10 juillet 2020

La Charte des Nations Unies n¡¯est pas seulement l¡¯instrument constitutif des Nations Unies en tant qu¡¯organisation. C¡¯est un cadre juridique multilat¨¦ral comprenant un ensemble de normes et de principes fondamentaux visant ¨¤ assurer la paix, la libert¨¦, le d¨¦veloppement, l¡¯¨¦galit¨¦ et les droits de l¡¯homme dans le monde. Ces principes et ces normes refl¨¨tent les valeurs partag¨¦es proclam¨¦es dans le pr¨¦ambule au nom des ? peuples des Nations Unies ?. C¡¯est donc le trait¨¦ multilat¨¦ral le plus innovant et le plus audacieux jamais conclu entre les ?tats. Aujourd¡¯hui, c¡¯est l¡¯instrument universel par lequel tous les ?tats ont solennellement accept¨¦ d¡¯¨ºtre li¨¦s par leurs relations internationales.

En 1945, alors que les nations sortaient d¡¯une deuxi¨¨me guerre mondiale en l¡¯espace de 30 ans, les ?tats participant ¨¤ la Conf¨¦rence de San Francisco pour adopter la Charte ont d? faire un choix fondamental. Ils ont choisi l¡¯¨¦tat de droit pour la conduite des relations internationales. C¡¯¨¦tait le seul moyen de pr¨¦server les g¨¦n¨¦rations futures du fl¨¦au de la guerre. Ce choix ¨¦tait aussi le r¨¦sultat de l¡¯¨¦volution de la civilisation humaine. On avait compris que l¡¯ancien syst¨¨me qui justifiait la guerre pour redresser les torts ¨¦tait non seulement cruel et brutal, mais fondamentalement injuste.

En cons¨¦quence, l¡¯obligation de r¨¦gler les diff¨¦rends internationaux par des moyens pacifiques a ¨¦t¨¦ consacr¨¦e dans la Charte, de m¨ºme que celle de s¡¯abstenir de recourir ¨¤ l¡¯emploi de la force dans les relations internationales. La mission de la Cour internationale de Justice que j¡¯ai l¡¯honneur de pr¨¦sider, consiste ¨¤ r¨¦gler de mani¨¨re pacifique les diff¨¦rends entre les ?tats, conform¨¦ment au droit international. ? ce jour, elle a trait¨¦ plus de 150 affaires.

Le choix de l¡¯¨¦tat de droit ¨¦tait aussi fond¨¦ sur la d¨¦termination, pour la premi¨¨re fois dans l¡¯histoire des relations internationales, de ? proclamer la foi dans les droits de l¡¯homme fondamentaux, dans la dignit¨¦ et la valeur de la personne humaine, dans l¡¯¨¦galit¨¦ des droits entre les hommes et les femmes ainsi que des nations, grandes et petites ?. La D¨¦claration universelle des droits de l¡¯homme, ainsi que ses deux pactes, n¡¯aurait jamais vu le jour sans cette d¨¦termination des peuples des Nations Unies.

Pour plus de la moiti¨¦ de l¡¯humanit¨¦ qui, en 1945, ¨¦tait encore soumise ¨¤ une oppression ¨¦trang¨¨re et sous domination coloniale, la reconnaissance par la Charte du principe de l¡¯¨¦galit¨¦ des droits et de l¡¯autod¨¦termination des peuples par lequel ils ont conquis la libert¨¦ et l¡¯ind¨¦pendance a ¨¦galement ¨¦t¨¦ importante. Le caract¨¨re universel de la Charte et du droit international n¡¯aurait pas pu ¨ºtre r¨¦alis¨¦ sans la proclamation du droit de tous les peuples ¨¤ l¡¯¨¦galit¨¦ et ¨¤ l¡¯autod¨¦termination. Le nombre d¡¯?tats Membres des Nations Unies est pass¨¦ de 51 ?tats ¨¤ San Francisco ¨¤ 193 aujourd¡¯hui, gr?ce, principalement, ¨¤ l¡¯application des droits des peuples ¨¤ l¡¯autod¨¦termination.

