??Le meurtre de Lloyd Hobbs, un gar?on qui avait de bons r¨¦sultats scolaires, qui ¨¦tait appr¨¦ci¨¦ dans sa communaut¨¦ et qui appartenait ¨¤ une famille de bonne r¨¦putation, a donn¨¦ l¡¯impression ¨¤ la communaut¨¦ que la vie d¡¯un Noir avait peu de valeur aux yeux de la police.??
Extrait de Mass Violence in America, The Complete Report of Mayor LaGuardia¡¯s Commission on the Harlem Riot of March 19, 1935?(New York, Arno Press et The New York Times, 1969).?
Depuis les semaines qui ont suivi l¡¯horrible assassinat de George Floyd, le 25 mai 2020 par la police de Minneapolis, qui a suscit¨¦ l¡¯indignation g¨¦n¨¦rale dans le monde entier, le quartier autour du Civic Center, situ¨¦ dans la partie sud de Manhattan, ¨¤ New York, est travers¨¦ par de fortes ¨¦motions humaines?qui ne cessent de s¡¯amplifier. Il est devenu ¨¦vident que les sentiments d¡¯injustice et de d¨¦ni profond¨¦ment enracin¨¦s ne peuvent plus ¨ºtre pass¨¦s sous silence et que l¡¯exercice persistant d¡¯un pouvoir empreint de pr¨¦jug¨¦s et de haine ne sera plus tol¨¦r¨¦.
Alors que je me frayais fr¨¦n¨¦tiquement un chemin entre les nombreuses barri¨¨res de contr?le de la foule install¨¦es le long des magasins barricad¨¦s, d¨¦termin¨¦e ¨¤ ne pas violer le couvre-feu impos¨¦ ¨¤ une ville ferm¨¦e, je ressentais une tension tangible et inqui¨¦tante. Les connaissances sur la justice sociale et la discrimination raciale que j¡¯avais acquises et partag¨¦es en classe ou ¨¤ la biblioth¨¨que ne m¡¯avaient pas pr¨¦par¨¦e ¨¤ ces manifestations de rue tumultueuses. En ayant recours aux trait¨¦s que j¡¯avais l¡¯habitude d¡¯¨¦tudier avec mes ¨¦tudiants, j¡¯ai trouv¨¦ un certain nombre d¡¯entre eux indispensables pour faire face ¨¤ ce sombre et p¨¦nible chaos urbain.
L¡¯un des volumes d¡¯un ancien programme d¡¯¨¦tudes a attir¨¦ mon attention, compte tenu des r¨¦cents ¨¦v¨¦nements. Il s¡¯agit de l¡¯ouvrage intitul¨¦ An American Dilemma: The Negro Problem and Modern Democracy?(1944), un travail gigantesque qui, ¨¤ ce jour, reste l¡¯¨¦tude interdisciplinaire la plus compl¨¨te des relations raciales aux ?tats-Unis. Publi¨¦ un an avant la signature de la Charte des Nations Unies ¨¤ San Francisco, il?trouve de mani¨¨re ¨¦tonnante un ¨¦cho ¨¤ l¡¯appel urgent lanc¨¦ par le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Unies Ant¨®nio Guterres sur la n¨¦cessit¨¦ de lutter contre les in¨¦galit¨¦s qui, selon lui, ??ont atteint des proportions de crise dans le monde entier [..] et constituent une menace croissante pour notre avenir??.
