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Mauritanie : le défi démocratique

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Mauritanie : le défi démocratique

En dépit des obstacles, la démocratie s’installe en Mauritanie
Afrique Renouveau: 
Photo: Paul Kingsley/Alamy
La participation des femmes mauritaniennes augmentent en matière de gouvernance. Photo: Paul Kingsley/Alamy

La Mauritanie a fait parler d’elle ces derniers temps à propos de, l’esclavage. L’an passé, la chaîne d’information américaine CNN a en effet diffusé un documentaire intitulé Mauritania, Slavery’s Last Stronghold (La Mauritanie, le dernier bastion de l’esclavage), vif réquisitoire contre les maigres efforts du pays pour mettre un terme aux formes contemporaines d’esclavage telles que le travail forcé, le travail des enfants ou la traite des êtres humains. L’année dernière encore, l’Index de l’esclavage dans le monde (Global Slavery Index), qui établit la liste des pays touchés par le phénomène, désignait la Mauritanie comme le pays au plus fort taux dans le monde. On estime en effet que 140 000 personnes y sont maintenues en esclavage et le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé, en février dernier, la création d’un tribunal pour juger les responsables de telles pratiques.

Outre l’esclavage, c’est l’instabilité politique qui a rendu le pays tristement célèbre – six coups d’état depuis l’indépendance en 1960, dont le dernier en 2008 à l’instigation du Général Mohamed Ould Abdel Aziz qui en 2009s’est proclamé chef d’état après avoir revendiqué sa victoire dans une élection contestée.

Mais depuis son accession au pouvoir, le président Abdel Aziz est devenu un dirigeant civil à la têted’une démocratie grandissante grâce à laquelle des améliorations ont été apportées en matière de libertés, de droits de l’homme et de responsabilisation.

“Nous n’avons plus besoin de nous rendre à Paris pour exprimer ouvertement nos préoccupations”, commente Abdellahi Ould Hourmatallah, directeur du Ministère des communications mauritanien lors d’une interview avec Afrique Renouveau. “A présent, nous pouvons au moins rester ici et exiger des comptes de nos dirigeants.” Il n’y a qu’à voir : déjà l’an dernier, une dizaine de membres importants des Forces de libération africaines de Mauritanie (ALFM), qui vivaient en exil depuis que le groupe avait été interdit en 1986 en raison d’un complot pour renverser le gouvernement, sont revenus dans le pays. Depuis ils ont pu y mener leurs activités sans être inquiétés.

Le retour de ces personnes coïncide avec l’établissement, par le gouvernement, du Forum pour la protection de la démocratie (MFPDP), un groupe comprenant des responsables clés d’organisations de la société civile. Le Forum doit aider le gouvernement à promouvoir l’harmonie sociale, à encourager la participation des femmes à la démocratie et à promouvoir la liberté de la presse, entre autres projets.

Interviewé par Afrique Renouveau, Mohamed Lemjad Salem, qui dirige le Forum MFPDP, estime qu’en inculquant des valeurs démocratiques à la population, le groupe espère créer une atmosphère propice à ce que le gouvernement et l’opposition jouent le rôle qui leur incombe au sein d’une démocratie. “Nous voulons nous battre pour renforcer les valeurs démocratiques… pour instaurer la démocratie à laquelle nous aspirons.” A l’heure actuelle, il est de plus en plus admis parmi les Mauritaniens que la société civile “peut jouer un rôle de premier plan dans la formation des opinions publiques et aider à renforcer la démocratie,” ajoute M. Hourmatallah En Mauritanie, les progrès en matière de respect des droits de l’homme vont de pair avec une plus grande liberté de la presse. L’ONG Reporters sans frontières, qui défend la liberté d’information, estime que le pays possède “l’un des environnements médiatiques les plus ouverts de la région du Maghreb…. Il y a très peu d’interventions de la part du gouvernement.” Pourtant il y a quelques années encore, les rédacteurs en chef étaient obligés d’obtenir la permission du gouvernement avant de publier un article. On attendait même qu’ils révèlent leurs sources – y compris les sources confidentielles. Le gouvernement possédait les groupes médiatiques et avait créé un conseil, sans aucun représentant de la profession, qui nommait les responsables d’institutions médiatiques et régulait les pratiques journalistiques.

