ¨¤ l¡¯¨¦cole et aux soins m¨¦dicaux et a permis de r¨¦duire les taux de violence sexiste lorsque les filles sont autoris¨¦es ¨¤ s¡¯en servir. En tant que victime de violence sexiste, j¡¯ai adopt¨¦ la bicyclette pour une autre raison, moins concr¨¨te. Elle me procure un sentiment d¡¯autonomie et de libert¨¦. J¡¯ai l¡¯impression d¡¯¨ºtre Wonder Woman sur deux roues, v¨ºtue d¡¯un gilet pare-balles et brandissant mon lasso de v¨¦rit¨¦. Ce sentiment est ce que je consid¨¨re ¨ºtre le plus b¨¦n¨¦fique dans le sport. On ne peut pas le quantifier en chiffres ni en statistiques, mais il est puissant au-del¨¤ de toute limite. La libert¨¦ et la confiance en soi devraient ¨ºtre le principal objectif de l¡¯ensemble de l¡¯action humanitaire.

J¡¯ai commenc¨¦ ¨¤ faire du v¨¦lo de montagne en Afghanistan en vue de lever les obstacles li¨¦s au genre qui sont profond¨¦ment ancr¨¦s dans la soci¨¦t¨¦ afghane et dans l¡¯ensemble de la r¨¦gion et de d¨¦couvrir les raisons de ce tabou qui emp¨ºchent les filles de faire du v¨¦lo. Il y avait deux raisons : la premi¨¨re a trait ¨¤ la virginit¨¦ et ¨¤ l¡¯honneur, la deuxi¨¨me ¨¤ l¡¯ind¨¦pendance et ¨¤ la mobilit¨¦.

La virginit¨¦ et la moralit¨¦ sont des pr¨¦occupations pratiques lorsque l¡¯on consid¨¨re comment les femmes sont trait¨¦es dans la soci¨¦t¨¦ et comment leurs actions ont des r¨¦percussions sur l¡¯honneur de la famille. Souvent, les filles ne sont consid¨¦r¨¦es que dans le contexte du mariage et doivent ¨ºtre vierges. La virginit¨¦ doit ¨ºtre prouv¨¦e en exposant le drap t?ch¨¦ de sang la nuit des noces. Les filles sont renvoy¨¦es dans leur famille si leur virginit¨¦ est remise en cause, portant atteinte ¨¤ la r¨¦putation de toute la famille. Le sport, et le v¨¦lo en particulier, sont consid¨¦r¨¦s comme des activit¨¦s portant atteinte ¨¤ leur honneur, non seulement parce que les pratiquer est jug¨¦ immoral, mais aussi parce que cela entra?ne la perte de l¡¯hymen. Si, en Occident, peu de filles craignent que leur hymen ne se d¨¦chire en faisant du sport, ce qui pourrait nuire ¨¤ leur r¨¦putation et ¨¤ leurs perspectives de mariage, cette question est tr¨¨s pr¨¦occupante dans un pays o¨´ des tests de virginit¨¦ sont encore r¨¦alis¨¦s par des m¨¦decins comme une preuve d¡¯honneur.

La deuxi¨¨me raison concerne l¡¯ind¨¦pendance. Dans un pays qui contr?le encore de mani¨¨re stricte la libert¨¦ de mouvement des femmes et leur tenue vestimentaire et o¨´ tr¨¨s peu d¡¯entre elles?apprennent ¨¤ conduire ou auraient les moyens de poss¨¦der une voiture si elles savaient conduire, le v¨¦lo offre la mobilit¨¦, l¡¯ind¨¦pendance. Cette libert¨¦ sur deux roues est la raison pour?laquelle il est devenu un symbole int¨¦gral et un outil pour les mouvements f¨¦ministes dans le monde, y compris celui des suffragettes am¨¦ricaines et britanniques. L¡¯une des suffragettes am¨¦ricaines les plus aim¨¦es, Susan B. Anthony, a affirm¨¦ : ? La bicyclette a fait plus pour l¡¯¨¦mancipation des femmes que n¡¯importe quelle autre chose au monde. ? Il y avait cependant des obstacles. ? la fin des ann¨¦es 1800, les Am¨¦ricaines et les Anglaises qui faisaient du v¨¦lo ¨¦taient consid¨¦r¨¦es comme immorales et de m?urs faciles. Cela montre que le v¨¦lo a toujours ¨¦t¨¦ un sujet controvers¨¦ pour les femmes, pas seulement en Afghanistan, mais dans le monde entier. Il a cependant apport¨¦ de r¨¦els changements sociaux en termes d¡¯¨¦galit¨¦ et d¡¯ind¨¦pendance.