Si l¡¯¨¦tude, parrain¨¦e par la Carnegie Corporation of New York, est, ¨¤ juste titre, attribu¨¦e ¨¤ Gunnar Myrdal, un ¨¦conomiste et un sociologue su¨¦dois laur¨¦at du Prix Nobel qui a dirig¨¦ les recherches et a ¨¦t¨¦ le seul responsable du rapport final, il s¡¯agissait d¡¯une v¨¦ritable collaboration entre des chercheurs confirm¨¦s et de jeunes chercheurs issus d¡¯un vaste ¨¦ventail de disciplines. L¡¯un de ces contributeurs ¨¦tait Ralph Johnson Bunche, dont on se souvient surtout comme ayant?¨¦t¨¦ le premier Afro-Am¨¦ricain et la premi¨¨re personne de couleur ¨¤ avoir re?u le prix Nobel de la paix, un diplomate c¨¦l¨¨bre, un illustre fonctionnaire international et un fervent d¨¦fenseur des droits de l¡¯homme. Pourtant, en dehors du monde universitaire, on conna?t beaucoup moins l¡¯h¨¦ritage qu¡¯il a l¨¦gu¨¦ en tant que pionnier des sciences sociales et sp¨¦cialiste des sciences politiques qui a discern¨¦ le caract¨¨re manipulateur de la notion de race fabriqu¨¦e par la soci¨¦t¨¦ des ann¨¦es avant l¡¯adoption de la D¨¦claration universelle des droits de l¡¯homme, qu¡¯il a contribu¨¦ ¨¤ r¨¦diger. En avance sur son temps, il avait mis en garde contre les dangers de la mont¨¦e du fascisme en Europe, d¨¦non?ant cat¨¦goriquement les in¨¦galit¨¦s fond¨¦es sur les diff¨¦rences raciales ¨¤ l¡¯aube de la Seconde Guerre mondiale. ? l¡¯occasion du 75e anniversaire de la publication de son ouvrage, intitul¨¦ An American Dilemma,?et de la cr¨¦ation des Nations Unies, ses efforts men¨¦s pour ¨¦largir le d¨¦bat sur la race doivent ¨ºtre r¨¦examin¨¦s afin de dissiper ce que le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral Ant¨®nio Guterres appelle ??l¡¯illusion que nous vivons dans un monde post-raciste??.
Je saisis ¨¦galement cette occasion pour c¨¦l¨¦brer le 117e anniversaire d¡¯un internationaliste et d¡¯un humanitaire visionnaire dont le souvenir perdure, avant tout ??dans la longue lutte pour la dignit¨¦ humaine et contre la discrimination raciale et le sectarisme1??.
En 1934, ¨¤ l¡¯?ge de 31 ans, il a termin¨¦ une th¨¨se de doctorat sur le colonialisme fran?ais apr¨¨s avoir effectu¨¦ des recherches ¨¤ Paris et dans les archives de la Soci¨¦t¨¦ des Nations ainsi qu¡¯un travail sur le terrain en Afrique de l¡¯Ouest. Certaines de ses conclusions allaient ¨ºtre utiles ¨¤ ses contributions ult¨¦rieures au projet Carnegie-Myrdal, d¨¦finir son approche de la m¨¦diation de la paix et de la d¨¦colonisation et renforcer son engagement de longue date au mouvement des droits civils. En 1936, il a publi¨¦ une brochure intitul¨¦e A World View of Race dans laquelle il rejetait toute justification scientifique de la notion de race qui ¨¦tait ??suffisamment souple?? dans sa signification pour cultiver et rationaliser les pr¨¦jug¨¦s de groupe. Il affirmait que la race ¨¦tait effectivement utilis¨¦e comme un ??faux pr¨¦texte?? pour des politiques inad¨¦quates et le ??camouflage d¡¯une exploitation ¨¦conomique brutale2??. Comme il l¡¯a observ¨¦, les relations raciales ??¨¦taient porteuses de dangers pour la paix et le d¨¦veloppement futurs??. Con?ue pour subjuguer, souvent ¨¤ coups de ba?onnette, la notion de race a ¨¦t¨¦ utilis¨¦e pour apporter?les ??bienfaits de la civilisation?? aux peuples ??arri¨¦r¨¦s??, qui ??ont ¨¦t¨¦ mis ¨¤ contribution pour mettre leurs propres ressources ¨¤ la disposition du reste du monde??, mais qui ??ont eu peu d¡¯occasions de partager les nouvelles richesses3 ?. Selon lui, l¡¯oppression permanente ainsi que les r¨¦ponses pour y faire face cr¨¦ent in¨¦vitablement des st¨¦r¨¦otypes raciaux qui victimisent toutes les parties concern¨¦es4. Quelle que soit la gravit¨¦ de leur situation, les groupes dominants, ??apais¨¦s?? par l¡¯illusion de leur ??sup¨¦riorit¨¦ raciale??, s¡¯arrogent des privil¨¨ges politiques et ¨¦conomiques5.
