25 novembre 2016

L'¨¦tude de l¡¯histoire de la construction montre que les b?tisseurs ont toujours su faire ¨¦voluer leur habitat en tirant le meilleur parti des ressources disponibles localement en r¨¦ponse ¨¤ leurs besoins et en regard des contraintes ¨¦conomiques, sociales et climatiques locales. Partout dans le monde, les soci¨¦t¨¦s ont d¨¦velopp¨¦ des cultures constructives sp¨¦cifiques r¨¦sultant en des architectures ? contextuelles ? correspondant ¨¤ des modes de construction et d¡¯habiter singuliers. Celles-ci ne sont pourtant pas statiques. Elles ont ¨¦t¨¦ amen¨¦s ¨¤ ¨¦voluer en fonction de nouvelles possibilit¨¦s offertes avec l¡¯¨¦volution des soci¨¦t¨¦s et notamment lors d¡¯¨¦changes avec d¡¯autres contr¨¦es en mati¨¨re de savoir-faire ou de mat¨¦riaux de construction.

Ces cultures constructives locales ont souvent ¨¦t¨¦ li¨¦es ¨¤ la n¨¦cessit¨¦ reconnue par les soci¨¦t¨¦s traditionnelles?: l¡¯¨¦quilibre entre l'homme et la nature qui l¡¯entoure. Cette qu¨ºte ancienne correspond ¨¤ ce que l¡¯on qualifie aujourd¡¯hui de ? d¨¦veloppement durable ?, plus qu¡¯une n¨¦cessit¨¦. Que de bons exemples de ce concept sont donc d¨¦j¨¤ pr¨¦sents ¨¤ travers le monde?! Malheureusement, sous l¡¯influence de la mondialisation, ces intelligences locales sont de plus en plus d¨¦consid¨¦r¨¦es, et ¨¤ l¡¯instar d¡¯esp¨¨ces animales ou v¨¦g¨¦tales, elles sont ??en voie de disparition??. Il s¡¯agit l¨¤ non seulement de pertes pour la diversit¨¦ culturelle de notre monde, mais aussi de pertes de savoirs et de connaissances scientifiques ¨¦tonnants par leur pertinence et utiles pour l¡¯humanit¨¦, ¨¤ la fois dans la r¨¦flexion globale, mais aussi et surtout pour agir localement.

Ces savoirs sont pr¨¦sents ¨¤ divers niveaux?: prise de d¨¦cision sur la localisation des ¨¦tablissements humains, r¨¦partition des activit¨¦s et mode de gestion du terroir et des milieux urbains, compositions architecturales, mat¨¦riaux et organisation de la construction. Ils comprennent aussi des approches extr¨ºmement int¨¦ressantes de pr¨¦vention ou de pr¨¦paration aux risques et ¨¤ la reconstruction post-al¨¦as. Dans les milieux fragiles ou ¨¤ risque fort, les solutions techniques et les connaissances et savoirs qui leur sont associ¨¦s sont souvent particuli¨¨rement astucieux et typ¨¦s, ce qui les rend plus faciles ¨¤ d¨¦tecter.

Avec la mondialisation, ce sont des pans entiers de l¡¯intelligence humaine en mati¨¨re de construction qui sont dilapid¨¦s, de la m¨ºme mani¨¨re et ¨¤ la m¨ºme vitesse que disparaissent les grandes for¨ºts de notre plan¨¨te. Mais cela se fait de fa?on plus silencieuse. Pourtant, les effets en sont tout aussi d¨¦vastateurs. Ce changement a commenc¨¦ dans la premi¨¨re moiti¨¦ du si¨¨cle dernier avec, en toile de fond, l¡¯industrialisation de certains proc¨¦d¨¦s de construction (essentiellement autour de l¡¯utilisation du ciment et des b¨¦tons) et l¡¯universalisation d¡¯une ¨¦ducation exclusivement d¨¦di¨¦e ¨¤ leur mise en ?uvre (¨¦coles d¡¯ing¨¦nieurs, enseignement technique et professionnel).

