21 septembre 2015

En octobre 2015, l¡¯Organisation des Nations Unies comm¨¦morera son 70e?anniversaire et, ¨¤ cette occasion, il semble opportun d¡¯examiner la pertinence du document fondateur, la Charte des Nations Unies. L¡¯Organisation a chang¨¦ dans un monde en constante ¨¦volution et il appartient aux ?tats Membres de renforcer ses capacit¨¦s et de conformer leur adh¨¦sion aux buts et aux principes de la Charte. Les visions et les valeurs formul¨¦es par le deuxi¨¨me Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Unies, Dag Hammarskj?ld, restent d¡¯actualit¨¦.

La Charte est une d¨¦claration ambitieuse, exceptionnelle par le contenu et l¡¯aspiration, et ses buts et ses principes ont une r¨¦sonance toute particuli¨¨re au regard du r¨¨glement des d¨¦fis complexes actuels. Dans son introduction au Rapport annuel pr¨¦sent¨¦ ¨¤ l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale le 17 ao?t 1961, moins de cinq semaines avant sa mort tragique, D. Hammarskj?ld a r¨¦sum¨¦ la pertinence du document en ces termes :

? Dans le pr¨¦ambule de la Charte, il est ¨¦nonc¨¦ qu¡¯un principe et un but de l¡¯Organisation ¡°est de cr¨¦er les conditions n¨¦cessaires au maintien de la justice et du respect des obligations n¨¦es des trait¨¦s et autres sources du droit international¡±. Par ces mots [¡­] elle exprime un autre principe d¨¦mocratique, celui de l¡¯¨¦tat de droit1 ?.

Si la Charte est unique, les ?tats Membres n¡¯ont pas utilis¨¦ avec impartialit¨¦ son plein potentiel ni ne lui ont donn¨¦ son v¨¦ritable sens. Le 70e? anniversaire de la fondation des Nations Unies offre une occasion unique de faire le point et de r¨¦affirmer l¡¯engagement vis-¨¤-vis de la Charte. Un d¨¦bat sera n¨¦cessaire pour examiner comment r¨¦affirmer et r¨¦aliser ses buts et ses principes et dans quelle mesure des amendements sont n¨¦cessaires pour l¡¯adapter aux exigences d¡¯un monde en constante ¨¦volution.

L¡¯int¨¦grit¨¦, la d¨¦termination et le travail inlassable de Dag Hammarskj?ld pour adapter l¡¯Organisation et trouver des solutions en appliquant de mani¨¨re constructive les objectifs de la Charte demeure une source d¡¯inspiration et une boussole qui nous guide. Dans son dernier Rapport annuel, pr¨¦sent¨¦ ¨¤ l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale en 1961, il a fait valoir que les objectifs de la Charte devraient ¨ºtre progressivement r¨¦alis¨¦s sur la base de quatre principes fondamentaux :

  • L¡¯¨¦galit¨¦ des droits politiques, ¨¤ la fois en termes d¡¯¨¦galit¨¦ souveraine et de respect individuel des droits de l¡¯homme et des libert¨¦s fondamentales.
  • L¡¯¨¦galit¨¦ des possibilit¨¦s ¨¦conomiques, relevant ainsi les niveaux de vie par la cr¨¦ation de conditions favorisant le d¨¦veloppement et le progr¨¨s ¨¦conomique et social.
  • Un cadre de l¡¯¨¦tat de droit solide sur lequel sont fond¨¦es les actions et les activit¨¦s de la communaut¨¦ internationale.
  • L¡¯interdiction du recours ¨¤ la force sauf dans l¡¯int¨¦r¨ºt commun de la communaut¨¦ internationale2.

De nombreuses fa?ons, Dag Hammarskj?ld ¨¦tait ¨¤ la fois id¨¦aliste et r¨¦aliste : un id¨¦aliste, car il croyait dans les possibilit¨¦s de l¡¯Organisation ainsi que dans les buts et les principes de la Charte, un r¨¦aliste, car il ¨¦tait conscient des limites de l¡¯Organisation et de celles de ses ?tats Membres qui sont principalement guid¨¦s par des int¨¦r¨ºts nationaux. Lors d¡¯une conf¨¦rence donn¨¦e en 1956, il a comment¨¦ la diff¨¦rence entre id¨¦alisme et r¨¦alisme. ? ceux qui disaient que l¡¯Organisation avait aussi souvent ¨¦chou¨¦ qu¡¯elle avait?¨¦t¨¦ tendancieuse, il a r¨¦pondu :

? Vous r¨¦f¨¦rez-vous aux buts de la Charte ? Ils expriment des id¨¦aux partag¨¦s universellement qui ne peuvent pas nous d¨¦cevoir, mais nous, malheureusement, nous leur faisons souvent d¨¦faut. Ou pensez-vous aux institutions des Nations Unies ? Elles sont nos outils. Nous les avons cr¨¦¨¦es. Il nous appartient de corriger les d¨¦fauts qu¡¯elles peuvent comporter3. ?