C¡¯est en ces termes qu¡¯il comprenait et voyait la race et les relations raciales avant de se joindre ¨¤ l¡¯¨¦quipe de recherche de Gunnar?Myrdal. Ayant grandi dans un pays o¨´ la s¨¦gr¨¦gation raciale ¨¦tait en vigueur et o¨´ il ¨¦tait in¨¦vitablement confront¨¦ aux pr¨¦jug¨¦s, il avait une ??compr¨¦hension intuitive des complexit¨¦s raciales en Am¨¦rique6 ?, devenant ainsi un collaborateur indispensable au projet.?
Au printemps de l¡¯ann¨¦e 1939, lorsque Gunnar?Myrdal a commenc¨¦ ¨¤ rechercher des collaborateurs, Ralph Bunche venait juste de terminer ses ¨¦tudes de troisi¨¨me cycle en anthropologie ¨¤ la London School of Economics et ¨¤ l¡¯Universit¨¦ du Cap, en Afrique du Sud. ? son retour aux ?tats-Unis, il ¨¦t¨¦ nomm¨¦ professeur titulaire ¨¤ l¡¯Universit¨¦ Howard o¨´ il a donn¨¦ des cours sur le gouvernement am¨¦ricain?et le droit constitutionnel. Il s¡¯est joint au projet avec enthousiasme, tr¨¨s int¨¦ress¨¦ par ses possibilit¨¦s7. Il a r¨¦dig¨¦ quatre monographies qui devaient servir de r¨¦f¨¦rences informatives dans lesquelles puiser pour l¡¯¨¦dition finale de l¡¯¨¦tude. La plus importante d¡¯entre elles, ??The Political Status of the Negro??, a ¨¦t¨¦ tr¨¨s influenc¨¦e par sa propre exp¨¦rience en tant qu¡¯Afro-Am¨¦ricain et ses int¨¦r¨ºts universitaires pour les organisations ?uvrant ¨¤ la promotion des personnes de couleur ainsi que pour les proc¨¦dures ¨¦lectorales et politiques dans le sud des ?tats-Unis. L¡¯un des articles de recherche le plus cit¨¦ est cependant ??Conceptions and Ideologies of the Negro Problem??, dat¨¦ du 5 mars 1940. Gunnar Myrdal avait lu cet article?avec un grand int¨¦r¨ºt, ce qui a sans doute fourni le titre et le th¨¨me de l¡¯ouvrage8. Adh¨¦rant aux convictions pr¨¦c¨¦demment exprim¨¦es concernant le danger de la race en tant que?dispositif de construction sociale utilis¨¦ pour susciter les ¨¦motions et les rationaliser, Ralph Bunche a abord¨¦ le probl¨¨me dans les limites du temps et de l¡¯espace, en tra?ant une mythologie ¨¦volutive qui obscurcirait progressivement les processus intellectuels, soigneusement prot¨¦g¨¦s pour ne pas devenir le ??sujet de doute ou de test??. ??Tr¨¨s peu de probl¨¨mes?ont ¨¦t¨¦ aussi marqu¨¦s par des dilemmes, aussi charg¨¦s de contenu ¨¦motionnel, aussi persistants et aussi peu r¨¦fl¨¦chis??, a-t-il ¨¦crit9.?
