51³Ô¹Ï

Vers la s¨¦curit¨¦ alimentaire

Get monthly
e-newsletter

Vers la s¨¦curit¨¦ alimentaire

Les experts pr¨¦conisent l'autonomisation des petits exploitants agricoles
Raphael Obonyo
Afrique Renouveau: 
Des agriculteurs r¨¦coltent des haricots verts ¨¤ la Coop¨¦rative mara?ch¨¨re de Dodicha en ?thiopie. Photo: USAID

Experts en d¨¦veloppement et dirigeants politiques s'accordent ¨¤ dire que l'¨¦norme potentiel agricole de l'Afrique, s'il est exploit¨¦, permettra de nourrir le continent et de stimuler la croissance socio-¨¦conomique. Dans sa strat¨¦gie 2016-2025 pour la transformation de l'agriculture en Afrique, la Banque africaine de d¨¦veloppement (BAD) conseille aux gouvernements de donner aux petits exploitants agricoles les moyens de produire davantage d'aliments de mani¨¨re durable et rentable et ainsi d'assurer la s¨¦curit¨¦ alimentaire sur le continent.

Il s'agit de renforcer leur pouvoir de n¨¦gociation et de leur donner acc¨¨s ¨¤ un sol am¨¦lior¨¦ qui augmentera les rendements, ainsi qu'aux engrais et aux march¨¦s afin d'am¨¦liorer leurs revenus et leur bien-¨ºtre.

Lors d'une table ronde minist¨¦rielle en marge de la Conf¨¦rence de coop¨¦ration ¨¦conomique Cor¨¦e-Afrique de 2016 ¨¤ S¨¦oul, en Cor¨¦e du Sud, le pr¨¦sident de la BAD, Akinwumi Adesina, a d¨¦clar¨¦?:???Pour parvenir ¨¤ la suffisance alimentaire et convertir le continent en un exportateur net de produits alimentaires, l'Afrique doit autonomiser les petits exploitants, qui constituent 70?% de la population et produisent 80?% des aliments consomm¨¦s sur le continent.??

Discussion ambitieuse

Bukar Tijani, directeur g¨¦n¨¦ral adjoint et repr¨¦sentant r¨¦gional pour l'Afrique ¨¤ l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), souligne que ??la cl¨¦ de la s¨¦curit¨¦ alimentaire en Afrique r¨¦side dans les petits agriculteurs??.

L'Afrique compte plus de la moiti¨¦ des terres arables non utilis¨¦es dans le monde, mais reste expos¨¦e? ¨¤ l'ins¨¦curit¨¦ alimentaire?; des millions de personnes y souffrent de faim chronique et de famine, selon l'Alliance pour une r¨¦volution verte en Afrique (AGRA), une organisation qui soutient les petits agriculteurs, dans son Rapport 2017 sur l'¨¦tat de l'agriculture en Afrique. Les gouvernements et autres int¨¦ress¨¦s? doivent donner aux jeunes les moyens d'acqu¨¦rir des connaissances, des comp¨¦tences et d'autres ressources et ne pas se contenter d'aider les petits exploitants. Selon Agn¨¨s Kalibata, pr¨¦sidente de l'AGRA, il est important ??d'investir dans les technologies modernes et de donner aux jeunes et aux femmes plus de ressources pour qu'ils se lancent dans une agriculture productive??.

Pour Alex Awiti, directeur de l'East African Institute, un organisme de recherche sur les politiques, la cl¨¦ de la s¨¦curit¨¦ alimentaire r¨¦side dans l'¨¦laboration de politiques et de strat¨¦gies qui r¨¦pondent aux besoins des petits exploitants. Les politiques agricoles ne manquent pas sur le continent?; le probl¨¨me a toujours ¨¦t¨¦ leur mise en ?uvre.

??L'am¨¦lioration de la productivit¨¦ agricole est un probl¨¨me complexe qui rel¨¨ve des politiques des ?tats ¡ª elle d¨¦pend d'un certain nombre de facteurs socio-¨¦conomiques et politiques complexes??, affirme M. Awiti.

L'application inefficace d'engrais nuit?? notamment aux petits exploitants?; ceux-ci n'ont pas recours au placement profond des engrais (PPE), qui augmente le rendement. En outre, les semences et les engrais de bonne qualit¨¦ sont souvent difficiles ¨¤ trouver et inabordables pour les petits agriculteurs qui en trouvent.? La productivit¨¦ agricole s'en trouve donc souvent affaiblie.

??L'utilisation d'engrais dans les petites exploitations en Afrique est de 13 ¨¤ 20 kilogrammes par hectare, soit environ un dixi¨¨me de la moyenne mondiale??, explique M. Awiti.

