28 f¨¦vrier 2019

Nous sommes aujourd¡¯hui ¨¤ la veille de changements technologiques sans pr¨¦c¨¦dent. Face ¨¤ ce moment historique, que l¡¯on qualifie parfois de quatri¨¨me r¨¦volution industrielle, on s¡¯accorde de plus en plus ¨¤ reconna?tre que les derniers d¨¦veloppements dans les domaines scientifique et technologique sont d¡¯une nature unique et risquent d¡¯avoir une incidence sur tous les aspects de notre vie quotidienne.

Dans des domaines allant de la robotique et de l¡¯intelligence artificielle (IA) aux sciences des mat¨¦riaux et de la vie, les prochaines d¨¦cennies sont porteuses d¡¯innovations qui peuvent contribuer ¨¤ promouvoir la paix, ¨¤ prot¨¦ger notre plan¨¨te et ¨¤ nous attaquer aux causes profondes de la souffrance dans le monde. Notre plus grande capacit¨¦ ¨¤ interagir dans le cyberespace renforce ces vastes avanc¨¦es technologiques, multiplie nos possibilit¨¦s de partage de l¡¯information et d¨¦veloppe nos connaissances dans notre monde de plus en plus connect¨¦.

Comme l¡¯a d¨¦clar¨¦ le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Unies Ant¨®nio Guterres, ces technologies peuvent acc¨¦l¨¦rer la r¨¦alisation du Programme de d¨¦veloppement durable ¨¤ l¡¯horizon 2030 et promouvoir les valeurs ¨¦nonc¨¦es ¨¤ la fois dans la Charte des Nations Unies et dans la D¨¦claration universelle des droits de l¡¯homme. Toutefois, ce potentiel unique s¡¯accompagne aussi de nouveaux risques. Pour les r¨¦duire, de nouvelles formes de planification et de collaboration seront n¨¦cessaires.

La r¨¦volution actuelle est diff¨¦rente des avanc¨¦es pr¨¦c¨¦dentes de trois mani¨¨res fondamentales avec, ¨¤ l¡¯avenir, des cons¨¦quences importantes pour la paix et la s¨¦curit¨¦.

Premi¨¨rement, le degr¨¦ de diffusion technologique est sans pr¨¦c¨¦dent, ouvrant la voie ¨¤ une d¨¦mocratisation des moyens permettant la cr¨¦ation de nouvelles technologies et leur acc¨¨s. Deuxi¨¨mement, l¡¯¨¦volution des technologies est de plus en plus rapide, tandis que les innovations engendrent des progr¨¨s et des d¨¦veloppements ¨¦voluant ¨¤ un rythme sans pr¨¦c¨¦dent. Troisi¨¨mement, cette r¨¦volution couvre un vaste ¨¦ventail de questions, apportant des avanc¨¦es majeures dans des disciplines allant de la biologie ¨¤ l¡¯informatique en passant par la technologie des mat¨¦riaux.

Les possibilit¨¦s d¡¯am¨¦lioration de la condition humaine gr?ce ¨¤ ces d¨¦veloppements sont vastes. Dans le domaine de la m¨¦decine, par exemple, la biologie synth¨¦tique, en pleine expansion, pourrait permettre aux m¨¦decins d¡¯adapter les traitements aux besoins des patients avec une extr¨ºme pr¨¦cision. Cette meilleure compr¨¦hension se refl¨¨te dans l¡¯espace o¨´ la technologie nous permet d¡¯entrevoir des mondes ¨¦loign¨¦s, alors qu¡¯elle nous unit plus que jamais par le biais de nos infrastructures de communications et de transport sur Terre. Parall¨¨lement, la production ¨¤ la demande de pi¨¨ces et d¡¯appareils personnalis¨¦s au moyen de la fabrication additive, appel¨¦e aussi impression 3D, nous permettra d¡¯¨¦liminer davantage d¡¯obstacles dans le secteur de l¡¯ing¨¦nierie et de l¡¯industrie, acc¨¦l¨¦rant plus encore les progr¨¨s.??

