19 mars 2018

La p¨¦nurie d¡¯eau douce est de plus en plus per?ue comme un risque syst¨¦mique mondial. Dans ses sept derniers rapports annuels sur les risques publi¨¦s depuis 2012, le Forum ¨¦conomique mondial fait figurer les crises li¨¦es ¨¤ l¡¯eau comme l¡¯un des cinq principaux risques pour l¡¯¨¦conomie mondiale en termes d¡¯impact potentiel1. Une ¨¦tude r¨¦cente montre que deux tiers de la population mondiale souffre d¡¯une grave p¨¦nurie d¡¯eau pendant au moins un mois par an2. Pr¨¨s de la moiti¨¦ des personnes touch¨¦es vivent en Chine et en Inde. Cinq cent millions de personnes dans le monde y font face tout au long de l¡¯ann¨¦e.

La surconsommation d¡¯eau est g¨¦n¨¦ralis¨¦e. Les fleuves, comme le Fleuve jaune en Chine et le Colorado aux ?tats-Unis, n¡¯atteignent m¨ºme plus la mer. Sur leur parcours, les eaux sont pr¨¦lev¨¦es pour l¡¯approvisionnement des exploitations agricoles, des industries et des foyers. La mer d'Aral, en Asie centrale, et le lac d¡¯Ourmia, en Iran, ont presque disparu ¨¤ cause de la consommation d¡¯eau en amont. Sur tous les continents, les nappes phr¨¦atiques se tarissent aussi ¨¤ une vitesse alarmante. Les ?tats-Unis, par exemple, surexploitent les aquif¨¨res des Grandes Plaines et de la Vall¨¦e Centrale, l¡¯Inde et le Pakistan ceux du cours sup¨¦rieur du Gange et du cours inf¨¦rieur de l¡¯Indus et la Chine ceux au nord du pays. Tr¨¨s souvent, les taux de pr¨¦l¨¨vement sont 10 ¨¤ 50 fois sup¨¦rieurs au volume de reconstitution3. Dans de nombreux pays, comme le Y¨¦men, les nappes phr¨¦atiques baissent d¡¯un m¨¨tre par an. La pollution de l¡¯eau est g¨¦n¨¦ralis¨¦e. Les engrais et les pesticides utilis¨¦s par les exploitations agricoles se retrouvent dans les fleuves, ce qui constitue une violation des normes en mati¨¨re de qualit¨¦ de l¡¯eau, et aucune sanction s¨¦rieuse n¡¯est impos¨¦e par les autorit¨¦s. Au Bangladesh et en Chine, l¡¯eau de plusieurs cours d'eau est teint¨¦e de rouge, de violet ou de bleu par les eaux us¨¦es rejet¨¦es par les industries, la couleur d¨¦pendant de la derni¨¨re mode dans les pays occidentaux.

Certains, comme c¡¯est mon cas, vivent dans des r¨¦gions pluvieuses o¨´ la p¨¦nurie d¡¯eau semble un probl¨¨me lointain, mais qui, n¨¦anmoins, nous concerne. Quarante pour cent de l¡¯empreinte hydrique de l¡¯Europe provient de l¡¯¨¦tranger, souvent de r¨¦gions qui font face ¨¤ de graves probl¨¨mes d¡¯eau. La plus grande partie de notre nourriture et de nombreux autres produits sont import¨¦s de pays dont les bassins hydrographiques connaissent un stress hydrique. La production alimentaire, en particulier, consomme beaucoup d¡¯eau. Pour produire un steak de 200 grammes, il faut en moyenne 3?000 litres d¡¯eau. Une plaque de chocolat de 200 grammes en n¨¦cessite 3?400. La nourriture destin¨¦e au b¨¦tail et les produits alimentaires pour notre consommation font l¡¯objet d¡¯¨¦changes intensifs, provenant souvent de r¨¦gions faisant face ¨¤ une p¨¦nurie d¡¯eau. Par exemple, on estime qu¡¯environ 50?% de l¡¯empreinte hydrique des consommateurs britanniques provient de bassins hydrographiques, tous situ¨¦s en dehors du pays, o¨´ la consommation d¡¯eau d¨¦passe des niveaux durables4.

