21 septembre 2015

Mes souvenirs des Nations Unies remontent tr¨¨s loin dans le temps. Jeune diplomate, j¡¯ai assist¨¦ ¨¤ ma premi¨¨re session de l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale, ¨¤ Londres, en 1946. C¡¯¨¦tait une ¨¦poque porteuse d¡¯immenses espoirs qui ont ¨¦t¨¦ rapidement d¨¦?us. Avant la fin de la d¨¦cennie, les membres permanents du Conseil de s¨¦curit¨¦ ¨¦taient entr¨¦s en comp¨¦tition ¨¤ la fois id¨¦ologiquement et g¨¦opolitiquement. La coll¨¦gialit¨¦ entre eux, sur laquelle reposait le syst¨¨me collectif en mati¨¨re de s¨¦curit¨¦, avait disparu. Une nouvelle guerre, avec un affrontement direct entre les superpuissances mondiales, avait ¨¦t¨¦ ¨¦vit¨¦e, mais autrement, pendant des d¨¦cennies, la capacit¨¦ des Nations Unies ¨¤ mener ¨¤ bien son objectif principal, le maintien de la paix et de la s¨¦curit¨¦ internationales, avait ¨¦t¨¦ s¨¦rieusement mise ¨¤ mal.

Ma carri¨¨re en tant que diplomate m¡¯a appel¨¦ ailleurs pendant 25 ans avant de revenir aux Nations Unies, d¡¯abord en tant qu¡¯ambassadeur du P¨¦rou, ensuite en tant que haut fonctionnaire du Secr¨¦tariat, puis, dix plus tard, en tant que Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral. La menace d¡¯une guerre nucl¨¦aire avait pratiquement disparu depuis son point culminant, en octobre 1962, mais la plupart des autres aspects de la guerre froide perduraient. L¡¯Organisation et son Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral demeuraient en grande partie marginalis¨¦s. Je suis fier de ce qui a ¨¦t¨¦ accompli durant la d¨¦cennie o¨´ j¡¯ai occup¨¦ cette fonction, la plupart du temps par l¡¯entremise des missions de bons offices des Nations Unies minutieusement pes¨¦es, souvent avec l¡¯aide d¡¯acteurs ext¨¦rieurs, mais aussi avec l¡¯aide de l¡¯ONU qui a apport¨¦ son appui aux autres parties, en travaillant ¨¦troitement et efficacement avec le Conseil de s¨¦curit¨¦.

C¡¯¨¦tait une p¨¦riode porteuse de nouveaux espoirs, comme l¡¯a not¨¦ le Conseil de s¨¦curit¨¦, r¨¦uni au sommet pour la premi¨¨re fois, un mois apr¨¨s mon d¨¦part. L¡¯Organisation avait jou¨¦ un r?le essentiel, souvent central, mettant un terme ¨¤ une s¨¦rie de conflits en Afghanistan, entre l¡¯Iran et l¡¯Iraq et au Cambodge. Les accords reconnaissant? l¡¯ind¨¦pendance de l¡¯Angola avaient ouvert la voie ¨¤ l¡¯autod¨¦termination et ¨¤ l¡¯ind¨¦pendance de la Namibie et contribu¨¦?¨¤ mettre fin ¨¤ l¡¯apartheid en Afrique du Sud. Au Mozambique, la paix ¨¦tait imminente. La violence au Nicaragua avait pris fin et, en El Salvador, la premi¨¨re m¨¦diation de l¡¯ONU avait ¨¦t¨¦ d¨¦cisive pour mettre fin ¨¤ un conflit interne. Les activit¨¦s men¨¦es par l¡¯Organisation ¨¤ la fin des ann¨¦es 1980 et au d¨¦but des ann¨¦es 1990 avaient consid¨¦rablement contribu¨¦ au long processus qui a abouti ¨¤ la fin de la guerre froide.

Depuis, quelles le?ons ai-je tir¨¦es pour l¡¯avenir des Nations Unies ? J¡¯ai consacr¨¦ beaucoup d¡¯efforts ¨¤ mes dix rapports annuels, chacun d¡¯eux ayant fait l¡¯objet de plusieurs mois de travail auxquels ont particip¨¦ mes plus proches coll¨¨gues pendant des sessions qui ont g?ch¨¦ l¡¯¨¦t¨¦ d¡¯un certain nombre. J¡¯ai publi¨¦ un livre de m¨¦moires. J¡¯ai eu 23 ans pour r¨¦fl¨¦chir ¨¤ cette question, mais au lieu de r¨¦diger une longue liste de rem¨¨des, j¡¯ai pr¨¦f¨¦r¨¦ tirer de mes nombreuses exp¨¦riences une le?on fondamentale.