Dans le contexte du 70e anniversaire des Nations Unies, nous pouvons donner tout leur poids ¨¤ ces propos. Toutes les sections du pr¨¦ambule de la Charte sont li¨¦es et interd¨¦pendantes, comme le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral adjoint des Nations Unies, Jan Eliasson, l¡¯a exprim¨¦ lors de la treizi¨¨me conf¨¦rence annuelle Dag Hammarskj?ld en 2011 :

? [¡­] des solutions durables exigent que la poursuite des efforts de paix et de d¨¦veloppement et le respect des droits de l¡¯homme aient lieu parall¨¨lement. S¡¯il ne peut y avoir de paix sans d¨¦veloppement, ni de d¨¦veloppement sans paix, il ne peut y avoir de paix ni de d¨¦veloppement sans le respect des droits de l¡¯homme. Si l¡¯un de ces trois piliers est faible dans une nation ou une r¨¦gion, l¡¯ensemble de la structure est faible. Il faut donc faire tomber les murs et les barri¨¨res entre ces domaines4. ?

Les huit d¨¦clarations suivantes, inspir¨¦es de la vision et de l¡¯h¨¦ritage de Dag Hammarskj?ld, pourraient ¨¦clairer le dialogue et le processus visant ¨¤ rendre l¡¯ONU plus forte et plus efficace :