Aujourd¡¯hui, deux mondes se s¨¦parent?: celui des ??riches??, capables d¡¯adopter cette modernit¨¦, et celui des ??pauvres?? qui gardent un mode d¡¯habiter traditionnel, mais qui sous la pression m¨¦diatique (et sociale) sont amen¨¦s ¨¤ construire de mauvaises copies ou ¨¤ proc¨¦der ¨¤ des m¨¦langes technologiques inadapt¨¦s, voire m¨ºme dangereux. Un exemple terrible de ce type de probl¨¨me a ¨¦t¨¦ constat¨¦ ¨¤ Ha?ti lors du s¨¦isme de janvier 2010. Ce ne sont pas les petites maisons traditionnelles qui ont tu¨¦, mais bel et bien les constructions ??modernes?? que la grande majorit¨¦ des Ha?tiens a du mal ¨¤ financer pour finalement acc¨¦der ¨¤ des r¨¦alisations de sous-qualit¨¦.

Pourtant, les normes de construction internationales continuent de s¡¯imposer, avec un peu partout des r¨¦sultats similaires. Chaque catastrophe tend ¨¤ le rappeler. Dans une majorit¨¦ des cas, l¡¯observation fine montre que les constructions purement traditionnelles r¨¦sistent mieux ou, tout du moins, entra?nent moins de pertes humaines lors des al¨¦as. Et leur remise en ¨¦tat s¡¯av¨¨re possible, simple et peu couteuse. Ces mod¨¨les devraient donc inspirer les concepteurs des programmes de reconstruction.

C¡¯est dans les ann¨¦es 1970 que se feront les premi¨¨res prises de conscience, beaucoup inspir¨¦es par l¡¯architecte ¨¦gyptien Hassan Fathy. Quelles alternatives pouvait-on proposer ¨¤, d¡¯un c?t¨¦, des mod¨¨les d¡¯habitat ??modernes??, bien consid¨¦r¨¦s, mais trop chers, et, d¡¯un autre c?t¨¦, des mod¨¨les traditionnels, consid¨¦r¨¦s ¨¤ tort, comme obsol¨¨tes et sans int¨¦r¨ºt?? L¡¯approche restera pendant longtemps assez technique. C¡¯est l¡¯¨¦poque de la ??technologie appropri¨¦e?? qui permit d¡¯acc¨¦der ¨¤ quelques bons r¨¦sultats, mais dont on en conna?t aujourd¡¯hui bien les limites en termes de co?t, de reproductibilit¨¦ et de r¨¦ponse aux besoins r¨¦els.

Malgr¨¦ cette prise de conscience, l'augmentation des catastrophes et la pression des m¨¦dias font que les programmes d¡¯habitat privil¨¦gient encore trop souvent le quantitatif au qualitatif. Surtout quand les choix doivent ¨ºtre faits dans l¡¯urgence on retombe sur des solutions ??universelles??, ??pr¨ºtes ¨¤ l'emploi??. Certes, celles-ci peuvent r¨¦pondre ¨¤ des besoins ¨¤ court terme mais elles sont souvent peu efficaces ¨¤ moyen et long terme, voire m¨ºme contre-productives car elles mettent en place des standards inadapt¨¦s et des esp¨¦rances impossibles ¨¤ satisfaire ¨¤ grande ¨¦chelle.

Depuis 30 ans, avec divers partenaires, CRAterre-ENSAG m¨¨ne des recherches en lien avec des programmes sur le terrain, en vue de mieux prendre en compte le potentiel remarquable des cultures constructives locales. Il s¡¯agissait d¨¦j¨¤ de mieux d¨¦finir le concept, de trouver des opportunit¨¦s mises en application sur le terrain, et enfin, de d¨¦finir des m¨¦thodes et strat¨¦gies adapt¨¦es. Concr¨¨tement, l¡¯id¨¦e est de rep¨¦rer les syst¨¨mes constructifs, le savoir-faire et le mode d¡¯organisation locaux ¨¤ l¡¯efficacit¨¦ ¨¦prouv¨¦e, puis de les int¨¦grer dans la d¨¦finition et la conception de programmes et de projets, sans ¨¦carter de possibles apports des productions industrielles, le tout devant r¨¦pondre aux besoins et esp¨¦rances, mais aussi ¨ºtre acceptable socialement et culturellement, et accessible ¨¦conomiquement.