Ces temps sont révolus – sans doute pour de bon. Bien qu’adoptés lentement, les amendements des lois sur les médias ont été déterminants. En 2010, le gouvernement a ouvert le secteur des médias à la propriété privée. L’année suivante, il abrogeait une partie de la loi en vertu de laquelle les journalistes pouvaient être emprisonnés pour calomnie contre le chef de l’état.

Suite aux modifications des lois sur les médias, les réactions ont été nombreuses. La Mauritanie possède aujourd’hui deux chaînes de télévision et plusieurs stations de radio indépendantes mettant un terme au monopole du gouvernement sur la diffusion médiatique. Bien que les autorités contrôlent encore deux quotidiens, vingt-huit autres sont dorénavant privés.

Tout comme pour les médias, la place des femmes au sein du gouvernement évolue de façon positive. Le pays est l’un des 34 au monde à disposer d’un système de quotas qui garantit la participation des femmes. Sur les 147 sièges de la chambre basse du parlement, 31 sont réservés aux femmes. (Soit environ 20%, la part de parlementaires femmes étant en moyenne dans le monde de 21,4%). De fait, 31 femmes siègent au parlement mauritanien depuis les élections de novembre 2013. “S’il y a encore des progrès à faire, nous déployons les efforts nécessaires pour créer une société ouverte en Mauritanie”, déclare Abdellahi Ould Zoubeir, un journaliste membre du Forum MFPDP à Afrique Renouveau.

Si, dans de nombreux domaines, la Mauritanie progresse, les effets de la démocratie sur le plan économique demeurent un sujet de préoccupation réelle. Au vu du lien qui existe entre le bien-être des citoyens et leur participation politique, le Président Abdel Aziz a voulu s’attaquer au problème de la pauvreté. Bien que le pays accuse un déficit budgétaire de 32% en 2013, le Fonds monétaire international (FMI) semble satisfait de son taux de croissance économique qui atteint 6,4%. “Pour l’année 2014, écrit le FMI, la croissance se poursuivra au même rythme, en dépit d’une demande mondiale qui demeure faible. Ainsi, il est prévu que le taux de croissance, en terme de PNB réel, atteigne 6,5% environ, grâce à de forts résultats dans le secteur minier, les secteurs de l’agriculture et des services, de la construction et des travaux publics.”

Ces progressions ne sont pas “reflétées par la situation sociale, qui se caractérise toujours par une importante pauvreté et un fort taux de chômage”, note un rapport de 2013, Perspectives économiques en Afrique (AEO), publié conjointement par la Banque africaine de développement, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et le Programme des Nations Unies pour le développement. Selon le rapport, plus de 21% de la population vit dans une pauvreté absolue et bien que le taux de chômage national soit de 30%, il atteint les 60% dans certaines zones rurales.

“Les femmes mauritaniennes sont victimes de discrimination dans l’accès à l’emploi et aux terres, ce qui a pour conséquence de réduire leur participation économique”, précise le rapport Perspectives économiques en Afrique. Aminettou Mint Ely, qui dirige l’ONG Association of women, a indiqué à IRIN, un service d’information humanitaire, que les hommes ne donnent pas la possibilité aux femmes de se battre contre les lois discriminatoires “telles que celles qui empêchent les femmes qui travaillent d’obtenir la retraite ou de payer les femmes élues moins que les hommes qui occupent les mêmes fonctions.” Mahnaz Afkhami, président de Women’s Learning Partnership, un autre groupe de défense des femmes, ajoute qu’ “il faut casser les stéréotypes culturels et éduquer ces femmes à exercer le pouvoir de la bonne façon.”