  • La Charte devrait ¨ºtre renforc¨¦e et les ?tats Membres devraient r¨¦affirmer et reconna?tre que sa mise en ?uvre rel¨¨ve de leur responsabilit¨¦. La 70e session de l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale devrait ouvrir la voie ¨¤ une d¨¦claration commune faisant ¨¦tat de discussions sur la r¨¦forme mettant l¡¯accent sur la mise en ?uvre des piliers du pr¨¦ambule et un processus, limit¨¦ dans le temps, en ce qui concerne les d¨¦cisions sur les amendements.
  • L¡¯Organisation doit refl¨¦ter l¡¯esprit de la Charte qui accorde une place primordiale ¨¤ l¡¯¨ºtre humain. Les premiers mots de la Charte, ? Nous, peuples ? doivent ¨ºtre plac¨¦s au centre de l¡¯Organisation et de ses op¨¦rations et l¡¯Organisation dans son ensemble doit revoir sa base id¨¦ologique pour assurer la participation de tous.
  • Le r?le de premier plan de l¡¯ONU et l¡¯int¨¦grit¨¦ des fonctionnaires internationaux devraient ¨ºtre renforc¨¦s. Comme l¡¯a d¨¦clar¨¦ ¨¤ maintes reprises Dag Hammarskj?ld, la Charte attribue un r?le fort et ind¨¦pendant au Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral qui doit rester fid¨¨le uniquement aux principes de la Charte. L¡¯¨¦lection du prochain Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral est une occasion importante d¡¯am¨¦liorer la transparence et la responsabilit¨¦. L¡¯Organisation devrait aussi redynamiser les principes d¡¯impartialit¨¦, d¡¯int¨¦grit¨¦ et d¡¯¨¦thique des fonctionnaires internationaux, tels qu¡¯ils sont ¨¦nonc¨¦s dans les articles 100 et 101 de la Charte. Elle devrait veiller ¨¤ ce que le Secr¨¦tariat fonctionne avec une plus grande int¨¦grit¨¦ et dispose d¡¯un personnel comp¨¦tent, dynamique et plus mobile.
  • Le Conseil de s¨¦curit¨¦ doit ¨ºtre d¨¦mocratique et ¨¦largi pour refl¨¦ter les r¨¦alit¨¦s g¨¦opolitiques du monde actuel. Il doit sortir de l¡¯impasse dans laquelle il se trouve en ce qui concerne les efforts de r¨¦forme et un processus clairement d¨¦fini doit ¨ºtre ¨¦tabli pour parvenir ¨¤ un accord avec une date pr¨¦cise pour sa finalisation. Si nous n¡¯arrivons pas ¨¤ entreprendre une r¨¦forme du Conseil, il continuera de perdre son autorit¨¦ et sera de plus en plus ignor¨¦, ce qui pourra compromettre son r?le en mati¨¨re de maintien de la paix et de la s¨¦curit¨¦. Une proposition devrait ¨ºtre envisag¨¦e pour limiter le recours au veto, par exemple dans les cas d¡¯atrocit¨¦s graves ou de violations massives des droits de l¡¯homme. L¡¯¨¦largissement du Conseil n¨¦cessitera d¡¯amender la Charte. Cela peut se faire, elle a d¨¦j¨¤ ¨¦t¨¦ amend¨¦e trois fois, avec une premi¨¨re s¨¦rie d¡¯amendements modifiant la composition du Conseil.
  • Pour maintenir la paix et la s¨¦curit¨¦ internationales, il faut adopter de nouvelles m¨¦thodes et am¨¦liorer les instruments afin de promouvoir la pr¨¦vention et la consolidation de la paix. L¡¯Organisation n¡¯a pas ¨¦t¨¦ en mesure d¡¯atteindre son objectif de pr¨¦server les g¨¦n¨¦rations futures du fl¨¦au de la guerre. Il faut r¨¦examiner les op¨¦rations de consolidation et de maintien de la paix de l¡¯ONU. Les articles 34 et 41, qui se rapportent aux mesures autres que le recours aux forces arm¨¦es, devraient ¨ºtre davantage envisag¨¦s et appliqu¨¦s pour reconna?tre la n¨¦cessit¨¦ de la pr¨¦vention et du r¨¨glement pacifique des conflits. Des efforts plus importants sont n¨¦cessaires pour garantir la participation des femmes dans la consolidation de la paix. Il faudrait encourager le recours au Chapitre VIII de la Charte afin de clarifier et d¡¯accro?tre la coop¨¦ration avec les organisations r¨¦gionales.
  • Les droits de l¡¯homme doivent ¨ºtre respect¨¦s, appliqu¨¦s et d¨¦fendus : l¡¯Organisation est essentielle au d¨¦veloppement et ¨¤ la promotion des normes internationales. Les ?tats Membres doivent se r¨¦engager ¨¤ prot¨¦ger et ¨¤ promouvoir les droits de l¡¯homme, y compris ceux des femmes et des filles et ¨¤ respecter et ¨¤ mettre en ?uvre les valeurs fondamentales et les principes tels qu¡¯ils sont d¨¦finis et approuv¨¦s dans les trait¨¦s et les cadres juridiques mondiaux, ce qui exige que tous les ?tats Membres respectent leurs obligations.
  • La justice et le respect du droit international devraient ¨ºtre ¨¦largis pour inclure une disposition sur la justice pour les femmes et la l¨¦gislation environnementale : nous devons reconna?tre la n¨¦cessit¨¦ de mettre en place de nouvelles m¨¦thodes concernant la justice pour les femmes. Nous devons int¨¦grer la l¨¦gislation environnementale dans les activit¨¦s de l¡¯ONU relatives ¨¤ l¡¯¨¦tat de droit et s¡¯assurer qu¡¯elle fait partie int¨¦grante des objectifs de d¨¦veloppement durable.
  • Le progr¨¨s social doit ¨ºtre r¨¦orienter vers le d¨¦veloppement durable mondial et doit ¨ºtre consid¨¦r¨¦ comme la responsabilit¨¦ de tous. La Charte doit ¨ºtre amend¨¦e pour inclure la viabilit¨¦.
    ?

Dag Hammarskj?ld a jou¨¦ un r?le essentiel dans l¡¯identification et l¡¯¨¦tablissement des programmes de r¨¦forme. Mais il ¨¦tait aussi tr¨¨s conscient des limites et savait qu¡¯il fallait faire preuve de pragmatisme pour entreprendre ces r¨¦formes. Apr¨¨s seulement un an en fonction, il paraphrasait Henry Cabot Lodge Jr en ces termes :

? On a dit que l¡¯Organisation des Nations Unies n¡¯a pas ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦e pour nous emmener au paradis, mais pour nous sauver de l¡¯enfer. Cela r¨¦sume tr¨¨s bien tout ce que j¡¯ai entendu dire sur le r?le essentiel de l¡¯ONU et l¡¯attitude que nous devrions adopter pour la soutenir5. ?

