Emplois et équité, clés du combat contre la pauvreté en Afrique
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Emplois et équité, clés du combat contre la pauvreté en Afrique
L'Afrique a les taux de pauvreté les plus élevés du monde. En dépit du succès annoncé de quelques pays dans leurs efforts en vue de réduire ces taux de moitié d'ici à 2015 - premier des huit Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) - la majorité du continent reste loin du compte. Les inégalités de revenus y sont plus importantes qu'ailleurs et diverses disparités (sexuelles, ethniques et régionales) persistent.
Ces injustices se perpétuent pour plusieurs raisons, estime un rapport de l'Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD), intitulé et publié en septembre dernier. Le document met en lumière les problèmes ignorés par les OMD : une croissance économique médiocre et inapte à produire des emplois ; la fragmentation et le sous-financement des politiques sociales ; l'inefficacité des États à répondre aux besoins de leurs citoyens.
Après la contraction des économies africaines des années 1980 et 1990, la croissance a repris de 2000 à 2007 grâce à la hausse des cours des produits de base et aux progrès de l'économie mondiale. Ceci a permis à des pays comme l'Éthiopie, le Ghana, le Mali et le Sénégal de réduire la pauvreté qui est toutefois restée élevée.
Emploi et équité
Ailleurs dans le monde, la hausse des revenus a accompagné une croissance forte, provoquant le passage de l'agriculture à l'industrie, puis de l'industrie aux services. En Afrique l'évolution a été différente : l'industrialisation est sous-développée, la productivité de l'agriculture et des services demeure faible.
Résultat : le marché du travail est segmenté et inégal. Le sous-emploi est très répandu, les revenus des activités de l'économie parallèle et de l'agriculture restent faibles. Même des économies relativement diversifiées comme celle de l'Afrique du Sud connaissent un chômage de masse persistant. Les conditions de travail sont particulièrement médiocres pour les femmes.
Une croissance génératrice d'emplois reste difficile à atteindre pour deux raisons. En premier lieu, la mondialisation a affaibli les liens entre l'agriculture et l'industrie. Les populations urbaines consomment principalement des aliments importés, ce qui porte atteinte au secteur agricole national. L'agriculture et l'industrie ont par conséquent stagné. En deuxième lieu, les théories néolibérales continuent de dominer les politiques macroéconomiques et de favoriser la restriction des dépenses, les privatisations et la libéralisation des marchés. Dans cette perspective, l'emploi est considéré comme un sous-produit de la croissance ne requérant aucune politique particulière.
Mais obtenir une croissance équitable et génératrice d'emplois exige des politiques déterminées et les États africains pourraient notamment :
- Relier plus productivement l'agriculture à l'industrie et aux autres secteurs,
- Accroître la production nationale et encourager la demande de produits et de services offerts localement,
- Investir dans les infrastructures et dans l'éducation pour améliorer les qualifications de la main-d'œuvre et la qualité des emplois ouverts aux femmes,
- Éviter les politiques d'austérité pendant les périodes de faible croissance,
- Promouvoir une fiscalité progressive,
- Demander des réformes au nive au mondial pour réduire les fortes fluctuations des cours des produits de base et des taux d'intérêt, pour éliminer les subventions agricoles dans les pays riches et élargir l'accès des exportations africaines aux marchés du Nord.
Pour une protection sociale universelle
Les investissements dans le domaine social peuvent aussi permettre de réduire la pauvreté. Au cours des années 1960 et 1970, les dépenses publiques consacrées à l'éducation et à la santé ont rapidement augmenté dans la plupart des pays d'Afrique. Mais dans les années 1980, les crises économiques et les politiques trop favorables aux marchés ont conduit à des coupes drastiques dans les dépenses sociales. Au Kenya, ces dépenses sont passées de 20 % du budget en 1980 à 12 % en 1997. Si bien que les groupes à faibles revenus n'ont plus eu accès qu'à des services médiocres.
