Il n¡¯y a peut-¨ºtre rien de pire que de dire qu¡¯une politique, une soci¨¦t¨¦ ou une institution est injuste. Mais quels crit¨¨res utilisons-nous pour porter un tel jugement ? Ou, pour le dire autrement, quelle est la conception de la justice qui nous am¨¨ne ¨¤ pointer quelque chose du doigt et de dire que cela rel¨¨ve ou non de la justice?? Et quelle est la r¨¦ponse sociale n¨¦cessaire face ¨¤ une situation jug¨¦e injuste?? Bien qu¡¯il s¡¯agisse de questions difficiles qui pourraient ¨ºtre discut¨¦es lors de s¨¦minaires philosophiques universitaires, depuis plus de deux ans maintenant des termes tels que ??justice en mati¨¨re de sant¨¦??, ??justice sociale?? et ??justice mondiale?? sont apparus de plus en plus fr¨¦quemment dans des reportages et des messages concernant la pand¨¦mie de COVID-19 publi¨¦s sur les r¨¦seaux sociaux. M¨ºme des hommes politiques, des d¨¦cideurs et des fonctionnaires des Nations Unies ont employ¨¦ ces termes.
Par ailleurs, il est important de noter que de nombreuses personnes et de nombreuses institutions, qui ont jou¨¦ un r?le central dans l¡¯¨¦laboration des r¨¦ponses nationales et mondiales ¨¤ la pand¨¦mie, ont r¨¦ussi ¨¤ ne jamais employer le terme ??justice?? et ont largement esquiv¨¦ les concepts connexes tels que les droits, l¡¯¨¦quit¨¦ et la justice.?
Comment la justice peut-elle ne pas ¨ºtre au centre de la?compr¨¦hension de ce que chacun d¡¯entre nous a v¨¦cu au cours des deux derni¨¨res ann¨¦es?? Nous avons tous ¨¦t¨¦ affect¨¦s n¨¦gativement par l¡¯ajout d¡¯un nouveau risque pour notre sant¨¦ et, peut-¨ºtre, pour notre vie. Nous avons assist¨¦ aux ¨¦checs catastrophiques de nombreux dirigeants politiques et d¡¯organismes nationaux et internationaux et, selon une actuelle, la pand¨¦mie a caus¨¦ plus de 23 millions de morts suppl¨¦mentaires. ?
Au lieu de la consid¨¦rer comme une trag¨¦die ou une catastrophe naturelle, il est difficile, mais n¨¦cessaire, de comprendre que la pand¨¦mie refl¨¨te l¡¯injustice sociale globale ¨¤ l¡¯¨¦chelle mondiale. Cette compr¨¦hension met en ¨¦vidence le r?le des actions sociales ainsi que le manque de discernement des multiples dimensions de la COVID-19, y compris les causes de la propagation de la maladie, les diverses tendances et caract¨¦ristiques des souffrances au sein des pays et entre eux, les exp¨¦riences disparates de la maladie, les in¨¦galit¨¦s dans les r¨¦sultats des traitements, les cons¨¦quences autres que celles li¨¦es ¨¤ la maladie, et plus encore.
Comme beaucoup l¡¯ont d¨¦j¨¤ dit, cette pand¨¦mie est loin d¡¯¨ºtre la pire pand¨¦mie de maladie infectieuse. Toutefois, diverses actions sociales et la n¨¦gligence ont entra?n¨¦ des millions de morts et augment¨¦ les souffrances mentales et physiques; elles ont pes¨¦ de mani¨¨re disproportionn¨¦e sur les plus pauvres, les minorit¨¦s sociales ainsi que sur les filles et les femmes; elles ont aggrav¨¦ les in¨¦galit¨¦s et les divisions sociales; elles ont r¨¦duit ¨¤ n¨¦ant des d¨¦cennies de progr¨¨s en mati¨¨re de d¨¦veloppement social; elles ont aliment¨¦ la corruption ¨¤ des niveaux sans pr¨¦c¨¦dent, et plus encore.
La reconnaissance des injustices sociales entourant la pand¨¦mie est ¨¦galement une occasion importante de comprendre les liens de longue date entre la sant¨¦ et la justice sociale et mondiale.
