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En Libye, la crise s¡¯aggrave

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En Libye, la crise s¡¯aggrave

L'ONU et l¡¯Union Africaine en qu¨ºte de solutions
Lansana Gberie
Afrique Renouveau: 
Destroyed buildings in Sirte, Libya. Photo: Panos/ Jeroen Oerlemans
Photo: Panos/ Jeroen Oerlemans
Des b?timents d¨¦truits ¨¤ Syrte, en Libye. Photo: Panos/ Jeroen Oerlemans

Aucune catastrophe politique ou humanitaire n¡¯a probablement jamais ¨¦t¨¦ autant n¨¦glig¨¦e que la crise libyenne. Parmi les sept articles publi¨¦s par le New York Times en septembre 2017, seul l'article d¡¯Eric Schmitt ¨¦voque la violence dans le pays en citant le commandement Afrique du Pentagone qui a effectu¨¦ une demi-douzaine de ? frappes de pr¨¦cision ? contre un camp d¡¯entra?nement de l¡¯?tat islamique, tuant ainsi 17 militants dans la premi¨¨re frappe a¨¦rienne, depuis l¡¯investiture de Donald Trump, ?¨¤ l'encontre de cette ? nation nord-africaine d¨¦chir¨¦e par les conflits ?.

Deux autres articles du Times sont consacr¨¦s ¨¤ l¡¯interdiction de voyager instaur¨¦e par l¡¯administration Trump. L¡¯un ¨¦voque les Libyens demandeurs d'asile en Allemagne qui n'y trouvent que de "la haine"; l¡¯autre se concentre sur les menaces qui p¨¨sent sur les migrants qui transitent par la Libye afin de rejoindre l'Europe.

La comparaison entre la couverture m¨¦diatique actuelle et celle qui a pr¨¦c¨¦d¨¦ l'op¨¦ration militaire de l¡¯OTAN conduisant ¨¤ l'assassinat du pr¨¦sident libyen Mouammar Kadhafi est stup¨¦fiante. Rien qu¡¯en f¨¦vrier 2011 ¨C un mois avant que les ?tats-Unis, la Grande-Bretagne et la France ne commencent ¨¤ bombarder le pays pour ¨¦vincer Kadhafi ¨C le New York Times avait publi¨¦ plus d¡¯une centaine d¡¯articles sur la Libye. Un ¨¦ditorial, dat¨¦ du 24 f¨¦vrier 2011, affirmait avec assurance qu ??¨¤ moins qu'on ne l'arr¨ºte ¨¤ temps, Kadhafi massacrerait des milliers de concitoyens en tentant d¨¦sesp¨¦r¨¦ment de se maintenir au pouvoir.??

Cependant, plusieurs mois apr¨¨s la prise de contr?le du pays par les ennemis du dictateur avec le soutien des puissances occidentales, le Times publiait un article intitul¨¦ ? Il y a plus de martyrs que de corps en Libye ?. ? O¨´ sont les morts ? ? y demandait Rod Nordland, un correspondant chevronn¨¦, faisant r¨¦f¨¦rence aux pr¨¦tendus massacres planifi¨¦s par M. Kadhafi. Aucune preuve de ces massacres n'avait ¨¦t¨¦ trouv¨¦e.

Voici ce qui se passe actuellement en Libye, et qui ne risque pas d'¨ºtre d¨¦voil¨¦ par les m¨¦dias. Le 28 ao?t 2017, Ghassan Salam¨¦, le Repr¨¦sentant sp¨¦cial du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral et chef de la Mission d¡¯appui des Nations Unies en Libye, a racont¨¦ au Conseil de s¨¦curit¨¦ qu'au cours ?de sa premi¨¨re nuit ¨¤ Tripoli, il s¡¯¨¦tait ? endormi au son des coups de feu qui n¡¯en finissaient pas ?. Des civils ? ont ¨¦t¨¦ tu¨¦s ou bless¨¦s dans tout le pays ¨¤ la suite d¡¯affrontements arm¨¦s sporadiques [...] Des milliers sont d¨¦tenus sur de longues p¨¦riodes, sans perspective de proc¨¨s ¨¦quitable ?.

La Libye est au bord de l¡¯anarchie. Une initiative de l¡¯ONU a d¨¦bouch¨¦ sur l¡¯Accord politique libyen de d¨¦cembre 2015 et un Gouvernement d¡¯entente nationale (GEN), qui r¨¦unit deux ? gouvernements ? rivaux, le Conseil des d¨¦put¨¦s (¨¦lu en 2014) et les Islamistes du Congr¨¨s g¨¦n¨¦ral national (CGN).