L¡¯article 99 de la Charte des Nations Unies est souvent mentionn¨¦ comme l¡¯avanc¨¦e la plus importante des Nations Unies en ce qui concerne le Pacte de la Soci¨¦t¨¦ des Nations, le premier trait¨¦ pr¨¦c¨¦dant la Charte qui visait ¨¤ mettre en place des r¨¨glements et des m¨¦canismes en mati¨¨re de paix et de s¨¦curit¨¦ internationales pour une organisation qui aspirait ¨¤ l¡¯universalit¨¦. L¡¯importance de la principale disposition du dispositif op¨¦rationnel, donnant au Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral le pouvoir d¡¯attirer l¡¯attention du Conseil de s¨¦curit¨¦ sur toute affaire qui, ¨¤ son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la s¨¦curit¨¦ internationales, est incontestable. Or, le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral ne l¡¯a seulement invoqu¨¦e six fois. ? mon avis, l¡¯importance de l¡¯article 99 r¨¦side davantage dans ce qu¡¯il signifie ou suppose : encourager le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de mani¨¨re sp¨¦cifique ¨¤ d¨¦cider si une affaire devrait ¨ºtre port¨¦e ¨¤ l¡¯attention du Conseil de s¨¦curit¨¦ parce qu¡¯elle pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la s¨¦curit¨¦ internationales. Il signifie que le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral devrait constamment surveiller les situations qui pourraient faire partie de cette cat¨¦gorie. Comment pourrait-il autrement exercer le jugement qui lui est demand¨¦ ? Cela suppose aussi qu¡¯il ait les moyens de le faire. Le fait que les ?tats Membres n¡¯aient pas r¨¦pondu ¨¤ ces attentes, loin s¡¯en faut, est un s¨¦rieux handicap, mais cela ne remet pas en question le fondement conceptuel que fournissent ces ¨¦l¨¦ments pour les bons offices du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral.

Peu d¡¯attention a ¨¦t¨¦ accord¨¦e ¨¤ un autre article qui figure dans la section de la Charte consacr¨¦e au Secr¨¦tariat. Il s¡¯agit de l¡¯article 100, dont j¡¯aimerais souligner l¡¯importance.

Lorsque je tente de faire part de mon exp¨¦rience dans ce qu¡¯elle a de plus pr¨¦cieux, je trouve un seul mot : l¡¯ind¨¦pendance. Ce terme englobe ce qui m¡¯a donn¨¦ la force et la capacit¨¦ d¡¯exercer une influence positive sur un certain nombre de probl¨¨mes apparemment insolubles qui d¨¦chiraient la communaut¨¦ internationale et qui restaient sans solution. Ma r¨¦ponse a toujours ¨¦t¨¦ contenue dans un seul mot : l¡¯ind¨¦pendance. Comment peut-on y parvenir ?

Le terme ? ind¨¦pendance ? n¡¯appara?t pas dans l¡¯article?100. Dans le deuxi¨¨me paragraphe, il est stipul¨¦ que ? chaque membre de l¡¯Organisation s¡¯engage ¨¤ respecter le caract¨¨re exclusivement international des fonctions du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral et du personnel et ¨¤ ne pas chercher ¨¤ les influencer dans l¡¯ex¨¦cution de leur t?che ?. Le terme ? ind¨¦pendance ? aurait peut-¨ºtre ¨¦t¨¦ pr¨¦matur¨¦ dans les ann¨¦es 1940, une ¨¦poque o¨´ la souverainet¨¦ ¨¦tait alors un concept beaucoup plus solide dans le contenu et dans l¡¯esprit des hommes d¡¯?tat qu¡¯elle ne l¡¯est aujourd¡¯hui. Mais il n¡¯¨¦tait pas n¨¦cessaire : vu le contexte, il ne fait aucun doute que c¡¯¨¦tait ce qui ¨¦tait inscrit dans la Charte. C¡¯est certainement ce que j¡¯ai vu. ? l¡¯¨¦poque, et d¡¯autant plus r¨¦trospectivement, cela a ¨¦t¨¦ extr¨ºmement pr¨¦cieux pour moi. J¡¯expliquerai bri¨¨vement pourquoi.

Comme Dag Hammarskj?ld, je n¡¯ai pas brigu¨¦ la fonction de Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral. Mon Gouvernement souhaitait que je pr¨¦sente ma candidature et a inform¨¦ le Conseil de s¨¦curit¨¦ de ma disponibilit¨¦, mais j¡¯ai refus¨¦ de mener une campagne. Je n¡¯ai sollicit¨¦ le soutien de personne. Je ne me suis pas rendu ¨¤ New York. Je n¡¯ai fait aucune promesse aux ?tats Membres ni ¨¤ qui que ce soit pour obtenir le poste. Il n¡¯y avait aucune contre-partie, aucune politique de donnant-donnant. Je ne souhaitais pas non plus briguer un autre mandat apr¨¨s le mandat de cinq ans pour lequel j¡¯avais ¨¦t¨¦ nomm¨¦.

