Ibrahim Mayaki, Envoy茅 sp茅cial de l'Union africaine pour les syst猫mes alimentaires, a pr茅c茅demment occup茅 le poste de PDG de l'Agence de d茅veloppement de l'UA (AUDA-NEPAD). Avant le Sommet-bilan des Nations Unies sur les syst猫mes alimentaires pr茅vu 脿 Rome du 24 au 26 juillet 2023, Kingsley Ighobor,听d'Afrique Renouveau, a interview茅 le Dr Mayaki. Ils ont discut茅 de diverses questions concernant l'茅tat des syst猫mes alimentaires africains et les opportunit茅s et d茅fis li茅s 脿 l'alimentation d'une population en croissance rapide. Vous trouverez ci-dessous des extraits de leur conversation :
En tant qu'Envoy茅 sp茅cial de l'Union africaine pour les syst猫mes alimentaires, quelle est la port茅e de votre mandat et qu'est-ce que les Africains peuvent attendre de vous ?
Le r么le des Envoy茅s sp茅ciaux de l'UA est avant tout de s'attaquer 脿 un probl猫me critique pour lequel l'UA a besoin de soutien. Un Envoy茅 sp茅cial ne cherche pas 脿 remplacer ou 脿 prendre en charge les responsabilit茅s de l'UA ou de la Commission de l'UA (Cua). Son r么le est plut么t de soutenir et d'am茅liorer leur travail en apportant une valeur ajout茅e.
C'est la premi猫re fois que l'UA d茅signe un Envoy茅 sp茅cial sp茅cifiquement d茅di茅 aux syst猫mes alimentaires. Auparavant, des personnalit茅s telles que le Rwandais Donald Kaberuka avait 茅t茅 Envoy茅 sp茅cial pour le financement et le Malien Michel Sidib茅 avait 茅t茅 Envoy茅 sp茅cial pour l'Agence africaine du m茅dicament.
La d茅cision de d茅signer un envoy茅 sp茅cial pour les syst猫mes alimentaires s'explique par trois raisons principales. Ces questions ont fait l'objet de discussions approfondies lorsque j'ai accept茅 cette d茅signation.听
Premi猫rement, nous pourrions entrer dans une 猫re post-guerre en Ukraine qui sera caract茅ris茅e par une crise des syst猫mes alimentaires.听
Les dirigeants doivent non seulement mettre en place les syst猫mes, mais aussi s'assurer de leur efficacit茅 pour atteindre les r茅sultats souhait茅s.
Le march茅 a connu une 茅volution d茅favorable et les pays africains subissent les cons茅quences de cette guerre. Nous avons observ茅 des p茅nuries de ressources vitales telles que les engrais, les semences, le bl茅, etc. La crise et la r茅ponse que nous y avons apport茅e ont r茅v茅l茅 un manque de coordination des efforts.
La premi猫re raison de la nomination d'un Envoy茅 sp茅cial est donc d'assurer la pr茅paration 脿 une telle crise, m锚me si nous pr茅voyons d'autres crises 脿 l'avenir.听
La deuxi猫me raison est li茅e aux nombreuses initiatives portant sur les syst猫mes alimentaires en Afrique. Nous sommes confront茅s 脿 une certaine complexit茅 en termes d'initiatives, et cette complexit茅 n茅cessite une meilleure gestion et une plus grande coh茅rence.听
Sans une coordination ad茅quate, les 脡tats membres et leurs parties prenantes pourraient avoir du mal 脿 comprendre la direction que nous prenons. C'est pourquoi la nomination vise 脿 favoriser la pr茅paration et 脿 renforcer la coh茅rence entre ces initiatives.
La troisi猫me raison, 茅troitement li茅e aux deux pr茅c茅dentes, concerne la mobilisation des ressources. Plus pr茅cis茅ment, il s'agit de la n茅cessit茅 de mobiliser les ressources nationales pour relever les d茅fis auxquels sont confront茅s les syst猫mes alimentaires.听
Nous disposons 茅galement des ressources des banques multilat茅rales de d茅veloppement et d'autres institutions qui peuvent soutenir les efforts de l'Afrique dans la transformation de ses syst猫mes alimentaires.
Outre la crise ukrainienne, quels sont les autres facteurs qui mettent en p茅ril les syst猫mes alimentaires de l'Afrique ?
Je commencerai par d茅tailler le concept de syst猫mes alimentaires. Auparavant, et encore aujourd'hui, nous parlions d'agriculture, de production agricole, d'茅conomie rurale, de diversification, de productivit茅 agricole, de s茅curit茅 et d'ins茅curit茅 alimentaires.听
Nous parlons aujourd'hui de syst猫mes alimentaires parce qu'ils englobent tout le spectre, de mani猫re int茅gr茅e, des processus, de l'agriculteur au consommateur, et, entre les deux, les nombreux acteurs et secteurs.