Ces nouvelles caract¨¦ristiques constituent, toutefois, des menaces uniques qui font malheureusement partie de notre r¨¦volution actuelle, comme de toutes celles qui ont pr¨¦c¨¦d¨¦. L¡¯histoire regorge d¡¯innovations technologiques cr¨¦¨¦es pour le b¨¦n¨¦fice de l¡¯humanit¨¦, mais qui sont utilis¨¦es pour des entreprises moins nobles.

Les nouveaux outils facilitant la modification et la synth¨¨se biologiques, con?us pour aider les scientifiques ¨¤ mieux comprendre les maladies, pourraient ¨ºtre utilis¨¦s ¨¤ mauvais escient pour augmenter la puissance des agents infectieux pouvant ¨ºtre utilis¨¦s comme armes. Dans l¡¯espace, il serait possible d¡¯utiliser des syst¨¨mes robotiques con?us pour alimenter les satellites en orbite ou les r¨¦parer afin de mener des attaques, de causer des dommages aux autres vaisseaux spatiaux. L¡¯impression 3D a d¨¦j¨¤ permis de fabriquer des composants de vaisseaux spatiaux et de missiles pour l¡¯arm¨¦e et de produire des armes de poing, suscitant de vives inqui¨¦tudes concernant leur prolif¨¦ration parmi les acteurs ¨¦tatiques et non ¨¦tatiques. Les vuln¨¦rabilit¨¦s dans le domaine du cyber-espace peuvent aussi constituer des menaces pour les syst¨¨mes bancaires, les h?pitaux, les r¨¦seaux ¨¦lectriques ainsi que pour d¡¯autres parties de nos infrastructures li¨¦es ¨¤ Internet.

Dans chacun de ces domaines, les avanc¨¦es scientifiques et technologiques qui facilitent la production d¡¯armes pourraient avoir des cons¨¦quences impr¨¦vues et dangereuses. De plus, les progr¨¨s en mati¨¨re de m¨¦gadonn¨¦es et d¡¯intelligence artificielle ont suscit¨¦ des inqui¨¦tudes concernant l¡¯¨¦mergence de machines ayant le pouvoir et la capacit¨¦ de tuer sans aucun contr?le humain.

Les syst¨¨mes d¡¯armes l¨¦tales autonomes ou, plus famili¨¨rement, ??les robots tueurs??, pourraient cr¨¦er de nouvelles menaces pour la stabilit¨¦ internationale et r¨¦gionale. Ils pourraient, par exemple, rendre difficile l¡¯attribution de la responsabilit¨¦ de certains actes d¡¯hostilit¨¦, cr¨¦er de nouveaux risques d¡¯escalade involontaire d¡¯un conflit et, en permettant une guerre sans victimes, abaisser, pour les gouvernements, le seuil au-del¨¤ duquel l¡¯usage de la force est envisageable. Les acteurs non ¨¦tatiques, comme les groupes terroristes et les r¨¦seaux criminels transnationaux, pourraient exploiter les technologies connexes pour servir leurs propres int¨¦r¨ºts.

Le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral a adopt¨¦ une position ferme sur cette question, d¨¦clarant que les armes autonomes capables de tuer sans intervention humaine seraient ??politiquement inacceptables et moralement r¨¦voltantes?? et devraient ¨ºtre interdites.

La question essentielle est de savoir comment diminuer ces risques nombreux et diff¨¦rents sans compromettre la cr¨¦ativit¨¦ et les avanc¨¦es de notre ¨¦poque. Il faut en premier lieu que les responsables politiques, en particulier ceux charg¨¦s de n¨¦gocier les trait¨¦s multilat¨¦raux et les normes internationales, cr¨¦ent des partenariats ¨¤ long terme avec des experts techniques?: des scientifiques, des ing¨¦nieurs et des m¨¦decins. Ces diff¨¦rents acteurs doivent apprendre ¨¤ se parler.