Contrairement ¨¤ Gunnar Myrdal, qui pensait que le ??credo am¨¦ricain??, un ensemble de croyances cens¨¦es ¨ºtre int¨¦rioris¨¦es par tous les Am¨¦ricains, l¡¯emporterait sur ??les pr¨¦jug¨¦s de groupe ¨¤ l¡¯encontre de certaines personnes ou de certains types de personnes10??, Ralph Bunche ¨¦tait d¡¯un avis oppos¨¦, estimant que la contradiction entre les id¨¦aux am¨¦ricains et le racisme anti-Noir avait ¨¦t¨¦ rationalis¨¦e de mani¨¨re conventionnelle depuis que l¡¯esclavage ¨¦tait devenu une institution fondamentale, et qu¡¯il ¨¦tait devenu n¨¦cessaire de concilier la servitude humaine et ??l¡¯¨¦chafaudage id¨¦ologique de la d¨¦mocratie11??. Au lieu de sugg¨¦rer, comme l¡¯avait fait Gunnar Myrdal, que des appels moraux ¨¤ la conscience culpabilisante des Am¨¦ricains bien intentionn¨¦s permettraient des r¨¦formes au sein de l¡¯organisation sociale existante, Ralph Bunche pr¨¦conisait un changement structurel, insistant sur la n¨¦cessit¨¦ d¡¯une ??croisade?? et d¡¯une ??lutte sans merci,?qui ¨¦rigerait une v¨¦ritable d¨¦mocratie [¡] sur des fondements constitutionnels ?. Le dilemme des Noirs pourrait donc ¨ºtre ??r¨¦solu uniquement en termes de possibilit¨¦s de d¨¦veloppement et d¡¯assimilation compl¨¨te dans la vie politique et ¨¦conomique de la nation12??.
Sa contribution ¨¤ l¡¯ouvrage de Gunnar Myrdal fournit une analyse d¨¦taill¨¦e du r?le historique du New Deal, un ensemble de programmes d¡¯aide et de r¨¦formes gouvernementales pr¨¦sent¨¦es par le Pr¨¦sident am¨¦ricain Franklin D. Roosevelt pour permettre ¨¤ la nation de se relever apr¨¨s la Grande D¨¦pression. Initialement, il ne croyait pas ??qu¡¯une planification plus ¨¦clair¨¦e???allait sensiblement ??changer les id¨¦es, les traditions ou les loyaut¨¦s13??, en remettant en cause les st¨¦r¨¦otypes raciaux. Mais les recherches r¨¦alis¨¦es pour l¡¯ouvrage de Gunnar Myrdal l¡¯ont persuad¨¦ que certaines caract¨¦ristiques de l¡¯entreprise ¨¦conomique et sociale du Gouvernement am¨¦ricain pourraient, en fait, ¨ºtre consid¨¦r¨¦es comme b¨¦n¨¦fiques du point de vue des Afro-Am¨¦ricains. Parmi d¡¯autres signes d¡¯espoir, il a reconnu que les logements ¨¤ loyer mod¨¦r¨¦, la s¨¦curit¨¦ sociale, la l¨¦gislation sur le salaire minimum et les heures de travail, ainsi que la loi sur les relations de travail ont contribu¨¦ ¨¤ am¨¦liorer la situation des Afro-Am¨¦ricains plus ??que la d¨¦cision la plus large possible concernant l¡¯¨¦galit¨¦ de leurs droits14??. Il a soulign¨¦ l¡¯importance de l¡¯inclusion de conseillers afro-am¨¦ricains dans le New Deal, qui pourraient tenter de garantir que des millions d¡¯aides et de services gouvernementaux soient mis ¨¤ disposition pour r¨¦pondre aux besoins de la population afro-am¨¦ricaine. Bien qu¡¯il ait r¨¦alis¨¦ que ces politiques n¡¯allaient pas assez loin pour am¨¦liorer le sort des innombrables ch?meurs, les mesures ont permis d¡¯ouvrir la voie aux minorit¨¦s ??afin d¡¯amorcer le processus en faveur de la libert¨¦ ¨¦conomique et politique15??. Alors que l¡¯¨¦conomie mondiale s¡¯enfonce actuellement dans une r¨¦cession, il pourrait?¨ºtre utile de r¨¦examiner ses r¨¦flexions sur ces travaux publics acquis afin d¡¯orienter les efforts men¨¦s actuellement pour assurer une reprise durable et inclusive et reconstruire en mieux. La s¨¦curit¨¦ ¨¦conomique de centaines de millions de personnes dans le monde continue d¡¯¨ºtre entrav¨¦e par des ??maux??, comme ??les handicaps politiques et ¨¦ducatifs??, ??les bidonvilles?? et ??la protection inad¨¦quate de la sant¨¦16??. Ces recommandations, qu¡¯il a formul¨¦es il y a pr¨¨s d¡¯un si¨¨cle, rendent de nouveau l¡¯¨¦tude opportune et pertinente.
