25 novembre 2016

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Pour beaucoup, imaginer la vie sans avoir un acc¨¨s facile ¨¤ l¡¯eau potable ou ¨¤ des toilettes est simplement impossible. Pourtant, le manque de ces installations de base fait partie de la vie quotidienne d¡¯un trop grand nombre de personnes des pays du Sud. S¡¯il est vrai que dans plusieurs pays la fourniture de services de base a ¨¦volu¨¦ au cours des 15 derni¨¨res ann¨¦es, des millions de personnes n¡¯ont toujours pas acc¨¨s ¨¤ l¡¯eau ni ¨¤ l¡¯assainissement. ? ? ??

WSUP

Eau et assainissement pour les citadins pauvres

Dans les petites et les grandes villes, les prestataires de services ont d? faire face ¨¤ une croissance d¨¦mographique sans pr¨¦c¨¦dent. Les discussions portant sur les objectifs de d¨¦veloppement durable (ODD) ont traduit l¡¯urgence de centrer davantage l¡¯attention sur les besoins des citadins ¨¤ faible revenu. Entre 2010 et 2050, la population urbaine d¡¯Afrique devrait passer de 400 millions ¨¤ 1,26 milliard d¡¯habitants et, d¡¯ici ¨¤ 2035, 50 % de la population totale du continent devrait vivre dans des r¨¦gions urbaines. Un grand nombre de personnes qui migreront dans ces r¨¦gions n¡¯auront pas d¡¯autre choix que de s¡¯installer dans des communaut¨¦s ¨¤ faible revenu n¡¯ayant pas acc¨¨s aux services de base.

En tant que Directrice des programmes de pays ¨¤?Water & Sanitation for the Urban Poor (WSUP) (Eau et assainissement pour les citadins pauvres), j¡¯ai vu de tr¨¨s pr¨¨s?l¡¯ampleur du d¨¦fi ¨¤ relever ¨¤ Madagascar, mon pays natal. Madagascar est parmi les pays les plus pauvres d¡¯Afrique, enregistrant l¡¯un des taux de pauvret¨¦ extr¨ºme les plus ¨¦lev¨¦s dans le monde. Selon la Banque mondiale, 92 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour.

Environ 50 % de la population a acc¨¨s ¨¤ une source d¡¯eau salubre. L¡¯acc¨¨s est certainement plus ¨¦lev¨¦ dans les r¨¦gions urbaines, mais cela masque le fait que de nombreux citadins doivent parcourir de longues distances pour aller chercher de l¡¯eau ou faire la queue pendant des heures pour en acheter. Devant cette perspective, il n¡¯est pas surprenant qu¡¯un grand nombre d¡¯entre eux finissent par utiliser des sources d¡¯eau contamin¨¦es ¨¤ proximit¨¦?de leur habitation, mettant en danger leur sant¨¦ et celle de leur famille.

Chaque mois, la population urbaine de Madagascar augmente de 33?000 habitants. ?tant donn¨¦ l¡¯¨¦volution de la population, le programme Eau, assainissement et hygi¨¨ne pour tous (WASH) se concentrera progressivement sur la r¨¦solution des probl¨¨mes urbains plut?t que sur les besoins ruraux.

En 2007, j¡¯ai particip¨¦ ¨¤ Madagascar au lancement du WSUP dont les activit¨¦s ¨¦taient alors enti¨¨rement concentr¨¦es sur la capitale, Antananarivo (Tana). Comme de nombreuses capitales du Sud, Tana a connu une forte croissance d¨¦mographique au cours des dix derni¨¨res ann¨¦es, une majorit¨¦ des nouveaux r¨¦sidents vivant dans des communaut¨¦s ¨¤ faible revenu. En 2006, les services d¡¯eau et d¡¯assainissement fournis ¨¤ ces communaut¨¦s ¨¦taient insuffisants. JIRAMA, la compagnie nationale d¡¯eau et d¡¯¨¦lectricit¨¦, s¡¯¨¦tait engag¨¦e ¨¤ am¨¦liorer l¡¯approvisionnement en eau, mais n¡¯avait pas les moyens de le faire sans une aide ext¨¦rieure.

