51吃瓜

La plupart des femmes d鈥檃ffaires du Ghana ne d茅passent pas le stade des microentreprises, incapables de s鈥檃grandir par manque de cr茅dits et d鈥檃cc猫s aux nouvelles technologies.

Photo: Panos / Sven Torfinn

鈥溍嘺 a 茅t茅 un tr猫s long parcours, confie Leticia Osafo-Addo, en faisant le tour de son usine, comme tous les ma颅tins. J鈥檃i pens茅 laisser tomber plusieurs fois pour retourner 脿 mon m茅tier d鈥檌nfirmi猫re.鈥� Elle dirige aujourd鈥檋ui Processed Foods and Spices Company, une entreprise de taille moyenne install茅e 脿 Tema, dans une zone industrielle 脿 l鈥檈st de la capitale du Ghana, qui produira prochainement 90 000 dollars de marchandises par mois.

Mme Osafo-Addo est l鈥檜ne des milliers de femmes d鈥檃ffaires que compte aujourd鈥檋ui le Ghana. Son aventure a commenc茅 il y a 23 ans, lorsqu鈥檈lle a pr茅par茅 dans sa cuisine 10 pots de sauce au poivre noir pour des amis. La sauce au chili, tr猫s pris茅e au Ghana, est connue sous le nom de shito. La recette de Mme Osafo-Addo ayant connu un grand succ猫s, les commandes ont abond茅. Elle a suivi 脿 son initiative une formation professionnelle, notamment un programme int茅gr茅 de renforcement des capacit茅s mis au point par la Conf茅rence des Nations Unies sur le commerce et le d茅ve颅loppement (CNUCED) pour aider les petites et moyennes entreprises viables.

Quitter sa cuisine pour s鈥檌nstaller dans d鈥檃utres locaux a 茅t茅 un processus long et fastidieux, marqu茅 par le manque d鈥檃rgent, l鈥檈xasp茅ration et la passivit茅 des autorit茅s. Trouver de l鈥檃rgent a 茅t茅 le plus difficile. Du fait des taux d鈥檌nt茅r锚t, atteignant parfois 50 %, les cr茅dits bancaires 茅taient hors de sa port茅e. En 2001, elle a d没 s鈥檈ndetter pour compenser les retards de paiement de son meilleur client, l鈥檃rm茅e ghan茅enne. Cette ann茅e-l脿 a n茅anmoins 茅t茅 d茅cisive. Gr芒ce 脿 l鈥檃ide du Ghana Investments Promotion Centre, une soci茅t茅 autrichienne de soupe a rachet茅 51 % de son affaire, lui permettant d鈥檃ugmenter la valeur de son entreprise et d鈥檕btenir des pr锚ts de deux minist猫res. Cet argent a servi 脿 r茅nover un site industriel de location, o霉 l鈥檜sine a ouvert ses portes en janvier 2006.

En bas de l鈥櫭ヽhelle

La r茅ussite de Mme Osafo-Addo est exceptionnelle, mais les difficult茅s qu鈥檈lle a rencontr茅es sont bien connues des femmes d鈥檃ffaires ghan茅ennes. Environ 80 % des entreprises d茅tenues par les femmes restent au stade des microentreprises. Incapables de s鈥檃grandir par manque d鈥檃ssistance concert茅e, de cr茅dits bon march茅 et 脿 long terme et d鈥檃cc猫s aux nouvelles technologies, ces femmes se heurtent en outre 脿 l鈥檌nsuffisance des infrastructures, aux faibles moyens de production et aux politiques gouvernementales parfois restrictives.

Selon les donn茅es de la Banque mondiale, la plupart des entreprises du Ghana, qui fournissent 70 % des emplois du pays, entrent dans la cat茅gorie des petites, moyennes et microentreprises. Elles op猫rent dans l鈥檃griculture, l鈥檃groalimentaire et l鈥檌ndustrie l茅g猫re aussi bien que dans le textile et la confection, les arts et l鈥檃rtisanat. Mais abandonn茅 脿 lui-m锚me, ce secteur d鈥檃ctivit茅 a d茅clin茅 progressivement au fil des ans, les entreprises productives laissant la place au petit commerce.

Pour en comprendre l鈥檜ne des raisons, il suffit de jeter un coup d鈥櫯搃l dans les ra颅yons des supermarch茅s et les 茅choppes des march茅s villageois. La lib茅ralisation du commerce a en effet facilit茅 l鈥檃rriv茅e d鈥檃rticles d鈥檌mportation bon march茅 - de la pur茅e de tomate et du jus de fruit aux cure-dents et aux v锚tements, qui livrent une concurrence acharn茅e 脿 la production locale. De l鈥檃vis de Christy Banya, charg茅e de l鈥檃nalyse des programmes au Programme des Nations Unies pour le d茅veloppement (PNUD), cette situation devrait inciter les autorit茅s 脿 r茅agir. 鈥淟a production locale a besoin d鈥櫭猼re prot茅g茅e鈥�, dit-elle.