L¡¯ampleur, la port¨¦e et la structure de l¡¯ouvrage intitul¨¦ An American Dilemma, compos¨¦ de 45 chapitres tr¨¨s document¨¦s, de dix annexes ainsi que de nombreux tableaux, r¨¦v¨¨lent comment les conflits raciaux ont impr¨¦gn¨¦ tous les aspects de la vie am¨¦ricaine. Il aurait ¨¦t¨¦ impossible, ¨¤ l¡¯¨¦poque comme aujourd¡¯hui, de comprendre l¡¯injustice raciale ou de traiter cette question de mani¨¨re appropri¨¦e, sous quelque forme que soit, sans une volont¨¦ consciencieuse et sinc¨¨re de reconna?tre son histoire controvers¨¦e et d¡¯analyser les forces politiques et sociales en jeu. Contrairement aux ouvrages de ses pr¨¦d¨¦cesseurs qui avaient ¨¦vit¨¦ de formuler des recommandations en mati¨¨re de politique publique, celui de Gunnar Myrdal a ¨¦t¨¦ une source d¡¯information compl¨¨te et ??un guide pour les d¨¦cideurs politiques17??. Cette publication a notamment permis de mettre fin ¨¤ la s¨¦gr¨¦gation, jug¨¦e inconstitutionnelle, lorsqu¡¯elle a ¨¦t¨¦ cit¨¦e dans l¡¯affaire Brown v. Board of Education?(1954), une d¨¦cision historique de la Cour supr¨ºme des ?tats-Unis. Ses conclusions ont ¨¦t¨¦ utilis¨¦es comme preuve contre le concept ??s¨¦par¨¦s mais ¨¦gaux??, prouvant que la s¨¦paration impliquait l¡¯inf¨¦riorit¨¦ et l¡¯imposait.
Soixante-quinze ans apr¨¨s que Ralph Bunche a d¨¦nonc¨¦ le recours aux doctrines raciales comme instrument de l¡¯arrogance imp¨¦rialiste, l¡¯exploitation injuste des ressources naturelles, qu¡¯il s¡¯agisse de mat¨¦riaux de grande valeur, comme le bois, les diamants, l¡¯or, les min¨¦raux et le p¨¦trole, ou de produits de base rares, y compris les terres fertiles et l¡¯eau, continue d¡¯alimenter des conflits violents18.
Il aura fallu des d¨¦cennies au syst¨¨me des Nations Unies ainsi qu¡¯¨¤ de nombreux sociologues, ¨¦conomistes, avocats, psychologues sociaux, ethnographes, historiens, g¨¦n¨¦ticiens et autres experts, y compris d¡¯importantes recherches ayant contribu¨¦ ¨¤ An American Dilemma, pour d¨¦battre de la question raciale, avant que la Conf¨¦rence g¨¦n¨¦rale de l¡¯UNESCO n¡¯adopte, en 1978, une ??D¨¦claration sur la race et les pr¨¦jug¨¦s raciaux ?, affirmant que les th¨¦ories de la sup¨¦riorit¨¦ raciale et ethnique sont d¨¦nu¨¦es de fondement scientifique. Cependant, telle qu¡¯elle est d¨¦finie dans la quatri¨¨me d¨¦claration de l¡¯UNESCO sur la race et les pr¨¦jug¨¦s raciaux de 1967, et comme la pand¨¦mie de COVID-19 l¡¯a r¨¦v¨¦l¨¦ avec encore plus de force cette ann¨¦e, la discrimination raciale ??continue de hanter le monde, d¡¯entraver le d¨¦veloppement de ses victimes, pervertit ceux qui la mettent en pratique, divise les nations au sein d¡¯elles-m¨ºmes, aggravent les conflits mondiaux et constitue une menace pour la paix19.??
