21 ao?t 2023

En 2019, l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale des Nations Unies a proclam¨¦ le 22 ao?t Journ¨¦e internationale des personnes victimes d¡¯actes de violence en raison de leur religion ou de leurs convictions. En 2022, lors de cette journ¨¦e, l¡¯une de mes premi¨¨res mesures publiques prises en tant que Rapporteuse sp¨¦ciale sur la libert¨¦ de religion ou de conviction, en partenariat avec la Conseill¨¨re sp¨¦ciale pour la pr¨¦vention du g¨¦nocide, la Sous-Secr¨¦taire g¨¦n¨¦rale Alice Wairimu Nderitu, fut de me joindre ¨¤ 54 autres titulaires de mandat pour l¡¯abus continu, g¨¦n¨¦ralis¨¦ et cynique de la religion ou des convictions en tant qu¡¯outil de discrimination, d¡¯hostilit¨¦ et de violence, en appelant les ?tats ¨¤ redoubler d¡¯efforts pour offrir une r¨¦paration aux victimes et en soulignant l¡¯importance de travailler avec les acteurs ¨¦tatiques et non ¨¦tatiques pour pr¨¦venir cette violence. Nous avons rendu hommage aux victimes et r¨¦affirm¨¦?leur dignit¨¦ inh¨¦rente ainsi que leurs droits inali¨¦nables et nous nous sommes engag¨¦s ¨¤ faire en sorte que personne ne souffre pour de tels motifs.

Au cours des 12 mois suivants, j¡¯ai consacr¨¦ mes deux premiers rapports th¨¦matiques ¨¤ ¨¦tablir une cartographie?de la libert¨¦ de religion ou de conviction dans le monde. Le , ax¨¦ sur la situation internationale, a ¨¦t¨¦ remis au Conseil des droits de l¡¯homme en mars 2023,?et le deuxi¨¨me rapport, ax¨¦ sur la situation nationale, a ¨¦t¨¦ remis ¨¤ l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale en octobre 2023.

La situation de la libert¨¦ de religion ou de conviction

La libert¨¦ de religion ou de conviction et le droit ¨¤ la non-discrimination en raison de la religion ou des convictions figurent dans la , les Conventions africaine, am¨¦ricaine et europ¨¦enne relatives aux droits de l¡¯homme ainsi que dans? d¡¯autres r¨¨gles. En tenant d?ment compte de l¡¯importance du droit des trait¨¦s, les droits de l¡¯homme doivent toutefois ¨ºtre appliqu¨¦s de mani¨¨re pratique et efficace faute de quoi ces dispositions sont consid¨¦r¨¦es comme ??lettre morte??.

Malheureusement, en 2023, 37 ans apr¨¨s la cr¨¦ation de mon mandat, 42 ans apr¨¨s l¡¯adoption de la , et 75 ans apr¨¨s la proclamation de la D¨¦claration universelle des droits de l¡¯homme, qui a consacr¨¦ les droits de la libert¨¦ de religion ou de conviction ainsi que le droit ¨¤ la non-discrimination sur cette base, la situation de la libert¨¦ de religion ou de conviction dans le monde reste tr¨¨s pr¨¦occupante.

C¡¯est peut-¨ºtre dans les situations de conflit arm¨¦ que ce ph¨¦nom¨¨ne est le plus ¨¦vident. Les exemples bien connus de violations commises pendant ces conflits comprennent le sort des musulmans rohingya, les chr¨¦tiens pris pour cible par des groupes arm¨¦s dans certaines parties de l¡¯Afrique de l¡¯Ouest ainsi que les crimes contre l¡¯humanit¨¦ et le g¨¦nocide perp¨¦tr¨¦s par l¡¯?tat islamique ¨¤ l¡¯encontre des Yazidis. Par ailleurs, les discours et les politiques antiterroristes qui ont prolif¨¦r¨¦ depuis 2001 continuent d¡¯avoir un effet dissuasif sur les capacit¨¦s des minorit¨¦s religieuses ou de conviction de manifester leurs croyances et constituent une , ce qui rev¨ºt une grande importance face aux d¨¦fis crois¨¦s auxquels l¡¯humanit¨¦ est confront¨¦e. ??

