L'ambassadrice Mathu Joyini a d¨¦but¨¦ son r?le de repr¨¦sentante permanente de l'Afrique du Sud aupr¨¨s des Nations Unies en janvier 2021, devenant ainsi la premi¨¨re femme sud-africaine ¨¤ occuper ce poste. Repr¨¦sentant le groupe des ?tats africains, elle est la pr¨¦sidente du bureau de la Commission de la condition de la femme (CSW) pour 2022. Elle a d¨¦fendu des causes li¨¦es ¨¤ la paix et ¨¤ la s¨¦curit¨¦ en Afrique, aux droits de l'homme et ¨¤ l'autonomisation des femmes, entre autres. Dans cet entretien avec Kingsley Ighobor d'Afrique Renouveau, l'Amb. Joyini parle de son travail et de son parcours professionnel. Voici des extraits de l'interview :
Quel a ¨¦t¨¦ votre parcours jusqu'¨¤ cette fonction ??
Cet endroit ( les Nations unies) est un centre de gouvernance mondiale, et je pense qu'il offre un espace int¨¦ressant pour tout repr¨¦sentant permanent qui souhaite s'engager pour promouvoir les int¨¦r¨ºts de son pays, et pour promouvoir la coop¨¦ration entre son pays et les autres.?
Mon parcours a ¨¦t¨¦ int¨¦ressant. Il a commenc¨¦ lorsque je travaillais dans le domaine de l'aide sociale. Et j'y retourne toujours parce que cela m'a permis de comprendre les besoins des ¨ºtres humains au niveau individuel, au niveau communautaire, et ainsi de suite. Le travail social m'a permis de comprendre les besoins humains li¨¦s ¨¤ la pauvret¨¦, ¨¤ la faim, ¨¤ la sant¨¦ - vous traitez toutes ces questions dans cet espace. Aujourd'hui, lorsque je regarde les ODD ("Objectifs de d¨¦veloppement durable") et ce que nous essayons d'accomplir, je rends hommage aux travailleurs sociaux.?
J'ai ¨¦galement pass¨¦ beaucoup de temps dans le secteur priv¨¦, ce qui m'a aid¨¦ ¨¤ comprendre comment les affaires et la soci¨¦t¨¦ se croisent ; comment une entreprise fait des profits, mais dans quelle mesure fait-elle des profits tout en aidant ¨¤ construire ses communaut¨¦s et ses soci¨¦t¨¦s ? Encore une fois, quand on arrive ici, on se rend compte que l'accent est mis sur un d¨¦veloppement ¨¦conomique durable et responsable. On est confront¨¦ ¨¤ des questions de financement, de financement durable, de financement du d¨¦veloppement et ¨¤ la n¨¦cessit¨¦ pour le secteur priv¨¦ de s'impliquer dans le d¨¦veloppement.?
Bien s?r, il y a mon parcours au sein du d¨¦partement des relations internationales et de la coop¨¦ration [le minist¨¨re sud-africain des affaires ¨¦trang¨¨res], pendant plus de 20 ans, ¨¤ diff¨¦rents postes et ¨¤ diff¨¦rents niveaux, o¨´ j'ai appris ¨¤ mieux conna?tre la politique ¨¦trang¨¨re et les relations internationales de notre pays.
Je dis toujours que l'Afrique du Sud d¨¦mocratique a ¨¦t¨¦ bonne avec sa politique ¨¦trang¨¨re - son orientation et sa coh¨¦rence au fil des ans.?
Quelles sont vos principales r¨¦alisations jusqu'¨¤ pr¨¦sent aux Nations Unies ?
Je peux vous en donner quelques exemples. Je commencerai par les droits de l'homme. Comme vous le savez, en 2021, nous avons comm¨¦mor¨¦ le 20e anniversaire de la d¨¦claration et du programme d'action de Durban, qui est un cadre historique de lutte contre la discrimination. L'Afrique du Sud a ¨¦t¨¦ charg¨¦e de pr¨¦parer cette comm¨¦moration et de faciliter l'¨¦laboration d'une d¨¦claration politique. Ce r?le nous a ¨¦t¨¦ confi¨¦ conjointement avec le Portugal, et je dois f¨¦liciter l'ambassadeur Francisco Ant¨®nio Duarte Lopes du Portugal, car nous avons r¨¦ussi ¨¤ mettre sur la table une d¨¦claration politique qui a ¨¦t¨¦ adopt¨¦e avec succ¨¨s en marge de la semaine de haut niveau de l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale des Nations Unies en septembre 2021.