Certains politiciens ne facilitent pas les choses pour les femmes. En 2012, Aslamo Ould Sidi al-Mustafa, un conseiller du président, a lancé une fatwa (décret islamique) controversée qui interdisait aux femmes d’être candidates aux élections présidentielles. Elles peuvent participer, a déclaré M. al-Mustafa, mais seulement “pour s’amuser”. Ceci signifie donc qu’aucune femme ne peut devenir présidente en Mauritanie. Les groupes de défense des femmes ont décidé de réagir stupéfaits par le silence du président Abdel Aziz à ce propos.

Bien que les médias jouissent d’une relative liberté, ils ne sont pas assez stables financièrement pour assurer une surveillance efficace. Les chaînes de télévision privées ne sont diffusées que sur le web. Internet n’étant accessible que par 4,5% de la population, ces chaînes ont un rayon d’action limité. Les journaux ne s’en sortent pas beaucoup mieux, en raison de revenus publicitaires insuffisants et de systèmes de distribution réduits, fait remarquer la BBC. Pâtissant de l’absence d’une loi sur la liberté d’information, les journalistes se heurtent souvent à de stricts refus lorsqu’ils demandent des informations que le gouvernement considère comme embarrassantes.

Les éloges de la démocratie en Mauritanie ne se justifient que si l’on compare les conditions actuelles aux situations antérieures, estiment de nombreuses personnes. Le gouvernement demeure sensible aux critiques trop sévères des médias. En août 2011 notamment, des agents de sécurité ont détenu une équipe de journalistes sénégalais qui se trouvaient en Mauritanie pour interviewer des responsables de l’opposition et des activistes contre l’esclavage. Cette année-là, Abdelhafiz al-Baqali, un journaliste marocain, a été deporté sans raison donnée. Les allégations de discrimination contre les Noirs, de torture de prisonniers en détention et de dysfonctionnement d’un système judiciaire qui n’est pas pleinement indépendant de l’exécutif sont également fréquentes. Sans aucune explication, le Président Abdel Aziz a nommé successivement trois juges différents à la tête de la Cour suprême entre 2007 et 2010, bien que chaque juge soit censé disposer d’un mandat de cinq ans minimum.

En réalité, le gouvernement fait face à de nombreux défis. La Mauritanie est une société multiculturelle, entourée de pays avec lesquels elle entretient des relations tendues. Elle continue de se quereller d’un côté avec le Maroc et l’Algérie à propos du Sahara occidental, de l’autre avec le Sénégal à propos de l’utilisation de la rivière Sénégal qui sépare les deux pays. En outre, des milliers de réfugiés maliens s’installent en Mauritanie, accentuant la demande en ressources déjà limitées, notamment en eau et en énergie. La sécurité est également problématique car le gouvernement tente constamment de supprimer toute persistance des réseaux terroristes.

La Mauritanie déploie des efforts pour supprimer l’esclavage. En 2007, elle a adopté une loi contre l’esclavage, qui en fait un crime passible d’une peine de dix ans de prison. Un comité judiciaire dirigé par le Président Abdel Aziz a annoncé, en décembre dernier, sa décision de créer un tribunal spécial pour juger les personnes responsables de telles pratiques. Gulnara Shahinian, le rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines d’esclavage, a loué “la volonté politique dont témoignent les autorités [mauritaniennes] dans la lutte contre l’esclavage.

Etant donné la vaste tâche à laquelle fait face le Président Abdel Aziz, les mesures récentes en faveur de la démocratie sont significatives, jugent les analystes. L’image de la Mauritanie en tant que pays d’instabilité politique et d’esclavage pourrait bientôt changer. Et il est fort possible que ce pays de plus de 3 millions et demi d’habitants apparaisse bientôt comme une oasis de démocratie, en plein désert.