Mme Winnie Byanyima est la nouvelle Directrice ex茅cutive du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/Sida (ONUSIDA), l'entit茅 des Nations Unies charg茅e de lutter contre les infections au VIH, la discrimination et les d茅c猫s li茅s au sida. Elle s'est entretenue avec Zipporah Musau, d鈥�Afrique Renoouveau, sur la r茅ponse de l'organisation 脿 la COVID-19 en Afrique : en voici les extraits.
Alors que COVID-19 continue de se propager dans le monde entier, que fait l'ONUSIDA pour aider les pays 脿 mieux se pr茅parer et r茅pondre 脿 cette crise COVID-19 ?
Eh bien, tout d'abord, nous nous concentrons sur l'Afrique car c'est le continent le plus vuln茅rable 脿 cette pand茅mie.
Pourquoi l'Afrique ?
Parce que c'est l脿 que le fardeau du VIH est le plus lourd et que, par cons茅quent, COVID-19 nous trouve plus faibles sur le plan sanitaire et plus vuln茅rables sur le plan 茅conomique.
Les prix des produits de base ont baiss茅 et la croissance 茅conomique ralentit. La mobilisation des ressources int茅rieures a stagn茅 et l'aide 脿 la sant茅 a plafonn茅. Pr猫s de la moiti茅 des pays d'Afrique subsaharienne sont en situation de surendettement ou sur le point de le devenir. Le service de la dette a absorb茅 une grande partie des fonds des budgets nationaux et la sant茅 s'en est trouv茅e prise au pi猫ge. Dans un pays comme la Zambie, par exemple, entre 2015 et 2018, le service de la dette a augment茅 de 760%, tandis que la sant茅 a 茅t茅 r茅duite de 30%. L'Afrique se trouve donc dans une situation de faiblesse.
Que fait l'ONUSIDA pour aider les pays ?
L'ONUSIDA a 茅t茅 cr茅茅 pour lutter contre le sida 脿 l'茅chelle mondiale, mais une grande partie de notre travail se fait en Afrique. Actuellement, nous nous penchons sur deux pand茅mies qui se heurtent,(le VIH et la COVID-19), et nous conseillons les gouvernements sur leurs r茅ponses.
Dans au moins 11 pays, l'ONUSIDA dirige le syst猫me des Nations Unies au sein du groupe de travail sur COVID-19. Nous conseillons aux gouvernements que la r茅ponse 脿 COVID-19 doit 锚tre multisectorielle car une pand茅mie n'est pas seulement un probl猫me de sant茅. C'est une question de communaut茅s, de comportements et de normes sociales, de syst猫mes juridiques et de droits de l'homme, car elle s'attaque aux personnes les plus vuln茅rables. Elle se nourrit des in茅galit茅s existantes. C'est l'optique que nous avons adopt茅e pour lutter contre le sida. Si vous regardez nos commissions nationales de lutte contre le sida, elles rassemblent tous les secteurs du gouvernement pour lutter contre le sida, et pas seulement contre la sant茅.
Nous conseillons 茅galement aux gouvernements de placer les communaut茅s au centre de la lutte contre les pand茅mies, car il faut commencer et gagner 脿 la base. Ce sont les membres de leur propre communaut茅 qui fa莽onnent et dirigent leur vie et se battent pour elle, les commander d'en haut ne fonctionne pas. Leur donner les moyens de diriger, c'est ce qui fonctionne.
Troisi猫mement, il faut lutter pour les droits de l'homme, contre la stigmatisation et la discrimination. Nous insistons sur le respect des droits de l'homme. Ces verrouillages doivent respecter les droits des personnes, m锚me en limitant leurs d茅placements.