Bien que les ressources hydriques soient en grande partie d¨¦grad¨¦es par la pollution depuis des ann¨¦es, aucune strat¨¦gie de r¨¦ponse appropri¨¦e n¡¯a jusqu¡¯ici ¨¦t¨¦ ¨¦labor¨¦e. Je propose trois mesures pour atteindre une consommation d¡¯eau plus durable5. Premi¨¨rement, les gouvernements doivent ¨¦tablir un seuil pour les empreintes hydriques de tous les captages d¡¯eau dans le monde. Cela est n¨¦cessaire pour imposer des limites ¨¤ la consommation d¡¯eau de chaque bassin hydrographique. Le seuil d¨¦pendra de la disponibilit¨¦ en eau de chaque bassin tout au long de l¡¯ann¨¦e, ¨¦tant donn¨¦ que pendant la saison s¨¨che, le seuil autoris¨¦ pour la consommation sera inf¨¦rieur. Par ailleurs, l¡¯eau d¡¯un fleuve ne peut pas ¨ºtre enti¨¨rement utilis¨¦e. Un volume minimal doit ¨ºtre pr¨¦serv¨¦ pour maintenir les ¨¦cosyst¨¨mes et la biodiversit¨¦. Les moyens de subsistance des populations qui vivent en aval en d¨¦pendent aussi. Le seuil de l¡¯empreinte hydrique pourra ¨¦galement servir ¨¤ ¨¦tablir un seuil de pollution maximal, en fonction de la capacit¨¦ d¡¯assimilation des bassins. Une fois le seuil ¨¦tabli, nous devrons nous assurer que le nombre d¡¯autorisations accord¨¦es ¨¤ des utilisateurs sp¨¦cifiques ne d¨¦passe pas ses limites. Ce n¡¯est que de cette mani¨¨re que nous pourrons garantir que les volumes d¡¯eau pr¨¦lev¨¦e et de polluants restent ¨¤ des niveaux durables. Nous devrions reconna?tre que l¡¯utilisation de l¡¯eau n¡¯est pas n¨¦cessairement un probl¨¨me tant que nous traitons les eaux us¨¦es et les utilisons pour r¨¦alimenter les fleuves et les aquif¨¨res d¡¯o¨´ elles ont ¨¦t¨¦ pr¨¦lev¨¦es. Donc, l¡¯empreinte hydrique ne mesure que le volume d¡¯eau consomm¨¦, c¡¯est-¨¤-dire l¡¯eau qui ne r¨¦alimente pas la source o¨´ elle a ¨¦t¨¦ pr¨¦lev¨¦e, et le volume d¡¯eau pollu¨¦, c¡¯est-¨¤-dire les eaux qui n¡¯ont pas ¨¦t¨¦ trait¨¦es avant leur rejet.

Deuxi¨¨mement, il faut mettre en place des crit¨¨res d¡¯¨¦valuation pour tous les biens de consommation qui n¨¦cessitent de grandes quantit¨¦s d¡¯eau, comme la nourriture, les boissons, les v¨ºtements, les fleurs et la bio¨¦nergie. Nous devons promouvoir les meilleures technologies et pratiques disponibles qui permettent d¡¯utiliser moins d¡¯eau et d'en r¨¦duire la pollution. Le gaspillage par l¡¯agriculture et par l¡¯industrie est tr¨¨s important. En ¨¦tablissant des crit¨¨res d¡¯¨¦valuation pour l¡¯empreinte hydrique des produits, nous aurons une mesure des niveaux raisonnables de l¡¯utilisation de l¡¯eau, y compris pour chaque ¨¦tape de la cha?ne d¡¯approvisionnement. Diverses ¨¦tudes ont d¨¦j¨¤ montr¨¦ qu¡¯il est possible de r¨¦aliser d¡¯importantes ¨¦conomies en eau et de r¨¦duire consid¨¦rablement la pollution en abandonnant les pratiques obsol¨¨tes pour en adopter les nouvelles qui sont d¨¦j¨¤ disponibles. Ce serait une bonne chose que les consommateurs soient inform¨¦s et puissent choisir. Aujourd¡¯hui, il est difficile d¡¯acheter des produits pr¨¦servant les ressources en eau, simplement parce que les informations font d¨¦faut. Les gouvernements doivent promouvoir une plus grande transparence des produits en contraignant les entreprises ¨¤ indiquer si certains crit¨¨res de production ont ¨¦t¨¦ satisfaits. Ce n¡¯est pas seulement utile pour le consommateur situ¨¦ ¨¤ la fin de la cha?ne d¡¯approvisionnement, mais aussi pour les entreprises soucieuses de l¡¯environnement. Les crit¨¨res d¡¯¨¦valuation de l¡¯empreinte hydrique seront aussi utiles aux gouvernements lorsqu¡¯ils d¨¦livreront des autorisations ¨¤ des utilisateurs sp¨¦cifiques, puisque celles-ci pourront ¨ºtre limit¨¦es au strict n¨¦cessaire, en fonction du type de production.