La violence directe ¨¤ l¡¯encontre des communaut¨¦s religieuses ou de conviction marginalis¨¦es va souvent de pair avec une discrimination l¨¦galement impos¨¦e au niveau national et/ou des comportements pr¨¦judiciables et discriminatoires g¨¦n¨¦ralis¨¦s non contr?l¨¦s, et elle est facilit¨¦e par ceux-ci. Dans de nombreux ?tats, les personnes et les communaut¨¦s se voient priv¨¦s de leurs droits fondamentaux ¨¤ leur identit¨¦ religieuse ou de conviction d¨¨s le jour de leur naissance. Le refus des gouvernements de reconna?tre officiellement les identit¨¦s religieuses ou de conviction comme, par exemple, les croyances autochtones, non religieuses ou autres, ainsi que la s¨¦rie de violations des droits de l¡¯homme individuels ou collectifs qui d¨¦coulent de cette non-reconnaissance, sont un m¨¦canisme essentiel?de ce processus. Ces violations commencent, dans de nombreux cas, par le refus de la citoyennet¨¦. En outre, le droit fondamental de changer de religion ou de conviction continue d¡¯¨ºtre criminalis¨¦ dans de nombreuses situations, avec des sanctions qui, dans certains cas, vont jusqu¡¯¨¤ la peine de mort.

Nazila Ghanea, Rapporteuse sp¨¦ciale des Nations Unies sur la libert¨¦ de religion ou de conviction.

Les responsables de l¡¯application de la loi et les procureurs devraient ¨ºtre les principaux acteurs en mati¨¨re de protection et de r¨¦paration des victimes de la violence en raison de leur religion ou de leurs convictions, r¨¦elles ou suppos¨¦es. Toutefois, dans les situations o¨´ le cadre constitutionnel ou juridique ne respecte pas la libert¨¦ de religion ou de conviction, les responsables de l¡¯application de la loi et les autorit¨¦s judiciaires sont souvent les principaux auteurs intellectuels et mat¨¦riels des violations des droits comme l¡¯arrestation, la d¨¦tention et la poursuite de personnes. Ces violations peuvent ¨ºtre fond¨¦es sur des all¨¦gations non fond¨¦es de crimes contre la s¨¦curit¨¦ nationale, d¡¯extr¨¦misme, de terrorisme, de blasph¨¨me ou d¡¯apostasie, ou bien de violations des codes vestimentaires religieux ou d¡¯autres traditions, toutes ¨¦tant incompatibles avec les normes internationales en mati¨¨re de droits de l¡¯homme. En cons¨¦quence, les personnes priv¨¦es de leur libert¨¦ sont particuli¨¨rement vuln¨¦rables aux mauvais traitements li¨¦s ¨¤ leur religion ou ¨¤ leur conviction ainsi qu¡¯aux violations du droit ¨¤ une proc¨¦dure r¨¦guli¨¨re.

Toutefois, m¨ºme si le cadre juridique n¡¯¨¦rige pas en infraction p¨¦nale purement et simplement l¡¯appartenance ¨¤ une religion ou ¨¤ une conviction particuli¨¨re, des comportements pr¨¦judiciables tr¨¨s r¨¦pandus parmi les fonctionnaires de l¡¯?tat peuvent les inciter ¨¤ abandonner leurs obligations ¨¤ l¡¯¨¦gard des personnes de leur juridiction. Dans le cadre de mon mandat, des all¨¦gations cr¨¦dibles m¡¯ont ¨¦t¨¦ signal¨¦es selon lesquelles des fonctionnaires n¡¯auraient pas agi pour contr?ler des ¨¦meutes ¨¤ caract¨¨re religieux, voire y auraient m¨ºme particip¨¦, telles que des attaques contre des chefs religieux, y compris des chefs spirituels autochtones, la destruction de lieux de culte?ainsi que des campagnes de menaces et de harc¨¨lement.

