Dans un monde aussi interconnect茅 que le n么tre, les coups de feu tir茅s dans un coin du globe ont des r茅percussions sur d'autres endroits, apparemment 茅loign茅s. Un an apr猫s l'invasion russe du 24 f茅vrier en Ukraine, les pays africains, bien que physiquement 茅loign茅s, n'ont pas 茅t茅 茅pargn茅s par ses r茅pliques.听
S'il y a beaucoup 脿 dire sur les subtilit茅s politiques et strat茅giques qui entourent le conflit, l'impact r茅el et palpable sur la vie de nombreux Africains ordinaires est tout aussi troublant.听
Dans un contexte de flamb茅e des prix des denr茅es alimentaires et de l'茅nergie et de r茅duction du financement de la coop茅ration 茅conomique mondiale, les pays africains sont 茅galement confront茅s 脿 la question de savoir comment se positionner dans le cadre des changements significatifs des politiques 茅nerg茅tiques internationales, m锚me s'ils sont sollicit茅s par divers partenaires qui sont 茅galement aux prises avec les implications de l'acc猫s 脿 l'茅nergie pour leurs propres citoyens.听
En 2020, 15 pays africains ont import茅 plus de 50 % de leurs produits 脿 base de bl茅 de la F茅d茅ration de Russie ou d'Ukraine. Six de ces pays (脡rythr茅e, 脡gypte, B茅nin, Soudan, Djibouti et Tanzanie) ont import茅 plus de 70 % de leur bl茅 de cette r茅gion.听
La crise 茅nerg茅tique mondiale
Les Perspectives de l'茅conomie mondiale 2022 brossent un tableau saisissant de l'茅tat de l'茅nergie mondiale, affirmant qu'elle "provoque un choc d'une ampleur et d'une complexit茅 sans pr茅c茅dent".
Cette tension survient alors que les 茅conomies africaines tentent encore d'茅merger des impacts de la pand茅mie COVID-19, pour laquelle elles n'avaient pas assez de ressources pour s'amortir.听
Au milieu de l'ann茅e 2022, les prix mondiaux de l'茅nergie ont atteint leur plus haut niveau depuis trois d茅cennies, et le prix du gaz naturel a d茅pass茅 les 300 euros par m茅gawattheure. Ces co没ts 茅lev茅s du gaz naturel ont consid茅rablement baiss茅 en f茅vrier 2023, 脿 moins de 100 dollars par m茅gawattheure, en raison de temp茅ratures hivernales relativement chaudes dans l'h茅misph猫re nord.
Les gouvernements europ茅ens ont largement prot茅g茅 leurs citoyens de ces chocs de prix en d茅pensant plus de 640 milliards de dollars en subventions 茅nerg茅tiques, en r茅glementant les prix de d茅tail et en soutenant les entreprises. Les gouvernements africains, en revanche, ne disposaient pas de la marge de man艙uvre budg茅taire n茅cessaire pour prot茅ger les consommateurs par des mesures aussi vastes et indispensables pour contrer la hausse des prix de l'茅nergie.听
Outre les pressions exerc茅es par les fluctuations des taux de change et les prix 茅lev茅s des produits de base, l'inflation a atteint un taux 脿 deux chiffres dans 40 % des pays africains. En outre, sept pays africains sont en situation de surendettement 脿 partir de janvier 2023, et 14 autres pr茅sentent un risque 茅lev茅 de surendettement, ce qui les rend incapables de mettre en 艙uvre des contre-mesures significatives. 听
En cons茅quence, les m茅nages africains, qui, selon le FMI, consacrent d茅j脿 plus de 50 % de leur consommation globale 脿 l'alimentation et 脿 l'茅nergie, ont ressenti l'impact significatif des prix 茅lev茅s de l'茅nergie au niveau mondial induits par le conflit, ainsi que leurs effets indirects sur le co没t des transports et des biens de consommation.听
Les produits alimentaires repr茅sentent environ 42 % de la consommation des m茅nages africains et peuvent atteindre 60 % dans les pays touch茅s par les conflits et l'ins茅curit茅. 听En France et aux 脡tats-Unis, les produits alimentaires repr茅sentent respectivement 13 % et 6 % de la consommation des m茅nages, notent les Nations Unies.听
La crise 茅nerg茅tique mondiale a 茅galement entra卯n茅 des revirements de politique, de nombreux pays poursuivant d茅sormais des projets de gaz naturel et d'autres combustibles fossiles pour r茅pondre 脿 leurs besoins 茅nerg茅tiques.