Deuxi¨¨mement, en ce qui concerne la paix et la s¨¦curit¨¦, l'Afrique du Sud et le Bureau d'appui ¨¤ la consolidation de la paix des Nations Unies ont organis¨¦ un webinaire et lanc¨¦ un dialogue sur la mani¨¨re d'amener le secteur priv¨¦ ¨¤ contribuer ¨¤ la consolidation de la paix. Je dois vous dire que ce fut un webinaire int¨¦ressant. Nous avons examin¨¦ la mani¨¨re dont nous pouvons mettre des ressources ¨¤ la disposition de la consolidation de la paix. Nous pensons que le secteur priv¨¦ qui b¨¦n¨¦ficie d'une soci¨¦t¨¦ stable et pacifique doit contribuer ¨¤ la consolidation de la paix. Et il se trouve que le secteur priv¨¦ est pr¨ºt ¨¤ apporter de telles contributions. Nous esp¨¦rons donc mettre en place une strat¨¦gie d'engagement du secteur priv¨¦.?
Troisi¨¨mement, il y a des questions qui nous int¨¦resseront toujours. Il ne s'agit pas seulement de questions datant de 2022, mais de questions qui seront toujours les priorit¨¦s de l'Afrique du Sud en raison de notre histoire. L'une de ces priorit¨¦s est notre solidarit¨¦ avec le peuple de Palestine et le peuple du Sahara occidental. Nous avons ¨¦galement l'Agenda 2063 de l'Union africaine, qui s'aligne sur les ODD et inclut d¨¦sormais le programme de redressement post-COVID-19.
Quatri¨¨mement, nous sommes connus pour l'¨¦galit¨¦ des sexes et l'autonomisation des femmes. En 2022 et 2023, l'Afrique du Sud pr¨¦sidera le Comit¨¦ sur le statut des femmes (CSW). Nous la pr¨¦siderons au nom du groupe africain et nous voulons nous assurer que nous conduisons la mise en ?uvre des conclusions convenues.?
En ce qui concerne l'¨¦galit¨¦ des sexes, vous ¨ºtes l'une des rares repr¨¦sentantes permanentes aupr¨¨s des Nations Unies ¨¤ New York. Pourquoi, ¨¤ votre avis, en est-il ainsi ?
Les gouvernements sont les premiers responsables de la promotion de l'¨¦galit¨¦ entre les hommes et les femmes ; il faut toujours leur rappeler qu'ils doivent joindre le geste ¨¤ la parole. Ce n'est pas toujours le cas. Lorsque les femmes occupent des postes de direction dans les espaces publics, elles sont susceptibles de promouvoir d'autres femmes. Je peux le dire dans mon cas. Mais encore une fois, je repr¨¦sente mon pr¨¦sident, qui soutient fermement l'¨¦galit¨¦ des sexes.
L'¨¦galit¨¦ des sexes est une grande priorit¨¦ ici, au si¨¨ge des Nations Unies. Est-ce le cas en Afrique ??
Je pense que oui. Je le sais. De nombreux instruments de l'Union africaine sont ax¨¦s sur l'¨¦galit¨¦ des sexes, sur l'autonomisation des femmes. En fait, l'UA est peut-¨ºtre en avance sur de nombreux autres organismes r¨¦gionaux en termes de r¨¦flexion sur les questions li¨¦es ¨¤ l'¨¦galit¨¦ des sexes. Si vous regardez le nombre de protocoles et d'instruments de l'UA, vous constaterez que l'¨¦galit¨¦ des sexes est une priorit¨¦ pour nos dirigeants. Mais il y a beaucoup ¨¤ faire en termes de mise en ?uvre.
La CSW de cette ann¨¦e sera probablement hybride - ¨¦v¨¦nements en personne et virtuels. Que doivent en attendre les femmes africaines ?
Elles doivent s'attendre ¨¤ deux paniers de r¨¦sultats. Le premier panier est le panier formel, qui est la raison d'¨ºtre de la CSW. Chaque ann¨¦e, nous examinons dans quelle mesure nous mettons en ?uvre la d¨¦claration et le programme d'action de P¨¦kin, puis nous formulons des recommandations pour faire progresser l'¨¦galit¨¦ des sexes et l'autonomisation des femmes. Cette ann¨¦e, ce sera dans le contexte du changement climatique.
La CSW se penche donc sur les exp¨¦riences v¨¦cues par les femmes. Vous et moi savons que les effets du changement climatique touchent les femmes de mani¨¨re disproportionn¨¦e. Ainsi, dans leurs conclusions, les ?tats membres formuleront des recommandations visant ¨¤ promouvoir l'¨¦galit¨¦ des sexes et l'autonomisation des femmes dans le contexte du changement climatique. Les femmes africaines doivent donc s'attendre ¨¤ ce que leurs besoins et leurs d¨¦fis soient pris en compte dans les conclusions concert¨¦es. Nous devons ¨ºtre conscients qu'il ne s'agit pas seulement de savoir dans quelle mesure l'impact du changement climatique est dommageable pour les femmes, mais aussi dans quelle mesure les femmes sont impliqu¨¦es dans les activit¨¦s d'att¨¦nuation et d'adaptation. Sont-elles financ¨¦es ? Sont-elles engag¨¦es ??