Nous ¨¦tions convaincus, et nous le sommes toujours, que fournir des services ¨¤ grande ¨¦chelle ne pourrait ¨ºtre r¨¦alis¨¦ qu¡¯avec l¡¯aide de fournisseurs locaux qui prendraient en main et dirigeraient le processus ¨¤ long terme. Notre priorit¨¦ a ¨¦t¨¦ d¡¯¨¦tablir une relation de travail ¨¦troite avec JIRAMA, de renforcer ses capacit¨¦s et de d¨¦montrer ce qui ¨¦tait possible. Le partenariat, qui a d¨¦but¨¦ avec un projet pilote visant ¨¤ construire 17 bornes-fontaines, s¡¯est d¨¦velopp¨¦ de mani¨¨re exponentielle. Depuis 2010 seulement, JIRAMA a fourni pr¨¨s de 500 nouveaux raccordements aux communaut¨¦s ¨¤ revenu faible de Tana. L¡¯infrastructure est g¨¦r¨¦e par des associations communautaires qui ach¨¨tent l¡¯eau ¨¤ JIRAMA et?la revend aux clients ¨¤ un prix abordable.

L¡¯approvisionnement en eau s?r et fiable a donn¨¦ lieu ¨¤ de nombreux avantages sociaux et ¨¦conomiques, y compris l¡¯am¨¦lioration de la sant¨¦, gr?ce ¨¤ une r¨¦duction des maladies diarrh¨¦iques, et des ¨¦conomies de temps et d¡¯argent associ¨¦es aux courtes distances ¨¤ parcourir pour aller chercher de l¡¯eau.

Germaine, qui vit dans la commune d¡¯Itaosy de Tana, est une cliente qui a b¨¦n¨¦fici¨¦ des nouveaux services. Auparavant, elle n¡¯avait pas d¡¯autre choix que de faire bouillir et traiter l¡¯eau qu¡¯elle allait puiser dans un puits voisin ou risquer de tomber malade. Maintenant qu¡¯une borne-fontaine de distribution d¡¯eau salubre est ¨¤ une dizaine de m¨¨tres de son domicile, elle n¡¯a plus besoin de tirer de lourds seaux et les effets sur la sant¨¦ sont ¨¦vidents. ? Mon petit-fils est content de ne plus souffrir de maux de ventre parce qu¡¯il peut d¨¦sormais boire de l¡¯eau potable qui vient directement de la borne-fontaine ?, d¨¦clare-t-elle.

Le programme conjoint entre WSUP et JIRAMA a eu des incidences directes sur de nombreux moyens de subsistance des femmes. Plus de 60 lavoirs raccord¨¦s ¨¤ des conduites d¡¯eau ont ¨¦t¨¦ construits, en partie pour offrir aux blanchisseuses un lieu s?r pour exercer leur activit¨¦. Le WSUP estime que chaque blanchisseuse, dont 95 % sont des femmes, gagnent 8?000 MGA par jour, soit environ 490 dollars par an, trois fois plus qu¡¯avant la construction des lavoirs.

De nombreux autres commerces en ont ¨¦galement tir¨¦ profit. Hantanirina Rakotozanany, par exemple, explique que gr?ce ¨¤ la borne-fontaine situ¨¦e tr¨¨s pr¨¨s de son domicile, elle a d¨¦sormais le temps de d¨¦velopper son entreprise de cire. ? Je fabrique de la cire pour cirer l¡¯int¨¦rieur des maisons ?, explique-t-elle. ? Cela permet de payer les frais de scolarit¨¦ de nos enfants. ?

Quels enseignements avons-nous tir¨¦s de cette exp¨¦rience qui pourrait ¨ºtre utile ¨¤ d¡¯autres pays?? Surtout, la fourniture de ces nouveaux services a ¨¦t¨¦ accompagn¨¦e par des r¨¦formes institutionnelles et le renforcement des capacit¨¦s de JIRAMA. Ces am¨¦liorations ont principalement port¨¦ sur une meilleure gestion de l¡¯eau et la r¨¦duction des pertes d¡¯eau non g¨¦n¨¦ratrice de revenu (NRW) ¨¤ Tana. La NRW est la quantit¨¦ produite par une entreprise pour laquelle celle-ci ne re?oit aucun revenu en raison de pertes physiques (conduites qui fuient) ou de pertes commerciales (facturation inexacte, relev¨¦s inexacts ou raccordements ill¨¦gaux). La r¨¦duction de ces pertes est un moyen essentiel d¡¯augmenter l¡¯approvisionnement en eau des clients ¨¤ revenu faible. Les 3 millions de m3 d¡¯eau qui sont ¨¦conomis¨¦s chaque ann¨¦e gr?ce ¨¤ la NRW¡ªqui pourraient remplir 1?200 piscines olympiques¡ª permettent d¡¯offrir de meilleurs services aux clients existants et d¡¯¨¦tendre leur acc¨¨s ¨¤ de nombreux r¨¦sidents ¨¤ revenu faible.

