1 avril 2008


Le 30 octobre 2008, six ¨¦minents ¨¦conomistes et sociologues ont particip¨¦ ¨¤ un Groupe interactif sur la crise financi¨¨re mondiale au si¨¨ge de l'ONU ¨¤ l'initiative du Pr¨¦sident de la soixante-troisi¨¨me session de l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale, Miguel d'Escoto Brockmann, pour d¨¦battre de la crise financi¨¨re actuelle et de ses cons¨¦quences macro¨¦conomiques et sociales. Parmi les pan¨¦listes figuraient Joseph Stiglitz, laur¨¦at du prix Nobel de sciences politiques et ancien Vice-Pr¨¦sident et chef ¨¦conomiste de la Banque mondiale; Fran?ois Houtart, R¨¦dacteur en chef de l'International Journal of Sociology of Religion - ? Social Compass ?; Prabhat Patnaik, Professeur au Centre d'¨¦tudes et de planification ¨¦conomiques ¨¤ l'Universit¨¦ Jawaharlal Nehry; Sakiko Fukuda-Parr, Professeur d'Affaires internationales ¨¤ la New School University; Calestous Juma, Professeur de Pratique du d¨¦veloppement international ¨¤ Harvard Kennedy School of Governement; et Pedro P¨¢ez Perez, Ministre de la coordination de la politique ¨¦conomique de l'?quateur et Pr¨¦sident de la Commission pr¨¦sidentielle ¨¦quatoriale pour la nouvelle architecture financi¨¨re r¨¦gionale - Banco del Sur.
Dans son allocution d'ouverture, M. Brockmann a dit que l'? exub¨¦rance irrationnelle ? avait laiss¨¦ place ¨¤ une ? cupidit¨¦ effr¨¦n¨¦e et ¨¤ une corruption g¨¦n¨¦ralis¨¦e, autoris¨¦es par des gouvernements qui ont oubli¨¦ la responsabilit¨¦ qu'ils ont de prot¨¦ger leurs citoyens ?. Le but de cette rencontre est d'identifier des mesures et de les pr¨¦senter aux ?tats Membres pour adoption afin de jeter les bases d'une situation ¨¦conomique mondiale plus stable.
M. Stiglitz, qui pr¨¦sidait ce d¨¦bat, a estim¨¦ pour sa part que face ¨¤ cette crise, les r¨¦actions devaient ¨ºtre guid¨¦es par les principes de justice et de solidarit¨¦ sociale et transcender les fronti¨¨res nationales pour inclure les pays d¨¦velopp¨¦s et les pays en d¨¦veloppement, sugg¨¦rant des r¨¦formes importantes des politiques ¨¦conomiques des pays d¨¦velopp¨¦s. Il a indiqu¨¦ que les r¨¦glementations devaient porter sur la protection des consommateurs ainsi que sur l'acc¨¨s de tous aux march¨¦s financiers, ajoutant que les Banques centrales devaient modifier leurs mandats et que les pays devaient mettre en place des syst¨¨mes de r¨¦glementation qui ne soient pas bas¨¦s sur des int¨¦r¨ºts particuliers. Selon lui, le Fonds mon¨¦taire international (FMI) n'¨¦tait pas le mieux habilit¨¦ ¨¤ r¨¦pondre ¨¤ la crise, bien que le monde n'ait pas d'autre choix sur le long terme. Le FMI n'a ni anticip¨¦ ni emp¨ºch¨¦ le probl¨¨me, a-t-il ajout¨¦ et, ¨¤ ce jour, n'a pas propos¨¦ de r¨¦formes de la r¨¦glementation appropri¨¦es pour ¨¦viter que de tels probl¨¨mes ne se produisent ¨¤ l'avenir. ?Comment le FMI peut-il ¨ºtre la solution alors qu'il est autant li¨¦ aux march¨¦s et ¨¤ la philosophie qui sous-tend les ph¨¦nom¨¨nes que le monde entier d¨¦plore aujourd'hui ? ?
