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Préserver les pêcheries africaines

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Préserver les pêcheries africaines

Il faut une action d’envergure régionale pour stopper l’exploitation illégale des eaux africaines
Afrique Renouveau: 
Peter Arnold Inc. / Ron Giling
Tuna trawlerDes navires étrangers, comme ce chalutier équipé pour la pêche au thon, prennent d’énormes quantités de poisson dans les eaux africaines et les pays africains doivent renforcer leurs moyens pour que ces prises restent dans les limites négociées.
Photo: Peter Arnold Inc. / Wildlife

Chaque jour, des centaines de chalutiers pénètrent dans les eaux africaines pour pêcher sans permis la crevette, la sardine, le thon et le maquereau. Selon une étude commandée par l’agence britannique d’aide au déve­loppement, ces chalutiers coûtent à l’Afrique environ 1 milliard de dollars par an. Mais la pêche illégale n’est pas uniquement un problème africain, explique Arona Soumaré, directeur de la conservation pour l’Ouest de l’Afrique du Fonds mondial pour la nature(WWF). De nombreux pays, dont des pays développés possédant des forces navales substantielles, se débattent pour écarter de leur domaine maritime les bateaux de pêche sans permis.

Cependant, note M. Soumaré, “les conséquences sociales et économiques de ces pertes sont énormes."

En théorie, les zones de pêche africaines devraient être protégées par le droit international. En 1982, la Convention de Montego Bay a fixé une limite de 200 milles au large des Etats côtiers à l’intérieur desquels la pêche et toute autre exploitation des ressources naturelles ne sont pas autorisées sans permis. Mais les efforts des Etats africains pour mettre fin aux activités de pêche illégales dans ces limites sont entravés par le manque de compétences et de moyens. Seuls quelques Etats africains, comme la Namibie et l’Afrique du Sud, ont la capacité de patrouiller leurs eaux de façon assez intensive pour en écarter les bateaux de pêche sans permis, explique Sloans Chimatiro, Conseiller principal des pêches auprès du secrétariat du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), l’accord signé par les dirigeants africains en 2001.

Divers accords nationaux et internationaux exigent des bateaux détenteurs d’un permis qu’ils respectent certains quotas de prise et ne pêchent pas dans les zones protégées. Il est également interdit à ces vaisseaux d’utiliser les longs filets dérivants qui capturent tout ce qui est à leur portée.

Selon André Standing, directeur de recherche à l’Institut sud-africain des études de sécurité, pour s’assurer que les flottes de pêche respectent ces règles, les États concernés ont besoin de bateaux de patrouille, de moyens de surveillance aérienne et de systèmes de contrôle. Les États maritimes doivent aussi investir dans la formation d’un personnel apte à faire respecter la législation correspondante, mettre en place des procédures d’enquêtes adéquates, évaluer les stocks de poisson et créer des programmes de pêche durable. “Dans la plupart des pays africains, affirme M. Standing, ces éléments ne sont pas en place et le financement et les compétences nécessaires à leur création ne sont pas faciles à obtenir.”

Senegalese fishing boat Bateau de pêche sénégalais : la coordination régionale est indispensable pour préserver les pêcheries menacées de l’Afrique.
Photo: Peter Arnold Inc. / Ron Giling

Selon des experts régionaux, la solution serait d’améliorer la coordination et la coopération entre États, notamment dans les domaines de l’échange de renseignements et de l’usage en commun de bateaux de patrouille. “Aucun pays ne peut à lui seul garder efficacement ses eaux territoriales,” affirme M. Chimatiro. Pour résoudre ce problème, le NEPAD et ses partenaires dont le Ministère britannique du développement international (DFID) et Stop Illegal Fishing (Stop à la pêche illégale), organisation à but non lucratif, travaillent de concert avec les Etats africains pour améliorer la collaboration, l’échange de renseignements et le partage des moyens.