Et puis, bien s没r, nous faisons intervenir nos infrastructures, les laboratoires de d茅pistage du VIH qui sont maintenant utilis茅s pour tester la COVID-19. Certains de nos meilleurs scientifiques sp茅cialis茅s dans le VIH travaillent maintenant au sein d'茅quipes qui luttent contre la COVID-19 dans diff茅rents pays. Par exemple, en Afrique du Sud, les professeurs Salim Abdool Karim et Quarraisha Abdool Karim dirigent la communaut茅 scientifique en conseillant le gouvernement, tout comme deux des meilleurs scientifiques du VIH, Anthony Fauci et Deborah Birx, aux 脡tats-Unis.
Le travail avec l'Union africaine est 茅galement d'une importance capitale. Nous travaillons avec les Centres africains pour le contr么le et la pr茅vention des maladies (Africa CDC) dont le directeur, le Dr John Nkengasong, a invit茅 l'ONUSIDA 脿 faire partie d'un partenariat pour acc茅l茅rer le test COVID-19. Il souhaite effectuer 10 millions de tests dans les quatre prochains mois.
Enfin, d'apr猫s ce que nous avons appris du VIH, nous faisons partie d'un mouvement de lutte pour le traitement. Souvenez-vous, lorsque les m茅dicaments antir茅troviraux ont 茅t茅 d茅couverts, les gens en Europe et en Am茅rique les recevaient, mais en Afrique, des millions de personnes mouraient encore parce que les prix 茅taient 茅lev茅s. Nous avons d没 nous battre pendant des ann茅es pour faire baisser les prix. Nous faisons donc 脿 nouveau partie d'une campagne de la soci茅t茅 civile qui demande que des r猫gles soient 茅tablies avant qu'un vaccin ne soit d茅couvert, qu'un brevet soit un bien public mondial, distribu茅 茅quitablement 脿 toutes les r茅gions et utilis茅 gratuitement pour les riches et les pauvres.
La th茅rapie antir茅trovirale a permis de sauver des vies et de pr茅venir la transmission du VIH. Les blocages actuels ont-ils affect茅 l'approvisionnement en m茅dicaments des plus de 24,5 millions de personnes dans le monde qui suivent un traitement contre le VIH, dont la majorit茅 se trouve en Afrique ?
Certaines des mesures de verrouillage prises dans de nombreux pays portent atteinte aux droits des personnes vivant avec le VIH, comme la possibilit茅 d'aller chercher leurs m茅dicaments. C'est pourquoi nous poussons les gouvernements 脿 fournir aux personnes vivant avec le VIH des m茅dicaments pour une p茅riode de trois 脿 six mois, au lieu de quelques semaines seulement. Nous assistons 茅galement 脿 des violations des droits de l'homme : des homosexuels et des travailleurs du sexe sont arr锚t茅s - accus茅s de propager le coronavirus - et des transsexuels se voient refuser de la nourriture et des services parce qu'ils n'ont pas de carte d'identit茅. Nous d茅fendons leurs droits en travaillant avec les gouvernements et en collaborant avec la soci茅t茅 civile.
Comment cette pand茅mie affectera-t-elle les personnes vivant avec le VIH ?
Il est prouv茅 que le nombre de d茅c猫s li茅s au sida pourrait doubler en Afrique subsaharienne entre 2020 et 2021 si les services de lutte contre le VIH sont gravement perturb茅s - ce qui signifierait 500 000 d茅c猫s suppl茅mentaires li茅s au sida. Mais ce n'est pas tout : les nouvelles infections chez les enfants par transmission de la m猫re 脿 l'enfant pourraient m锚me augmenter de plus de 100 % dans certains pays d'Afrique. Nous pourrions voir les progr猫s r茅alis茅s dans la lutte contre le sida s'inverser de dix ans. Et c'est dangereux. C'est pourquoi il est si important de faire passer le message que nous devons poursuivre les deux luttes, celle contre le VIH et celle contre le COVID-19. Ne laissez pas tomber l'un pour l'autre.
Selon certaines informations, la violence fond茅e sur le sexe est en augmentation parce que les femmes sont confin茅es avec leurs agresseurs. Pourrait-il y avoir une augmentation des infections au VIH 脿 cause de cela ?