Le gaz naturel est 茅galement de plus en plus consid茅r茅 comme un "investissement vert", contrairement aux engagements pris lors de la conf茅rence mondiale sur le climat COP26 脿 Glasgow en novembre 2021, qui visaient 脿 r茅duire le financement du d茅veloppement pour les projets de gaz naturel.听
Pour les pays africains, cela s'est traduit par un regain d'int茅r锚t pour les projets de gaz naturel et de gaz naturel liqu茅fi茅 (GNL) et par une acc茅l茅ration de leur mise en 艙uvre, mais principalement pour l'exportation vers l'Europe et d'autres pays en dehors du continent.听
Si cela peut se traduire par une augmentation des investissements dans le secteur de l'茅nergie sur le continent, les b茅n茅fices ne se traduisent pas n茅cessairement par un acc猫s 脿 l'茅nergie pour les Africains eux-m锚mes. Au contraire, cela risque de perp茅tuer les 茅conomies fond茅es sur les produits de base et de freiner les ambitions d'industrialisation du continent.
听Chocs sur les syst猫mes alimentaires de l'Afrique
Alors que l'Afrique poss猫de plus de 65 % des terres non cultiv茅es du monde, elle est un importateur net de denr茅es alimentaires et, 脿 ce titre, elle a 茅t茅 durement touch茅e par la hausse des prix mondiaux des denr茅es alimentaires, ce qui a entra卯n茅 une ins茅curit茅 alimentaire accrue.听
Selon le FMI, les prix des denr茅es alimentaires de base en Afrique "ont bondi de 23,9 % en moyenne en 2020-22 - le plus fort depuis la crise financi猫re mondiale de 2008."
Cela a des cons茅quences d茅vastatrices pour de nombreux Africains, o霉 les articles alimentaires occupent la plus grande part dans de nombreux paniers de consommation des m茅nages. Les produits alimentaires repr茅sentent environ 42 % de la consommation des m茅nages africains et peuvent atteindre 60 % dans les pays touch茅s par les conflits et l'ins茅curit茅. 听En France et aux 脡tats-Unis, les produits alimentaires repr茅sentent respectivement 13 % et 6 % de la consommation des m茅nages, notent les Nations Unies.听
Selon la Banque africaine de d茅veloppement (BAD), les pays africains d茅pensent plus de 75 milliards de dollars pour importer plus de 100 millions de tonnes m茅triques de c茅r茅ales chaque ann茅e. En 2020, 15 pays africains ont import茅 plus de 50 % de leurs produits 脿 base de bl茅 de la F茅d茅ration de Russie ou d'Ukraine. Six de ces pays (脡rythr茅e, 脡gypte, B茅nin, Soudan, Djibouti et Tanzanie) ont import茅 plus de 70 % de leur bl茅 de cette r茅gion.听
La BAD note que l'invasion russe de l'Ukraine a d茅clench茅 une p茅nurie d'environ 30 millions de tonnes de c茅r茅ales sur le continent, ainsi qu'une forte augmentation des co没ts.听
Le rapport 2023 de l'ONU sur la situation et les perspectives de l'茅conomie mondiale montre que l'Afrique pr茅sentait d茅j脿 la plus forte pr茅valence d'ins茅curit茅 alimentaire au niveau mondial en 2020, avec 26 % de la population confront茅e 脿 une ins茅curit茅 alimentaire grave et 60 % de la population touch茅e par une ins茅curit茅 alimentaire mod茅r茅e ou grave, selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).听
脌 l'approche de la saison de croissance 2023-2024, le prix et la disponibilit茅 des engrais pour les agriculteurs africains d茅termineront la mani猫re dont le continent contrera l'ins茅curit茅 alimentaire g茅n茅ralis茅e. Selon la Banque mondiale, la production alimentaire de l'Afrique est d茅j脿 entrav茅e par la faible utilisation d'engrais, avec "un taux moyen d'application d'engrais de 22 kilogrammes par hectare, alors que la moyenne mondiale est sept fois plus 茅lev茅e (146 kilogrammes par hectare).