Il est 茅vident que les syst猫mes alimentaires concernent la production, la nutrition, les routes et autres infrastructures, les march茅s et le commerce. Il s'agit de relier les agriculteurs aux march茅s, de favoriser l'茅ducation et l'esprit d'entreprise, de permettre aux petits agriculteurs de devenir des micro-entrepreneurs et des petits entrepreneurs. Il s'agit de l'agro-industrie.
En outre, il souligne l'importance de fournir aux consommateurs des informations essentielles et de s'attaquer aux cons茅quences du changement climatique, en particulier dans des r茅gions comme l'Afrique qui souffrent 茅norm茅ment bien qu'elles soient des 茅metteurs nets de gaz 脿 effet de serre.
Si nous regardons l'Afrique aujourd'hui, il est vrai que nous avons r茅duit l'extr锚me pauvret茅 au cours des 20 脿 25 derni猫res ann茅es, mais dans le m锚me temps, il y a une augmentation de la malnutrition.听
La facture de nos importations alimentaires reste tr猫s 茅lev茅e, plus de 60 milliards de dollars par an. Les petits agriculteurs qui produisent 80 % des aliments que nous consommons souffrent 茅galement de malnutrition et d'ins茅curit茅 alimentaire, ce qui est anormal.
Nous avons utilis茅 des cadres tels que le PDDAA (Programme d茅taill茅 de d茅veloppement de l'agriculture africaine) et la d茅claration de Malabo pour aborder le d茅veloppement agricole. La d茅claration de Malabo est consid茅r茅e comme un pr茅curseur des syst猫mes alimentaires, car elle a ouvert l'agriculture 脿 d'autres secteurs.听
Il s'agit en quelque sorte de la deuxi猫me phase du PDDAA, qui a 茅t茅 bien mise en 艙uvre puisque plus de 40 pays ont adopt茅 des plans nationaux d'investissement dans l'agriculture. La Banque africaine de d茅veloppement a commenc茅 脿 茅laborer des accords au niveau national pour permettre aux pays de disposer de cadres qui attireront des financements.
Nous disposons donc des cadres, mais il faut que deux choses radicales se produisent.听
La premi猫re consiste 脿 adopter une approche pangouvernementale de la transformation des syst猫mes alimentaires et 脿 ne pas laisser cette t芒che aux minist猫res de l'agriculture ou de l'environnement.听
Deuxi猫mement, nous devons investir davantage dans les syst猫mes alimentaires pour r茅duire l'ins茅curit茅 alimentaire. J'ai dit lors du week-end Ibrahim sur la gouvernance (qui s'est tenu du 28 au 30 avril 2023) que l'ins茅curit茅 alimentaire n'est pas une question de production, mais une question de pauvret茅. En fin de compte, l'objectif principal est de s'attaquer 脿 la pauvret茅.
- La facture des importations alimentaires de l'Afrique d茅passe les 60 milliards de dollars par an.
- L'Afrique comptera environ 2,5 milliards d'habitants d'ici 2050.
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En ce qui concerne le PDDAA, nous constatons que de nombreux pays ne respectent toujours pas leur engagement d'investir 10 % de leur budget national dans l'agriculture et le d茅veloppement rural ?
Vous avez raison. Seuls 10 脿 12 pays sur plus de 50 ont r茅ussi 脿 atteindre l'objectif d'investir 10 % de leur budget national dans l'agriculture.听
Cependant, certains pays pr茅tendent atteindre le seuil des 10 %, mais leurs d茅penses comprennent des postes qui ne sont pas directement li茅s aux syst猫mes alimentaires ou 脿 la transformation de l'agriculture par le biais d'un plan int茅gr茅 solide.
Lorsqu'un chef d'脡tat donne la priorit茅 脿 la transformation de l'agriculture et donne l'impulsion n茅cessaire pour obtenir des r茅sultats et un impact, cette transformation se produit. La question du leadership est donc cruciale.听
Techniquement, nous savons ce qu'il faut faire - techniques agricoles, acc猫s au march茅 et au financement, augmentation des rendements - mais nous avons besoin d'une solution politique et de la d茅termination n茅cessaire pour aller de l'avant.
Il arrive que l'on dispose d'un leadership mais que l'on ne dispose pas des syst猫mes n茅cessaires. Les dirigeants doivent non seulement mettre en place les syst猫mes, mais aussi s'assurer de leur efficacit茅 pour atteindre les r茅sultats souhait茅s.
Comment anticipez-vous le potentiel de la ZLECAf (Zone de libre-茅change continentale africaine) pour renforcer les syst猫mes alimentaires de l'Afrique, compte tenu des complexit茅s et de la n茅cessit茅 d'une approche int茅gr茅e ?