Le GEN est soutenu par l¡¯ONU et reconnu au niveau international mais l'¨¦tendue de son autorit¨¦ reste incertaine et limit¨¦e. Le contr?le de Tripoli, fief du CGN, est toujours disput¨¦ et la capitale d¨¦chir¨¦e par la violence.

Les membres du GEN sont toujours en concurrence pour l¡¯autorit¨¦, la l¨¦gitimit¨¦ et le contr?le des ressources et des infrastructures de l¡¯?tat. Deux gouvernements rivaux continuent de s'affronter, sans qu'aucun ne puisse pr¨¦tendre ¨¤ une influence nationale, sans parler de soutien ou de l¨¦gitimit¨¦.

Au d¨¦but du mois d¡¯octobre 2017, la production de p¨¦trole en Libye atteignait 1 million de barils par jour, un chiffre bien en de?¨¤ des 1,6 million avant la crise. M. Salam¨¦ a d¨¦clar¨¦ que ? l¡¯impression d¡¯une ¨¦conomie politique de la pr¨¦dation enracin¨¦e est palpable, comme si le pays alimentait sa crise avec ses propres ressources au profit de quelques-uns et au d¨¦triment et ¨¤ la frustration du plus grand nombre ?.

Le 28 juin 2017, un convoi de l¡¯ONU a ¨¦t¨¦ attaqu¨¦ par des groupes arm¨¦s. M. Salam¨¦ a alors indiqu¨¦ que ? la pr¨¦sence active de Daech, de groupes terroristes affili¨¦s ¨¤ Al-Qa?da, de combattants ¨¦trangers et de mercenaires, le trafic d¡¯armes et le march¨¦ noir transfrontalier, sont des d¨¦fis qui s¡¯¨¦tendent au-del¨¤ des fronti¨¨res de la Libye et qui touchent ses voisins et la communaut¨¦ internationale dans son ensemble ?. Cette information n¡¯a cependant pas fait les titres des m¨¦dias am¨¦ricains.

En juin, des enqu¨ºteurs de l¡¯ONU ont indiqu¨¦ que des terroristes, militants, mercenaires et partisans avaient attaqu¨¦ les deux ? gouvernements ? du pays ainsi que des zones r¨¦sidentielles, au moyen d¡¯engins explosifs improvis¨¦s, faisant ¨¦tat d¡¯ex¨¦cutions sommaires de civils, de massacres et de corps ? bless¨¦s par balles et pr¨¦sentant des signes de torture ?.

Les enl¨¨vements sont monnaie courante, tout comme la ? d¨¦tention arbitraire et la torture de journalistes et d¡¯activistes, dans lesquelles serait impliqu¨¦ Haytham al-Tajuri, le commandant de la brigade des r¨¦volutionnaires de Tripoli. Des groupes arm¨¦s affili¨¦s au GSN se sont rendus coupables de plusieurs cas d¡¯enl¨¨vement et de torture ?, ont soulign¨¦ les enqu¨ºteurs.

Des milliers de personnes ont p¨¦ri dans la violence quasi-anarchique que ces groupes entretiennent avec leurs soutiens ¨¦trangers, et environ 435 000 Libyens sur un peu plus de six millions d¡¯habitants ont ¨¦t¨¦ d¨¦plac¨¦s dans le pays.

Le mois de septembre s¡¯est termin¨¦ sur l'annonce de la mort de 26 personnes et de 170 bless¨¦s apr¨¨s deux semaines d'affrontements entre diff¨¦rents groupes arm¨¦s dans la ville de Sabratha.

En octobre, CNN a rapport¨¦ l¡¯existence d¡¯un commerce d¡¯esclaves en Libye en diffusant des images d¡¯Africains vendus aux ench¨¨res pour 400 dollars chacun. Ces images ont pouss¨¦ le pr¨¦sident de l'UA et le pr¨¦sident guin¨¦en Alpha Cond¨¦, ¨¤ r¨¦clamer des poursuites pour crimes contre l¡¯humanit¨¦ condamnant la r¨¦surgence d¡¯un ? ignoble ? commerce ? d¡¯une autre ¨¦poque ?.

Pourquoi tant d'indiff¨¦rence ?

