Lorsque le diplomate 茅quatorien Luis Gallegos proposa pour la premi猫re fois un 芦 Trait茅 juridiquement contraignant sur les entreprises et les droits humains 禄, de nombreux pays et activistes environnementaux salu猫rent l鈥檌nitiative.
Soutenu par l鈥橝frique du Sud, M Gallegos demanda au Conseil des droits de l鈥檋omme de l鈥橭NU 脿 Gen猫ve de lancer imm茅diatement des n茅gociations afin de mettre un terme aux violations des droits humains et 脿 la destruction de l鈥檈nvironnement par les entreprises multinationales.
En octobre 2018, 94 pays ont r茅dig茅 un projet de trait茅 juridiquement contraignant, susceptible d鈥檃pporter une r茅ponse au probl猫me complexe des cha卯nes mondiales d鈥檃pprovisionnement, qui complique l鈥檌dentification des responsables et de permettre aux victimes de faire appel 脿 la justice.
Pendant vingt ans, l鈥橢quateur a men茅 une bataille judiciaire pour que Chevron (anciennement Texaco), une multinationale am茅ricaine, soit tenu responsable des mar茅es noires et du largage de 60 milliards de litres de d茅chets toxiques dans des voies navigables et des carri猫res dans la jungle amazonienne, qui ont affect茅 30 000 indig猫nes et paysans. Le pays a tent茅 en vain d鈥檕btenir des compensations aupr猫s de tribunaux aux Etats-Unis, en Equateur, au Br茅sil et au Canada.
Pour sa part, Chevron a attaqu茅 l鈥橢quateur devant la Cour permanente d鈥檃rbitrage 脿 la Haye pour violation d鈥檜n accord bilat茅ral d鈥檌nvestissement de 1997. L鈥檈ntreprise a obtenu 112 millions de dollars de dommages, ce qu鈥檜n trait茅 contraignant aurait pu emp锚cher.
Il existe des recommandations non contraignantes pour les entreprises internationales, comme les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l鈥檋omme de l鈥橭NU, dont le respect est soumis 脿 l鈥檃uto茅valuation des Etats. Dans des secteurs 脿 hauts risques tels que l鈥檃griculture, les industries mini猫res et textile, les entreprises ne se sentent pas concern茅es, indique Corporate Human Rights Benchmark, un projet de recherche allemand, britannique et suisse.
Les multinationales 茅vitent facilement les poursuites judiciaires car il n鈥檈xiste pas de cadre juridique international pour les y contraindre, estime M. Gallegos. Une majorit茅 d鈥橢tats membres de l鈥橭NU et de l鈥橴nion africaine en conviennent.
En 2016, pr猫s de 40 000 p锚cheurs nig茅rians ont port茅 plainte contre l鈥檈ntreprise p茅troli猫re Shell, devant la justice britannique en raison d鈥檜ne fuite d鈥檋ydrocarbures dans le Delta du Niger. Mais le tribunal a conclu qu鈥檜n diff茅rend avec la filiale nig茅riane du groupe, Shell Petroleum Development Company (SPDC), ne pouvait 锚tre r茅gl茅 en Grande Bretagne. 听 听
En 2016, Amnesty international a r茅v茅l茅 que les op茅rations de SPDC dans le Delta du Niger, au Nig茅ria, avaient caus茅 130 fuites de p茅trole.
鈥淚l y a peu d鈥檈ndroits dans le monde o霉 l鈥檌mpact des multinationales sur l鈥檈nvironnement est aussi visible que dans le Delta du Niger鈥�, d茅clarait le diplomate nig茅rian Hashimu Abubakar devant le Conseil des droits de l鈥檋omme.
Apr猫s plusieurs s茅ries de consultations, la premi猫re version du Trait茅 contraignant sur les entreprises et les droits humains a 茅t茅 pr茅sent茅e devant le Conseil des droits de l鈥檋omme en juillet 2018.
芦 Les grosses multinationales utilisent leurs pouvoirs l茅gaux et financiers aux d茅pends des personnes qui ont peu de ressources 禄, d茅clare l鈥檃ctiviste nig茅riane Esther Kiobel.
Mme Kiobel est la veuve du Dr. Barinam Kiobel, ancien fonctionnaire et l鈥檜n des neuf activistes environnementaux ex茅cut茅s par pendaison, en 1995, par le gouvernement militaire du Nig茅ria, pour avoir protest茅 contre la pollution p茅troli猫re dans le Delta du Niger. Elle 茅tait parmi les plaignants dans le proc猫s contre Shell.
鈥淯n nouveau trait茅 international me donnerait peut-锚tre l鈥檕pportunit茅 d鈥檕btenir des compensations et de r茅habiliter le nom de mon d茅funt mari鈥�, ajoute Mme Kiobel.
Apr猫s avoir fui le Nig茅ria et obtenu la nationalit茅 am茅ricaine, Mme Kiobel porta plainte contre Shell devant un tribunal f茅d茅ral am茅ricain en 2002. Apr猫s des ann茅es de proc茅dure, le tribunal conclut 脿 une fin de non-recevoir, en 2013, estimant qu鈥檜n diff茅rend avec une entreprise nig茅riane, le SPDC, ne pouvait se r茅gler devant la justice am茅ricaine.