Malgr¨¦ les risques li¨¦s ¨¤ l¡¯honneur et ¨¤ la s¨¦curit¨¦ dans un pays toujours en proie aux conflits, les jeunes Afghanes ont commenc¨¦ leur ? ¨¦mancipation sur deux roues ?. Comme les Am¨¦ricaines et les Anglaises au si¨¨cle dernier, leur objectif est de battre en br¨¨che les pr¨¦jug¨¦s malgr¨¦ les risques et de revendiquer leur droit ¨¤ rouler ¨¤ v¨¦lo. Au cours des trois derni¨¨res ann¨¦es, quatre groupes de femmes?cyclistes ont ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦s et j¡¯ai rencontr¨¦ de nombreuses autres filles qui font du v¨¦lo dans leur quartier ¨¤ la tomb¨¦e de la nuit ou habill¨¦es en gar?on avec leurs fr¨¨res ou leur p¨¨re.

Le groupe le plus connu est l¡¯?quipe nationale afghane de cyclisme f¨¦minin ¨¤ Kaboul, fond¨¦ par celui qui a aussi fond¨¦ l¡¯¨¦quipe masculine. J¡¯ai rencontr¨¦ l¡¯?quipe nationale en 2012 et l¡¯ai soutenue et entra?n¨¦e, tirant parti de mon exp¨¦rience pass¨¦e en tant qu¡¯entra?neuse professionnelle. J¡¯ai essay¨¦ de conseiller l¡¯entra?neur et travaill¨¦ avec une f¨¦d¨¦ration sportive corrompue qui faisait obstacle tout en mettant en place la structure n¨¦cessaire pour mettre sur pied une ¨¦quipe nationale. Celle-ci a ¨¦t¨¦ invit¨¦e ¨¤ participer ¨¤ des comp¨¦titions en dehors d¡¯Afghanistan et si la route est encore longue avant qu¡¯elle ne puisse disputer des comp¨¦titions de haut niveau, elle a brav¨¦ un tabou entourant le cyclisme f¨¦minin.

Alors que l¡¯?quipe s¡¯efforce d¡¯aller de l¡¯avant malgr¨¦ la corruption au sein du Comit¨¦ olympique afghan et de la F¨¦d¨¦ration afghane de cyclisme, l¡¯attention m¨¦diatique et la r¨¦cente nomination du prix Nobel de la paix ont inspir¨¦ de nombreuses jeunes filles ¨¤ apprendre ¨¤ faire du v¨¦lo. ? Bamiyan, Zahra Hosseini leur a appris ¨¤ pratiquer ce sport. Elles ont form¨¦ un club, organis¨¦ plusieurs randonn¨¦es et courses communautaires et ont r¨¦cemment inscrit le club en tant qu¡¯¨¦quipe officielle aupr¨¨s de la F¨¦d¨¦ration sportive afin de cr¨¦er une plate-forme plus efficace pour faire avancer le droit des filles ¨¤ faire du v¨¦lo. ? plusieurs occasions,?lors d¡¯une balade ¨¤ v¨¦lo avec Mme Hosseini et ses amis, de jeunes gar?ons m¡¯ont dit qu¡¯ils allaient rentrer chez eux et apprendre ¨¤ leurs s?urs ¨¤ pratiquer ce sport. ? Kaboul, plusieurs clubs de v¨¦lo informels, cr¨¦¨¦s par des jeunes filles afghanes, et non pas par une organisation non gouvernementale ou ext¨¦rieure, ont commenc¨¦ ¨¤ organiser des rencontres pour faire du v¨¦lo. Plus r¨¦cemment, la cr¨¦ation du Club cycliste BorderFree, premier club mixte o¨´ les gar?ons et les filles font du v¨¦lo ensemble, vise ¨¤ briser les st¨¦r¨¦otypes sexistes.

Il a fallu une g¨¦n¨¦ration d¡¯Am¨¦ricaines et d¡¯Anglaises ¨¤ v¨¦lo pour surmonter les obstacles li¨¦s au sexe qui ont stigmatis¨¦ les femmes qui pratiquaient ce sport. Il leur a fallu pr¨¨s d¡¯un si¨¨cle pour ¨ºtre accept¨¦es en tant que cyclistes professionnelles comme leurs homologues masculins. Finalement, aux Jeux olympiques de 1984 ¨¤ Los Angeles, en Californie, les femmes ont ¨¦t¨¦ autoris¨¦es ¨¤ participer aux comp¨¦titions de cyclisme. Ce ne sont pas des projets d¡¯un ou de cinq ans qui changeront la situation. Il faut une g¨¦n¨¦ration pour que de v¨¦ritables changements ¨¦mergent de mani¨¨re organique. Les Afghanes qui pratiquent le v¨¦lo aujourd¡¯hui p¨¦dalent pour l¡¯¨¦mancipation des femmes. Il faudra des d¨¦cennies pour que la pratique du v¨¦lo soit accessible ¨¤ toutes les filles, mais, ¨¤ chaque coup de p¨¦dale, elles revendiquent leurs droits et inspirent d¡¯autres ¨¤ en faire autant.

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