Justice et sant¨¦
Un aspect mondialement reconnu de l¡¯injustice en mati¨¨re de sant¨¦ est l¡¯acc¨¨s limit¨¦ aux soins de sant¨¦, en particulier aux vaccins contre la COVID-19. Actuellement, , la plupart d¡¯entre elles vivant dans des pays en dehors des pays ¨¤ revenu ¨¦lev¨¦. Dans les pays les plus pauvres, . Cette disparit¨¦ est due au fait que les pays les plus riches ont achet¨¦ et stock¨¦ plus de doses que celles dont ils avaient besoin. Cependant, ¨¤ part les vaccins, d¨¨s les premiers jours de la pand¨¦mie, l¡¯approvisionnement en respirateurs, en ¨¦quipement de protection individuelle (EPI), en bonbonnes d¡¯oxyg¨¨ne, en lits d¡¯h?pitaux et en m¨¦dicaments a ¨¦t¨¦ limit¨¦ au sein des pays et entre eux. Certains pays ont r¨¦quisitionn¨¦ l¡¯approvisionnement mondial de ces produits pour le b¨¦n¨¦fice de leurs propres citoyens.
Dans un tel environnement de p¨¦nurie, ceux qui, dans de nombreux pays, ont pu utiliser leurs relations personnelles, ou se permettre de payer des prix exorbitants, ont pu se procurer ce dont ils avaient besoin, tandis que d¡¯autres n¡¯en ont pas eu les moyens. M¨ºme dans les pays dans lesquels l¡¯acc¨¨s aux soins de sant¨¦ est assur¨¦, les patients ¨¦taient class¨¦s par ordre de priorit¨¦ selon des crit¨¨res comme l¡¯?ge chronologique. En d¡¯autres termes, ceux qui avaient le plus besoin de lits de r¨¦animation ou de certains m¨¦dicaments n¡¯¨¦taient pas ceux qui en ont b¨¦n¨¦fici¨¦, mais . Dans des ann¨¦es, nous consid¨¦rerons avec effroi comment des millions de personnes ?g¨¦es, et des plus vuln¨¦rables sur le plan physique, sont tomb¨¦s malades et sont d¨¦c¨¦d¨¦es en raison de nos actions sociales et de notre n¨¦gligence.
Justice et d¨¦terminants de la maladie et de la mort
L¡¯indignation, qui a aliment¨¦ les manifestations de soutien suite ¨¤ la mort de George Floyd en 2020, concernait la violence structurelle ou les injustices que la population noire aux ?tats-Unis et dans le monde subit et dont elle meure parfois quotidiennement. Il existe aussi une col¨¨re concernant les injustices sociales qui favorisent la propagation des maladies comme la COVID-19 et qui am¨¨nent les Noirs et autres minorit¨¦s ¨¤ l¡¯h?pital. Ces injustices sont encore aggrav¨¦es ¨¤ l¡¯int¨¦rieur de l¡¯h?pital lorsque ces populations ne sont pas prioritaires dans l¡¯administration des soins parce que l¡¯on consid¨¨re qu¡¯elles ne peuvent pas en tirer le m¨ºme b¨¦n¨¦fice que les autres en raison de leurs pathologies sous-jacentes. Ensuite se pose le vrai probl¨¨me du racisme dans la prestation des soins et leur financement et de plus en plus dans les technologies num¨¦riques et les algorithmes associ¨¦s qui affectent tant d¡¯aspects de notre vie.?
Alors que certains ont des difficult¨¦s ¨¤ reconna?tre l¡¯injustice sociale comme ¨¦tant une cause de maladie et de d¨¦c¨¨s suite ¨¤ la pand¨¦mie de COVID-19, ils peuvent au moins reconna?tre que la protection de la sant¨¦ n¨¦cessite bien plus que des soins de sant¨¦ traditionnels. Pendant le confinement, des millions, voir des milliards de personnes dans le monde, sont rest¨¦es clo?tr¨¦es chez elle afin de se prot¨¦ger de la contamination et d¡¯une maladie potentiellement mortelle. Pour pouvoir le faire, elles devaient avoir, entre autres, un logement d¨¦cent, de l¡¯eau salubre et des installations sanitaires d¨¦centes, l¡¯¨¦lectricit¨¦, le t¨¦l¨¦phone, un acc¨¨s ¨¤ Internet ainsi que de l¡¯argent. De nombreux gouvernements ont pris des mesures pour assurer le fonctionnement des services publics, l¡¯ouverture des magasins d¡¯alimentation et ont m¨ºme assur¨¦ un soutien financier aux personnes et aux entreprises. Gr?ce ¨¤ ces conditions, des personnes et des familles ont pu ¨¦viter de tomber malades, alors que l¡¯absence de protection et de soutien a conduit des millions d¡¯autres ¨¤ tomber malades et ¨¤ mourir pendant la pand¨¦mie. La distribution in¨¦gale des services non m¨¦dicaux et de l¡¯aide non m¨¦dicale pendant les pand¨¦mies est ¨¤ l¡¯origine des in¨¦galit¨¦s en mati¨¨re de sant¨¦ dans nos soci¨¦t¨¦s. ?