Troisi¨¨mement, il faut promouvoir une utilisation plus ¨¦quitable de l¡¯eau entre les communaut¨¦s. Aux ?tats-Unis et dans le sud de l¡¯Europe, l¡¯empreinte hydrique des consommateurs est presque deux fois plus importante que la moyenne mondiale. ?tant donn¨¦ que le volume des ressources en eau par habitant dans le monde est limit¨¦, nous devons le partager et d¨¦terminer ensemble les niveaux de consommation directs et indirects jug¨¦s acceptables. Cela n¨¦cessite une action politique au plus haut niveau et donnera tr¨¨s certainement lieu ¨¤ des points de vue tr¨¨s divergents. Ce type de d¨¦bats et de n¨¦gociations aura probablement lieu lorsque nous chercherons des solutions pour faire face aux d¨¦fis pos¨¦s par le changement climatique. Si nous voulons stabiliser notre empreinte hydrique totale et ¨¦viter qu¡¯elle n¡¯augmente, la consommation moyenne annuelle par personne diminuera de 1?385 m3 en 2000 ¨¤ 835 m3 en 2100 en tenant compte des projections concernant la croissance d¨¦mographique. Si nous pouvons certainement survivre avec cette quantit¨¦ d¡¯eau, nombre d¡¯entre nous devrons adapter nos modes de consommation afin de r¨¦duire notre utilisation d¡¯eau directe et indirecte.

Si nous voulons que l¡¯empreinte hydrique soit identique pour tous les citoyens du monde, la Chine et l¡¯Inde devront la r¨¦duire d¡¯environ 22,5 % au cours du si¨¨cle prochain. C¡¯est un immense d¨¦fi ¨¦tant donn¨¦ que la consommation d¡¯eau augmente actuellement dans ces pays. Ce sera m¨ºme un d¨¦fi encore plus important pour les ?tats-Unis qui devront r¨¦duire leur consommation de 70?%. ? elle seule, l¡¯adoption de meilleures technologies ne suffira pas. Des choses simples, comme prendre une douche pendant cinq minutes au lieu de dix, peuvent aider, mais cela ne suffira pas, car la plus grande partie de l¡¯eau utilis¨¦e par les m¨¦nages constitue seulement 1 ¨¤ 4?% de leur empreinte hydrique totale. Le reste est d? aux produits de consommation, en particulier ¨¤ la production alimentaire. Dans de nombreux pays, 30 ¨¤ 40?% de l¡¯utilisation d¡¯eau indirecte est due ¨¤ la consommation de viande et de produits laitiers. Manger moins de viande ou devenir v¨¦g¨¦tarien sera donc une mesure plus efficace pour pr¨¦server l¡¯eau.

En r¨¦sum¨¦, il nous faut consid¨¦rablement r¨¦duire notre empreinte hydrique dans de nombreux bassins hydrographiques. Nous pouvons y parvenir en convenant des limites par bassin et des cibles par produit et en changeant nos modes de consommation, y compris en r¨¦duisant le gaspillage et en mangeant moins de viande. Un partage ¨¦quitable des ressources en eau douce limit¨¦es sera essentiel pour r¨¦duire la menace pos¨¦e par la p¨¦nurie d¡¯eau sur la biodiversit¨¦ et le bien-¨ºtre humain. La collaboration internationale dans la mise en ?uvre de ces mesures sera cruciale.

Notes

1 Forum ¨¦conomique mondial, Rapport des risques mondiaux 2018, 13e ¨¦d. (Gen¨¨ve, Suisse, 2018).

2 Mesfin M. Mekonnen et Arjen Y. Hoekstra, ??Four billion people facing severe water scarcity??, Science Advances, vol. 2, n¡ã 2 (12 f¨¦vrier 2016), e1500323. Disponible sur le site .

3 Carole Dalin et al., ??Groundwater depletion embedded in international food trade??, Nature, vol. 543, n¡ã 7647 (30 mars 2017), pp. 700-704. Disponible sur le site .

4 Arjen Y. Hoekstra et Mesfin M. Mekonnen, ??Imported water risk: the case of the UK??, Environmental Research Letters, vol. 11, n¡ã 5 (27 avril 2016), 055002. Disponible sur le site .

5 Arjen Y. Hoekstra, The Water Footprint of Modern Consumer Society?(Londres, Royaume-Uni, Routledge, 2013).

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