Le Palais de la Paix, si¨¨ge de la Cour internationale de Justice (CIJ), La Haye, Pays-Bas. Photo ONU/CIJ/Capital Photos/Gerald van Daalen

Au cours des 75 derni¨¨res ann¨¦es, les normes fondamentales cit¨¦es plus haut ainsi que les autres normes inscrites dans la Charte ont favoris¨¦ la paix, le progr¨¨s, la protection des droits de l¡¯homme, l¡¯¨¦mancipation des peuples et la coop¨¦ration multilat¨¦rale dans le monde entier. Elles ont aussi fourni le cadre juridique sur lequel repose le syst¨¨me multilat¨¦ral fond¨¦ sur des r¨¨gles qui permet ¨¤ la fois aux ?tats et aux particuliers de mener des activit¨¦s de coop¨¦ration transfrontali¨¨res dans des domaines vari¨¦s comme l¡¯aviation, le transport, les t¨¦l¨¦communications, le commerce, les transactions financi¨¨res, l¡¯investissement, la protection de la sant¨¦ et de l¡¯environnement ainsi que l¡¯¨¦ducation et la culture.

On peut donc dire que l¡¯adoption de la Charte ¨¤ San Francisco et sa mise en ?uvre par les organes des Nations Unies ont ouvert des perspectives nouvelles et vastes afin de promouvoir la coop¨¦ration internationale pour le bien commun, d¡¯¨¦viter les conflits arm¨¦s et de favoriser le progr¨¨s fond¨¦ sur l¡¯¨¦galit¨¦ et la dignit¨¦ humaine. Beaucoup a d¨¦j¨¤ ¨¦t¨¦ fait, mais il reste encore beaucoup ¨¤ faire, comme en t¨¦moignent les d¨¦fis r¨¦cents pos¨¦s par la pand¨¦mie du COVID-19 au syst¨¨me des Nations Unies.

Rares sont ceux qui contestent la valeur et la force durables de la Charte en tant qu¡¯instrument normatif, m¨ºme apr¨¨s ses 75 ans d¡¯existence. Ses objectifs et ses principes ont acquis un caract¨¨re universel in¨¦gal¨¦ dans l¡¯histoire humaine. En m¨ºme temps, la pertinence et la valeur inspiratrice de ces principes pour le d¨¦veloppement progressif et la consolidation de l¡¯¨¦tat de droit au niveau international continuent de progresser. Toutefois, la question est de savoir si les m¨¦canismes institutionnels ¨¦tablis par la Charte, en tant qu¡¯instrument constitutif, sont encore adapt¨¦s au monde d¡¯aujourd¡¯hui et aux d¨¦fis aux multiples facettes auxquels il est confront¨¦. Certains le sont, d¡¯autres pourraient avoir besoin d¡¯¨ºtre mis ¨¤ jour.

Le monde a radicalement chang¨¦ depuis 1945. Toutefois, on pourrait encore faire valoir que si les Nations Unies n¡¯existaient pas aujourd¡¯hui, il faudrait les inventer. Mais seraient-elles fond¨¦es sur le m¨ºme cadre institutionnel et les m¨ºmes m¨¦canismes op¨¦rationnels qu¡¯en 1945 ? C¡¯est l¨¤ qu¡¯une nouvelle r¨¦flexion devient pertinente. Le 75e anniversaire de l¡¯Organisation peut ¨ºtre un moment opportun pour entamer ce processus. Un engagement s¨¦rieux de tous les ?tats sera n¨¦cessaire. Les dispositions de la Charte relatives aux organes et aux institutions du syst¨¨me des Nations Unies ne sont pas grav¨¦es dans la pierre. Elles ont d¨¦j¨¤ ¨¦t¨¦ modifi¨¦es en raison de la progression du nombre d¡¯?tats Membres. Elles peuvent l¡¯¨ºtre de nouveau, peut-¨ºtre en allant plus loin cette fois, afin de permettre ¨¤ l¡¯Organisation d¡¯accomplir ses objectifs nobles. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais cela vaut la peine d¡¯¨ºtre fait pour le bien commun de l¡¯humanit¨¦.

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La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?