Pour comprendre l¡¯importance du r?le de ces communaut¨¦s en tant que d¨¦fenseurs consid¨¦rons les efforts de d¨¦sarmement pendant la guerre froide. Les physiciens nucl¨¦aires, agissant par l¡¯interm¨¦diaire de nouvelles organisations et d¡¯institutions ¨¦tablies, ont contribu¨¦ ¨¤ sensibiliser les responsables politiques et le grand public aux cons¨¦quences catastrophiques des armes nucl¨¦aires, y compris ??l¡¯hiver nucl¨¦aire?? qui pourrait r¨¦sulter de leur utilisation. Ces conseils et cette forme d¡¯activisme dont ont b¨¦n¨¦fici¨¦ les responsables politiques sont m¨ºme plus importants pour les innovations actuelles en technologie militaire cette derni¨¨re venant, g¨¦n¨¦ralement, du secteur priv¨¦.

Les scientifiques, les ing¨¦nieurs et les entrepreneurs sont dot¨¦s d¡¯une autorit¨¦ exceptionnelle lorsqu¡¯il s¡¯agit de d¨¦battre des menaces ¨¦mergentes dans leur domaine d¡¯expertise. D¡¯ailleurs, un grand nombre d¡¯entre eux se sont d¨¦j¨¤ ¨¦lev¨¦s contre les dangers potentiels pos¨¦s par l¡¯utilisation de l¡¯IA ¨¤ des fins militaires.

En engageant un dialogue vaste et constant avec ces acteurs, les responsables politiques peuvent affiner leurs comp¨¦tences et leurs connaissances essentielles sur les technologies qu¡¯ils esp¨¨rent g¨¦rer. Le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral s¡¯est engag¨¦ ¨¤ aider les scientifiques, les ing¨¦nieurs et l¡¯industrie et ¨¤ collaborer avec eux afin d¡¯encourager l¡¯innovation responsable et la diffusion des connaissances.

De leur c?t¨¦, les innovateurs devraient se concentrer sur les cons¨¦quences que leurs travaux ont sur la stabilit¨¦ sociale et la s¨¦curit¨¦, ? de r¨¦fl¨¦chir avant de coder ?. Les consid¨¦rations de paix et de s¨¦curit¨¦ doivent figurer au premier plan du discours scientifique, y compris dans les classes et avant de d¨¦velopper de nouvelles technologies.

La garantie de notre s¨¦curit¨¦ et la protection des innovations r¨¦volutionnaires actuelles ne sont pas incompatibles. Le fait de les envisager ensemble devrait, en fait, nous aider ¨¤ r¨¦ussir sur ces deux plans. Par exemple, gr?ce aux avanc¨¦es technologiques, nous pourrions demander aux gouvernements de rendre compte de leurs engagements en mati¨¨re de d¨¦sarmement et de ma?trise des armements. Les progr¨¨s r¨¦alis¨¦s dans la technologie des rayons X pourraient ¨ºtre utiles, par exemple, pour d¨¦tecter les mat¨¦riaux d¡¯armes nucl¨¦aires et certains processus de v¨¦rification par externalisation pourraient ¨ºtre facilit¨¦s par l¡¯acc¨¨s mondialis¨¦ ¨¤ la technologie des satellites.??

Ce n¡¯est qu¡¯en formant des partenariats ¨¤ long terme entre les ?tats Membres et ces groupes que nous pourrons cr¨¦er les bases n¨¦cessaires ¨¤ la gen¨¨se et ¨¤ la gestion responsables des r¨¦volutions technologiques. En cherchant ensemble ¨¤ ¨¦valuer les cons¨¦quences des d¨¦veloppements scientifiques et technologiques sur la paix et la s¨¦curit¨¦ internationales, nous pourrons mieux aider les innovateurs et les responsables politiques ¨¤ cr¨¦er un monde plus s?r pour tous.?

?

La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?