Absolument ! La violence sexuelle est un facteur cl茅 de l'infection par le VIH, en particulier chez les adolescentes et les jeunes femmes. Malheureusement, en Afrique, 5 400 jeunes femmes sont infect茅es par le VIH chaque semaine ! Le taux d'infection des filles est quatre fois plus 茅lev茅 que celui des gar莽ons du m锚me 芒ge. Les femmes et les filles sont beaucoup plus vuln茅rables 脿 l'infection et tout cela est d没 脿 la tol茅rance de la violence sexuelle, 脿 la culture d'acceptation d'une masculinit茅 n茅faste, au manque d'茅ducation sexuelle compl猫te dans les 茅coles. Cet environnement qui rend une fille dangereuse a 茅t茅 aggrav茅 par le COVID-19.
C'est pourquoi, une fois de plus, nous demandons aux gouvernements de fournir des services. Les communaut茅s doivent 锚tre 脿 l'aff没t. Les dirigeants communautaires doivent s'exprimer. L脿 o霉 il y a une menace, nous devons avoir des abris. Nous devons augmenter les services de sant茅 sexuelle et reproductive, qui ont 茅t茅 r茅duits alors que les gouvernements jonglent avec leurs ressources. Nous disons que les intervenants en mati猫re de violence sexiste, les conseillers, les travailleurs de la sant茅 sexuelle et reproductive doivent 锚tre consid茅r茅s comme des travailleurs essentiels dans le cadre de la r茅ponse COVID-19, et que leurs services doivent 锚tre maintenus.
Quelles sont les le莽ons cruciales que vous avez tir茅es, en particulier en Afrique, de la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme ?
La premi猫re le莽on est que les pand茅mies ne sont pas comme les autres maladies. Les pand茅mies se nourrissent des in茅galit茅s dans la soci茅t茅. Pour les combattre, il faut une approche multisectorielle et pangouvernementale. Par exemple, vous avez besoin d'茅pid茅miologistes, de sp茅cialistes des sciences sociales, de communicateurs et de leaders en mati猫re de changement de comportement qui savent comment persuader les communaut茅s, de militants et d'avocats des droits de l'homme, de l茅gislateurs. Et puis vous avez besoin d'argent.
Et puis vous avez besoin des communaut茅s. Dans de nombreuses r茅ponses, nous ne voyons pas les communaut茅s consult茅es. Et c'est l脿 que nous 茅chouerons parce que si les gens sur le terrain ne prennent pas les choses en main et ne se battent pas pour leur vie, aucun argent venant d'en haut ne r茅soudra le probl猫me. Aucune loi d'en haut ne r茅soudra le probl猫me.
Alors vous devez lutter contre les in茅galit茅s. Faire payer les h么pitaux, comme cela se fait dans plus de 40 pays en Afrique, cr茅e des in茅galit茅s. Ceux qui n'ont pas d'argent n'iront pas se faire soigner.
Vous ne pourrez pas vaincre une pand茅mie, 脿 moins de combler les 茅carts en mati猫re de sant茅. C'est pourquoi nous insistons sur un vaccin qui est un bien public mondial. Si tout le monde n'est pas vaccin茅, personne n'est 脿 l'abri.
Ensuite, la question de la stigmatisation et de la discrimination. L'id茅e de traiter les personnes infect茅es comme des criminels et de l茅gif茅rer pour leur interdire de "contaminer" ou d'"infecter les autres" ne fonctionne pas. Il est tellement important que nous utilisions une approche fond茅e sur les droits de l'homme, que nous fassions preuve de respect et de sollicitude, au lieu de stigmatiser et de discriminer.
Quels sont les d茅fis rencontr茅s jusqu'脿 pr茅sent dans la lutte contre COVID-19 en Afrique ?
