Commerce et respect de l¡¯environnement
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Commerce et respect de l¡¯environnement
Ouoique lente, la ratification du nouvel Accord africain sur la Zone de libre-¨¦change continentale (ZLEC) se poursuit. Il s¡¯agit du plus important accord de libre-¨¦change (comptant le plus grand nombre de pays membres) depuis la cr¨¦ation de l¡¯Organisation mondiale du commerce.
Entre autres b¨¦n¨¦fices, l¡¯Union africaine et ses membres esp¨¨rent que cette zone de libre-¨¦change am¨¦liorera les performances ¨¦conomiques du continent.
Les indicateurs ¨¦conomiques actuels sont tous sauf exemplaires : la faible productivit¨¦, estim¨¦e ¨¤ 2000% inf¨¦rieure ¨¤ celle des r¨¦gions d¨¦velopp¨¦es, est encore aggrav¨¦e par la faible valeur ajout¨¦e des produits pour lesquels la r¨¦gion d¨¦tient un avantage comparatif.
La faiblesse de la valeur ajout¨¦e est ainsi responsable du fait que l¡¯Afrique ne r¨¦cup¨¨re que 10% de la valeur totale de ses propres cha?nes de valeur agricoles. Dans la cha?ne de valeur du cacao par exemple (l¡¯Afrique produit 70% du cacao mondial), 2 milliards seulement sur les quelques 100 milliards de dollars de revenus du chocolat reviennent chaque ann¨¦e sur le continent.
De m¨ºme, selon la Commission ¨¦conomique pour l¡¯Afrique (CEA), jusqu¡¯¨¤ 90% de la part des revenus du caf¨¦ va aux pays riches. Et l¡¯effet domino en termes de pertes d¡¯emploi aggrave encore la situation.
La faible productivit¨¦ a pour effet d¡¯aggraver le ch?mage. Chaque ann¨¦e, environ 12 millions de jeunes africains arrivent sur le march¨¦ du travail pour trois millions ¨¤ peine de nouveaux emplois. Cette vaste r¨¦serve de jeunes sans emploi est une bombe ¨¤ retardement, pr¨¦vient Alexander Chikwanda, ancien ministre des Finances de la Zambie, en faisant allusion aux risques de troubles et de violence politique.
Pourtant, le probl¨¨me le plus ¨¦pineux et le plus ¨¦vident est le changement climatique qui, pour 40% des pays les plus pauvres (la plupart en Afrique), devrait r¨¦duire le revenu moyen de 75% d¡¯ici ¨¤ 2030 selon une ¨¦tude de 2015 de l¡¯Universit¨¦ de Californie ¨¤ Berkeley aux ?tats-Unis.
L¡¯¨¦tude s¡¯est concentr¨¦e sur la relation entre la temp¨¦rature et les activit¨¦s ¨¦conomiques dans les pays. Elle a constat¨¦ que le changement climatique allait accentuer les in¨¦galit¨¦s mondiales et serait pr¨¦judiciable aux pays les plus pauvres.
La ? machette ?
? Le chemin n¡¯est jamais bloqu¨¦ pour un homme qui dispose d¡¯une machette ?, dit un proverbe africain, sugg¨¦rant que la ZLEC pourrait ¨ºtre la machette, le catalyseur de l¡¯¨¦conomie africaine. Si les 55 pays d¡¯Afrique y adh¨¨rent, la zone de libre-¨¦change consolidera un march¨¦ de 1,2 milliard de personnes avec un PIB combin¨¦ de 2,5 billions de dollars selon la CEA. Le magazine d¡¯affaires am¨¦ricain Bloomberg estime le PIB combin¨¦ de cette zone ¨¤ quelque 3 billions de dollars.
Cette zone de libre-¨¦change pourrait stimuler le commerce intra-africain et lui faire atteindre 52%, voire 70% en 2022, soit plus que les ¨¦changes au sein de l¡¯Union europ¨¦enne, qui sont actuellement chiffr¨¦s ¨¤ 65%.
La ZLEC se double d¡¯un protocole de libre circulation des personnes qui augmentera les possibilit¨¦s d¡¯emploi sur tout le continent et freinera la fuite des cerveaux.
Comme l¡¯explique le Nouveau Partenariat pour le d¨¦veloppement de l¡¯Afrique, l¡¯organe de mise en ?uvre de la strat¨¦gie ¨¦conomique de l¡¯Union africaine, la ZLEC pourrait faire gagner ¨¤ l¡¯Afrique quelque 150 milliards de dollars annuels gr?ce aux produits agricoles ¨¤ valeur ajout¨¦e, mais aussi faire cro?tre son ¨¦conomie, cr¨¦er des milliers d¡¯emplois pour les jeunes, r¨¦duire ses ¨¦missions de carbone et accro?tre la r¨¦silience de ses ¨¦cosyst¨¨mes au changement climatique.