Les efforts des Nations Unies en mati¨¨re de trait¨¦s anti-discrimination se sont poursuivis, aboutissant notamment ¨¤ la Convention internationale sur l¡¯¨¦limination de toutes les formes de discrimination raciale, entr¨¦e en vigueur en 1969. S¡¯appuyant sur une approche fond¨¦e sur les droits de l¡¯homme remettant en cause la conception essentialiste de la race, l¡¯Organisation a men¨¦ une campagne contre le r¨¦gime d¡¯apartheid, qui a conduit ¨¤ la suspension temporaire d¡¯un ?tat Membre, l¡¯interdisant de participer aux travaux de l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale. Moins d¡¯une d¨¦cennie apr¨¨s sa r¨¦admission au sein des Nations Unies, suite ¨¤ sa transition vers la d¨¦mocratie en 1994, l¡¯Afrique du Sud a accueilli en 2001 la Conf¨¦rence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la x¨¦nophobie et l¡¯intol¨¦rance qui y est associ¨¦e.
Pourtant, le racisme persiste. R¨¦v¨¦lant un scepticisme croissant concernant les relations raciales, Ralph Bunche, dans son essai de 1967 intitul¨¦ ??Upheavals in the Ghettos??, qualifie le racisme de???virus dangereux20?? qui peut se propager de part et d¡¯autre de la division ethnique ou de couleur. Son lourd tribut ne peut ¨ºtre sous-estim¨¦, car le racisme est aussi omnipr¨¦sent et destructeur que le nouveau coronavirus qui a des effets traumatisants sur des individus et des communaut¨¦s d¨¦courag¨¦s, laiss¨¦s dans le d¨¦sarroi. Comme pour la pand¨¦mie, il est imp¨¦ratif de continuer ¨¤ chercher des rem¨¨des tout en appliquant des mesures pr¨¦ventives. Afin d¡¯¨¦liminer ??les terreaux propices?? aux?griefs, il est n¨¦cessaire de les identifier et de les traiter. Entrepris il y a 75 ans, le projet Carnegie-Myrdal a ¨¦t¨¦ une premi¨¨re tentative en ce sens, un effort qui reste in¨¦gal¨¦ ¨¤ ce jour. En plus des causes sous-jacentes de longue date ¨¦tudi¨¦es dans An American Dilemma, les retomb¨¦es de la pand¨¦mie ont mis en ¨¦vidence des formes nouvelles?ou, auparavant, moins visibles du racisme, comme la discrimination environnementale qui ne cesse de s¡¯aggraver. Des d¨¦cennies de n¨¦gligence et de sous-investissement dans les domaines du logement, des infrastructures et de la s¨¦curit¨¦ environnementale ont conduit ¨¤ une fusion de la lutte pour une justice sociale et le besoin urgent du pacte vert. Quelle que soit la forme qu¡¯elles prennent, les politiques et les m¨¦thodes discriminatoires restent pr¨¦dominantes et la crise actuelle affecte de mani¨¨re disproportionn¨¦e les femmes, les communaut¨¦s de couleur, les groupes minoritaires et les personnes les plus vuln¨¦rables.