Des moyens de subsistance menacés

Le manque à gagner causé par la pêche illégale en Afrique est énorme : un rapport commandé en 2005 par le DFID a conclu que la pêche illégale de la sardine et du maquereau coûtait à l’Angola environ 49 millions de dollars par an. Rien qu’en 2005, la Somalie ravagée et appauvrie par les conflits a perdu environ 94 millions de dollars de revenus potentiels en raison des prises illégales de crevette et de thon sur ses côtes. La Guinée, le Libéria et la Sierra Leone perdent annuellement quelque 140 millions de dollars, le Mozambique 38 millions.

Fisherman checking a fishing a net in UgandaInspection d’un filet de pêche en Ouganda : les moyens d’existence de millions d’Africains sont menacés par l’épuisement des stocks de poisson du continent
Photo: Peter Arnold Inc. / Ron Giling

Ces chiffres ne traduisent même pas les pertes à long terme du continent qui incluent les dommages subis par le milieu marin ; “les chalutiers ne sont pas bons pour les écosystèmes, ils endommagent l’habitat du poisson,” affirme Mamadou Diallo, Directeur de programme au bureau ouest-africain du WWF. Un autre coût est représenté par la pollution, ajoute-t-il, “car ils déchargent [des déchets] en mer où ils peuvent agir comme bon leur semble."

La pêche constituant un moyen de subsistance pour de nombreux Africains, elle a aussi des implications sociales. Selon le WWF, les pêcheries “apportent une contribution vitale à la sécurité alimentaire et nutritionnelle de plus de 200 millions d’Africains et fournissent des revenus à plus de 10 millions de pêcheurs essentiellement artisanaux… et d’entrepreneurs.” Une étude réalisée en 2005 par l’Alliance pour le développement durable des produits de la mer en Afrique de l’Ouest,réseau de professionnels de la pêche et de bailleurs de fonds a conclu qu’environ 5,6 millions d’emplois étaient liés à la pêche en Afrique de l’Ouest, et que les revenus d’exportation des produits de la pêche se montaient pour la région à 711 millions de dollars. Pour l’ensemble de l’Afrique, le poisson et les produits de la pêche constituent en mo­yenne une contribution annuelle de 2,7 milliards de dollars aux exportations du continent.

Malgré le rôle important des pêcheries, les États africains ont peu investi pour protéger et gérer ces ressources. Tim Bostock, le coordonnateur des programmes sur la pêche du DFID a expliqué à Afrique Renouveau que la pêche occupait traditionnellement un rang “très bas dans les préoccupations politiques des gens à travers le monde,” ce qui contribue “aux problèmes que nous rencontrons actuellement.” Cependant, ajoute-t-il, l’étude de 2005 a aidé dans une certaine mesure à mettre mieux en lumière l’importance de la pêche. “L’examen de l’aspect financier et des sommes qui sont perdues a certainement éveillé l’attention des responsables politiques.”

Des ressources halieutiques en déclin

Cependant, des dommages considérables ont déjà été causés. Les stocks de poisson africains sont en déclin rapide. “De nombreux stocks se sont déjà effondrés et d’autres vont suivre,” dit Daniel Pauly, biologiste spécialiste des pêcheries de l’Université de la Colombie-Britannique au Canada.

Les accords internationaux demandent aux États de collaborer pour protéger les espèces fortement migratrices comme le thon ; mais leur application s’est révélée difficile et ces espèces se raréfient en raison des prises excessives de la pêche hauturière. De plus, les zones côtières productives, dont les mangroves où se reproduisent de nombreuses espèces non migratrices, se rétrécissent sous les effets de la pollution et les avancées de l’agriculture. “Ce n’est pas un événement soudain, note M. Pauly, mais une lente usure d’un stock après l’autre.”

La nécessité d’une coordination régionale

M. Standing souligne que, pour que la lutte contre la pêche illégale et non règlementée soit efficace , il faut que les États échangent compétences et renseignements afin que les flottes qui sont écartées des eaux d’un pays ne puissent pas se diriger vers celles d’un autre pays voisin.