Le deuxi¨¨me panier est l'espace CSW, o¨´ la soci¨¦t¨¦ civile et le syst¨¨me des Nations Unies, y compris les ?tats membres, s'engagent ¨¤ aborder les questions pertinentes. C'est un terrain fertile pour apprendre les uns des autres, pour partager des exp¨¦riences et pour cr¨¦er des connaissances.
Ainsi, nos s?urs et nos m¨¨res en Afrique peuvent s'attendre ¨¤ apprendre et ¨¤ ¨¦changer des id¨¦es ; elles entendront comment les femmes du Zimbabwe, par exemple, rel¨¨vent leurs d¨¦fis, ou ce que font les femmes au Pakistan et dans d'autres parties du monde.
Quel impact les ¨¦v¨¦nements virtuels auront-ils sur les r¨¦sultats ?
Les femmes ne peuvent pas n¨¦cessairement apprendre en venant ici. L'exp¨¦rience de la derni¨¨re CSW a montr¨¦ qu'elles apprennent tr¨¨s bien sur des plateformes virtuelles. En fait, la plupart des gens diront que les plateformes virtuelles permettent ¨¤ de nombreuses femmes d'y acc¨¦der. Celles qui n'ont pas les moyens de prendre l'avion pour New York peuvent se connecter et ¨¦changer leurs exp¨¦riences avec d'autres. Nous devrons donc faire preuve de sensibilit¨¦ dans la cr¨¦ation de ces plateformes : comment concevoir les sujets, les espaces d'apprentissage et les ¨¦changes qui ont lieu.?
Que pensez-vous de la mani¨¨re dont les femmes peuvent tirer parti de la zone de libre-¨¦change continentale africaine (ZLECAf), qui est probablement le plus grand projet africain actuel ??
Absolument, la ZLECAf est le plus grand projet. Et il s'agit d'un projet transformateur. En cr¨¦ant ce march¨¦ de 1,3 milliard de consommateurs, vous pouvez imaginer ce qu'il fera pour notre secteur manufacturier, pour le commerce, pour l'agriculture, et ainsi de suite. Dans la mesure o¨´ l'accord de libre-¨¦change transformera le continent sur le plan ¨¦conomique, les femmes doivent en faire partie, sinon en ¨ºtre le centre.
Nous parlons souvent de l'inclusion ¨¦conomique et financi¨¨re des femmes. Si vous entrez dans n'importe quel march¨¦ en Afrique, la plupart des commer?ants informels sont des femmes. Nous devons commencer ¨¤ r¨¦fl¨¦chir de mani¨¨re cr¨¦ative ¨¤ la fa?on de les inclure d'une mani¨¨re qui favorise leur bien-¨ºtre socio-¨¦conomique. Lorsque nous [l'Afrique du Sud] pr¨¦sidions l'UA, notre pr¨¦sident [Cyril Ramaphosa] s'est fait le champion de l'inclusion financi¨¨re et ¨¦conomique des femmes. Prenez les march¨¦s publics, par exemple. Si j'ai deux fournisseurs aux capacit¨¦s ¨¦gales, et que l'un d'eux est une femme, je vais donner l'opportunit¨¦ ¨¤ la femme.
Nous devons donc ¨ºtre d¨¦lib¨¦r¨¦s au sein de la zone de libre-¨¦change pour renforcer les capacit¨¦s et cr¨¦er des opportunit¨¦s pour les femmes. Nous devons mettre en place des politiques et des programmes qui soutiennent les petites, moyennes et grandes entreprises dirig¨¦es par des femmes.
Je dois mentionner le programme SheTrades, lanc¨¦ par le Centre du commerce international, qui aide ¨¤ connecter les femmes entrepreneurs africaines aux march¨¦s. De tels programmes sont utiles.?
Enfin, quel message souhaitez-vous faire passer aux Africains, en particulier aux femmes ?
Nous sommes dans un continent dont l'avenir est prometteur. Les ¨¦tudes montrent que la croissance ¨¦conomique future se fera en Afrique. Avant la pand¨¦mie de COVID-19, les six premi¨¨res des dix ¨¦conomies ¨¤ la croissance la plus rapide au monde se trouvaient en Afrique. Il s'agit de savoir comment nous nous organisons pour nous remettre de la pand¨¦mie. Et cela est actuellement tr¨¨s bien coordonn¨¦ par le continent.
Si vous examinez les diverses initiatives mises en place par le continent pour coordonner notre r¨¦tablissement et notre pr¨¦paration aux futures pand¨¦mies, vous reprenez espoir.
Nous avons tous les cadres, toutes les politiques, toutes les opportunit¨¦s. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est retrousser nos manches et faire le travail.