Mme Fukuda-Parr a parl¨¦ de la situation catastrophique ¨¤ laquelle sont confront¨¦s les pays les plus pauvres. ? Les pays en d¨¦veloppement seront principalement touch¨¦s par la r¨¦cession de l'¨¦conomie, plut?t que par la crise financi¨¨re dans les march¨¦s. C'est une menace importante, car elle compromet les progr¨¨s de la croissance et du d¨¦veloppement r¨¦alis¨¦s ces derni¨¨res ann¨¦es. ? Elle a estim¨¦ que les pauvres seraient affect¨¦s par le d¨¦clin des flux de capitaux priv¨¦s, le r¨¦tr¨¦cissement des march¨¦s d'exportation et la r¨¦duction des d¨¦penses des gouvernements dans les secteurs sociaux comme la sant¨¦, l'¨¦ducation et les transports. Elle a fait remarquer que la fragilit¨¦ des moyens d'existence et la d¨¦valuation qui entra¨ªne l'inflation d¨¦truiraient les revenus et les biens des m¨¦nages. Elle a ¨¦galement reconnu que la crise ¨¦conomique creuserait le foss¨¦ entre les sexes, car les femmes passent plus de temps ¨¤ produire et ¨¤ pr¨¦parer la nourriture lorsque les revenus des m¨¦nages baissent. Elle a soulign¨¦ la n¨¦cessit¨¦ de r¨¦formes politiques en accordant une attention particuli¨¨re aux budgets d'aide au d¨¦veloppement, au r¨¦chauffement climatique et ¨¤ la crise alimentaire et ¨¦nerg¨¦tique.
Prabhat Patnaik, qui a pass¨¦ de nombreuses ann¨¦es ¨¤ ¨¦tudier la dynamique des ¨¦conomies en d¨¦veloppement, a indiqu¨¦ que la crise actuelle aurait un impact sur la disponibilit¨¦ des denr¨¦es alimentaires dans le monde, en particulier parmi les nations en d¨¦veloppement. ? Alors que l'¨¦clatement de la bulle immobili¨¨re aux ?tats-Unis est probablement la cause imm¨¦diate de la crise financi¨¨re, le probl¨¨me fondamental r¨¦side dans la ? nature sp¨¦culative de ces bulles ?. L'injection de liquidit¨¦s dans l'¨¦conomie ne r¨¦soudra pas le probl¨¨me, a-t-il indiqu¨¦, principalement parce que l'acc¨¨s aux liquidit¨¦s ne permettra pas le flux des cr¨¦dits. Pour obtenir des cr¨¦dits, il faudra que la demande porte sur des projets viables et que les emprunteurs soient solvables et s?rs. L'injection de liquidit¨¦s ne r¨¦sout pas le probl¨¨me de la solvabilit¨¦ et l'anticipation d'une crise rend les emprunteurs h¨¦sitant ¨¤ emprunter et les cr¨¦diteurs ¨¤ pr¨ºter. Il est donc n¨¦cessaire d'injecter directement de la demande dans l'¨¦conomie. Prenant les exemples de l'Inde, la Chine et d'autres pays en d¨¦veloppement, il a indiqu¨¦ qu'en plus des mesures sociales de l'?tat, les d¨¦penses du gouvernement devraient ¨ºtre orient¨¦es vers une augmentation significative dans le secteur agricole, en particulier dans la production de c¨¦r¨¦ales alimentaires. Pour ce faire, il faudrait restructurer l'agriculture paysanne, a-t-il ajout¨¦.
S'exprimant au nom de l'Union europ¨¦enne, le repr¨¦sentant permanent de la France aupr¨¨s des Nations Unies, Jean-Maurice Ripert, a fait remarquer que les d¨¦s¨¦quilibres du syst¨¨me ¨¦conomique international et les failles dans la r¨¦glementation internationale ont engendr¨¦ des crises. L'ambassadeur a dit que l'Europe avait pris des mesures en consolidant le secteur financier europ¨¦en et en renfor?ant la transparence, la responsabilit¨¦ et la surveillance des acteurs financiers.
Au nom du Groupe des 77 et de la Chine, le Repr¨¦sentant permanent adjoint d'Antigua-et-Baruda Byron Blake a d¨¦clar¨¦ que la crise est venue se greffer sur un syst¨¨me de gouvernance mondiale fondamentalement et structurellement faible. Il a soulign¨¦ le r?le des Nations Unies en tant qu'institution qui transcende les fronti¨¨res et adopte une approche multidimensionnelle int¨¦gr¨¦e et coh¨¦rente dans les actions qu'elle m¨¨ne.
Le repr¨¦sentant et ambassadeur am¨¦ricain T. Vance McMahan a reconnu qu'il fallait r¨¦former le syst¨¨me financier de son pays, indiquant que son gouvernement avait pris des mesures pour mettre en ?uvre les recommandations des experts am¨¦ricains du Groupe sur les march¨¦s financiers cr¨¦¨¦ par le Pr¨¦sident, ainsi que celles des experts internationaux du Forum de stabilit¨¦ financi¨¨re portant sur la transparence, la r¨¦glementation, la gestion des risques et la discipline des march¨¦s.