Il y a trois grands d茅fis : Premi猫rement, nous nous sommes retrouv茅s avec des syst猫mes de sant茅 tr猫s faibles parce que nous n'avons pas suffisamment investi dans ces syst猫mes. Nous n'avons pas assez de professionnels de la sant茅, d'茅quipements et de laboratoires scientifiques. Nous avons donc besoin d'argent pour investir dans nos syst猫mes de sant茅 afin de lutter contre cette pand茅mie et de continuer 脿 combattre d'autres maladies. Sur le plan positif, notre travail sur le VIH nous a permis de disposer sur le terrain de nombreux volontaires communautaires qui savent comment lutter contre une 茅pid茅mie.
Nous devons r茅soudre le probl猫me de la dette. Nous allons lutter contre les effets de ce virus pendant quelques ann茅es, il faut donc suspendre la dette pendant au moins deux ans ou en annuler une partie. Nous devons disposer d'une marge de man艙uvre budg茅taire pour financer les syst猫mes de sant茅 afin de lutter contre cette pand茅mie, sinon nous sommes en difficult茅.
Deuxi猫mement, nous devons proc茅der 脿 davantage de tests car le virus a maintenant p茅n茅tr茅 dans les communaut茅s. Certains des faibles nombres de cas que nous constatons pourraient 锚tre dus au fait que nous ne faisons pas assez de tests. L'Afrique du Sud a proc茅d茅 脿 des tests agressifs dans les communaut茅s, mais beaucoup d'autres pays n'ont pas les moyens de le faire et pour ceux qui ont l'argent, nous sommes en queue de peloton pour l'achat de kits de test. Nous devons avoir acc猫s aux tests et avoir la volont茅 politique de proc茅der 脿 des tests agressifs et de rechercher les contacts, d'isoler et de traiter.
Troisi猫mement, l'acc猫s aux vaccins. Actuellement, plus de 170 vaccins candidats sont en cours d'exp茅rimentation. Certains d'entre eux sont sur le point d'锚tre certifi茅s. Lorsqu'ils le seront et qu'il n'y aura pas d'accord pr茅alable sur l'acc猫s, c'est nous qui mourrons en Afrique, tandis que d'autres seront vaccin茅s. Nous l'avons appris de l'exp茅rience du VIH, et nous ne devons pas le r茅p茅ter.
Je suis tr猫s heureux que le pr茅sident Ramaphosa (Afrique du Sud), le pr茅sident Nana Akufo-Addo (Ghana), le pr茅sident Macky Sall (S茅n茅gal) ainsi que 50 anciens chefs d'脡tat aient sign茅 une lettre ouverte exigeant que si un vaccin est d茅couvert, il devienne un bien public mondial.
Quels sont vos conseils aux populations africaines pendant cette p茅riode COVID-19 ?
Mon premier conseil est aux personnes vivant avec le VIH, et 脿 celles qui sont vuln茅rables 脿 COVID-19, celles qui souffrent de maladies sous-jacentes telles que les maladies respiratoires, le diab猫te - soyez prudents. Suivez le conseil de rester chez vous, ob茅issez aux r猫gles de l'enfermement, lavez-vous les mains pour vous prot茅ger car vous 锚tes vuln茅rable.
Pour les personnes vivant avec le VIH, nous n'avons pas encore toutes les donn茅es scientifiques pour nous dire 脿 quel point elles sont vuln茅rables 脿 COVID-19. Mais ce que je vous conseille, c'est de faire le test si vous n'avez pas fait de test et que vous pensez avoir le VIH, car votre immunit茅 peut 锚tre si faible que vous risquez d'锚tre facilement infect茅 par le coronavirus.
Pour les autres, il est dans notre propre int茅r锚t de rester 脿 la maison autant que possible et de respecter une hygi猫ne personnelle. Mais il est 茅galement temps d'锚tre un bon voisin, de soutenir les autres. Si vous avez de la nourriture et que votre voisin n'en a pas, partagez. Si quelqu'un est malade, donnez l'alerte et laissez-les se faire aider. Il est temps de se regrouper, d'锚tre gentils les uns avec les autres. Faites attention, soyez en s茅curit茅, ob茅issez aux r猫gles, soyez un bon voisin, aidez les autres, et tout ira bien.