La ZLECAF vise 脿 r茅soudre les probl猫mes de barri猫res tarifaires et non tarifaires et 脿 faciliter les flux de biens et de services. Pour ce faire, il faut travailler sur des questions normatives telles que les r猫gles et les r茅glementations.听
Mais ce n'est pas la ZLECAf en elle-m锚me qui facilitera la production. Le succ猫s de la ZLECAf dans l'am茅lioration de la transformation de nos syst猫mes alimentaires d茅pend de la disponibilit茅 d'infrastructures robustes telles que les routes, les chemins de fer et les installations de stockage.听
La ZLECAf est donc un instrument important, mais elle doit 锚tre compl茅t茅e par des politiques saines et des infrastructures bien d茅velopp茅es.
L'ins茅curit茅 alimentaire n'est pas une question de production, mais une question de pauvret茅.
Est-ce possible ?
Une fois de plus, je souligne l'importance d'un leadership national efficace pour relever les d茅fis actuels, car nombre d'entre eux n茅cessitent des solutions au niveau national. Si les solutions r茅gionales sont cruciales, les gouvernements nationaux doivent les adopter et les mettre en 艙uvre.听
En outre, il est essentiel de veiller 脿 la coh茅rence de toutes nos initiatives. Nous ne devrions pas adopter des approches disparates de la part de diverses institutions, car cela cr茅erait un paysage d'initiatives concurrentes. Au contraire, nous devons affirmer nos cadres strat茅giques et inciter nos partenaires 脿 s'aligner sur ces cadres.听
Ces cadres comprennent le PDDAA, la d茅claration de Malabo et la position commune africaine sur les syst猫mes alimentaires, qui a 茅t茅 茅labor茅e dans le cadre de dialogues nationaux inclusifs auxquels ont particip茅 plus de 50 pays.
Comment la position commune africaine sur les syst猫mes alimentaires contribue-t-elle 脿 votre pr茅paration et 脿 votre participation au prochain bilan des Nations Unies sur les syst猫mes alimentaires ?
Lors de l'exercice de bilan des Nations Unies sur les syst猫mes alimentaires, chaque r茅gion du monde pr茅sentera une position. La position de l'Afrique s'articulera autour de trois questions cl茅s.听
La premi猫re est le financement de la transformation des syst猫mes alimentaires. Nos partenaires devraient avoir pour priorit茅 de ne pas affaiblir notre capacit茅 脿 mobiliser des ressources nationales.听
Le deuxi猫me est le climat, qui devra 锚tre envisag茅 de mani猫re tr猫s r茅aliste. Malgr茅 les engagements pris lors des diff茅rentes CdP, beaucoup d'entre eux n'ont pas 茅t茅 respect茅s. Si ces engagements ne peuvent 锚tre respect茅s, nous devons explorer des approches alternatives pour le financement du climat.
Le troisi猫me point concerne nos petits agriculteurs. Les agriculteurs font partie d'un secteur priv茅 dont nous parlons. Le secteur priv茅 ne se limite pas 脿 l'agro-industrie ; il comprend 茅galement les petits exploitants agricoles qui ont la capacit茅 et les connaissances n茅cessaires pour transformer nos syst猫mes alimentaires. Ils doivent 锚tre soutenus, comme c'est le cas aux 脡tats-Unis et en Europe.
Lors de l'exercice de bilan, il sera 茅galement question de savoir o霉 nous en sommes dans la mise en 艙uvre des conclusions du sommet 2021 sur les syst猫mes alimentaires et quelles le莽ons chaque r茅gion peut tirer des autres.
Alors que la population de l'Afrique devrait atteindre environ 2,5 milliards d'habitants d'ici 2050 et que plus de 250 millions d'Africains souffrent de malnutrition, les d茅cideurs politiques et les parties prenantes se sentent-ils de plus en plus concern茅s ?
Cette question est extr锚mement pertinente car la population africaine devrait doubler d'ici 脿 2050. La pr茅occupation la plus importante est le d茅fi de nourrir plus d'un milliard de personnes suppl茅mentaires. Si l'on ne s'attaque pas 脿 ce probl猫me avec les capacit茅s et les solutions n茅cessaires, non seulement nos syst猫mes de gouvernance existants seront mis 脿 rude 茅preuve, mais la fragilit茅 sociale s'accentuera.听
Compte tenu de notre situation d茅mographique, le risque de rencontrer de nombreuses crises politiques devient imminent.听
L'urgence est primordiale, n茅cessitant une approche alarmiste et l'acc茅l茅ration de la mise en 艙uvre de solutions, surtout si l'on consid猫re qu'une partie importante de la croissance d茅mographique pr茅vue existe d茅j脿 aujourd'hui.听
Cette acc茅l茅ration doit se faire par le biais de politiques appropri茅es et d'une d茅termination politique.