Les r¨¦formes impos¨¦es par des actions l¨¦gislatives et judiciaires sont importantes et ont ¨¦t¨¦ souvent efficaces dans la lutte contre les pr¨¦jug¨¦s, comme le sugg¨¨re l¡¯affaire Brown v. Board of Education. Mais, comme le fait remarquer l¡¯¨¦crivain Caryl Phillips, ??nous ne pouvons l¨¦gif¨¦rer sur ce qui se trouve dans le c?ur des gens21 ?, ce qui, admet-il, cr¨¦e une responsabilit¨¦ suppl¨¦mentaire pour chacun d¡¯entre nous, y compris les enseignants, les parents, les organisateurs communautaires, les personnalit¨¦s publiques et, bien s?r, les fonctionnaires internationaux. Dans le m¨ºme ordre d¡¯id¨¦es, les troubles urbains g¨¦n¨¦ralis¨¦s ne peuvent ¨ºtre ¨¦touff¨¦s m¨ºme en retirant?les forces f¨¦d¨¦rales. Au contraire, ces mesures, comme cela est devenu ¨¦vident ces derniers jours dans un certain nombre de villes am¨¦ricaines, ont incit¨¦ les manifestants ¨¤ descendre de plus en plus nombreux dans la rue, d¡¯autres groupes comme les m¨¨res de famille et les v¨¦t¨¦rans se joignant au mouvement. Les manifestants sont retourn¨¦s dans la rue, anim¨¦s par le m¨ºme ??sens de la justice et la m¨ºme pr¨¦occupation profonde pour tous les peuples et tous les probl¨¨mes22?? qui avaient pouss¨¦ Ralph Bunche ¨¤ s¡¯adresser ¨¤ une foule immense lors de la l¨¦gendaire Marche sur Washington de 1963, juste avant que Martin Luther King ne prononce son discours m¨¦morable, puis, plus tard, ¨¤ se joindre ¨¤ ce dernier en Alabama, en premi¨¨re ligne de la Marche de Selma ¨¤ Montgomery.
Soixante-cinq ans plus tard, et ¨¤ 3 000 km de Selma, une nouvelle g¨¦n¨¦ration de militants s¡¯inspire de l¡¯histoire des droits civils qui ??a mis en ¨¦vidence la violence end¨¦mique de la s¨¦gr¨¦gation?? et a abouti ¨¤ la loi sur le droit de vote de 1965. Dirig¨¦e par Mme Patrisse Cullors, une artiste, militante, oratrice et cofondatrice afro-am¨¦ricaine du mouvement Black Lives Matter, une coalition de r¨¦formateurs ¨¤ Los Angeles tire parti du pouvoir du vote par le biais d¡¯une mesure ¨¦lectorale pour ??mettre fin ¨¤ la violence et aux abus des sh¨¦rifs dans les prisons23??. Comme c¡¯est souvent le cas, les humanitaires d¨¦vou¨¦s, leur h¨¦ritage, leurs intentions et leurs influences sont destin¨¦s ¨¤ converger un jour ou l¡¯autre. Si le monde n¡¯avait pas fr¨¦mi d¡¯horreur apr¨¨s le meurtre insens¨¦ d¡¯un homme noir ¨¤ Minneapolis au printemps dernier, le fait que Mme Cullors ait re?u le prix humanitaire Ralph Bunche de l¡¯ann¨¦e serait peut-¨ºtre pass¨¦ tout ¨¤ fait inaper?u. Originaire de Los Angeles et en premi¨¨re ligne de la r¨¦forme de la justice p¨¦nale depuis plus de 20 ans, elle a ¨¦t¨¦ r¨¦compens¨¦e pour ses services ¨¤?la communaut¨¦ afro-am¨¦ricaine. Des semaines plus tard, le mouvement qu¡¯elle a contribu¨¦ ¨¤ fonder a acquis une nouvelle notori¨¦t¨¦, exhortant le monde ¨¤ acc¨¦l¨¦rer les efforts communs dans la recherche d¡¯un rem¨¨de contre ??le dangereux virus du racisme??, qui continue de priver des ¨ºtres humains de leur empathie et de leur compassion inh¨¦rentes, et ¨¤ pervertir les consciences intoxiqu¨¦es par le plaisir de l¡¯agression brutale.
7 ao?t 2020
Notes
1Brian Urquhart,?Ralph Bunche: An American Life?(New York, Londres, W.W. Norton and Company, 1993), p. 458.