Grandes exploitations agricoles

Malgr¨¦ les avantages socio-¨¦conomiques ¨¦vidents qui d¨¦coulent de l'investissement dans la petite agriculture, les gouvernements africains pr¨¦f¨¨rent faire porter leurs efforts sur les grandes exploitations commerciales, en raison de la difficult¨¦ qu'il pourrait y avoir ¨¤ traiter avec des dizaines de milliers de petits exploitants.

Selon M. Awiti, le manque d'engrais, la faiblesse de la cha?ne de valeur et les pertes de production pendant les phases de stockage et de distribution d¨¦truisent les ¨¦conomies agricoles et d¨¦motivent les petits agriculteurs qui ne poss¨¨dent pas d'installations de stockage et de transformation de base, ni de connaissances techniques. Lorsque les petits exploitants pourront augmenter leur production sans craindre de perdre leurs rendements, le secteur agricole se d¨¦veloppera.

??De nombreux petits exploitants ghan¨¦ens cultivent des sols pauvres et d¨¦grad¨¦s et n'ont pas acc¨¨s ¨¤ des intrants abordables et appropri¨¦s, notamment des semences, des engrais et des pesticides de qualit¨¦??, explique Kofi Yeboah, un jeune entrepreneur ghan¨¦en. Ces agriculteurs demandent maintenant ¨¤ leur gouvernement de subventionner l'achat d'engrais dont les co?ts sont exorbitants.

Quelques entreprises ghan¨¦ennes importent des engrais dans le pays et n¨¦gocient avec le gouvernement pour fixer les prix. Les agriculteurs des r¨¦gions recul¨¦es se plaignent que les engrais ne leur parviennent pas.

En Afrique du Sud, les petits exploitants n'ont pas un acc¨¨s suffisant aux services de recherche et de vulgarisation, indique Mabine Seabe, qui plaide en faveur de l'autonomisation des agriculteurs. Pire encore, ils manquent d'aptitudes ¨¤ la n¨¦gociation et d'informations sur les prix. Tout cela signifie que les petits agriculteurs sud-africains ne tirent pas les meilleurs b¨¦n¨¦fices de leur production. M¨ºme lorsque les agriculteurs disposent d'informations correctes sur les prix, ils ne parviennent pas ¨¤ acc¨¦der aux grands march¨¦s et sont donc contraints de vendre ¨¤ des interm¨¦diaires qui poss¨¨dent des r¨¦seaux de distribution et r¨¦alisent la plupart des b¨¦n¨¦fices.

??Les petits agriculteurs et les jeunes ne re?oivent pas le financement et le soutien n¨¦cessaires de la part du gouvernement et des institutions financi¨¨res, en partie ¨¤ cause des risques ¨¦lev¨¦s associ¨¦s ¨¤ l'agriculture??, explique M. Seabe, ajoutant que le gouvernement a mis du temps ¨¤ mettre en ?uvre des r¨¦formes agraires et des politiques de redistribution. La question des r¨¦formes agraires est une question difficile?: seul le Zimbabwe les a mises en ?uvre et l¡¯initiative s'est av¨¦r¨¦e tr¨¨s charg¨¦e sur les plans politique et racial.

D¨¦claration de Maputo

L'?thiopie est confront¨¦e ¨¤ des p¨¦nuries alimentaires caus¨¦es par la s¨¦cheresse.? Par ailleurs, plus de 20?% du rendement total des r¨¦coltes du pays est perdu ¨¤ cause d'une mauvaise manutention apr¨¨s r¨¦colte. Pour s'attaquer ¨¤ ce probl¨¨me, Shayashone, une organisation ¨¤ but non lucratif s'occupant notamment de logistique agricole, de strat¨¦gie et de d¨¦veloppement de mod¨¨les d'affaires, apporte son soutien aux s petits exploitants en leur enseignant des techniques de stockage. Yared Sasa, le directeur de l'organisation, d¨¦clare?: ??Les agriculteurs ont besoin d'une nouvelle technologie ad¨¦quate et d'un renforcement des capacit¨¦s pour att¨¦nuer les dommages caus¨¦s aux r¨¦coltes par les parasites lors du stockage??.

Shayashone a ¨¦tabli un partenariat avec Cooperatives for Change (C4C), une organisation n¨¦erlandaise de d¨¦veloppement international ¨¤ but non lucratif, pour promouvoir l'utilisation dans la r¨¦gion d'Oromia en ?thiopie d'un sac de stockage am¨¦lior¨¦ cr¨¦¨¦ par le projet PICS (Purdue Improved Crop Storage). (Projet de l¡¯Universit¨¦ Purdue pour l¡¯am¨¦lioration du stockage des r¨¦coltes)

Malgr¨¦ les multiples contraintes auxquelles sont confront¨¦s les petits agriculteurs africains, les investissements agricoles publics ont doubl¨¦ depuis 2010, a indiqu¨¦ cette ann¨¦e la Brookings Institution, un think tank ¨¤ but non lucratif am¨¦ricain. Mais ces investissements repr¨¦sentent encore moins de 2 % des budgets nationaux, bien en de?¨¤ du seuil de 10 % que les dirigeants africains ¨¦taient convenus d'investir dans le secteur lors de la D¨¦claration de Maputo en 2003.