D. Hammarskj?ld personnifiait un grand nombre de ces principes et s¡¯est montr¨¦ ¨¤ la hauteur de ceux de la Charte tels qu¡¯exprim¨¦s dans ses vertus, son ¨¦thique et ses croyances personnelles. Mais il avait conscience du temps qu¡¯il faudrait pour pouvoir construire un monde vraiment uni et pour que les efforts portent leurs fruits. Comme il l¡¯a dit dans son allocution ¨¤ l¡¯Universit¨¦ de New York, le 20 mai 1956 : ? [¡­] nous continuons de chercher des moyens pour que nos institutions internationales r¨¦pondent mieux ¨¤ l¡¯objectif fondamental exprim¨¦ par Woodrow Wilson ¡ª ¡°¨ºtre l¡¯?il des nations, charg¨¦ de veiller ¨¤ l¡¯int¨¦r¨ºt commun.¡± Je suis s?r que dans quarante ans nous serons ¨¦galement sur la m¨ºme voie. Comment pourrait-il en ¨ºtre autrement ? L¡¯Organisation mondiale est encore une nouvelle aventure dans l¡¯histoire humaine. Elle a besoin d¡¯¨ºtre perfectionn¨¦e ¨¤ l¡¯¨¦preuve des exp¨¦riences et, ¨¤ cet ¨¦gard, rien ne peut remplacer le temps6. ?

N¨¦anmoins, Dag Hammarskj?ld n¡¯avait aucun doute que l¡¯ONU, malgr¨¦ ses limitations, est une Organisation dont l¡¯humanit¨¦ a besoin :

? Nous avons besoin des mesures constructives qu¡¯elle offre dans les tentatives internationales de r¨¦gler les conflits d¡¯int¨¦r¨ºt. Et nous avons besoin d¡¯elle en tant que fondement et cadre d¡¯action des actions difficiles et longues afin de trouver les formes dans lesquelles une influence extranationale ¡ª et peut-¨ºtre m¨ºme supranationale ¡ª puisse s¡¯exercer pour pr¨¦- venir les futurs conflits7. ????

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Notes

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1??? Documents officiels de l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale, seizi¨¨me session, suppl¨¦ment n¡ã 1A (a/4800/add.1), p. 2.

2??? Hans Corell, ? Dag Hammarskj?ld, the 51³Ô¹Ï and the Rule of Law in Today¡¯s World ?, conf¨¦rence ¨¤ la Dag Hammarskj?ld University College of International Relations and Diplomacy, Zagreb,

29 novembre 2011.

3??? Dag Hammarskj?ld, ? Address at New York University Hall of Fame Ceremony on the Unveiling of the Bust and Tablet for Woodrow Wilson, New York, 20 mai 1956 ?, Public Papers of the Secretaries-General of The 51³Ô¹Ï, vol. III: Dag Hammarskj?ld 1956-1957, Andrew W. Cordier et Wilder Foote, dir. pub. (New York et Londres, Columbia University Press 1973), p. 145.

4??? Jan Eliasson, Peace, Development and Human Rights. The Indispensable Connection. The Dag Hammarskj?ld Lecture 2011 (Uppsala, Dag Hammarskj?ld Foundation, 2011), p. 12.

5??? Dag Hammarskj?ld, ? Address at University of California Convocation, Berkeley, Californie, 13 mai 1954 ?, Public Papers of the Secretaries-General of the 51³Ô¹Ï, vol. II: Dag Hammarskj?ld 1953-1956, Andrew W. Cordier et Wilder Foote, dir. pub. (New York et Londres, Columbia University Press 1972), p. 301.

6??? Dag Hammarskj?ld, ? Address at New York University Hall of Fame Ceremony on the Unveiling of the Bust and Tablet for Woodrow Wilson, New York, 20 mai 1956 ?, p. 145.

7?? Dag Hammarskj?ld, ? ¡®Do We Need the 51³Ô¹Ï?¡¯, Address Before The Students¡¯ Association, Copenhagen, 2 mai 1959 ?, Public Papers of the Secretaries-General of the 51³Ô¹Ï, vol. IV: Dag Hammarskj?ld 1958-1960, Andrew W. Cordier et Wilder Foote, dir. pub. (New York et Londres, Columbia University Press 1974), p. 374.

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