Il existe des organisations qui tentent de mettre sur pied cette coordination, la Commission sous-régionale des pêches (CSRP), de Dakar au Sénégal, sert de base de coopération pour les questions de pêche qui concernent le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Sénégal et la Sierra Leone. Le Comité des pêches pour l’Atlantique Centre-Est (COPACE) est censé jouer un rôle similaire ; “mais il n’a pas de pouvoirs règlementaires et le CSRP a une juridiction géographiquement limitée” a déclaré à Afrique Renouveau M. Soumaré.

La Commission sous-régionale des pêches pour l’Ouest de l’Afrique a également “un mandat régional pour harmoniser la politique de la pêche” des différents pays, mais elle n’est pas encore complètement opérationnelle, concède M. Soumaré. M. Standing ajoute : “les organisations intergouvernementales africaines qui ont un mandat pour combattre la pêche illégale semblent chroniquement sous-financées et inefficaces.”

Assurer la liaison entre les garde-côtes

Pour répondre à ce besoin d’une meilleure coordination, l’Organisation maritime internationale (OMI) a créé en 2007 un réseau qui permet à 24 États africains de la côte ouest du continent d’établir des rapports avec les organismes de sécurité maritime, les marines non africaines, les assureurs, Interpol et un certain nombre d’institutions des Nations Unies s’occupant des questions liées à la pêche et à la sécurité.

Selon Chris Trelawny, responsable pour les questions de sécurité à l’Organisation maritime internationale, si les États africains pouvaient “resserrer le filet” autour de la pêche illégale, ils pourraient obtenir plus d’argent pour les permis de pêche qu’ils accordent et, en conséquence, financer une meilleure surveillance de leurs ports et de leurs eaux. M. Bostock partage cette opinion, “si cette richesse peut servir à organiser un meilleur contrôle et si vous avez une présence avec des moyens comme des vedettes de patrouille dans les zones stratégiques où opèrent les chalutiers, alors la surveillance peut être vraiment efficace. Cela ne coûte pas tellement cher comparé à la valeur des pêcheries."

Le DFID finance la mise au point d’une approche régionale similaire entre les pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). En juillet 2008, les ministres de la Pêche des pays membres de cette organisation ont adopté une stratégie régionale destinée à améliorer le contrôle et la surveillance. Depuis la signature de cet accord, l’Afrique du Sud, le Mozambique et la Namibie ont organisé des patrouilles conjointes et stoppé les activités d’un nombre important de navires.

“Le nombre de flottes étrangères appréhendées a bien augmenté, mais l’échelle à laquelle est pratiquée la pêche illégale est trop importante ; les pays africains ne peuvent donc la contrôler,” note M. Chimatiro du secrétariat du NEPAD. Selon lui, l’Afrique ne pourra pas résoudre ce problème sans l’aide des pays d’où viennent ces flottes de pêche et sans celle des “États du pavillon” — les pays où ces navires sont immatriculés.

Sandy Davies, consultante et coordonnatrice pour les questions de pêche de la campagne Stop Illegal Fishing estime aussi que ces pays doivent veiller à ce que les bateaux qu’ils couvrent de leur pavillon respectent les accords internationaux. “Il est facile de faire respecter la réglementation si l’État du pavillon est responsable, a-t-elle expliqué à Afrique Renouveau, mais il y a de nombreux pays qui ne font tout simplement rien pour faire respecter la loi. Les flottes de pêche le savent et se couvrent donc du pavillon d’États qui ne respectent pas les règles.”

Améliorer les politiques publiques

Il ne suffira sans doute pas d’améliorer le matériel, l’échange de renseignements et la coopération. M. Standing note qu’il y a un lien très net entre une mauvaise gestion des affaires publiques et la pêche illégale.