En 2017, 14 ans apr¨¨s la D¨¦claration, la plupart des pays n'ont toujours pas atteint l'objectif de 10?%. Parmi les rares pays qui l'ont atteint figurent l'?thiopie, Madagascar, le Malawi, le Mali et la Namibie.

M. Tijani de la FAO conseille aux gouvernements africains et ¨¤ d'autres investisseurs dans l'agriculture de faire prendre conscience aux jeunes des avantages qui d¨¦coulent de l¡¯agriculture-- et du fonctionnement de ses cha?nes de valeur. Les jeunes ne doivent pas s'engager dans l'agriculture uniquement parce qu'ils n'ont pas?? de meilleures opportunit¨¦s?; ils doivent ¨ºtre conscients qu'il s'agit d'une occupation r¨¦mun¨¦ratrice, dit-il, et d'ajouter?:???Les jeunes Africains peuvent ¨ºtre de puissants moteurs de changement pour se sortir avec d'autres de la pauvret¨¦, de la faim et de la malnutrition.?? Malheureusement, beaucoup ne consid¨¨rent pas l'agriculture comme une activit¨¦ potentiellement lucrative. Quelque 200 millions d'Africains ont entre 15 et 24 ans?; il s'agit l¨¤ d'un r¨¦servoir inexploit¨¦ qui pourrait stimuler la croissance du secteur agroalimentaire. Selon M. Awiti, les gouvernements devraient leur accorder des droits de propri¨¦t¨¦, leur enseigner des technologies agricoles et num¨¦riques, et leur permettre de cr¨¦er des cha?nes de valeur. ??Ils se trouveront ainsi au centre du commerce ¨¦lectronique agricole.??

Le mod¨¨le tanzanien

Yara International, une organisation qui lutte contre la famine dans le monde, a contribu¨¦ ¨¤ la cr¨¦ation du Corridor de croissance agricole du sud de la Tanzanie (SAGCOT), une initiative ambitieuse men¨¦e par le gouvernement et le secteur public-priv¨¦ qui vise ¨¤ revitaliser 300 000 km2 de terres arables. L'initiative devrait faire progresser les revenus de milliers d'agriculteurs.

Cette derni¨¨re d¨¦cennie, le gouvernement tanzanien a encourag¨¦ l'investissement dans les installations commerciales de r¨¦colte et de transformation du riz, du sucre et du ma?s. ??Cela a cr¨¦¨¦ des march¨¦s pour la production, car le gouvernement cible et soutient les riziculteurs et les relie au march¨¦??, explique James Craske, directeur de Yara au Kenya.

D¨¦j¨¤, l'augmentation pr¨¦vue de la productivit¨¦ a entra?n¨¦ une demande accrue d'engrais. Pour r¨¦pondre ¨¤ cette demande, Yara a mis en place un terminal d'engrais de 26 millions de dollars dans la capitale, Dar es-Salaam, alors m¨ºme que l'organisation et le gouvernement tanzanien travaillent avec les banques locales pour fournir un financement aux agriculteurs. Le mod¨¨le cr¨¦era des milliers de nouveaux emplois et augmentera les revenus de millions d'agriculteurs.

Le mod¨¨le tanzanien s'attaque ¨¤ l'ins¨¦curit¨¦ alimentaire, au ch?mage des jeunes et aux exclusions socio-¨¦conomiques. Il pourrait ¨¦ventuellement stimuler le d¨¦veloppement rural. Cependant, le mod¨¨le a ¨¦t¨¦ critiqu¨¦ pour avoir d¨¦truit des mangroves qui ¨¦taient la propri¨¦t¨¦ de l¡¯?tat et assuraient la s¨¦curit¨¦ alimentaire de nombreux citoyens.

Kofi Annan, pr¨¦sident de l'Africa Progress Panel et ancien Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de l'ONU, estime que l'Afrique peut combler le foss¨¦ de la productivit¨¦ dans la cha?ne de valeur agricole. ??Les petits agriculteurs africains sont plus que capables de nourrir le continent tant qu'ils utilisent les pratiques agronomiques les plus r¨¦centes en y ajoutant l'usage de semences et d'engrais adapt¨¦s pour augmenter le rendement de leurs cultures.??

La question demeure?: jusqu'o¨´ les gouvernements africains sont-ils pr¨ºts ¨¤ aller pour donner aux petits exploitants les moyens d'atteindre l'objectif d'un continent o¨´ r¨¨gne la s¨¦curit¨¦ alimentaire??


Raphael Obonyo est le repr¨¦sentant de l'Afrique aupr¨¨s de la Coordination mondiale pour? la jeunesse de la Banque mondiale.