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Le Nig¨¦ria exporte sa musique

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Le Nig¨¦ria exporte sa musique

Les hits s¡¯enchainent mais les revenus ne suivent pas
Franck Kuwonu
Afrique Renouveau: 
Wizkid performs in London, United Kingdom. Photo: Alamy/Michael Tubi
Photo: Alamy/Michael Tubi
Concert de Wizkid ¨¤ Londres, Grande-Bretagne. Photo: Alamy/Michael Tubi

La soir¨¦e est fra?che ¨¤ Anvers, la seconde plus grande ville de Belgique, c¨¦l¨¨bre pour ses diamants, sa bi¨¨re, son art et sa haute couture. Dans un petit restaurant, une compilation des derniers tubes de pop et de rap am¨¦ricains passe ¨¤ la radio, ¨¤ la satisfaction visible des clients. Olalekan Adetiran et Adaobi Okereke, deux Nig¨¦rians d¨¦gustant un kebab, sont pourtant pris au d¨¦pourvu lorsqu¡¯ils entendent soudain l¡¯immanquable ? Ma Lo ? ¡ª une chanson accrocheuse, charg¨¦e en basses, interpr¨¦t¨¦e par les c¨¦l¨¨bres musiciens nig¨¦rians Tiwa Savage et Wizkid.

La chanson, un succ¨¨s au Nig¨¦ria et ¨¤ travers l¡¯Afrique, leur rappelle le pays alors qu¡¯ils se sont arr¨ºt¨¦s en Belgique au cours d¡¯un voyage de d¨¦couverte de l¡¯Europe et de ses monuments. Pris par surprise, ils ne peuvent s¡¯emp¨ºcher de sourire.

Deux mois ¨¤ peine apr¨¨s sa sortie, le clip provocateur de la chanson a ¨¦t¨¦ visionn¨¦ plus de 10 millions de fois sur YouTube ¨C et sans doute encore davantage depuis.

Pour M. Adetiran, entendre ? Ma Lo ? sur une radio belge, pas particuli¨¨rement destin¨¦e aux communaut¨¦s africaines, prouve que la musique de Naija ¨C ainsi que les Nig¨¦rians surnomment leur pays ¨C a de l¡¯avenir. Une nouvelle g¨¦n¨¦ration d¡¯artistes nig¨¦rians sait se faire entendre au-del¨¤ des fronti¨¨res nationales.

Tout comme Nollywood, l¡¯industrie cin¨¦matographique du pays, la musique nig¨¦riane suscite un int¨¦r¨ºt en dehors du pays, montrant la vitalit¨¦ d¡¯une industrie artistique dont a besoin le gouvernement pour diversifier l¡¯¨¦conomie et stimuler le d¨¦veloppement.

Plus de reconnaissance

En novembre dernier, Wizkid a d¨¦croch¨¦ une r¨¦compense aux MOBO Awards ¨¤ Londres, damant le pion ¨¤ des c¨¦l¨¦brit¨¦s beaucoup plus reconnues comme Jay-Z, Drake, DJ Khaled et Kendrick Lamar, une premi¨¨re pour un artiste vivant en Afrique.

Lors de cette m¨ºme c¨¦r¨¦monie des MOBO Awards, Davido, un autre musicien nig¨¦rian, a remport¨¦ le Prix du Meilleur artiste africain pour ? If ?, l¡¯un de ses tubes ¨C une balade sur le th¨¨me de l¡¯amour m¨ºlant du R & B ¨¤ une rythmique locale.

Depuis sa sortie en f¨¦vrier 2017, le clip de ? If ? a ¨¦t¨¦ vu plus de 60 millions de fois sur YouTube : aucun clip de musique nig¨¦riane, aucune chanson d¡¯un musicien africain, n¡¯avait jamais autant ¨¦t¨¦ regard¨¦ et ¨¦cout¨¦e sur YouTube.

Sur le continent, d¡¯autres groupes de musique, tels que le Boys Band k¨¦nyan Sauti Sol, Diamond Platnumz en Tanzanie et Mafikizolo en Afrique du Sud, ont collabor¨¦ avec des stars de la musique nig¨¦riane dans le but d¡¯acqu¨¦rir plus de notori¨¦t¨¦ internationale. Pour l¡¯agence de presse Reuters, la musique nig¨¦riane est devenue ? Un produit d¡¯exportation culturel ?.

C¡¯est l¨¤ une bonne raison pour le gouvernement nig¨¦rian de s¡¯int¨¦resser de plus pr¨¨s aux industries artistiques comme sources de revenus.