2Ralph J. Bunche,?A World View of Race?(Washington, The Associates in Negro Folk Education, 1936), p. 25.
3Ibid., 38-40.
4John B. Kirby, ??Ralph J. Bunche and black radical thought in the 1930s??,?Phylon, vol. 35, n¡ã 2 (2e qt., 1974), p.?131.
5Bunche,?A?World View of Race, p. 26.
6Dewey W.Grantham, ??Editor's introduction??, dans?The Political Status of the Negro in the Age of FDR, Ralph J. Bunche (Chicago, London, The University of Chicago Press, 1973) p. xii.
7Ibid.
8Clare L. Spark, ??Race, caste, or class? The Bunche-Myrdal dispute over?An American Dilemma",?International Journal of Politics, Culture, and Society, vol. 14, n¡ã 3 (mars 2001), p. 473.
9Ralph J. Bunche, ??Conceptions and Ideologies of the Negro Problem??. Une note de recherche. ?tude Carnegie-Myrdal. The Negro in America (New York, 1940), p.p. 5, 3. Conseil pour la recherche en sciences sociales. Disponible sur le site .
10Gunnar Myrdal avec l¡¯assistance de Richard Sterner et d¡¯Arnold Rose,?An American Dilemma: The Negro Problem and Modern Democracy?(New York, Londres, Harper and Brothers Publishers, 1944), p. xlvii.?
11Bunche, ??Conceptions and Ideologies of the Negro Problem??, p. 9.
12Ralph J. Bunche, ??The Negro in the political life of the United States??,?Journal of Negro Education, vol. X (juin 1941), p. 583, 581. Cit¨¦ dans Kirby, ??Ralph J. Bunche and black radical thought in the 1930s??, p. 135, 137.
13Kirby, ??Ralph J. Bunche and black radical thought in the 1930s??, p. 134 et Ralph J. Bunche, ??A critique of New Deal social planning as it affects negroes??,?Journal of Negro Education, vol. V (janvier 1936), p. 60. Cit¨¦ dans Kirby, ??Ralph J. Bunche and black radical thought in the 1930s??, p. 133.
14Ralph J. Bunche, ??The?Political?Status of the Negro?with Emphasis on the South and Comparative Treatment of the 'Poor White'??.?Une note de recherche ?tude Carnegie-Myrdal. The Negro in America, livre VI (New York, 1940), p.p. 1530-1531.?Le Conseil pour la recherche en sciences sociales. Disponible sur le site ?.
15Kirby, ??Ralph J. Bunche and black radical thought in the 1930s??, p. 134.
16Ralph J. Bunche, ??The Negro in the political life of the United States??, 538. Cit¨¦ dans Kirby, ??Ralph J. Bunche and black radical thought in the 1930s??, p. 135.
17Urquhart,?Ralph Bunche: An American Life,?p. 83.
18Pour plus d¡¯information sur les conflits et les ressources naturelles, voir Le maintien de la paix des Nations Unies ??Conflits et ressources naturelles??. Disponible sur le site?.
19UNESCO, ??D¨¦claration sur la race et les pr¨¦jug¨¦s raciaux??, Paris, septembre 1967??, dans Quatre D¨¦clarations sur la race?(Paris, 1969), p. 50.
20Ralph J. Bunche, ??Upheavals in the Ghettos??, dans?Ralph J. Bunche,?Selected Speeches and Writings, Charles P. Henry, dir. et???Introduction?? (Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1998),?p. 290.?
21Caryl Phillips, ??American tribalism"??, in?The American Effect: Global Perspectives on the United States, 1990-2003?(New York, Whitney Museum of American Art, 2003), p. 91.
22Ralph Bunche, ??March on Montgomery Speech, 1965??, in Bunche,?Selected Speeches and Writings, 259.
23Patrisse Cullors, ??Selma to LA: How civil rights history inspired modern criminal justice reform and Measure R??,?Daily KOS, 25 f¨¦vrier 2020. Disponible sur le site?.
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