Paradoxalement, les r¨¦formes entreprises par JIRAMA ont ¨¦t¨¦ acc¨¦l¨¦r¨¦es par l¡¯¨¦chec d¡¯un important programme d¡¯investissement ¨¤ Madagascar suite au coup d¡¯?tat de 2009. Sans une source de financement importante, nous ¨¦tions davantage motiv¨¦s ¨¤ travailler avec JIRAMA et ¨¤ trouver des moyens de faire des ¨¦conomies pour lui permettre de toucher les communaut¨¦s ¨¤ faible revenu. Dans un sens, l¡¯exp¨¦rience a ¨¦t¨¦ b¨¦n¨¦fique, car elle a permis de d¨¦montrer que les entreprises de services publics sont capables de r¨¦aliser elles-m¨ºmes des changements sans avoir recours ¨¤ d¡¯importants investissements. Elle souligne notre conviction qu¡¯il est possible d¡¯adopter les activit¨¦s mises en ?uvre par JIRAMA et de les appliquer ¨¤ d¡¯autres entreprises de services publics dans les pays du Sud.

Il est regrettable que nous n¡¯ayons par r¨¦ussi ¨¤ faire des progr¨¨s en mati¨¨re d¡¯assainissement similaires ¨¤ ceux que nous avons observ¨¦s en mati¨¨re d¡¯approvisionnement en eau salubre, ¨¤ la fois ¨¤ Madagascar et dans les pays du Sud. Un certain nombre de d¨¦fis persistent qu¡¯il faudra surmonter avant d¡¯aborder la question de l¡¯assainissement ¨¤ grande ¨¦chelle. Une premi¨¨re ¨¦tape essentielle est de pr¨¦ciser clairement quelles institutions sont responsables de la fourniture des services d¡¯assainissement dans les r¨¦gions urbaines. ? Madagascar, le Minist¨¨re de l¡¯eau a ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦ en 2008, puis est devenu le Minist¨¨re de l¡¯eau, de l¡¯assainissement et de l¡¯hygi¨¨ne en 2015; un cadre juridique pour l¡¯assainissement existe, mais il est rarement appliqu¨¦. Le domaine souffre d¡¯un manque de leadership d? en partie ¨¤ l¡¯apparition d¡¯un certain flou sur la question de savoir si l¡¯assainissement est principalement une pr¨¦occupation li¨¦e ¨¤ l¡¯environnement ou ¨¤ la planification urbaine. On est, cependant, de plus en plus conscient de la n¨¦cessit¨¦ de renforcer le cadre institutionnel pour l¡¯assainissement. Des discussions sont en cours pour cr¨¦er un nouvel organisme r¨¦glementaire, mais il faudra du temps pour le mettre en place.

En plus du manque de clart¨¦ concernant les responsabilit¨¦s li¨¦es ¨¤ l¡¯assainissement s¡¯ajoute le manque chronique d¡¯investissement pour am¨¦liorer l¡¯infrastructure sanitaire. Le r¨¦seau des ¨¦gouts ¨¤ Tana a ¨¤ peine chang¨¦ depuis l¡¯¨¨re coloniale. L¡¯acc¨¨s est tr¨¨s limit¨¦ dans le centre de la ville (environ 17 %) et pratiquement inexistant dans les r¨¦gions p¨¦riurbaines.

Une strat¨¦gie d¡¯assainissement en milieu urbain est en voie d¡¯¨¦laboration ¨¤ Tana, avec l¡¯appui du WSUP. L¡¯une de ses composantes est l¡¯augmentation du nombre de r¨¦sidents raccord¨¦s au syst¨¨me de tout-¨¤-l¡¯¨¦gout. Ces projets sont les bienvenus, mais ils sont ¨¤ long terme. Dans le court terme, la majorit¨¦ de la population ne sera pas raccord¨¦e de sit?t. Cela signifie qu¡¯il faut davantage se concentrer sur l¡¯assainissement autonome, o¨´ les eaux us¨¦es des toilettes sont stock¨¦es localement dans une fosse ou dans un r¨¦servoir, puis ¨¦vacu¨¦es. Une telle solution pr¨¦sente des complications en termes de gestion, mais aussi des opportunit¨¦s de d¨¦veloppement ¨¦conomique, les entrepreneurs du secteur priv¨¦ pouvant diriger des entreprises ¨¤ but lucratif pour stocker les eaux us¨¦es, les traiter et les ¨¦vacuer.