La justice p¨¦nale seule n¡¯est pas en mesure de changer les pr¨¦jug¨¦s et les comportements tr¨¨s r¨¦pandus qui sont en jeu. Je suis d¡¯avis que l¡¯on ne peut lutter efficacement contre ces ph¨¦nom¨¨nes qu¡¯en s¡¯engageant en faveur de la libert¨¦ de religion ou de conviction telle qu¡¯elle est ¨¦tablie dans la l¨¦gislation internationale des droits de l¡¯homme. Cela implique la ratification des trait¨¦s pertinents et l¡¯abrogation des r¨¦serves inutiles, certes, mais aussi la conformit¨¦ de la l¨¦gislation nationale avec ces normes, leur promotion par le dialogue et l¡¯¨¦ducation ¨¤ tous les niveaux de l¡¯?tat ainsi que la participation de la soci¨¦t¨¦ civile, du monde des affaires et des chefs religieux.

La violence au nom de la religion ou des convictions ne s¡¯arr¨ºte pas l¨¤ et peut inclure la violence fond¨¦e sur le genre, le d¨¦ni des droits sexuels et g¨¦n¨¦siques, la recherche de justification de la violence ou de la discrimination ¨¤ l¡¯encontre des minorit¨¦s et des pratiques pr¨¦judiciables ¨¤ l¡¯encontre des filles. Les ?tats sont oblig¨¦s de prendre des mesures positives pour lutter contre cette violence aux niveaux individuel et syst¨¦mique, y compris en luttant contre les comportements sous-jacents qui conduisent ¨¤ des actes de violence.

Alors que nous examinons les d¨¦fis actuels pour r¨¦aliser les objectifs de d¨¦veloppement durable du Programme ¨¤ l¡¯horizon 2030, les ?tats doivent ¨ºtre lucides quant ¨¤ l¡¯obstacle que repr¨¦sente la marginalisation fond¨¦e sur la religion ou la conviction. ? sept ans de l¡¯¨¦ch¨¦ance du Programme, et m¨ºme au-del¨¤, il est vital que cette discrimination soit reconnue, que ces dimensions soient mesur¨¦es et que sa r¨¦alit¨¦ soit prise en compte dans tous les objectifs pertinents.

Reconna?tre les blessures et les transformer

Toutes les formes de violence mentionn¨¦es ci-dessus, qui ne repr¨¦sentent qu¡¯une petite partie des violations fond¨¦es sur la conviction, ont lieu dans un contexte mondial de polarisation croissante, dont la fomentation est, malheureusement, souvent?instrumentalis¨¦e politiquement et intentionnelle. S¡¯il convient de condamner la violence et les violations dans le monde, le 22 ao?t nous invite aussi ¨¤ l¡¯introspection. Tous les ?tats doivent prendre en consid¨¦ration les violations subies par les personnes marginalis¨¦es ou m¨ºme incrimin¨¦es sur la base de la religion ou de la conviction dans leur propre pays et ¨¦tendre leur solidarit¨¦ internationale et nationale ¨¤ un plus grand nombre de communaut¨¦s et de traditions religieuses ou de conviction.

???Il faut continuer ¨¤ briser son c?ur jusqu¡¯¨¤ ce qu¡¯il s¡¯ouvre?? est une phrase souvent attribu¨¦e ¨¤ R?m?, po¨¨te persan du XIIIe si¨¨cle. Tant de communaut¨¦s religieuses et de conviction ont souffert, et continuent de souffrir, de l¡¯oppression ou de la pers¨¦cution. Nous devons ouvrir nos c?urs et reconna?tre l¡¯exp¨¦rience commune de la douleur afin de mettre fin ¨¤ ce cycle, transformer nos comportements et faire des droits de l¡¯homme une r¨¦alit¨¦.

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