24 d¨¦cembre 2017

Un Bhoutanais ex¨¦cute une danse dans les rues du Bhoutan, le 15 f¨¦vrier 2011. ? Asian Development Bank

Pourquoi donc voulons-nous pr¨¦server la diversit¨¦ culturelle et linguistique alors qu¡¯on parle tant du citoyen du monde ? Pour vous r¨¦pondre, je vous ferai part de quelques br¨¨ves remarques. Plus que jamais, l¡¯article 55 de la Charte des Nations Unies, sign¨¦e il y a 72 ans, a ¨¦t¨¦ r¨¦dig¨¦ avec clairvoyance. En reconnaissant que la coop¨¦ration culturelle internationale ainsi le respect universel des droits de l¡¯homme sans distinction de race, d¡¯?ge, de sexe, de langue ou de religion sont des conditions n¨¦cessaires au bien-¨ºtre de tous et aux relations amicales entre les nations, cet article a jet¨¦ les bases de la diversit¨¦ culturelle et linguistique.

Plus r¨¦cemment, la cible 4.7 de l¡¯objectif de d¨¦veloppement durable (ODD) 4 promouvant l¡¯acc¨¨s de tous ¨¤ une ¨¦ducation de qualit¨¦ sur un pied d¡¯¨¦galit¨¦ a mis l¡¯accent sur la promotion du d¨¦veloppement durable par l¡¯¨¦ducation ¨¤ la citoyennet¨¦ mondiale et l¡¯appr¨¦ciation de la diversit¨¦ culturelle. Tandis que nous allons de l¡¯avant, la mise en oeuvre des dispositions de l¡¯article 55 et de l¡¯ODD 4 sera n¨¦cessaire pour maintenir la paix, renforcer la gouvernance, faire respecter les droits de l¡¯homme, r¨¦aliser le d¨¦veloppement durable et s¡¯assurer que personne n¡¯est laiss¨¦-pour-compte.

En effet, la langue et la culture sont des ¨¦l¨¦ments essentiels de notre identit¨¦ et unissent les communaut¨¦s et les nations. L¡¯Encyclopaedia Britannica d¨¦finit la langue comme ? un syst¨¨me de symboles oraux ou ¨¦crits par lesquels les ¨ºtres humains, en tant que membres d¡¯un groupe social et participants ¨¤ sa culture, s¡¯expriment. Les fonctions du langage comprennent la communication, l¡¯expression de l¡¯identit¨¦, le jeu, l¡¯expression de l¡¯imagination et l¡¯expression de l¡¯¨¦motion1 ?.

La langue et la culture sont ¨¦troitement li¨¦es et interd¨¦pendantes, fa?onnant la personnalit¨¦ et servant ¨¤ transmettre le savoir. Elles contribuent ¨¤ la perception que nous avons des autres et peut d¨¦terminer le groupe avec lequel nous nous identifions.

Nous vivons dans un monde o¨´ 96 % des 6 909 langues r¨¦pertori¨¦es sont parl¨¦es par seulement 4 % de la population mondiale2. De plus, environ 6 % des langues ont plus d¡¯un million de locuteurs et repr¨¦sentent ensemble 94 % de la population mondiale. L¡¯Organisation des Nations Unies pour l¡¯¨¦ducation, la science et la culture (UNESCO) estime que plus de la moiti¨¦ des langues dans le monde sont menac¨¦es de disparition3.

Des ¨¦v¨¦nements r¨¦cents ont montr¨¦ l¡¯expression d¡¯un monde ¨¤ la recherche de l¡¯identit¨¦, une qu¨ºte d¡¯appartenance, des inqui¨¦tudes concernant la perte d¡¯identit¨¦ et un monde en qu¨ºte de sens ¨¤ l¡¯¨¨re de la mondialisation o¨´ trop de personnes sont laiss¨¦es-pour-compte.

Ce sont des questions fondamentales de notre ¨¦poque, et certainement de notre avenir, comme cela est indiqu¨¦ dans l¡¯article 55 et l¡¯ODD4. Pour que le d¨¦veloppement soit r¨¦ellement durable, la langue et la culture doivent faire l¡¯objet de toute notre attention pour r¨¦pondre aux inqui¨¦tudes croissantes d¡¯un monde en qu¨ºte d¡¯identit¨¦ et d¡¯appartenance, qui sont les ¨¦l¨¦ments essentiels du d¨¦veloppement durable.

Le po¨¨te evenki Alitet Nemtushkin ¨¦voque ces sentiments des communaut¨¦s mondiales dont les langues, ainsi qu¡¯un sens de l¡¯identit¨¦ et de l¡¯appartenance, disparaissent rapidement :

Si j¡¯oublie ma langue natale

Et les chansons que mon peuple chante

? quoi servent mes yeux et mes oreilles ?

? quoi sert ma bouche ?

Si j¡¯oublie l¡¯odeur de la terre

Et ne lui suis pas utile

? quoi servent mes mains ?