Une industrie ¨¦valu¨¦e en milliards ?

En recalculant son PIB en 2013, le gouvernement nig¨¦rian y a inclus des secteurs jusqu¡¯alors n¨¦glig¨¦s, les industries du divertissement notamment, au premier chef desquelles Nollywood. Le PIB du pays a alors augment¨¦ significativement, passant de 270 milliards ¨¤ 510 milliards de dollars, et faisant du Nig¨¦ria, cette ann¨¦e-l¨¤, la plus grande ¨¦conomie du continent devant l¡¯Afrique du Sud, selon la Brookings Institution, un groupe de r¨¦flexion ¨¤ but non lucratif bas¨¦ aux ?tats-Unis. Toutefois, selon Brookings, cet accroissement du PIB ne refl¨¦tait pas une augmentation de la richesse et l¡¯effondrement r¨¦cent des prix du p¨¦trole, premi¨¨re exportation nationale, a ralenti la croissance ¨¦conomique.? ?

Les revenus tir¨¦s des ventes de musique produite au Nig¨¦ria ¨¦taient estim¨¦s ¨¤ 56 millions de dollars en 2014, selon PricewaterhouseCoopers (PwC), une soci¨¦t¨¦ internationale d¡¯audit et de comptabilit¨¦. Ils devraient atteindre les 88 millions de dollars d¡¯ici ¨¤ 2019.

Au niveau mondial, l¡¯industrie artistique est parmi les secteurs ¨¦conomiques les plus dynamiques. Elle ? fournit aux pays en d¨¦veloppement une occasion d¡¯entrer directement dans des secteurs ¨¦mergents ¨¤ forts revenus ? indiquait, dans un rapport de 2016, la Conf¨¦rence des Nations Unies sur le commerce et le d¨¦veloppement (CNUCED), un organisme de l¡¯ONU charg¨¦ des questions de commerce, d¡¯investissement et de d¨¦veloppement.? ?

Au cours des dix derni¨¨res ann¨¦es, l¡¯Europe a ¨¦t¨¦ le plus grand exportateur de produits culturels, m¨ºme si les exportations des pays en d¨¦veloppement croissent rapidement dans ce domaine, indique la CNUCED.

D¡¯apr¨¨s PwC, les revenus annuels des secteurs de la musique, du cin¨¦ma, de l¡¯art et de la mode au Nig¨¦ria passeront, dans leur ensemble, de 4,8 milliards en 2015 ¨¤ plus de 8 milliards de dollars en 2019.

Le Bureau de la statistique du Nig¨¦ria indique que le secteur musical a connu ? une croissance r¨¦elle de 8,4% au cours des trois premiers mois de 2016 ? et qu¡¯au cours du premier trimestre de 2017, sa croissance fut 12% plus ¨¦lev¨¦e qu¡¯¨¤ la m¨ºme p¨¦riode l¡¯ann¨¦e pr¨¦c¨¦dente.

Cette croissance peut ¨ºtre attribu¨¦e ¨¤ un changement des modes de consommation de la musique, selon les m¨¦dias nationaux. Jusqu¡¯au d¨¦but des ann¨¦es 2000, ¨¤ la radio et dans les bo?tes de nuit nig¨¦rianes passaient surtout des chansons am¨¦ricaines et britanniques. Mais aujourd¡¯hui, la plupart des Nig¨¦rians pr¨¦f¨¨rent ¨¦couter les compositions de leurs compatriotes plut?t que celles venues de l¡¯¨¦tranger, m¨ºme s¡¯il s¡¯agit de succ¨¨s occidentaux.

? Quand je sors, je veux ¨¦couter Davido ou Whizkid ou Tekno; comme d¡¯autres, je n¡¯appr¨¦cie? plus d¡¯¨¦couter des chansons de musiciens ¨¦trangers ?, commente Benjamin Gabriel, qui vit ¨¤ Abuja. Le Nig¨¦ria comptant environ 180 millions d¡¯habitants, les artistes nationaux ont donc de quoi faire. Les plus en vue comme Whizkid et Davido ne manquent pas d¡¯admirateurs ¨C ni sans doute de liquidit¨¦s !

Le nouvel or noir

? Nous sommes pr¨ºts ¨¤ exploiter ce nouvel or noir ?, a estim¨¦ le ministre de l¡¯information et de la culture, Lai Mohammed, ¨¤ l¡¯ouverture d¡¯une conf¨¦rence sur le financement des industries artistiques ¨¤ Lagos en juillet dernier.