Elle note 茅galement que les banques sont plus dispos茅es 脿 offrir des pr锚ts aux importateurs de produits bon march茅 qu鈥檃ux fabricants locaux, car les premiers 茅coulent leur marchandise rapidement, avec des marges b茅n茅ficiaires plus importantes, tandis que les derniers ont besoin de plus de temps pour d茅gager des profits et pour rembourser les pr锚ts.

Comme dans le cas de Mme Osafo-Addo, les difficult茅s de financement ont frein茅 la croissance de l鈥檃telier de v锚tements de Lucia Quachey. Avec ses propres deniers elle a d茅velopp茅 sa petite entreprise d鈥檈xportation, mais la forte d茅valuation de la devise ghan茅颅enne dans les ann茅es 80 a rogn茅 ses b茅n茅fices. Le remplacement de machines v茅tustes, l鈥檈mbauche de personnel et l鈥檃chat de mati猫res premi猫res exigent des capitaux qu鈥檈lle est incapable d鈥檕btenir en raison notamment des taux d鈥檌nt茅r锚t 茅lev茅s.

A pr茅sent, les taux d鈥檌nt茅r锚t des banques commerciales tournent autour de 20 脿 25 %. De surcro卯t, les banques exigent des garanties que la plupart des femmes ne peuvent pas fournir, du fait de facteurs sociaux ou de la nature saisonni猫re de leurs activit茅s. Mme Quachey, qui est aussi la pr茅sidente de l鈥橝ssociation ghan茅enne des femmes chefs d鈥檈ntreprise et secr茅taire g茅n茅rale de la F茅d茅ration africaine des femmes entrepreneurs, affirme : 鈥淥n a besoin de technologie, de pr锚ts 脿 long terme pour acheter du mat茅riel et de fonds de roulement pour faire marcher ce mat茅riel, gagner de l鈥檃rgent et rembourser les pr锚ts.鈥� Mais, d茅plore-t-elle, les gouvernements successifs n鈥檕nt pr锚t茅 que peu d鈥檃ttention 脿 ces facteurs. Une enqu锚te men茅e r茅cemment par le Minist猫re ghan茅en du commerce et de l鈥檌ndustrie indique que peu de femmes ghan茅ennes chefs d鈥檈ntreprise ont acc猫s aux nouvelles technologies.

Ces femmes n鈥檕nt g茅n茅ralement pas de mal 脿 lancer une affaire tant qu鈥檌l s鈥檃git de subvenir seulement 脿 leurs besoins. C鈥檈st au moment de passer de la microentreprise 脿 la petite entreprise que les difficult茅s apparaissent, et c鈥檈st l脿 qu鈥檈lles ont besoin d鈥檜ne aide. Conscientes de ce probl猫me, les autorit茅s ont lanc茅 il y a peu de temps un fonds de capital-risque pour stimuler l鈥檃pport de capitaux aux petites et moyennes entreprises (PME).

Handicaps sociaux

Les associations professionnelles de femmes craignent toutefois que leurs membres ne sachent pas exploiter ce filon financier. 鈥淓n fin de compte, seules les grosses entreprises auront acc猫s 脿 ces fonds, car l鈥檌nformation a du mal 脿 arriver 脿 la base, qui est compos茅e surtout de femmes analphab猫tes, dit Mme Quachey. On a beau avoir des ressources, elles ne sont pas accessibles aux femmes, qui p芒tissent d鈥檜n handicap culturel et social鈥�, constate-t-elle. Elles doivent s鈥檕ccuper, entre autres, de leurs maisons et leurs familles, ce qui nuit 脿 leurs activit茅s professionnelles.

Par ailleurs, les normes sociales en vigueur au Ghana emp锚chent les petites entreprises d茅tenues par des femmes de suivre l鈥檈xemple de soci茅t茅s plus importantes, dirig茅es essentiellement par des hommes. Les rendez-vous d鈥檃ffaires ont le plus souvent lieu dans les h么tels, en soir茅e. Dans un pays o霉 la plupart des femmes sont cens茅es rester au foyer, les gens se posent souvent des questions sur la pr茅sence d鈥檜ne femme mari茅e dans un h么tel en compagnie d鈥檋ommes.

Mme Quachey 茅voque 茅galement l鈥檈sprit de solidarit茅 masculine qui pr茅vaut dans le monde des affaires, domin茅 par les hommes. Les femmes sont trop peu nombreuses aux postes de direction pour pouvoir encourager d鈥檃utres femmes 脿 les rejoindre.

Mme Gifty Boahene, pr茅sidente-directrice g茅n茅rale de Fairgreen Ltd., une soci茅t茅 de technologie informatique, affirme toutefois que les mentalit茅s 茅voluent, de m锚me que l鈥檌d茅e qu鈥檕n se fait des femmes qui travaillent hors du foyer. 鈥淢ais on n鈥檡 est pas encore, pr茅vient-elle. J鈥檃i connu des femmes mari茅es dont le premier souci a 茅t茅 de pr茅senter leurs coll猫gues masculins 脿 leur mari鈥�, pour rassurer ces derniers qu鈥檌l s鈥檃gissait de relations strictement professionnelles. Dans d鈥檃utres cas, toutefois, le mariage ne r茅siste pas 脿 cette pression.