Pourquoi est-ce que je vis dans le monde ?

Comment puis-je croire ¨¤ l¡¯id¨¦e insens¨¦e

Que ma langue est faible et pauvre

Si les derniers mots de ma m¨¨re

?taient en evenki ?

En tant que Haut-Repr¨¦sentant pour les pays les moins avanc¨¦s, les pays en d¨¦veloppement sans littoral et les petits ?tats insulaires en d¨¦veloppement, qui comptent 91 pays, je me r¨¦jouis du fait que ces trois groupes de pays poss¨¨dent les langues et les cultures les plus diverses dans le monde, mais je suis aussi inquiet parce que ces langues sont parmi les plus menac¨¦es de disparition. En Papouasie-Nouvelle-Guin¨¦e, un petit ?tat insulaire en d¨¦veloppement, 840 langues sont r¨¦pertori¨¦es, deux fois le nombre de langues parl¨¦es en Europe5.

Dans la r¨¦gion du Pacifique qui compte 1 300 langues, chaque langue est parl¨¦e en moyenne par 1 000 personnes seulement. En Afrique, plus de 2 000 langues sont parl¨¦es, ce qui repr¨¦sente environ 30 % des langues dans le monde. Ici encore, l¡¯Afrique sub-saharienne est parmi les r¨¦gions du monde o¨´ les langues sont les plus en danger. Cela a des cons¨¦quences au-del¨¤ de la compr¨¦hension de la langue et de la culture.

Ce n¡¯est pas simplement une question de pr¨¦servation d¡¯une langue ou d¡¯une culture, car elles sont plus que des art¨¦facts.

Comme l¡¯UNESCO l¡¯a montr¨¦ dans des ¨¦tudes, il existe un lien tr¨¨s ¨¦troit entre la biodiversit¨¦ et la diversit¨¦ linguistique. Les communaut¨¦s locales et autochtones ont ¨¦labor¨¦ des syst¨¨mes de classification complexes du monde naturel, refl¨¦tant leur compr¨¦hension profonde de l¡¯environnement dans lequel elles vivent. Cela va des connaissances sur la croissance des plantes aux nutriments en passant par la sant¨¦ des oc¨¦ans et permet le fonctionnement d¡¯¨¦cosyst¨¨mes fragiles, mais n¨¦cessaires au d¨¦veloppement de la vie.

? l¡¯autre extr¨ºme, nous avons vu un formidable brassage de populations aux langues et aux cultures diff¨¦rentes d? ¨¤ l¡¯urbanisation, ¨¤ une augmentation rapide du tourisme et ¨¤ une migration massive. Cela a donn¨¦ lieu ¨¤ une fusion des cultures dans les espaces urbains et dans les pays du monde entier. Pourtant, ces processus ont trop souvent cr¨¦¨¦ un sentiment d¡¯ali¨¦nation chez ceux qui ¨¦taient laiss¨¦s-pour-compte et chez les nouveaux arrivants, tandis que chez d¡¯autres est n¨¦e la crainte d¡¯une perte d¡¯identit¨¦.

En m¨ºme temps, l¡¯arriv¨¦e et la propagation des technologies de l¡¯information et de la communication (TIC) ont cr¨¦¨¦ de nouvelles formes de communication, comme les communications virtuelles sans fronti¨¨res effectu¨¦es dans quelques langues dominantes, souvent avec des signes ou des symboles (emoji), des photos (Instagram, Pinterest) et par un langage condens¨¦ et utilisant des abr¨¦viations (Twitter).

Ces progr¨¨s sont ¨¤ double tranchant. Ceux qui ont acc¨¨s aux TIC et qui ma?trisent la langue vivent dans un monde sans fronti¨¨res tandis que ceux qui n¡¯y ont pas acc¨¨s sont exclus et marginalis¨¦s. Ils ont l¡¯impression que leur ¨ºtre m¨ºme, leur propre langue et leur propre culture sont en voie de disparition. Au-del¨¤ du commerce et d¡¯autres facteurs similaires, le rapprochement des populations pr¨¦sente de nombreux aspects positifs, mais nous devons veiller ¨¤ ce que cela ne se fasse pas au d¨¦triment de l¡¯identit¨¦ ou de la diversit¨¦ culturelle ou linguistique. Nous devons faire en sorte que ces gains ne soient pas seulement pour quelques fortun¨¦s, pendant que le reste de l¡¯humanit¨¦ en est exclu.

Non seulement la langue et la culture nous donnent un sentiment d¡¯identit¨¦ et d¡¯appartenance essentiel pour vivre, mais elles sont v¨¦ritablement le sel de notre Terre. N¡¯est-ce pas cette diversit¨¦ m¨ºme qui est le moteur du commerce et du tourisme ?