Quelques op¨¦rations men¨¦es ont plus particuli¨¨rement mis en avant la pertinence de tels choix. ? Mayotte, ?le de l¡¯archipel des Comores, un programme de logement a ¨¦t¨¦ lanc¨¦ au d¨¦but des ann¨¦es 1980. Ce programme men¨¦ par la SIM (Soci¨¦t¨¦ Immobili¨¨re de Mayotte) a b¨¦n¨¦fici¨¦ en pr¨¦alable d¡¯une ¨¦tude ethnologique sur l¡¯habitat. Ceci a permis de d¨¦finir des mod¨¨les simple et bien adapt¨¦s. L¡¯aide est fournie pour construire un noyau de base qui est ensuite compl¨¦t¨¦ par la famille avec ses propres moyens, y compris pour la cl?ture, les toilettes et la partie agriculture de subsistance. Ces trente derni¨¨res ann¨¦es, c¡¯est un ¨¦quivalent de plus de 20?000 unit¨¦s de logements sociaux qui ont ainsi pu ¨ºtre ¨¦difi¨¦s sur ces bases.

Plus r¨¦cemment, ¨¤ Ha?ti, suite au s¨¦isme de janvier 2010, l¡¯ONG Misereor a sollicit¨¦ CRAterre pour un programme ambitieux d¡¯aide ¨¤ la reconstruction de 5 000 maisons de base en zone rurale et montagneuse. Les constructions traditionnelles, construites en bois avec remplissage en mat¨¦riaux locaux ¨¦tant ??celles qui n¡¯avaient pas tu¨¦??, ont ¨¦t¨¦ prises comme base de la r¨¦flexion. Leur analyse a r¨¦v¨¦l¨¦ des variantes (en fonction des conditions?: localisation, altitude, activit¨¦s ¨¦conomiques, etc¡­) et l¡¯existence syst¨¦matique d¡¯un noyau agrandissable. Ces sp¨¦cificit¨¦s ont ¨¦t¨¦ retenues dans la conception des mod¨¨les de maison de base propos¨¦s. Suite ¨¤ l¡¯enthousiasme des populations apr¨¨s la construction des premiers prototypes, le programme ¨¤ grande ¨¦chelle a pu ¨ºtre lanc¨¦. Il a ¨¦t¨¦ r¨¦alis¨¦ par des ONG locales, avec les artisans locaux, les ??Boss??, dans le cadre du syst¨¨me traditionnel d¡¯entraide : le ??kombit??. La pratique de d¨¦coration de la maison ha?tienne a aussi ¨¦t¨¦ int¨¦gr¨¦e. Ainsi, l¡¯architecture aux couleurs vives et gaies a repris sa place devant les maisons en b¨¦ton, inachev¨¦es, grises et tristes, une valorisation de la culture des ha?tiens qu¡¯ils ont fortement appr¨¦ci¨¦e.

Ces projets sont des contributions vers la d¨¦monstration que l¡¯approche propos¨¦e peut donner des r¨¦sultats efficaces. Il s¡¯agit d¡¯investissements utiles et p¨¦rennes. Mais en m¨ºme temps, on constate que le cadre normatif international poursuit son d¨¦veloppement. Contrairement aux bonnes intentions affich¨¦es, dans les contextes fragiles, celui-ci enendre?de plus en plus l¡¯exclusion sociale et des pertes irr¨¦versibles d¡¯identit¨¦s locales en mati¨¨re d¡¯architecture, de mode de vie et d¡¯am¨¦nagement du territoire. Pourtant, le potentiel des cultures constructives locales est ¨¦norme et le champ de recherche presqu¡¯infini, vers la mise au point de solutions utiles, esth¨¦tiques, et porteuses de r¨¦silience et de d¨¦veloppement durable.

