Le commerce au service de l’industrialisation de l’Afrique
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Le commerce au service de l’industrialisation de l’Afrique
Sanusi Lamido, un ancien gouverneur de la banque centrale du Nigéria, s’emporta une fois contre son pays à cause des «énormes ressources qu''il consacre à l’importation de biens de consommation en provenance de Chine, alors que ces biens devraient être produits localement. Â». Le Nigéria, première puissance économique et démographique d’Afrique, également le plus grand producteur de pétrole brut du continent, importe une bonne partie de son pétrole raffiné. Exporter des produits bruts puis dépenser d''énormes sommes d''argent pour importer  des produits manufacturés n’est pas l’apanage de la relation commerciale Nigéria-Chine. La plupart des pays africains ont ce même type de relations avec la Chine, l''Union européenne, les États-Unis ou d''autres partenaires commerciaux étrangers.
Bien que la Chine ait des opérations minières à travers l''Afrique et qu’elle intervienne largement dans la réalisation d’infrastructures, elle importe sur le continent une grande partie des équipements et de la main-d''œuvre sans aucun transfert de compétences, fait observer M. Lamido. «Ainsi, la Chine prend nos matières premières et nous vend des produits manufacturés», écrit l''ancien banquier dans un article paru dans le Financial Times, un quotidien financier britannique.
A l’instar de Mr Lamido, de nombreux experts africains font observer depuis longtemps qu’il est peu probable que les économies du continent se transforment véritablement en dehors d’une plus grande industrialisation. L’ONU a d’ailleurs consacré les deux décennies de 1980 à 2000 à la promotion de l''industrialisation en Afrique. En 1989, l''Assemblée générale a proclamé le 20 novembre Journée de l''industrialisation de l’Afrique aux fins d''amener « la communauté internationale à œuvrer résolument à l''industrialisation de l''Afrique. Â»
«Le manque de compétitivité de l''industrie africaine et la faible valeur ajoutée à bon nombre de produits sont parfaitement illustrés par le commerce du coton » peut-on lire dans le dernier Rapport économique annuel sur l’Afrique de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA). A titre d’exemple, alors que l''Afrique représentait environ 16% des exportations mondiales de coton en 2012, seul 1% de ce coton, soit 400 millions de dollars, avait été transformé en tissus. Durant la même période, le continent a importé 0,4 milliard de dollars de coton et 4 milliards de dollars de tissus en coton.
« En d''autres termes, poursuit le rapport, la région a échangé du coton brut contre des tissus en coton, et laissé passer une occasion unique d''ajouter de la valeur au niveau local et de s’industrialiser. Â»
Le Nigéria est un exemple classique de la situation dans de nombreux pays d''Afrique subsaharienne qui ont concentré leurs efforts sur l''exportation de produits bruts en accordant peu d''attention à la transformation de certaines matières premières en produits finis dans le cadre d''une politique orientée vers l''industrialisation. C''est ainsi qu''en 2012, le Nigéria a exporté 89 milliards de dollars de pétrole brut, selon le rapport de la CEA, mais a importé en retour 5,5 milliards de dollars de pétrole raffiné parce que ses raffineries, longtemps négligées, sont complètement tombées en désuétude.
Une croissance insuffisante
Au cours des deux dernières décennies, l’Afrique a connu une croissance économique remarquable. Mais une bonne partie de cette croissance étant alimentée par la forte demande de ressources minières et agricoles, la Banque mondiale prévoit un fléchissement à environ 4,4% en 2015, en raison de la baisse des prix du pétrole et des autres matières premières. Toutefois, la croissance devrait à nouveau se redresser en 2016 et 2017.
Pourtant, comme par le passé, cette croissance ne suffira probablement pas pour entraîner les changements significatifs nécessaires à la réduction de la pauvreté.
Globalement, «la structure actuelle des exportations de marchandises, dominée par les produits bruts et non transformés, ne favorise pas  le niveau de développement envisagé», indique  Carlos Lopes, le directeur de la CEA, dans l''avant-propos  du rapport consacré à « L''industrialisation par le commerce Â». En privilégiant l''exportation des matières premières au détriment des produits transformés, l''Afrique subsaharienne se prive de la possibilité d''ajouter de la valeur à travers la transformation, ce qui créerait plus d''emplois et générerait des revenus supplémentaires.
En 2013, la CEA estimait que les pays africains pourraient transformer leurs économies grâce à l''industrialisation des produits de base. Un an plus tard, son rapport intitulé « Politique industrielle dynamique en Afrique Â», concluait que le continent devait  mettre en place des institutions plus solides et adopter des mesures efficaces visant à renforcer la transformation structurelle. Cette année, la Commission fait remarquer que des politiques et pratiques commerciales volontaristes et judicieuses pourraient déboucher sur  l''industrialisation longtemps retardée de l''Afrique.
Le rapport insiste sur le fait que les pays africains peuvent utiliser le commerce pour parvenir à un développement industriel et une transformation structurelle, mais il déconseille le modèle traditionnel de commerce qui, jusqu''ici, s’est caractérisé par l''échange de matières premières contre  des produits manufacturés.
Dans un entretien accordé à Afrique Renouveau, Hopestone Chavula, l’un des auteurs du Rapport, souligne qu’ « une industrialisation réussie induite par le commerce doit être interactive et cohérente avec la stratégie nationale de développement d''un pays elle doit être évolutive et hautement sélective Â».
Un protectionnisme intelligent
La notion de politiques commerciales « très sélectives Â» semble impliquer que les pays africains sont invités à mettre en Å“uvre une sorte de protectionnisme ou de traitement préférentiel pour certains secteurs qui se justifieraient par la nécessité générale de réaliser les objectifs de développement nationaux. Pour ce faire, indique le rapport, la définition des stratégies nationales de développement doit constituer le point de départ vers l''industrialisation. Mais contrairement au passé, ces politiques commerciales volontaristes peuvent s’avérer difficiles à mettre en Å“uvre en appliquant les règles de l''Organisation mondiale du commerce. L''OMC pourrait ne pas voir  d’un bon Å“il les pays qui tentent de protéger leurs industries, naissantes ou fragiles, de la concurrence, même si cela leur permettrait de protéger leurs intérêts nationaux.
Pourtant, M. Lopes de la CEA est convaincu qu’un «protectionnisme intelligent» est efficace. Ainsi qu’il le confiait à Afrique Renouveau l''année dernière : «tous les pays aujourd’hui industrialisés ont commencé avec un certain degré de protectionnisme. Â» Mais concède-t-il  aussitôt après : « Si nous souhaitons faire fonctionner les règles pour l''Afrique, on ne peut envisager qu’un protectionnisme intelligent. »
En poursuivant une industrialisation par le commerce, l''Afrique subsaharienne ne sortira pas des sentiers battus. Les expériences du Japon, des tigres Asiatiques et de la Chine démontrent l’efficacité des politiques commerciales volontaristes et la nécessité pour les gouvernements centraux de faire les bons choix pour faire progresser les objectifs de développement nationaux.
Bien que le rôle des gouvernements soit important, le Rapport précise que les décideurs doivent tenir compte de la dynamique du commerce mondial et utiliser les négociations commerciales régionales et internationales pour poursuivre leur programme d''industrialisation.
Les politiques commerciales  ne suffiront pas à elles seules à relancer l''industrialisation de l''Afrique, constate le Rapport. Mais elles fourniront aux pays africains « un cadre solide de réévaluation de leur politique commerciale. Â» Cela leur permettra  d''identifier les meilleures méthodes  de transformation structurelle et d’adopter des politiques commerciales cohérentes en vue d’atteindre les objectifs souhaités.