M. P¨¢z P¨¦rez d'?quateur a propos¨¦ une nouvelle architecture financi¨¨re r¨¦gionale fond¨¦e sur trois caract¨¦ristiques principales : (1) une gouvernance d¨¦mocratique et transparente soutenue par une responsabilit¨¦ proportionnelle et juste; (2) la cr¨¦ation d'un nouveau processus, int¨¦grant la Banque du Sud comme base au d¨¦veloppement du r¨¦seau bancaire; et (3) le renforcement d'un syst¨¨me bancaire central r¨¦gional et d'un syst¨¨me mon¨¦taire commun li¨¦ aux droits de tirage r¨¦gionaux et ¨¤ la monnaie r¨¦gionale ¨¦lectronique. Il a estim¨¦ que la proposition permettrait ¨¤ des pays pr¨¦sentant des r¨¦alit¨¦s politiques et ¨¦conomiques diff¨¦rentes de participer ¨¤ ce nouvel effort d'int¨¦gration dont le point de r¨¦f¨¦rence est l'Union des Nations sud-am¨¦ricaines (UNASUR).
Calestous Juma a propos¨¦ que les Nations Unies soient une plate-forme de dialogue et de n¨¦gociations entre les nations afin d'assurer la transparence dans les march¨¦s mondiaux, d'¨¦tablir des syst¨¨mes d'alerte rapide et d'aider les pays en d¨¦veloppement ¨¤ mettre en place des institutions financi¨¨res conformes aux normes internationales. Alors que dans les pays en d¨¦veloppement, la majorit¨¦ des universit¨¦s ont pour objectif de construire la nation, le d¨¦fi actuel est de d¨¦velopper les communaut¨¦s, a-t-il indiqu¨¦. Il a donc recommand¨¦ la cr¨¦ation d'universit¨¦s qui s'int¨¦greraient dans les diverses communaut¨¦s, en visant en particulier ¨¤ promouvoir des changements ¨¦conomiques l¨¤ o¨´ elles sont ¨¦tablies.
Fran?ois Houtart, le dernier intervenant ¨¤ prendre la parole, a d¨¦clar¨¦ que le monde avait besoin de nouveaux choix et pas seulement d'une nouvelle r¨¦glementation. Il ne suffit pas de r¨¦am¨¦nager le syst¨¨me, il s'agit de le transformer, a-t-il estim¨¦. C'est un devoir moral et, pour comprendre cela, il faut adopter le point de vue des victimes. Quand 850 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvret¨¦ et que le changement climatique cause de plus en plus de d¨¦g?ts dans l'environnement, il n'est pas possible de parler seulement de la crise financi¨¨re - toutes les d¨¦faillances syst¨¦miques ont engendr¨¦ une v¨¦ritable crise de la soci¨¦t¨¦, a-t-il pr¨¦cis¨¦. Il a soulign¨¦ la n¨¦cessite d'une vision ¨¤ long terme fond¨¦e sur une utilisation renouvelable, rationnelle des ressources naturelles, qui pr¨¦supposait une approche diff¨¦rente de la nature, le respect de la source de la vie plut?t que l'exploitation illimit¨¦e des mati¨¨res brutes.
Les repr¨¦sentants de l'Allemagne, de l'Argentine, du Belarus, de la Bolivie, du Br¨¦sil, du Canada, du Chili, de la Chine, de l'Espagne, de l'?quateur, de l'?gypte, du Honduras, de l'Inde, de l'Indon¨¦sie, de la Jama?que, du Japon, du Kenya, du Mexique (au nom du Groupe de Rio), du Maroc, du Nicaragua, des Philippines, du Portugal, du Qatar, de la R¨¦publique de Cor¨¦e, du Royaume-Uni, de Singapour et du Venezuela sont ¨¦galement intervenus pendant le d¨¦bat.
En conclusion, le Pr¨¦sident de l'Assembl¨¦e a rappel¨¦ que seule la d¨¦mocratisation des Nations Unies peut leur donner la l¨¦gitimit¨¦ de r¨¦pondre ¨¤ la confiance que tant de peuples ont plac¨¦e en elles pour les repr¨¦senter dans la mise en place d'une nouvelle architecture financi¨¨re internationale.

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