Dans ces perspectives, il est int¨¦ressant de noter que lorsque l¡¯on arrive ¨¤ renvoyer une image positive de l¡¯architecture traditionnelle aux populations qui en sont d¨¦tentrices, tr¨¨s vite des sauts qualitatifs peuvent ¨ºtre obtenus et r¨¦pliqu¨¦s largement. Pour que cela soit efficace il va falloir poursuivre le travail de fond sur la r¨¦tro-ing¨¦nierie des constructions traditionnelles. En effet, nombre de projets sont bloqu¨¦s par manque de donn¨¦es techniques ¨¤ m¨ºme de rassurer les responsables et bureaux de contr?le sur leurs performances r¨¦elles. Il s¡¯agit bien ici d¡¯une r¨¦flexion sur l¡¯architecture, car c¡¯est souvent dans son intelligence globale que se trouvent les cl¨¦s de la possible valorisation des mat¨¦riaux locaux, m¨ºme si ceux-ci ont des performances modestes (terre, bambou, etc.). Ceci dit, certaines architectures traditionnelles doivent ¨ºtre am¨¦lior¨¦es. La r¨¦flexion technique reste donc essentielle. Toutefois, c¡¯est bel et bien en valorisant les artisans locaux et en restant proche des solutions qu¡¯ils ma?trisent et des co?ts de construction qui correspondent ¨¤ ces pratiques, que l¡¯on a le plus de chances de faire des propositions d¡¯am¨¦lioration qui puissent effectivement ¨ºtre adopt¨¦es, non seulement dans les projets, mais aussi plus largement, ¨¤ c?t¨¦ et apr¨¨s les projets afin que le nombre de b¨¦n¨¦ficiaires, indirects cette fois, soit le plus important possible.

Il est donc urgent que les institutions nationales et internationales prennent conscience de cela. Certaines ont d¨¦j¨¤ rejoint CRAterre sur ce th¨¨me pour lancer un Manifeste pour ??Valoriser les cultures constructives locales pour une meilleure efficacit¨¦ des programmes d¡¯habitat??. Cette initiative est aussi soutenue par ONU-Habitat dans le cadre de son R¨¦seau mondial pour le logement durable et dans certains de ces projets comme au Pakistan, en RDC ou encore en Somalie. Ceci devrait favoriser son adoption par d¡¯autres organismes, vers une am¨¦lioration effective des conditions de vie des populations de notre monde, tout en lui conservant sa diversit¨¦ culturelle.

Pour faciliter la poursuite de tels processus, dans le cadre de son programme de recherche LABEX AE&CC, CRAterre collabore avec la F¨¦d¨¦ration internationale des Soci¨¦t¨¦s de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge pour ¨¦tablir des documents de r¨¦f¨¦rence ¨¤ l¡¯usage des Shelter Cluster qui fournissent des informations de base sur les intelligences des architectures traditionnelles et leurs possibilit¨¦s de r¨¦utilisation dans les programmes de reconstruction. Si bien entendu ces outils s¡¯av¨¨rent utiles, il serait encore mieux de faire un travail de fond dans les pays reconnus ¨¤ risques de fa?on ¨¤ faire plus de travail de fa?on pr¨¦ventive, permettant ainsi de limiter les d¨¦g?ts lors des al¨¦as et de renforcer les capacit¨¦s locales de r¨¦silience. Enfin, si ces approches trouvent plus particuli¨¨rement leur efficacit¨¦ dans les zones ¨¤ risques, il n¡¯en reste pas moins que leur application est tout aussi pertinente dans le cadre de projets d¡¯am¨¦lioration de l¡¯habitat, car elle permettent d¡¯identifier les v¨¦ritables besoins et esp¨¦rances des communaut¨¦s locales et de r¨¦pondre avec des solutions qui leur soient pleinement accessibles, autant des points de vue technique que financier, et qui r¨¦pondent aussi ¨¤ la n¨¦cessaire reconnaissance sociale de l¡¯habitant. C¡¯est en ¨¦tant capables de se prendre en charge elles-m¨ºmes, m¨ºme si elles sont assez d¨¦munies, que les communaut¨¦s peuvent retrouver dignit¨¦ et confiance en un avenir meilleur.

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