Pourquoi le monde ne s¡¯int¨¦resse-t-il pas ¨¤ la Libye? L¡¯ann¨¦e derni¨¨re, un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l¡¯homme estimait que plus de neuf mille personnes ¨¦taient d¨¦tenues arbitrairement dans des installations du Minist¨¨re de la justice et du D¨¦partement de Lutte contre les migrations ill¨¦gales du Minist¨¨re de l¡¯Int¨¦rieur. Les assassinats sectaires sont d¨¦sormais monnaie courante, les migrants noirs sont brutalis¨¦s et victimes d¡¯ex¨¦cutions sommaires perp¨¦tr¨¦es par les milices. Il est aujourd'hui ¨¦vident que ceux qui souhaitaient la fin du r¨¦gime de M. Kadhafi n'avaient pas anticip¨¦ les cons¨¦quences d'un tel changement.

La derni¨¨re r¨¦solution du Conseil de s¨¦curit¨¦ sur la Libye, adopt¨¦e le 14 septembre, a rappel¨¦ son soutien au GEN ? comme seul gouvernement l¨¦gitime de la Libye, avec le Premier ministre Faye al-Sarraj comme chef du Conseil de la Pr¨¦sidence ?.

La r¨¦solution du Conseil a ¨¦galement r¨¦affirm¨¦ ? son ferme attachement ¨¤ la souverainet¨¦, ¨¤ l¡¯ind¨¦pendance, ¨¤ l¡¯int¨¦grit¨¦ territoriale et ¨¤ l¡¯unit¨¦ nationale de la Libye ?, un pays qui, avant sa pr¨¦tendue r¨¦volution de 2011, ¨¦tait l¡¯un des plus influents d¡¯Afrique et un acteur de premier plan dans la transformation de l'UA.

Dans le num¨¦ro de mars/avril de la revue Foreign Affairs, Ivo Daalder, alors Repr¨¦sentant permanent des ?tats-Unis aupr¨¨s de l¡¯OTAN, et James Stavridis, Commandant supr¨ºme des forces alli¨¦es en Europe, d¨¦crivent l¡¯op¨¦ration en Libye comme ? un mod¨¨le d¡¯intervention ? qui ? a r¨¦ussi ¨¤ prot¨¦ger les civils ? d¡¯un g¨¦nocide imminent. En fait, il offre un r¨¦cit ¨¦difiant pour les humanitaires et pour ceux que le journaliste britannique Simon Jenkins appelait il n¡¯y a pas si longtemps encore ? les strat¨¨ges de canap¨¦ et les bombardiers de seconde zone?.

Le r?le de l'UA

Les probl¨¨mes actuels de la Libye soul¨¨vent des questions sur le r?le de l¡¯UA. Au plus fort des bombardements par l¡¯OTAN, en juillet 2011, le ministre mauritanien des Affaires ¨¦trang¨¨res Hamadi Ould Hamadi a inform¨¦ le Conseil de s¨¦curit¨¦ de l¡¯ONU de la position de l¡¯UA.

Apr¨¨s avoir fait part des ? souffrances indescriptibles de la population libyenne ? M. Hamadi a pr¨¦sent¨¦ la feuille de route de l¡¯UA pour la paix : ? cessation imm¨¦diate de toutes les hostilit¨¦s ; coop¨¦ration des autorit¨¦s libyennes comp¨¦tentes pour faciliter la fourniture d¡¯aide humanitaire aux populations; protection des ¨¦trangers, y compris des travailleurs migrants africains vivant en Libye ; adoption et mise en ?uvre des r¨¦formes politiques n¨¦cessaires pour ¨¦liminer les causes du conflit actuel ?. Ce n¡¯est pas sans une certaine d¨¦sinvolture que cette feuille de route a ¨¦t¨¦ archiv¨¦e en tant que document du Conseil de s¨¦curit¨¦.

L¡¯UA pourrait faire davantage pour r¨¦soudre les crises libyennes. Son Conseil de paix et de s¨¦curit¨¦, qui promeut la paix, la s¨¦curit¨¦ et la stabilit¨¦ en Afrique, est dirig¨¦ par le commissaire alg¨¦rien Sma?l Chergui, dont le pays a jou¨¦ un r?le pr¨¦pond¨¦rant dans les efforts de m¨¦diation r¨¦gionale.

Les r¨¦gimes actuels en Libye n¡¯ont peut-¨ºtre pas le m¨ºme attachement, sentimental ou rh¨¦torique, que M. Kadhafi ¨¤ l¡¯UA. Mais malgr¨¦ le peu d¡¯int¨¦r¨ºt manifest¨¦ pour la Libye par les grandes puissances, les experts estiment que l¡¯organisme r¨¦gional b¨¦n¨¦ficie d'une position unique qui pourrait contenir les crises.

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