Ordre mondial et sant¨¦
La pand¨¦mie a fait prendre conscience que notre sant¨¦ n¡¯est pas seulement affect¨¦e par des facteurs internes, mais qu¡¯elle est li¨¦e au fonctionnement d¡¯autres soci¨¦t¨¦s et ¨¤ la sant¨¦ d¡¯autres personnes, proches ou lointaines. S¡¯assurer que, dans chaque pays, tout le monde a acc¨¨s aux soins de sant¨¦ peut, en effet, permettre de mieux prot¨¦ger la sant¨¦ de chacun. Il est toutefois plus important et plus efficace de changer les circonstances qui favorisent l¡¯apparition de nouvelles maladies qui peuvent ¨ºtre ¨¦vit¨¦es ainsi que des morts pr¨¦matur¨¦es. Ces circonstances sont profond¨¦ment fa?onn¨¦es par notre ordre international.
L¡¯ordre international actuel, qui est compos¨¦ d¡¯institutions, de pratiques, de normes ainsi que d¡¯autres ¨¦l¨¦ments, n¡¯est tout simplement pas b¨¦n¨¦fique pour notre sant¨¦. La pand¨¦mie est un exemple flagrant?de la mani¨¨re dont cet ordre ne traite pas la sant¨¦ comme une question grave, ou du moins pas aussi s¨¦rieusement qu¡¯il traite les questions de s¨¦curit¨¦ et de finances. Il s¡¯en tient ¨¤ l¡¯?tat-nation comme acteur principal, avec des relations de pouvoir in¨¦gales enracin¨¦es dans les organisations internationales, tandis que certains acteurs non ¨¦tatiques sont devenus de plus en plus puissants et exercent une plus grande influence sur la sant¨¦ des populations que les ?tats.?
Que cela se refl¨¨te dans cette pand¨¦mie ou dans les objectifs du Mill¨¦naire pour le d¨¦veloppement (OMD) ou bien dans les objectifs de d¨¦veloppement durable (ODD) qui n¡¯ont pas ¨¦t¨¦ r¨¦alis¨¦s, notre ordre mondial actuel ne s¡¯est pas montr¨¦ apte ¨¤ am¨¦liorer les conditions indispensables ¨¤ une bonne sant¨¦ pour la plupart des populations dans le monde, en particulier des plus pauvres et des plus vuln¨¦rables. En fait, comme l¡¯ont soulign¨¦ les nombreuses personnes qui ont ¨¦tudi¨¦ la mondialisation et la sant¨¦, l¡¯ordre international actuel entrave ces efforts.
Pourtant, nous sommes aussi parvenus ¨¤ un point o¨´ chaque dirigeant et chaque bureaucrate, national et mondial, peut facilement et personnellement comprendre l¡¯importance de la sant¨¦, de l¡¯acc¨¨s aux soins de sant¨¦ et des conditions sociales qui favorisent l¡¯apparition des maladies et prot¨¨gent la sant¨¦. Si un nombre raisonnable de dirigeants reconnaissait que chaque nation ainsi que la communaut¨¦ internationale devraient s¡¯employer ¨¤ cr¨¦er les circonstances qui permettraient ¨¤ tous, et pas seulement ¨¤ quelques privil¨¦gi¨¦s, de jouir d¡¯une bonne sant¨¦, la pand¨¦mie de COVID-19 aurait servi ¨¤ quelque chose et cela nous aiderait ¨¤ progresser vers un monde plus juste.
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