Depuis 2000, la Journ¨¦e internationale de la langue maternelle, c¨¦l¨¦br¨¦e le 21 f¨¦vrier afin de promouvoir la diversit¨¦ linguistique et culturelle ainsi que le multilinguisme, avait pour th¨¨me cette ann¨¦e ? Vers des avenirs durables gr?ce ¨¤ l¡¯¨¦ducation multilingue ?.

En 2007, l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale a appel¨¦ tous les membres ¨¤ ? encourager la conservation et la d¨¦fense de toutes les langues parl¨¦es par les peuples du monde entier ?. En outre, l¡¯ann¨¦e 2008 a ¨¦t¨¦ proclam¨¦e l¡¯Ann¨¦e internationale des langues et des efforts plus concert¨¦s ont ¨¦t¨¦ entrepris pour pr¨¦server et promouvoir le multiculturalisme et le multilinguisme.

Ces revendications d¡¯identit¨¦ et d¡¯appartenance signifient que nous devons inverser le d¨¦clin de la diversit¨¦ culturelle et linguistique. Cela n¨¦cessitera, entre autres, un environnement o¨´ les jeunes sont ¨¦duqu¨¦s dans leur langue maternelle et en contact direct avec elle tout en ayant la possibilit¨¦ d¡¯apprendre d¡¯autres langues locales et ¨¦trang¨¨res.

Cela signifie la mise en place de politiques nationales favorables qui prot¨¨gent les langues minoritaires et soutiennent les syst¨¨mes ¨¦ducatifs qui encouragent un enseignement de qualit¨¦ de la langue maternelle. Cela permettra aux pays et aux communaut¨¦s de progresser dans la r¨¦alisation de l¡¯article 55 et de l¡¯ODD 4. Les linguistes et les chercheurs, ainsi que les communaut¨¦s locales, auront aussi un r?le vital ¨¤ jouer dans la documentation et la d¨¦fense des langues qui sont en voie de disparition ou en d¨¦clin rapide.

L¡¯humanit¨¦ a toujours d? relever des d¨¦fis pour aller de l¡¯avant. Il nous appartient, cependant, de mener ¨¤ bien le changement en ayant une vision de l¡¯avenir et de relever les d¨¦fis en veillant ¨¤ pr¨¦server le tr¨¦sor de notre identit¨¦ culturelle et de notre diversit¨¦ linguistique.

Notre monde de plus en plus interd¨¦pendant offre des possibilit¨¦s de dialogue et d¡¯¨¦changes interculturels constructifs. Apprenons ¨¤ appr¨¦cier la valeur de la diversit¨¦, ¨¤ investir dans cette derni¨¨re et ¨¤ en tirer parti pour qu¡¯elle soit un pont entre les cultures. Soyons des citoyens du monde capables de vivre en harmonie parce que nous sommes enrichis par la diversit¨¦ locale. Le d¨¦fi de notre plan¨¨te est de cr¨¦er un ¨¦quilibre entre le besoin urgent de tirer parti de la diversit¨¦ culturelle et linguistique pour promouvoir le dialogue interculturel et la compr¨¦hension du monde sans d¨¦truire notre identit¨¦ et notre sentiment d¡¯appartenance.

C¡¯est une t?che ¨¤ laquelle nous pouvons tous ?uvrer, au niveau individuel, au niveau de la communaut¨¦ ainsi qu¡¯avec la soci¨¦t¨¦ civile, les gouvernements et les organisations internationales.

L¡¯ONU a toujours soutenu la cr¨¦ation de partenariats qui permettent d¡¯assurer l¡¯¨¦panouissement de la culture et de la langue et d¡¯¨¦difier un avenir de dignit¨¦ pour tous, et continuera de le faire.

Notes

1 David Crystal et Robert Henry Robins, ? Language ?, dans l¡¯Encyclopedia Britannica en ligne, e-book (Encyclopedia Britannica Inc., n.d.). Disponible sur le site from (consult¨¦ le 6 d¨¦cembre 2017).

2 Tove Skutnabb¨CKangas, Linguistic Genocide in Education¨COr Worldwide Diversity and Human Rights? (Mahwah, NJ et Londres, R.-U., Lawrence Erlbaum Associates 2000 [¨¦dition sud-asiatique actualis¨¦e: Delhi, Orient BlackSwan, 2008.]), cit¨¦ dans Tove Skutnabb-Kangas et Robert Phillipson, ? The global politics of language: markets, maintenance, marginalization, or murder? ?, dans The Handbook of Language and Globalization, Nickolas Coupland, dir. (Malden, Mass., Wiley-Blackwell, 2010), p. 77.

3 UNESCO Pr¨¦server les langues en danger, cit¨¦ dans Tove Skutnabb-Kangas et Robert Phillpson, ? The Global politics of language ?, p. 77.

4 Gary F. Simons et Charles D. Fennig, dir., Ethnologue : Languages of the World, 20e ¨¦d. (Dallas, Texas, SIL International, 2017), e-book. Disponible sur le site https://.

5 A/RES/61/266.

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