En 2013, dans un rapport intitul¨¦ Growing Africa: Unlocking the Potential of Agribusiness (? Croissance de? l¡¯Afrique : lib¨¦rer? le potentiel du secteur agroalimentaire ?), la Banque mondiale estimait que le secteur agro-industriel africain pourrait valoir 1 billion? de dollars d¡¯ici ¨¤ 2030 si les Africains disposaient d¡¯un acc¨¨s ¨¦largi au capital, ¨¤ l¡¯¨¦lectricit¨¦ et ¨¤ des technologies de meilleure qualit¨¦, ou encore ¨¤ l¡¯irrigation qui permettrait de produire des denr¨¦es agricoles ¨¤ haute valeur nutritive.
Normes de conformit¨¦
Pour les experts, si l¡¯Afrique veut atteindre l¡¯objectif d¡¯ouverture des march¨¦s que s¡¯est fix¨¦ la ZLEC, elle doit se doter de normes de conformit¨¦. La vuln¨¦rabilit¨¦ particuli¨¨re de l¡¯Afrique au changement climatique souligne la n¨¦cessit¨¦ de veiller ¨¤ ce que les processus de production, de commercialisation et de distribution des produits r¨¦pondent ¨¤ certaines normes et ne nuisent pas aux ¨¦cosyst¨¨mes.
Une norme de conformit¨¦ pourrait garantir, par exemple, que l¡¯atti¨¦k¨¦, un manioc transform¨¦ et produit en C?te d¡¯Ivoire, soit commercialis¨¦ aupr¨¨s des consommateurs k¨¦nyans comme un produit pur, naturel et cultiv¨¦ sans OGM ni produits chimiques ou pesticides. Elle pourrait aussi garantir que les ¨¦cosyst¨¨mes ne sont pas endommag¨¦s pendant la production et qu¡¯aucune ¨¦mission nocive ne r¨¦sulte de son traitement voire de sa commercialisation.
A cet effet, le programme des Nations Unies pour l¡¯environnement fournit une assistance technique aux pays adoptant ses normes de conformit¨¦, par l¡¯interm¨¦diaire de son cadre de mise en ?uvre de la politique de l¡¯Assembl¨¦e sur l¡¯adaptation ¨¦cosyst¨¦mique au service de la s¨¦curit¨¦ alimentaire (EBAFOSA) ¨¦tablie et adopt¨¦e par la CMAE.
Les normes de conformit¨¦ de cette Assembl¨¦e sont produites par l¡¯Organisation internationale de normalisation, un organisme de promotion de normes exclusives, industrielles et commerciales ¨¤ l¡¯¨¦chelle mondiale qui veille ¨¤ ce que les produits export¨¦s vers d¡¯autres pays soient certifi¨¦s.
Crit¨¨res d¡¯¨¦valuation
En application des normes de conformit¨¦ de l¡¯EBAFOSA, les experts ¨¦valuent les produits agricoles tout au long de la cha?ne d¡¯approvisionnement, depuis la production, le traitement et la distribution dans les exploitations agricoles jusqu¡¯au marketing, selon trois crit¨¨res. Le premier est le ? respect du climat et de l¡¯environnement ?, qui permet d¡¯¨¦valuer si la production repose effectivement sur des approches ob¨¦issant ¨¤ des normes m¨¦lioratives et protectionnistes des ¨¦cosyst¨¨mes.
Le deuxi¨¨me crit¨¨re est le ? respect de la sant¨¦ ?, ce qui signifie que la production utilise des approches ? naturelles ?.
Le troisi¨¨me crit¨¨re est le ? respect de la qualit¨¦ et de la s¨¦curit¨¦ ? tout au long du processus de production et de la cha?ne de valeur.
Plusieurs pays africains, dont le B¨¦nin, le Cameroun, la R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo, la Gambie, le Ghana, l¡¯Ouganda et la Zambie, sont ¨¤ diff¨¦rents stades d¡¯adoption des normes de conformit¨¦ EBAFOSA, qui constitueront une ¨¦tape en vue de la cr¨¦ation d¡¯un march¨¦ ouvert pour des produits agricoles sains, de qualit¨¦ et respectueux de l¡¯environnement sur tout le continent.
Alors que l¡¯Afrique est en passe de ratifier l¡¯accord sur la ZLEC, les normes de conformit¨¦ de l¡¯EBAFOSA sont devenues un ¨¦l¨¦ment cl¨¦ de la bo?te ¨¤ outils qui doit servir ¨¤ la mise en ?uvre de l¡¯accord. La transformation socio-¨¦conomique ne doit pas se faire au d¨¦triment des populations ni de la plan¨¨te.
Richard Munang est le coordonnateur r¨¦gional pour les changements climatiques du Bureau r¨¦gional pour l¡¯Afrique du PNUE. Robert Mgendi est l¡¯expert en politique d¡¯adaptation d¡¯ONU-Environnement. Les vues exprim¨¦es dans le pr¨¦sent article sont celles des auteurs, et ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement celles de l¡¯institution qu¡¯ils repr¨¦sentent.