Lors du " Sommet Dakar 2 sur l'alimentation en Afrique : Souverainet茅 et r茅silience alimentaires" qui s'est tenu du 25 au 27 janvier 2023, la BAD a indiqu茅 que ce chiffre avait fortement augment茅 en 2022, les Africains repr茅sentant d茅sormais un tiers (environ 300 millions de personnes) de la population mondiale actuellement confront茅e 脿 la faim et 脿 l'ins茅curit茅 alimentaire.听
Co没t des engrais
Les perturbations de la cha卯ne d'approvisionnement en intrants agricoles primaires, notamment les importations d'engrais en provenance de Russie, d'Ukraine et de Bi茅lorussie, ont encore menac茅 la s茅curit茅 alimentaire de l'Afrique. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a indiqu茅 que les prix mondiaux des engrais ont augment茅 de 199 % depuis mai 2020, et que les prix des engrais ont plus que doubl茅 au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie en 2022.听
Le PAM note que "si cela est en partie une cons茅quence de la guerre en Ukraine, les prix des denr茅es alimentaires, du carburant et des engrais avaient d茅j脿 atteint des sommets 脿 la fin de 2021." L'"Initiative pour les c茅r茅ales de la mer Noire", n茅goci茅e par les Nations unies et la Turquie et sign茅e en juillet 2022, a att茅nu茅 en partie la "p茅nurie d'engrais" en permettant le mouvement des exportations d'engrais de l'Ukraine vers le reste du monde.听
脌 l'approche de la saison de croissance 2023-2024, le prix et la disponibilit茅 des engrais pour les agriculteurs africains d茅termineront la mani猫re dont le continent contrera l'ins茅curit茅 alimentaire g茅n茅ralis茅e.听
Selon la Banque mondiale, la production alimentaire de l'Afrique est d茅j脿 entrav茅e par la faible utilisation d'engrais, avec "un taux moyen d'application d'engrais de 22 kilogrammes par hectare, alors que la moyenne mondiale est sept fois plus 茅lev茅e (146 kilogrammes par hectare)".听
La Banque estime que les exportations d'engrais des principaux fournisseurs africains, 脿 savoir l'Ukraine, la Russie et la Bi茅lorussie, qui restent perturb茅es, auront un impact sur la production alimentaire de l'Afrique et aggraveront la s茅curit茅 alimentaire tout au long de 2023.听
En outre, la Banque mondiale note que d'autres producteurs d'engrais interdisent les exportations de ces intrants essentiels pour prot茅ger leurs propres agriculteurs, laissant les agriculteurs africains sans beaucoup d'options.听
Conclusion
Alors que le monde r茅fl茅chit aux divers chocs cr茅茅s par le conflit qui dure depuis un an, les Africains doivent faire face aux menaces involontaires 脿 court terme qui p猫sent sur leurs 茅conomies, leurs syst猫mes alimentaires et leur bien-锚tre. En effet, le secr茅taire g茅n茅ral des Nations Unies, Antonio Guterres, s'exprimant lors de l'appel 脿 l'action pour la s茅curit茅 alimentaire mondiale en mai 2022, a lanc茅 un avertissement : "Si nous ne nourrissons pas les gens, nous nourrissons les conflits".听
Avec un leadership d茅cisif, il existe certaines strat茅gies qui peuvent all茅ger le fardeau des 茅conomies en difficult茅 :听
- Par exemple, la r茅affectation des 100 milliards de dollars de droits de tirage sp茅ciaux du FMI pour soutenir les pays africains et la restructuration de la dette priv茅e et publique donneraient 脿 ces pays l'espace fiscal n茅cessaire pour surmonter la crise.
- Il existe 茅galement une lueur d'espoir pour contrer les effets 脿 long terme du conflit. La plus strat茅gique est la volont茅 politique des gouvernements africains de se recentrer sur l'agriculture. Lors du sommet de Dakar 2, de nombreux chefs d'脡tat et de gouvernement africains ont souhait茅 renforcer les d茅penses publiques en faveur de l'agriculture afin de mettre en place un syst猫me alimentaire africain autosuffisant et r茅silient. Dans son discours d'ouverture du sommet, le pr茅sident s茅n茅galais Macky Sall a d茅clar茅 : "De la ferme 脿 l'assiette, nous avons besoin d'une souverainet茅 alimentaire totale, et nous devons accro卯tre les terres cultiv茅es et l'acc猫s au march茅 pour renforcer le commerce transfrontalier."
- En effet, la mise en 艙uvre de la Zone de libre-茅change continentale africaine (ZLECAf), qui promet un commerce transfrontalier efficace, permettrait le d茅placement sans heurts des quelque 30 millions de tonnes d'engrais que l'Afrique produit chaque ann茅e. Cette production repr茅sente le double de la quantit茅 d'engrais que le continent consomme actuellement.听
- De m锚me, la BAD pr茅voit d'investir 10 milliards de dollars "pour faire de l'Afrique le grenier du monde". Un tel investissement peut grandement contribuer 脿 reproduire des solutions technologiques, telles que l'utilisation par l'脡thiopie de cultures r茅sistantes 脿 la chaleur pour accro卯tre ses exc茅dents de bl茅. Le pays pr茅voit d'锚tre un exportateur de bl茅 vers d'autres pays africains en 2023.听
- En ce qui concerne l'茅nergie, l'acc茅l茅ration de l'acc猫s 脿 une 茅nergie durable, fiable et abordable, que ce soit pour le d茅veloppement industriel, l'emploi des jeunes du continent ou la garantie de sa s茅curit茅 alimentaire, tout repose invariablement sur le fait que l'Afrique dispose d'un bouquet 茅nerg茅tique 茅quilibr茅.听
La s茅rie de d茅fis imbriqu茅s de ces derni猫res ann茅es a rendu une question tr猫s claire. Les Africains doivent adopter une position unifi茅e pour 茅viter un nouveau cycle d'exploitation des ressources 茅nerg茅tiques du continent fond茅 sur les produits de base, et 艙uvrer pour garantir l'acc猫s universel de l'Afrique 脿 l'茅nergie.听
Bitsat Yohannes-Kassahun est chef de groupe, 茅nergie et climat, au Bureau du conseiller sp茅cial pour l'Afrique des Nations Unies (OSAA).