Cibler les femmes

Les autorit茅s et leurs partenaires du secteur du d茅veloppement ont bien tent茅 de promouvoir les PME, mais leurs initiatives 茅taient le plus souvent trop g茅n茅rales et ne visaient pas les entreprises dirig茅es par les femmes. Les quelques programmes destin茅s aux femmes concernaient surtout les activit茅s de subsistance et les microentreprises et s鈥檌nscrivaient dans le cadre d鈥檃utres activit茅s de d茅veloppement.

L鈥橝ssociation ghan茅enne des femmes chefs d鈥檈ntreprise pr茅conise la mise en place de programmes ayant pour objectif principal de stimuler la croissance des entreprises dirig茅es par les femmes, et dont 40 % du budget servirait au financement de ces entreprises.

Le pass茅 politique du Ghana n鈥檃 pas 茅t茅 propice 脿 l鈥櫭﹑anouissement de l鈥檈sprit d鈥檈ntreprise. Plusieurs dizaines d鈥檃nn茅es de r茅gime militaire dans les ann茅es 70 et 80 ont fait fuir de nombreux chefs d鈥檈ntreprise locaux et 茅trangers. En revanche, la stabilit茅 politique actuelle et la bienveillance de la communaut茅 internationale 脿 l鈥櫭ゞard du Ghana devraient, selon des repr茅sen颅tants de l鈥檌ndustrie, inciter les dirigeants du pays 脿 adopter des mesures d鈥檌ncitation 茅conomique. Celles-ci permettraient d鈥檃cc茅l茅rer le passage des activit茅s de subsistance aux microentreprises, des petites entreprises aux moyennes et des moyennes aux grosses entreprises. Et, partant, de permettre aux soci茅t茅s dirig茅es par des femmes de s鈥檃grandir et de prosp茅rer.

Le vent du changement souffle d茅j脿. Le Minist猫re de la condition de la femme et de l鈥檈nfant a mis en place un nouveau programme d鈥檃ppui aux entreprises dirig茅es par des femmes pour la p茅riode 2005-2010, qui vise 脿 accorder, apr猫s s茅lection, un financement 脿 long terme 脿 des soci茅t茅s manufacturi猫res d茅tenues par des femmes.

En avril 2006, le PNUD a lanc茅 un projet de d茅veloppement de quatre ans destin茅 aux micro, petites et moyennes entreprises, qui vise 脿 fournir, outre des microfinancements, des services d鈥檌mplantation 茅conomique, notamment de renforcement des capacit茅s de production et des services-conseils. Environ 60 % du budget pr茅vu sera r茅serv茅 aux secteurs d鈥檃ctivit茅 majoritairement f茅minins. Si besoin est, le projet garantirait les pr锚ts accord茅s 脿 ces entreprises.

R茅formes du march茅

Avec le concours des donateurs, les autorit茅s sont en train d鈥檃dopter une s茅rie de r茅formes s鈥檌nscrivant dans le cadre d鈥檜ne strat茅gie de d茅veloppement du secteur priv茅 men茅e jusqu鈥檈n 2009. L鈥檕bjectif est de stimuler l鈥檈ssor du secteur priv茅 en encourageant la comp茅tition et en r茅duisant les risques qu鈥檈ncourent les soci茅t茅s au Ghana. Certaines r茅formes ins颅titutionnelles sont en cours dans les secteurs juridique, financier et public.

John-Hawkins Aseidu, directeur adjoint au Minist猫re du d茅veloppement du secteur priv茅, souligne que m锚me si ces r茅formes ne visent pas forc茅ment les entreprises dirig茅es par des femmes, elles contribueront n茅anmoins 脿 stimuler l鈥檈sprit d鈥檈ntreprise de celles-ci. C鈥檈st ainsi que le d茅partement du registre des soci茅t茅s a 茅t茅 d茅centralis茅 et ses moyens d鈥檃ction 茅tendus, afin d鈥檃cc茅l茅rer les proc茅dures d鈥檌nscription de nouvelles entreprises.

鈥淟鈥檃doption de lois pratiques et efficaces est indispensable pour aider les femmes et les encourager 脿 se lancer dans les affaires et 脿 diriger leur propre entreprise, note Patrick Frederick, chef d鈥檜ne soci茅t茅 de conseils bas茅e en Grande-Bretagne et cofondateur d鈥橝frican-Caribbean Business Network, qui a 茅t茅 cit茅 dans une publication locale. 鈥淚l s鈥檃git d鈥檜ne 茅norme ressource sous-exploit茅e qu鈥檌l faudra d茅velopper et ne pas ignorer.鈥