Toujours d茅termin茅e, Mme Kiobel a port茅 plainte devant un tribunal n茅erlandais. 芦 A ce stade, nous attendons que le tribunal fixe une date. Au lieu de venir devant la justice, ils essayent d鈥檈mp锚cher ma plainte d鈥櫭猼re m锚me entendue par un juge 禄, indique Mme Kiobel.
Bien que l鈥檌d茅e d鈥檜n trait茅 b茅n茅ficie d鈥檜n large soutien international, obtenir l鈥檃ppui de l鈥橴E et d鈥檃utres pays occidentaux risque d鈥櫭猼re difficile, voire impossible. Jusqu鈥櫭� pr茅sent, les deux poids lourds de la diplomatie internationale ne soutiennent pas l鈥檌nitiative.
Les diplomates europ茅ens s鈥檌nqui猫tent du fait qu鈥檜n trait茅 contraignant pour les multinationales nuise au commerce, ont r茅v茅l茅 des documents obtenus 脿 Bruxelles en vertu de la loi sur la Libert茅 d鈥檌nformation.
芦Nous avons 茅t茅 un peu surpris par la vigueur de la r茅sistance europ茅enne contre ce trait茅鈥�, r茅agit Jane Nalunga de l鈥橧nstitut SEATINI (Southern and Eastern Africa Trade Information and Negotiations Institute), une ONG bas茅e en Ouganda.听 听
芦 L鈥橴E progresse lentement vers un cadre juridique progressif pour les droits humains. Mais il y a beaucoup d鈥檌nvestisseurs europ茅ens en Afrique. D鈥檜n point de vue commercial, il n鈥檈st donc pas 茅tonnant qu鈥檌ls soient contre des r猫gles contraignantes 禄.
SEATINI a 茅t茅 cr茅茅 en 1996 pour mener des activit茅s de plaidoyer et discuter avec les ONG occidentales, l鈥橭NU et d鈥檃utres organisations internationales afin de favoriser l鈥檃doption de mesures favorables 脿 un d茅veloppement durable et inclusif.听 听
芦 Le probl猫me est que les gouvernements africains (...) ont peur que des lois sur les droits humains ou l鈥檈nvironnement 茅loignent les investisseurs 禄, explique Mme Nalunga.
芦 En Ouganda, une entreprise 茅trang猫re est soumise 脿 une 茅valuation environnementale. Mais le r茅sultat n鈥檃 pas de r茅percussions l茅gales. Une l茅gislation internationale pourrait rendre ces 茅valuations obligatoires, mettant ainsi fin 脿 la recherche d鈥檌nvestisseurs 脿 n鈥檌mporte quel prix par les Etats africains 禄.听 听
Le Trait茅 contraignant sur les entreprises et les droits humains ne m猫nera pas au paradis, pr茅vient Lucas Roorda, conseiller politique au Coll猫ge pour les droits de l鈥檋omme 脿 Utrecht aux Pays Bas et auteur d鈥檜ne th猫se sur les responsabilit茅s l茅gales des multinationales.
芦 Un ensemble de r猫gles internationales aurait bien entendu des cons茅quences sur des proc猫s tel que celui de Kiobel contre Shell 禄, indique-t-il. 芦 Mais les espoirs autour de ce trait茅 sont peu r茅alistes. Des r猫gles internationales peuvent offrir un meilleur acc猫s 脿 la justice mais ne peuvent r茅soudre l鈥櫭ヽart de pouvoirs entre les multinationales et les communaut茅s d茅favoris茅es. 禄
Quant 脿 la cr茅ation d鈥檜n tribunal, M. Roorda n鈥檡 croit pas. 芦 Etablir une tribunal international pour les violations des droits l鈥檋omme co没terait beaucoup trop cher ; les pays riches en Europe et les Etats-Unis y sont oppos茅s. 禄
M. Roorda pr茅f猫rerait un trait茅 qui d茅finisse les normes l茅gales internationales que les Etats membres seraient ensuite contraints d鈥檃dopter au niveau national. 芦 Ceci permettrait de juger plus facilement un dossier impliquant une filiale nig茅riane de Shell devant un tribunal n茅erlandais 禄.
Alors que le Trait茅 propos茅 par l鈥橢quateur serait contraignant au niveau international (au travers d鈥檜n tribunal, d鈥檜n syst猫me de p茅nalit茅s ou d鈥檃utres m茅canismes), M. Roorda voudrait que les 茅tats en adoptent les r猫gles sans pour autant cr茅er un tribunal international.
A long terme, une l茅gislation internationale n鈥檃 pas pour seule cons茅quence l鈥櫭﹖ablissement d鈥檜n tribunal, explique Mme Nalunga. 芦 Outre de r茅tablir un 茅quilibre de pouvoir entre les investisseurs et les communaut茅s d茅favoris茅es, ce trait茅 pourrait aligner les accords commerciaux sur le respect des droits humains. 禄
Les d茅fenseurs de l鈥檈nvironnement et des droits humains peuvent discuter des moyens de responsabiliser les multinationales. En revanche, la fin de leur impunit茅 ne peut 锚tre sujette 脿 discussion.听 听 听