? Quand nous parlons de la diversification de l¡¯¨¦conomie, nous ne parlons pas seulement des secteurs agricoles ou miniers, mais aussi de l¡¯industrie artistique ¨C les films, le th¨¦?tre, la musique ?, a d¨¦clar¨¦ M. Mohammed.

Il r¨¦agissait ¨¤ la publication des donn¨¦es de la CNUCED, ¨¦tablissant que l¡¯industrie artistique avait rapport¨¦ environ 115,5 milliards ¨¤ l¡¯¨¦conomie britannique en 2014 et 698 milliards de dollars ¨¤ l¡¯¨¦conomie am¨¦ricaine cette m¨ºme ann¨¦e. ? Le Nig¨¦ria ne peut se permettre de rester ¨¤ la tra?ne, ? a d¨¦clar¨¦ M. Mohammed.

Le gouvernement nig¨¦rian fournit d¨¦j¨¤ des aides aux investisseurs du secteur et a cr¨¦¨¦ r¨¦cemment un fonds d¡¯investissement d¡¯un million de dollars pour soutenir financi¨¨rement de jeunes Nig¨¦rians talentueux souhaitant lancer une entreprise dans le secteur culturel. L¡¯industrie b¨¦n¨¦ficie d¡¯un ? statut de pionnier ?, c¡¯est dire que ceux qui investissent dans la production de cin¨¦ma, de vid¨¦o, de t¨¦l¨¦vision ou de musique, dans l¡¯¨¦dition, la distribution, l¡¯exposition d¡¯art et de photographie peuvent b¨¦n¨¦ficier d¡¯un cong¨¦ fiscal pendant 3 ¨¤ 5 ans.

Des fonds d¡¯investissements publics ou priv¨¦s sont aussi en train d¡¯¨ºtre mis en place.

Toutefois, si l¡¯on esp¨¨re voir fleurir cette industrie, les violations constantes des droits d¡¯auteur pourraient entraver cette croissance.

Les profits s¡¯¨¦vaporent

En d¨¦cembre 2017, trois personnes ¨¤ Lagos ont ¨¦t¨¦ mises en examen pour violations du droit d¡¯auteur, apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ arr¨ºt¨¦es en fanfare par la police quelques mois plus t?t. ? Piratage : trois personnes arr¨ºt¨¦es ¨¤ Alaba avec pr¨¨s de 50 millions de nairas ?, titrait Premium Times, un journal bas¨¦ ¨¤ Lagos.

Le march¨¦ d¡¯Alaba dans la capitale Lagos est c¨¦l¨¨bre pour ses produits ¨¦lectroniques, mais il est aussi connu pour vendre du faux et du pas cher, attirant des clients venus d¡¯Afrique de l¡¯ouest et de l¡¯est.

Les autorit¨¦s s¡¯efforcent depuis peu de combattre le piratage, en menant des interventions polici¨¨res ¨¤ Alaba et sur d¡¯autres march¨¦s du pays. Quelque 40 millions de dollars d¡¯¨¦l¨¦ments pirat¨¦s y ont ¨¦t¨¦ saisis.

N¨¦anmoins, le piratage des DVD et des CD de musique se poursuit sans rel?che, le combat pour l¡¯arr¨ºter prenant l¡¯allure d¡¯un v¨¦ritable jeu de la taupe. Gagnant peu d¡¯argent des ventes de leurs disques, les musiciens nig¨¦rians doivent tirer profit de contrats de sponsoring, de concerts ou de la vente de leur musique comme sonneries de portable pour boucler leurs fins de mois. La plupart d¡¯entre eux pr¨¦f¨¨rent d¨¦sormais diffuser leur musique enti¨¨rement sur le Web.

Mais dans ce cas, des probl¨¨mes se posent aussi. Ainsi en mars 2017, M. Adetiran et M. Okereke ont ¨¦t¨¦ dans une bo?te de nuit ¨¤ Dakar au S¨¦n¨¦gal o¨´ le DJ passait non-stop de la musique nig¨¦riane qu¡¯il avait t¨¦l¨¦charg¨¦e depuis Internet, se rendirent-ils compte apr¨¨s.

? Quand vous sortez vos compositions sur Internet, elles se perdent ?, d¨¦clarait Harrysong, un chanteur nig¨¦rian, au New York Times en juin 2017. Il exprimait ainsi le sentiment d¡¯impuissance des interpr¨¨tes nig¨¦rians qui perdent le contr?le de la distribution et de la vente de leur musique.

? La sc¨¨ne musicale Afrobeat nig¨¦riane conna?t son heure de gloire tandis que ses profits vont aux pirates ?, concluait le Times. ? ?

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