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Alimentation : comment éviter les crises et famines sans fin ?

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Alimentation : comment éviter les crises et famines sans fin ?

Sans réformes radicales, les prix des denrées alimentaires risquent de poursuivre leur vertigineuse ascension
Masimba Tafirenyika
Afrique Renouveau: 
Alamy / Greenshoots Communications
Market stall in GabonUn marché au Gabon. Les prix des denrées alimentaires ont connu une hausse inédite.
Photo: Alamy / Greenshoots Communications

Le phénomène est cyclique et mondial : tous les deux ou trois ans, les prix des denrées alimentaires s'envolent, sous l'effet conjugué de divers facteurs. Les gouvernements s'empressent alors de réagir en prenant des mesures d'urgence. Les prix se stabilisent, le calme revient et tout le monde se satisfait d'une nouvelle victoire contre la hausse des prix. La crise disparaît des esprits. Et ce jusqu'à la prochaine fois …

Rien d'étonnant donc à ce que la deuxième crise alimentaire mondiale en trois ans n'ait pas surpris grand monde. En février, l'indice des prix des produits alimentaires de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui mesure la variation mensuelle des prix des denrées de base, a atteint un record historique.

Pendant ce temps, la Banque mondiale annonçait que dans les pays en développement 44 millions de personnes de plus vivaient dans la pauvreté depuis juin 2010 à cause de la hausse constante des prix des denrées alimentaires. Cette hausse frappe de plein fouet les populations les plus vulnérables, qui consacrent plus de la moitié de leurs revenus à l'alimentation.

Un rapport de l'organisation caritative britannique Oxfam, publié en mai, brosse un sombre tableau. Si le système alimentaire mondial n'est pas réformé en profondeur, les prix des denrées alimentaires seront multipliés au moins par deux dans les 20 prochaines années. Ce rapport, intitulé , prévoit des hausses de prix de l'ordre de 120 % à 180 % « du fait de l'intensification des pressions sur les ressources et de l'accélération du changement climatique progresse ».

L'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), groupe de réflexion basé aux États-Unis, anticipe des augmentations comparables au cours de la même période. Le Brésilien José Graziano da Silva, récemment élu à la tête de la FAO, a confirmé en juin que « les prix des denrées alimentaires resteraient très instables pendant un certain temps. »

En Afrique, malheur aux pauvres

Les populations pauvres d'Afrique sont les plus touchées par l'augmentation des prix. Leur survie dépend de quelques cultures vivrières de base. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU, la Corne de l'Afrique fait face à sa plus forte sécheresse depuis 60 ans. À Djibouti, en Éthiopie, au Kenya, en Somalie et en Ouganda, environ 12 millions de personnes sont menacées de famine. Les conclusions d'Oxfam sont tout aussi pessimistes. La sous-région serait l'un des « points névralgiques d'insécurité alimentaire », où la population peine à se nourrir. Selon le Programme alimentaire mondial de l'ONU (PAM), plusieurs millions de personnes vivent sous la menace de la famine dans l'est du Mali et le nord du Cameroun, ainsi qu'au Tchad et au Niger (voir Afrique Renouveau en ligne).

Les causes de la hausse des prix des denrées alimentaires sont connues. Mais les solutions adoptées sont loin de régler les problèmes structurels : l'insuffisance des investissements dans l'agriculture, notamment pour les petits exploitants, les achats massifs de terres par les riches, le manque de transparence et d'équité sur les marchés de denrées alimentaires et les conflits relatifs au changement climatique. Chaque fois qu'une crise éclate, les dirigeants se contentent de palliatifs au lieu de s'attaquer aux dysfonctionnements de fond.

« C'est malheureusement une tendance générale dans le monde », se lamente Jacques Diouf, Directeur général sortant de la FAO (qui quittera ses fonctions en décembre), découragé par l'incapacité des dirigeants mondiaux à tenir compte de ses avertissements juste avant la crise de 2008. « Nous réagissons alors que la crise est déjà là. »

Impasse à Paris

Les intérêts nationaux des principaux producteurs de denrées alimentaires contribuent à paralyser les efforts de réforme des politiques agricoles. En juin, le tout premier rassemblement des ministres de l'agriculture du Groupe des 20 (G20) – groupe informel des économies les plus puissantes, dont l'Afrique du Sud est l'unique membre africain – n'est pas parvenu à un accord sur la question.