Mme Davies estime elle aussi qu’une meilleure coopération et des ressources plus importantes ne seront pas d’une grande utilité “si l’on n’a pas la volonté politique de faire passer le bien commun avant le gain personnel.” Même si l’infrastructure nécessaire est en place, un État peut conclure des contrats de pêche qui contournent la loi, les propriétaires de bateaux de pêche peuvent verser des dessous-de-table et les autorités portuaires fermer les yeux sur les activités de pêche illégales."

De meilleurs contrats

La pêche illégale n’est pas la seule menace contre les stocks de poisson africains. La pêche légale elle-même, si elle n’est pas correctement contrôlée, pose une menace à long terme. Dès 2002, le WWF avait averti que la moitié des stocks de poissons de haute mer avait disparu en Afrique de l’Ouest. Mais de nombreux États à court d’argent continuent à accorder des permis de pêche médiocrement contrôlés dans l’espoir d’améliorer leurs revenus.

M. Soumaré maintient que pour mettre en place une exploitation plus durable de leurs pêcheries, les pays africains devront faire preuve de volonté politique, disposer de données correctes concernant les stocks de poisson, de “conseils scientifiques adaptés et d’un mécanisme leur permettant d’échanger rapidement des données et des renseignements.” Il note que les autorités gouvernementales et les experts de l’environnement ont déjà commencé à travailler ensemble pour définir de meilleurs accords de pêche.

L’accord de pêche pluriannuel signé entre le Sénégal et l’Union européenne (UE), pour lequel le WWF a conseillé le gouvernement sénégalais, offre l’exemple d’un meilleur contrat qui, explique M. Soumaré, interdit aux bateaux européens de pêcher dans certaines zones et alloue des fonds au financement des petites pêcheries locales. Il stipule des périodes de “repos” pendant lesquelles aucune pêche ne peut avoir lieu, limite les prises, impose des mailles plus larges aux filets utilisés afin de réduire la capture de poissons trop petits et permet à des observateurs sénégalais et internationaux d’être présents à bord des bateaux de pêche européens. Cependant, admetM. Soumaré, bien que cet accord soit meilleur que ceux qui l’ont précédé, il n’est pas appliqué dans les faits et n’a pas permis aux populations de poissons qui vivent dans les eaux du Sénégal de se reconstituer.

Faire respecter les termes d’un contrat n’est pas facile, observe M. Bostock, “nous savons que les flottes de pêche européennes, chinoises et autres flottes de pêche hauturière effectuent probablement des prises excessives qu’elles sous-déclarent” a-t-il expliqué à Afrique Renouveau, “mais nous avons des difficultés énormes à le contrôler."

Les experts estiment qu’il faudrait avoir des observateurs à bord des bateaux de pêche. Jusqu’à présent les programmes d’observateurs ont eu des résultats mitigés en Afrique. “Un bon nombre n’ont jamais vraiment démarré, surtout à cause d’un manque de volonté politique,” note Mme Davies. Elle cite toutefois une exception , la Namibie, qui a un programme d’observateurs à bord ayant bénéficié d’un effort à long terme du gouvernement et de l’assistance de l’agence norvégienne d’aide au développement. Pendant plus de 15 ans, la Norvège l’a financé et a fourni des spécialistes pour développer le secteur, former des administrateurs de pêcheries et mettre en place des mécanismes de contrôle. Un effort prolongé similaire de la part des États africains et des agences d’aide au développement est capital car “les compétences, les systèmes et les moyens adaptés sont longs à mettre en place, “indique Mme Davies.

Le soutien des bailleurs de fonds semble se renforcer ; en 2006, ils ont promis de consacrer 240 millions de dollars au financement du contrôle et de la surveillance des pêcheries du continent. En 2008, le DFID a approuvé un programme de 6 millions de livres sur cinq ans pour financer un Partenariat pour la pêche africaine qui sera coordonné par le secrétariat du NEPAD.