Le 13 mai 1986, quelques mois avant l¡¯expiration de ce qui s¡¯est av¨¦r¨¦ ¨ºtre mon premier mandat, j¡¯ai donn¨¦ la conf¨¦rence Cyril Foster au Sheldonian Theater, ¨¤ l¡¯Universit¨¦ d¡¯Oxford. Vingt-cinq ans avant, Dag Hammarskj?ld avait donn¨¦ une conf¨¦rence similaire avec pour th¨¨me le fonctionnaire civil international dans la loi et dans les faits. Mon sujet ¨¦tait le r?le du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral.

J¡¯ai pass¨¦ en revue le r?le de bons offices du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral et l¡¯ai r¨¦sum¨¦ en un mot : l¡¯impartialit¨¦. ? L¡¯impartialit¨¦ ? ai-je dit, ? est le c?ur et l¡¯?me de la fonction de Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral. ? Je suis all¨¦ plus loin en sugg¨¦rant que pour assurer cette impartialit¨¦, il fallait r¨¦tablir la convention selon laquelle nul ne devrait ¨ºtre candidat au poste. Il devrait ¨ºtre attribu¨¦ ¨¤ une personne comp¨¦tente sans qu¡¯elle l¡¯ait recherch¨¦. Quelle que soit son int¨¦grit¨¦, elle ne peut garder l¡¯ind¨¦pendance n¨¦cessaire si elle annonce sa candidature et m¨¨ne une campagne pour ¨ºtre ¨¦lue.

L¡¯ind¨¦pendance ne signifie pas que le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral soit libre d¡¯agir ¨¤ sa guise. Il est li¨¦ ¨¤ la Charte des Nations Unies et pour que l¡¯Organisation soit un agent actif de la paix, il doit travailler en partenariat avec le Conseil de s¨¦curit¨¦. Mais ce partenariat est renforc¨¦ si le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral adopte un point de vue plus vaste que celui des ?tats Membres individuellement ou m¨ºme que leur s¨¦lection proclam¨¦e dans le Conseil. Dans certains cas, il peut se sentir oblig¨¦ de prendre quelque peu ses distances pour maintenir le dialogue ouvert avec ceux qui se sentent incompris ou ne comprennent pas le sens de sa d¨¦marche. Le maintien de cette position distincte en fera un partenaire plus efficace et plus cr¨¦dible. S¡¯il est clair?¨¤ ce sujet avec les membres du Conseil de s¨¦curit¨¦, ils verront l¡¯utilit¨¦ de cette d¨¦marche et le respecteront.

En d¨¦pit de ma position publique claire qu¡¯ils ne pouvaient pas avoir injustement interpr¨¦t¨¦s comme une affirmation d¡¯in- d¨¦pendance, les cinq membres permanents du Conseil sont venus me voir ensemble ¨C ce qui n¡¯¨¦tait pas dans leurs habitudes ¨C au d¨¦but d¡¯octobre 1986 pour me demander d¡¯accepter un autre mandat. J¡¯ai accept¨¦ avec r¨¦ticence, mais j¡¯ai entam¨¦ mon deuxi¨¨me mandat, me sentant investi d¡¯un nouveau pouvoir. Les exemples o¨´ mon ind¨¦pendance vis-¨¤-vis des ?tats Membres a ouvert des possibilit¨¦s qui n¡¯auraient pas exist¨¦ si je m¡¯¨¦tais limit¨¦ ¨¤ faire ¨¦cho ¨¤ chaque d¨¦claration du Conseil sont trop longs ¨¤ ¨¦num¨¦rer. C¡¯est cette ind¨¦pendance qui a amen¨¦ le Conseil de s¨¦curit¨¦ ¨¤ changer de position concernant la guerre entre l¡¯Iran et l¡¯Iraq et ¨¤ mettre en place un cadre pour y mettre fin. Je suis certain qu¡¯elle a rendu possible l¡¯¨¦laboration d¡¯un accord de paix global en El Salvador plut?t qu¡¯une paix partielle ou aucun accord de paix. Ce sont simplement deux cas o¨´ mon ind¨¦pendance m¡¯a donn¨¦ la libert¨¦ d¡¯action n¨¦cessaire pour m¡¯acquitter de mes responsabilit¨¦s en ¨¦tant ¨¤ l¡¯¨¦coute de l¡¯ensemble des membres. C¡¯est l¡¯avantage de ne pas avoir ¨¦t¨¦ candidat.

Cette le?on est-elle toujours pertinente ? C¡¯est ¨¤ l¡¯ensemble des ?tats Membres, et en particulier aux membres du Conseil de s¨¦curit¨¦, d¡¯en juger.?

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