Les négociations sont restées bloquées sur l'utilisation des biocarburants et les interdictions d'exporter. Les experts des questions d'alimentation regrettent le fait que les politiques en matière de biocarburants aient pour effet de priver les marchés de récoltes dorénavant destinées à la production d'éthanol et de biogazole. De plus, les interdictions d'exporter, imposées par les pays qui souhaitent ainsi se doter de stocks suffisants, ont un impact négatif sur les marchés mondiaux. Les Ministres ne sont parvenus à s'accorder que sur la création d'une base de données mondiale qui permettrait d'évaluer l'offre, la consommation et les stocks de riz, de maïs et de blé. Ils ont aussi décidé que les achats d'ordre humanitaire du PAM ne seraient pas soumis aux restrictions imposées sur les exportations.

Cet échec est le dernier d'une série de tentatives infructueuses de réorganisation du système alimentaire mondial. Avant le sommet du G20, Oxfam avait déclaré, lors de la parution de son étude sur la sécurité alimentaire, que « l'échec du système (alimentaire) découle de l'échec des États, de leur incapacité à réglementer, corriger, protéger, résister, investir... laissant le champ libre à des sociétés, des groupes d'intérêt et des élites qui pillent les ressources et détournent financements, connaissances et denrées alimentaires ».

Grain silos in MalawiSilos à céréales au Malawi. Si les négociations avec les producteurs mondiaux de denrées alimentaires restent bloquées, les crises alimentaires à répétition deviendraient inévitables. 
Photo: Reuters / Howard Burditt

À qui la faute ?

Si les solutions à adopter suscitent de nombreuses controverses, on s'accorde davantage sur les causes des crises alimentaires. Le mauvais temps a réduit les exportations de céréales en provenance d'Australie. Les interdictions d'exporter (en vigueur dans 21 pays en début d'année), l'octroi de subventions aux agriculteurs et la spéculation perturbent l'offre et le prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux. Les subventions incitent les agriculteurs à surproduire, font baisser le cours du marché et obligent par conséquent les agriculteurs des pays pauvres à concurrencer des denrées alimentaires importées à bas prix. Les analystes reprochent également aux négociants d'avoir contribué, en spéculant, à la flambée des prix à l'échelle mondiale.

En outre, le manque d'investissement et la faible productivité du secteur agricole contribuent aux pénuries alimentaires en Afrique. Environ 40 % des produits agricoles africains n'atteignent pas les marchés, constate l'hebdomadaire britannique The Economist. Dans certaines régions, telles que l'Ouest du Kenya et le Nord de l'Éthiopie, les familles n'ont souvent pas suffisamment de terres pour assurer leur survie. Faute de droits fonciers et d'accès au crédit, plus particulièrement pour les femmes, le volume des récoltes provenant de petites exploitations reste limité, observe le magazine.

Loin de se laisser décourager par ces crises alimentaires chroniques, les experts et les militants contre la pauvreté redoublent d'efforts. Robert Townsend, économiste à la Banque mondiale, rappelle que de meilleures semences, plus d'engrais et l'amélioration des méthodes agricoles augmentent les récoltes. Au Bénin, le Programme mis en place par la Banque a fourni des engrais aux agriculteurs. Résultat : la production de céréales a augmenté de 100 000 tonnes. M. Townsend appelle à plus d'investissements dans la recherche pour mettre au point des variétés améliorées, ainsi que dans des systèmes d'irrigation fiables.

Une initiative lancée par l'Union africaine pour inciter les États à investir davantage dans l'agriculture donne également des résultats prometteurs. Quelque 26 pays ont signé des accords dans ce sens, dans le cadre du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), le programme de développement de l'Afrique. Les États signataires sont tenus de consacrer à l'agriculture au moins 10 % de leur budget national (voir Afrique Renouveau, avril 2011).

Investir et produire

Dans certains pays, les résultats sont remarquables. Le Rwanda, premier pays à adopter le programme en 2007, a multiplié par près de cinq les superficies affectées à la culture du maïs. En trois ans, sa production est passée de moins de 0,8 tonne à 2,5 tonnes par hectare (soit une hausse de 212 %). Le Malawi a aussi connu des succès comparables, tout comme la Sierra Leone et la Tanzanie notamment.

Il est tout aussi important de mettre un terme aux inégalités entre les sexes. Assurer aux femmes rurales le même accès que les hommes à la terre, à la technologie, aux services financiers, à l'éducation et aux marchés, affirme la FAO dans son rapport , augmentera la production agricole et pourrait réduire de 150 millions à l'échelle mondiale le nombre de personnes souffrant de la faim.

Tout indique que la nécessaire réforme du système alimentaire mondial sera lente et tardive. D'ici là, il est probable que d'autres crises éclatent. Constatant l'incapacité du G20 à parvenir à un accord sur les politiques agricoles, Oxfam estime que « l'approche du G20 est loin de la chirurgie radicale » requise pour s'attaquer aux maux du système alimentaire mondial. Fatalement, cette inaction mènera à une thérapie de choc d'autant plus douloureuse qu'elle aura été sans cesse retardée.   

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