Un autre obstacle essentiel ¨¤ l¡¯am¨¦lioration de l¡¯infrastructure sanitaire que nous avons observ¨¦ dans les pays du Sud est la propri¨¦t¨¦ fonci¨¨re et la disponibilit¨¦. Les r¨¦gions urbaines ¨¤ revenu faible sont g¨¦n¨¦ralement tr¨¨s peupl¨¦es et manquent d¡¯espace pour les installations d¡¯assainissement communales et une infrastructure plus d¨¦velopp¨¦e comme les stations de transfert. Certains ¨¦tablissements sont install¨¦s sur des terrains publics qui ne sont pas autoris¨¦s ¨¤ des fins r¨¦sidentielles et?les occupants sont priv¨¦s de leurs droits aux services publics. Dans d¡¯autres cas, le terrain est sous le contr?le d¡¯un propri¨¦taire qui peut ¨ºtre contraint ou non de fournir un assainissement ad¨¦quat. ? Tana, la question majeure qui se pose est le manque de terrains au centre de la ville o¨´ la mise en place d¡¯installations d¡¯assainissement communales peut, par exemple, devenir un processus long et compliqu¨¦. Il n¡¯y a pas de solutions ais¨¦es, mais la question est moins cruciale dans les r¨¦gions p¨¦riurbaines.

Une derni¨¨re pi¨¨ce du puzzle que j¡¯aimerais souligner est la difficult¨¦ ¨¤ stimuler la demande de meilleurs services. ? Tana, de nombreuses familles ¨¤ revenu faible utilisent des latrines ¨¤ fosse qui n¨¦cessitent une plate-forme sanitaire en b¨¦ton (SanPlat) pour les rendre plus hygi¨¦niques. Pour la plupart des familles ¨¤ revenu faible, cependant, l¡¯am¨¦lioration de l¡¯assainissement n¡¯est pas per?ue comme un investissement prioritaire. Pour y rem¨¦dier, nous devons encourager les r¨¦sidents ¨¤ investir davantage dans l¡¯am¨¦lioration de l¡¯assainissement en leur expliquant pourquoi c¡¯est important. Cela requiert une strat¨¦gie de marketing. ? Tana, par exemple, nous avons exp¨¦riment¨¦ la publicit¨¦ t¨¦l¨¦vis¨¦e pour stimuler l¡¯int¨¦r¨ºt.

Il est ¨¦vident qu¡¯une dalle en b¨¦ton recouvrant une latrine ¨¤ fosse ne sera jamais une priorit¨¦ sur la liste des achats. Elle n¡¯arrivera jamais ¨¤ concurrencer la t¨¦l¨¦vision par satellite. Mais ce d¨¦fi rejoint la conviction du WSUP que nous ne pourrons jamais am¨¦liorer l¡¯acc¨¨s des citadins ¨¤ l¡¯eau et ¨¤ l¡¯assainissement ¨¤ moins de consid¨¦rer les r¨¦sidents ¨¤ faible revenu comme des clients et de d¨¦velopper des produits et des services qu¡¯ils peuvent, et veulent, acheter et utiliser.

La cible de l¡¯ODD visant ¨¤ assurer l¡¯acc¨¨s de tous aux services d¡¯assainissement semble, aujourd¡¯hui, lointaine dans mon pays et dans de nombreux autres. Mais il y a dix ans, je n¡¯aurai jamais imagin¨¦ qu¡¯aujourd¡¯hui, 700?000 r¨¦sidents ¨¤ faible revenu suppl¨¦mentaires auraient acc¨¨s ¨¤ l¡¯eau salubre ¨¤ Tana. La situation peut changer. ? Madagascar, nous avons d¨¦j¨¤ fait des progr¨¨s consid¨¦rables vers l¡¯acc¨¨s de tous ¨¤ l¡¯eau salubre et avons constat¨¦ que ces progr¨¨s nous permettent de faire face avec optimisme aux d¨¦fis qui se pr¨¦sentent.

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