Ces dernières années, les pressions populaires et l'évolution des dépenses sociales vers le financement des services de base ont mené à une augmentation des budgets sociaux. Les programmes d'aide sociale (soins de santé gratuits pour les enfants, pensions pour les plus âgés et aide financière pour les plus pauvres) se sont multipliés. L'Afrique ne dépense cependant toujours qu'environ 3,5 % de son produit intérieur brut (PIB) au chapitre de la protection sociale. En comparaison, les pays à faible revenu dépensent en moyenne 4,5 % de leur PIB. Les pays à revenu intermédiaire dépensent l'équivalent de 10,5 % et ceux dits à hauts revenus y consacrent 20,6 % de leur PIB.
Dans les pays où des programmes sociaux ciblés sont adéquatement financés et profitent à une large partie de la population, les résultats sont positifs. En Afrique du Sud, une personne sur quatre reçoit un revenu financé par les recettes de la fiscalité générale. Mais même dans ce pays, la réduction de la pauvreté a été sérieusement freinée par un chômage général et les fortes inégalités héritées de l'époque de l'apartheid.
Les politiques sociales destinées à réduire la pauvreté doivent être basées sur des droits universels. Elles doivent viser la redistribution, la protection contre les risques liés au chômage, à la maladie et au grand âge ainsi que l'amélioration des capacités productives des individus et des collectivités. Elles ne peuvent pas être dissociées des efforts de création d'emplois.
Importance de l'État et de la politique
Les pays où la pauvreté a reculé rapidement se sont dotés de systèmes politiques qui encouragent la croissance économique et renforcent les programmes sociaux. La plupart ont également des administrations compétentes et ont institutionnalisé des droits définis et installé des régimes démocratiques.
À l'Ile Maurice, l'une des plus anciennes démocraties africaines, les petits exploitants agricoles se sont alliés avec les travailleurs agricoles et les syndicats urbains pour forcer l'État à institutionnaliser des droits sociaux. Leurs organisations ont contribué à la formation du premier parti nationaliste, le Parti travailliste mauricien, qui a mené ces réformes sociales. Aujourd'hui, tous les grands partis du pays considèrent ces droits sociaux comme des droits acquis. Il s'agit notamment d'une pension minimale universelle, de la gratuité de l'enseignement primaire et secondaire et d'un large éventail de soins médicaux gratuits.
Lors des luttes anticoloniales et peu après l'indépendance, des partis d'autres pays avaient également des liens solides avec des organisations rurales et urbaines et des mouvements sociaux. Mais la dérive autoritaire, les crises économiques et l'adoption de politiques d'ajustement structurel dans les années 1980 ont affaibli les liens entre les citoyens et leurs États.
Aujourd'hui, dans de nombreux pays les stratégies de lutte contre la pauvreté s'inspirent d'études de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Mais le processus consultatif relatif à ces documents ne donne pas aux organisations de citoyens les pouvoirs nécessaires pour apporter des changements réels. La participation est souvent limitée à quelques organisations non gouvernementales et exclut les organisations de travailleurs de l'économie structurée aussi bien que de l'économie parallèle ainsi que les organisations d'agriculteurs et d'artisans dont les moyens de subsistance sont directement touchés par les politiques de développement.
Pourtant, la compétition électorale a ouvert la porte aux revendications citoyennes. Au Sénégal, profitant de l'élection nationale de 1993, les 400 000 membres de la Fédération des agriculteurs du Sénégal ont forcé le président sortant, inquiet de la perte de l'électorat rural, à débattre de sa politique agricole. Ce qui a abouti à un accord sur une baisse des taux d'intérêt sur les prêts à l'agriculture, à la suppression des droits de douanes sur les intrants agricoles, à la mise en place d'un moratoire sur les dettes des agriculteurs et d'un dialogue institutionnalisé entre le syndicat agricole et le ministère de l'Agriculture. Cependant, en général, les limites posées à la compétition électorale et la faiblesse des mouvements sociaux en Afrique ont rendu difficile la conquête de nouveaux acquis sociaux.
À ce jour, les expériences africaines suggèrent que les mesures anti-pauvreté qui ne sont pas liées aux systèmes de production, aux politiques sociales et au contexte politique n'auront que des résultats mitigés. Pour obtenir un impact maximal, il est indispensable de coordonner de manière efficace les politiques et les institutions économiques, sociales et politiques.